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Introduction
Hélène B et Bettina F
Ce recueil est né d’un constat qui, pour être simple, ne pose pas moins
problème. Le e siècle n’a pas connu moins de trois rois et deux empereurs,
sans parler des multiples faux-Louis XVII ni des prétendants des dynasties
successivement évincées. Or, à en croire nombre d’historiens, la royauté
serait morte avec Louis XVI. Cette mort peut se situer soit au moment
de son procès et de son exécution, comme le suggèrent Michael Walzer et
François Furet
1, soit le 10 août, date de la « chute de la royauté » selon le
livre de Marcel Reinhardt
2, ou encore plus en amont, comme le propose
Mona Ozouf dans son dernier livre Varennes, la mort de la royauté. Cette
dernière conclut: « [Varennes] présente aux yeux de tous la séparation du
roi et de la nation : le premier, tel un vulgaire émigré, a couru clandesti-
nement à la frontière ; la seconde rejette désormais comme dérisoire son
identifi cation au corps du roi, qu’aucune restauration ne parviendra plus
à faire revivre ; par où, bien avant la mise à mort du roi, elle accomplit la
mort de la royauté 3. »
Les travaux consacrés au e siècle reflètent souvent cette ligne
d’interprétation dominante : les différentes formes de royauté post-
révolutionnaire, notamment celle de la Restauration, sont regardées comme
des anachronismes dans un siècle qui serait celui de l’avènement de la
république. Ce type d’interprétation pèche par excès téléologique puis-
que la monarchie et la royauté sont mesurées à l’aune de leur échec fi nal.
La compréhension de l’histoire politique du premier e siècle est ainsi
1. Michael W, Regicide and Revolution, London, New York, Cambridge University Press, 1974 ;
François F, La Révolution, Paris, Hachette, 1988, t. 1, p. 210 notamment : « Grande question,
encore mystérieuse, que de savoir si, en portant Louis XVI à l’échafaud, la Révolution a tranché le
l d’une royauté vivante, ou mis fi n à une institution déjà morte dans l’opinion. Le spectacle de
la vie publique française au e siècle inclinerait vers la deuxième hypothèse : à la diff érence de la
Révolution anglaise, la Révolution française a tué non seulement le roi de France mais la royauté.
En ce sens, même si les conventionnels n’ont fait que transformer en tragédie nationale ce que le
dernier siècle de l’absolutisme avait déjà inscrit au chapitre de l’inévitable, ils ont au moins accompli
ce qui était leur but : arracher la royauté de l’avenir de la nation. »
2. Marcel R, La chute de la royauté : 10 août 1792, Paris, Gallimard, 1969.
3. Mona O, Varennes. La mort de la royauté, Paris, Gallimard, 2005, p. 409.
[« La dignité de roi », Hélène Becquet et Bettina Frederking (dir.)]
[Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr]
HÉLÈNE BECQUET ET BETTINA FREDERKING
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partiellement biaisée comme le remarquait déjà Arno Mayer, il y a plus
de trente ans
4. Pourquoi lit-on encore l’histoire de la royauté du e siè-
cle comme une série de « rejets » successif d’un régime qui ne pourrait
plus s’ancrer en France et non comme une « survivance » pour paraphra-
ser Philippe Ariès
5 ? Il y a à ce phénomène des raisons idéologiques, sans
aucun doute, mais aussi des habitudes méthodologiques dont on peine à
se déprendre.
Ainsi les termes monarchie et royauté sont trop souvent mal distingués.
La notion de « monarchie », étymologiquement le « gouvernement d’un
seul », renvoie d’abord à une classifi cation formelle des régimes politiques
selon le nombre des gouvernants
6. Toutefois, la « monarchie » s’oppose à
la « tyrannie » ou au « despotisme » par le respect des lois et le souci du
bien commun de celui qui gouverne seul, ce qui implique un jugement de
valeur sur la nature du régime 7.
Assurément, la monarchie n’est pas morte avec Louis XVI et aucun his-
torien ne prétendra le contraire. Si mort il y a, c’est celle de la royauté. Mais
cette dernière n’est pas défi nie clairement. De manière générale, la notion
de royauté est entendue comme si le modèle unique de la royauté était celui
de la royauté de la fi n d’Ancien Régime, c’est-à-dire d’une royauté absolue
et sacrée. Or, la notion de royauté ne présuppose a priori ni absolutisme,
ni droit divin, ni même hérédité. La royauté n’est pas une mais multiple,
comme nous espérons pouvoir le montrer dans ce recueil.
L’histoire de la royauté au e siècle souff re surtout de l’ombre portée
du régicide qui semble avoir déterminé une fois pour toutes le sort de la
royauté. Dans son analyse du procès de Louis XVI, la seule de cette enver-
gure existant à ce jour, Michael Walzer, assimilant royauté et corps mystique
du roi, explique, en s’inspirant des travaux d’Ernst Kantorowicz
8, que la
mort de Louis XVI, en public et précédée d’un procès, entraîne à la fois la
disparition du corps physique du roi et celle de son corps mystique
9. Ce
serait donc bien la royauté qui serait exécutée et pas seulement le roi. Le régi-
cide annihilerait ainsi jusqu’à la possibilité d’une royauté en France. Cette
explication pose problème, car elle ne tient pas compte de l’évolution du
système monarchique à la fi n de l’Ancien Régime : pour que les deux corps
4. Arno J. M, La persistance de l’Ancien Régime. L’Europe de l’Ancien Régime à la Grande guerre,
Paris, Flammarion, 1983, p. 12-13.
5. Philippe A, « La nostalgie du roi », Essais de Mémoire, Paris, Le Seuil, 1993, p. 190.
6. Cf. Philippe R, « Monarchie », Philippe R, Stéphane R (dir.), Dictionnaire de
philosophie politique, Paris, PUF, 1998, p. 392-400.
7. Ibid.
8. Ernst Hartwig K, Les deux corps du roi : essai sur la théologie politique au Moyen Âge,
Paris, Gallimard, 1989.
9. M. W, op. cit., notamment p. 35-36 ; sur le régicide il n’existe par ailleurs guère que l’article
de Mona O, « Procès du roi », François F, Mona O (dir.), Dictionnaire critique
de la Révolution française. Événements, Paris, Flammarion, 1992, p. 241-259, qui se place dans la
perspective d’une désacralisation ancienne de la royauté dont le régicide ne serait fi nalement que
l’aboutissement logique.
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INTRODUCTION
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du roi meurent sur l’échafaud, encore faudrait-il que cette construction-
là ait du sens sous Louis XVI 10.
La mort de Louis XVI – qu’elle soit concomitante à la « mort de la
royauté » ou postérieure – est indéniablement une rupture, comme en
témoignent les réactions qu’elle a suscitées. Cependant, cette rupture est
doublement fondatrice. D’une part, elle fonde une tradition républicaine
qui se pense en opposition complète avec la monarchie et l’Ancien Régime,
qui célébrera la « mort du tyran » et fera des anciens conventionnels des fi gu-
res mythiques. D’autre part, le régicide, comme Michelet l’a bien vu
11, a
pour conséquence la naissance de royalismes, se prétendant ou non héritiers
de l’Ancien Régime mais s’appuyant généralement sur une vision idéalisée
de la monarchie, et contribue, à moyen terme, à la résurrection de la royauté
sous une forme rénovée.
Ce n’est donc pas la royauté, mais une royauté qui est morte avec la
Révolution. La royauté post-révolutionnaire est confrontée à un monde
qui a vécu l’expérience d’autres formes de gouvernement en France et qui
est hanté par le souvenir révolutionnaire. Mais cela suffi t-il pour considérer
les rois et empereurs du e siècle comme de simples « fantômes » pour
reprendre l’expression de Jaurès, des monarques simples exécutants de la
volonté des Français, dépourvus de toute dignité royale ? Ne faut-il pas voir
en eux plutôt les inventeurs d’un nouveau type de royauté ?
Comment approcher la « royauté » post-révolutionnaire ? La défi nition
du terme « royauté » dans le dictionnaire de l’Académie française demeure
inchangée de la première édition en 1694 jusqu’à aujourd’hui : la royauté
est « la dignité de roi ». Ce terme de « dignité » renvoie d’abord au domaine
juridique. La notion de dignitas, héritée du droit romain, a été une des
clefs de voûte de la pensée monarchique au Moyen Âge. Le terme dignitas
a d’abord servi à désigner les charges ecclésiastiques pour être transféré, au
e siècle, à la fonction royale. L’utilisation de cette notion permettait d’af-
rmer que la royauté était publique – la couronne était ainsi soustraite au
droit privé, essentiellement en ce qui concernait la succession –, permanente
– selon l’expression des juristes, dignitas non moritur –, et impersonnelle – le
roi est un simple administrateur de la dignitas, non son propriétaire. Aux
e et e siècles, l’élaboration des lois de dévolution de la couronne de
10. La mise en place de la monarchie absolue met fi n à la fi ction juridique des deux corps du roi, cf.
Ralph E. G, Cérémonial et puissance souveraine, France XVe-XVIIe siècles, Paris, A. Colin, 1987,
p. 80-87 ; Robert D, Alain G, « Un État des temps modernes ? », André B et
Jacques R (dir.), Histoire de la France, vol. 2, L’État et les pouvoirs, Paris, Le Seuil, 1989, p. 232-
240 ; Alain Boureau remet en cause la thèse même de Kantorowicz : A. B, Le simple corps
du roi. L’impossible sacralité des souverains français XVe-XVIIIe siècles, Paris, Les éditions de Paris, 2000.
Il faut par ailleurs noter que c’est précisément parce qu’il y a incarnation de l’État dans la personne
royale que les conventionnels espéraient mettre fi n du même coup à la vie du roi et à la royauté.
11. Jules M, Histoire de la Révolution française, Paris, A. Lemerre, 1888, vol. 6, p. 157.
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France repose ainsi notamment sur le concept juridique de dignitas 12. La
dignité n’est donc pas un vain mot dans le vocabulaire monarchique. Mais
le terme de « dignité » a aussi un sens faible employé au e siècle comme
aujourd’hui : « Fonction, titre, ou charge qui donne à quelqu’un un rang
éminent 13. » C’est dans le champ délimité par ces deux défi nitions que nous
voudrions inscrire notre étude de la royauté.
Les articles réunis ici explorent donc un champ particulier, encore large-
ment en friche, de l’histoire politique du e siècle, en en suivant le renou-
vellement récent
14. À l’exception de celle du Premier Empire, l’histoire
politique de la première moitié du e siècle a en eff et longtemps été délais-
sée. Après une longue traversée du désert, la Restauration bénéfi cie depuis
quelques années d’un regain d’intérêt ainsi que d’une réévaluation : elle
n’est plus considérée simplement comme un anachronisme ou une période
de transition, mais reconnue pour son apport propre
15. La Monarchie de
Juillet, en revanche, reste beaucoup plus négligée par les historiens. À part
un « Que sais-je », il n’y a aucune synthèse récente en français consacrée à
cette période, l’œuvre de référence restant celle de  ureau-Dangin
16.
12. Robert D, Alain G, op. cit., p. 155-156 et p. 194 ; Jacques K, L’empire du roi.
Idées et croyances politiques en France XIIIe-XVesiècles, Paris, Gallimard, 1993, p. 125-135.
13. Dictionnaire de l’Académie française, neuvième édition, 1994, t. 1.
14. Pour la période contemporaine dans son ensemble, celui-ci a consisté notamment à mettre fi n à un
cloisonnement trop étroit des disciplines, cf. René R (dir.), Pour une histoire politique, Paris,
Éditions du Seuil, Réed. Points-Histoire, 1996 ; Philippe P, Les enjeux de l’histoire culturelle,
Paris, Éditions du Seuil, 2004 ; Sudhir H, « L’histoire politique face à l’histoire cultu-
relle : état des lieux et perspectives », Revue historique 642, avril 2007, p. 355-368.
15. En témoignent, entre autres, la synthèse d’Emmanuel de W et de Benoit Y, Histoire
de la Restauration 1814-1830. Naissance de la France moderne, Paris, Perrin, 1996, qui succède
à celle, plus ancienne, de Bertier de Sauvigny ; la parution d’un nouveau « Que sais-je » sur la
Restauration (Jean-Pierre C, La Restauration, Paris, PUF, 1998) ; les recueils Frankreich
1815-1830 : Trauma oder Utopie ? Die Gesellschaft der Restauration und das Erbe der Revolution,
Gudrun G et Hubertus K (dir.), Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 1993 ; et Repenser la
Restauration, Jean-Yves M, Martine R, Jean-Claude Y (dir.), Paris, Nouveau monde édi-
tions, 2005 ; les numéros spéciaux de la Revue d’histoire du XIXe siècle, La Restauration revisitée – Les
formes de la protestation – Une histoire de l’État, Carole C-L, Emmanuel F (dir.),
n° 35, 2007 et L’enquête judiciaire et ses récits – Mots, violence et politique – Varia, Carole C-
L, Laurent C, Emmanuel F (dir.), ainsi qu’un nombre croissant de thèses,
articles et livres sur la période, publiés notamment en France, en Allemagne et dans le monde
anglo-saxon.
16. Paul T-D, Histoire de la Monarchie de Juillet, Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1884-
1892, 7 vol. ; Hervé R, La Monarchie de Juillet, Paris, Presses universitaires de France, 1994.
Il faut y ajouter deux ouvrages qui se réfèrent à toute la période de la monarchie constitutionnelle :
André J et André-Jean T, La France des notables, I, L’évolution générale 1815-1848,
II, La vie de la nation, Paris, Éd. du Seuil, 1973 et Jean-Claude C, La France de 1815 à 1848
[1993], Paris, Armand Colin, 2000. L’historiographie anglo-américaine est particulièrement active
sur le sujet, voir Hugh A. C. C, e July Monarchy : a Political History, 1830-1848,
Londres, Longman, 1988 ; Pamela P, e Constitutional Monarchy in France 1814-1848,
Londres, Longman 2002 ; Munro P, e Perilous Crown. France between Revolutions 1814-1848,
Londres, Macmillan 2007. Le traitement inégal du premier e siècle se refl ète également dans le
secteur biographique : aux innombrables biographies de Napoléon répondent la petite dizaine de
biographies de ses successeurs Bourbons.
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INTRODUCTION
11
Nous avons choisi d’accorder une place particulière aux individus dans
le cadre de notre étude. En traitant de la « dignité de roi », nous mettons la
personne royale – ce qu’elle incarne ou est censée incarner, mais aussi l’indi-
vidu spécifi que à qui incombe cette tâche et dont la personnalité imprègne
sa version de la « royauté » – au centre de nos préoccupations
17. Chacun
des « rois » post-révolutionnaires est aux prises avec la tâche d’établir la
distance qui sépare un empereur, un « roi de France » ou même un « roi
des Français » de ses sujets, de trouver une nouvelle réponse à la question
de savoir ce qui, en eux, dépasse l’individu et justifi erait la transmission
dynastique de leur fonction, les distinguant d’un simple chef d’État, bref,
de répondre à la question « qui t’a fait roi
18 ? » Sans tomber dans un psy-
chologisme de mauvais aloi, faire l’histoire de la royauté, c’est aussi faire
l’histoire des rois et des reines qui sont au cœur de l’institution.
En réunissant des chercheurs travaillant sur l’Empire, la Restauration
et la Monarchie de Juillet, nous avons voulu mieux appréhender le jeu de
miroirs qui se construit en ce début du e siècle autour de la personne
royale ; une incursion du côté du Second Empire permet en outre d’aperce-
voir ce que la royauté des périodes précédentes lègue à la seconde moitié du
e siècle. Sans prétendre à l’exhaustivité, ce recueil s’eff orce de multiplier
les points de vue sur l’histoire de la royauté.
Nous commençons notre étude de la royauté du premier e siècle
avec le Premier Empire. C’est en eff et Napoléon qui réhabitue les Français
à la « royauté » et aux formes de représentation du pouvoir qui l’accompa-
gnent. Les articles de Natalie Petiteau et de Michel Kerautret mettent en
évidence les multiples liens entre la « royauté » napoléonienne et celle qui l’a
précédée mais aussi le pouvoir d’innovation de l’Empire dont ils analysent
la mise en place.
Partant d’une analyse détaillée de l’argumentation des tribuns et séna-
teurs en faveur du retour au principe dynastique, Natalie Petiteau constate
que l’hérédité est envisagée comme garantie de la stabilité de la France
sur le plan intérieur et de sa prééminence sur le plan extérieur. Napoléon
est perçu dans la tradition antique et royale comme un héros mais aussi
comme le garant des acquis révolutionnaires. Les adresses des institutions
et des personnes privées, rédigées suite à l’établissement du nouveau sou-
verain, reprennent cette interprétation. Les discours offi ciels, les adresses
et les attitudes des Français face à la nouvelle dynastie témoignent d’une
17. Sur le renouveau de l’histoire des individus cf. par exemple l’introduction d’Isabelle L-
L, Lectures et pratiques de l’espace. L’itinéraire de Coquebert de Montbret, savant et grand commis
de l’État (1755-1831), Paris, Honoré Champion, 1999 ; Jo B. M, « Constructing Selves
in Historical Perspectives », idem, e New Biography, Berkeley, Los Angeles, Londres, University of
California Press, 2001, p. 1-32 ; François D, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, 2005 ;
Antoine C, Frédéric R (dir.), La biographie en histoire. Jeux et enjeux d’écriture,
Paris, Michel Houdiard Éditeur, 2007.
18. R. D et A. G, op. cit., p. 227.
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