Quelques Problèmes de Factorisation d`Opérateurs Linéaires

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Actes du Congrès International des Mathématiciens
Vancouver, 1974
Quelques Problèmes de Factorisation
d'Opérateurs Linéaires
Bernard Maurey
En 1956, A. Grothendieck a démontré le résultat suivant : Tout opérateur linéaire
continu d'un espace C{K) dans un espace L1 se factorise par un espace de Hilbert.
Plus précisément, il existe une constante KG telle que pour tout compact K, et
pour tout opérateur linéaire u de norme g 1 de C{K) dans un espace L1, il existe
une probabilité de Radon pi sur K telle que w admette la factorisation : C{K) _Z>
L2{K, ß) Ä L1, où j désigne l'application naturelle de C{K) dans L2{K9 ju), et où
!« I £ KG (voir [2], [5]).*
Dans le cas d'un opérateur de c0 dans un espace L1, le résultat prend la forme
suivante: Tout opérateur linéaire u de norme ^ 1 de CQ dans un espace L1 admet
la factorisation c0 _^> l2 JU L1, où a est un opérateur diagonal (ßn) -• {a„ß„)9
avec E|a:w|2 g 1, et où ||û|| g KG. Cette dernière propriété peut être interprétée
comme une propriété des séries inconditionnellement convergentes dans un espace
L1 : si £*„ est une série inconditionnellement convergente dans un espace L1, avec
||2e„#w|| ^ 1 pour toute suite de nombres en = ± 1, on peut trouver une décomposition xn = anyn9 où {cc„) est une suite scalaire telle que S|^«| 2 è 1, et où {yn)
vérifie : V ( / U |2&J>»M *c(2|A,| 2 ) 1 / 2 .
Du point de vue dual, on peut dire que tout opérateur linéaire continu d'un
espace L°° dans l1 admet la factorisation L°° —• l2 _^ 71. Plus généralement Grothendieck a démontré que tout opérateur linéaire u de norme ^ 1 d'un espace C{K)
dans Ll{Q9 /u) admet la factorisation :
C{K) _ i _ L2{09 [S) _If_ L\Q9 ju),
iCettG constante n'est pas égale à la constante KG de [5].
© 1975, Canadian Mathematical Congress
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BERNARD MAUREY
où Tg désigne un opérateur de multiplication Tg{f) =fg9 avec J l ^ l 2 ^ ^ 1,
et ||â|| ^ KG.
Nous étudierons dans ce qui suit deux problèmes de factorisation suggérés par
le théorème de Grothendieck. L'un concerne simplement la possibilité de factoriser
un opérateur donné à travers un espace de Hilbert. L'autre problème est l'étude
des espaces de Banach E vérifiant la propriété suivante:
Tout opérateur linéaire continu d'un espace C{K) dans E admet la
(D) factorisation C{K) ±> L2{K9 pi) -> E, où pt est une probabilité de Radon
sur K.
Comme dans le cas du théorème de Grothendieck, la propriété (D) admet deux
propriétés équivalentes: la décomposition des suites {xn) telles que la série £*„
soit inconditionnellement convergente, sous la forme x„ = anyn9 H\an\2 < oo,
sup{||2]/3w>>w||; L|/3„|2 g 1} < oo, et la factorisation des opérateurs linéaires continus de E' (dual de E) dans un espace Ll{Q9 pi) sous la forme E' —> L2{Q9 pt) 1$,
Ll{09 /x), avec g e L2{Q9 pi).
A partir de cette dernière formulation, il est naturel de poser une question plus
générale: trouver un critère pour qu'un opérateur linéaire continu u d'un espace de
Banach jFdaàs un espace JJ{Q9p)9 0 < p < oo, admette la factorisation:
(F,)
FSL*{a,fx)ï->LP{Q9fi)
avec/? ^ q :g oo, ü continu et g e Lr{Q9 fi), l/p = l/q + 1/r.
THéORèME 1 ([13] ET [6, CHAPITRE I]). Pour que u\F-+ U{Q9pi) admette la factorisation {Fg) il faut et il suffit qu'il existe une constante C telle que
(KEl^h)*'« dfx^P ^ C(S NI*)1'*, V {xn) e F
La démonstration utilise des arguments de convexité, et en particulier une forme
du théorème du minimax. Ce théorème a été généralisé dans un cadre plus abstrait
par J. L. Krivine [12, Exposés 22—23].
La condition (D) est en général difficile à vérifier directement. Nous allons introduire une condition sur les suites "presque inconditionnellement convergentes",
c'est-à-dire les suites {xn) telles que la série %enx„ converge pour presque tout
choix de signes en = ± 1 . Nous dirons qu'un espace de Banach E est de cotype 2
si'il existe une constante K telle que:
(Q
( S ||*„||2)i/2 ^ K{i\\T,xnen (0|| 2 dP{t)Y'29 V {xn) e E9
où {en{t)) désigne une suite de variables de Bernoulli sur un espace de probabilité
{X9 P), c'est-à-dire une suite de variables aléatoires indépendantes, prenant les
valeurs ± 1 avec probabilité 1/2.
On vérifie facilement que &{Q9 pi) est de cotype 2 pour 1 ^ p g 2 (en utilisant
les inégalités de Khintchine). Plus généralement, si E est de cotype 2, U>{09 fi9 E)
est de cotype 2 pour 1 ^ p ^ 2. Si A est une C*-algèbre (non nécessairement commutative!), son dual Ä est de cotype 2; ce résultat nettement plus difficile est dû
à N. Tomczak [14].
FACTORISATIGI. D'OPéRATEURS LINéAIRES
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THéORèME 2. (C) => (D).
(Ce théorème contient le théorème de Grothendieck, puisque L 1 est de cotype
2.)
La démonstration se fait en deux étapes: la première, assez facile, consiste à
montrer que lorsque E est de cotype 2, tout opérateur linéaire continu de E' dans
un espace &{Q9 p) admet la factorisation (F2), lorsque 1 < p ^ 2. Dans la deuxième étape, plus difficile, on passe de p > 1 kp = 1. Cela peut être fait d'au
moins quatre façons différentes: [6, Chapitre VIII], [11, Exposé XXII, Théorème
1 bis], [9] ou [10].
On peut généraliser la propriété (D) de la façon suivante: Notons LP{Q9 pi)
l'espace vectoriel des classes de fonctions mesurables scalaires sur un espace de
probabilité {O, pi)9 muni de la topologie de la convergence en probabilité. On a
THéORèME 2 BIS. Supposons que E vérifie (C) et que E' vérifie Vhypothèse d'approximation bornée. Tout opérateur linéaire continu de E' dans un espace L°{û9 pi)
admet la factorisation: E' —> L2{Q9 pi) £4 LP{Û9 fJ)9 avec g e Iß{Q9 pi).
Cet énoncé s'applique en particulier aux opérateurs d'un espace L°° dans un
espace L°(0, pi). En fait on étend facilement le résultat aux espaces j£f°° de [5], donc
aux espaces C{K)\ le Théorème 2 bis donne dans ce cas une généralisation du
théorème de Grothendieck aux opérateurs de C{K) dans L°(û, pi). (C'est bien une
généralisation dans la mesure où tout espace L 1 peut se plonger dans un espace
LQ{Q9/x).)
Le Théorème 2 bis permet de réduire certaines questions concernant des fonctions mesurables quelconques au cas de fonctions de carré integrable. Par exemple,
COROLLAIRE 1 [9]. Soit {X„) une suite d'éléments de L°(û, pi) telle que J^X„ soit
inconditionnellement convergente en probabilité {c'est-à-dire que S Z „ converge en
probabilité pour toute suite de signes en = ± 1). // existe Z e LP{Q9 pi) tel que
Z~lXn e L2{Q9 pi) pour tout n, et que J^Z~lXn converge inconditionnellement dans
L2{Û,pt).
A partir de ce corollaire, on peut obtenir en utilisant un théorème classique de
Menchov :
COROLLAIRE 2 [6, COROLLAIRE 96]. Soit {X„) une suite dans L°{Q9 pi)9 telle que
J^X„ converge inconditionnellement en probabilité. La série J]Xn/log{n 4- 1) converge presque sûrement.
Le résultat est le meilleur possible dans le sens suivant : Si {ccn) est une suite
décroissante vers zéro telle que J]anXn converge presque sûrement dès qu£ J^X„
converge inconditionnellement en probabilité, on a an = 0(1/log n) [8].
On peut se demander si le Théorème 2 admet une réciproque, à savoir:
Question 1. Est-il vrai que (D) => (C)?
D'après [1], la réponse est oui si l'espace E est un treillis norme, ou plus généralement un espace muni d'une structure locale inconditionnelle.
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BERNARD MAUREY
Dans la cas général, on montre dans [10] que: si E vérifie (D), il existe pour
tout q > 2 une constante Kq telle que
1
2
(Ski«) '« ^ * , a i Z W ) | dP(t)r*, V(x„)eE.
Dans une seconde partie, nous allons nous intéresser au problème général de la
factorisation d'un opérateur linéaire à travers un espace de Hilbert. Une condition
nécessaire et suffisante a été donnée par Lindenstrauss et Pelczynski : Si {xn) et (;;„)
sont deux suites d'éléments de E, nous noterons {xn) < {y„) si l'on a
THéORèME 3 [S\. Un opérateur linéaire u entre deux espaces de Banach E et F se
factorise par un espace de Hilbert si et seulement s'il existe une constante C telle que
M < {yn) => S |K*„)||2 û C2 L \\yn\\29 V(*w), {yn) e E.
Ce critère n'est pas facile à vérifier en général. Il permet néanmoins de déduire
un résultat de S. Kwapien, que nous allons énoncer après quelques définitions.
Un espace E est dit de type 2 s'il existe une constante stelle que
(III S^e B (0| 2 ÄX0)1/a ^ *(Z k l 2 ) 1 ' 2 , v(*„) e E.
On voit facilement que LP9 2 ^ p < oo, est de type 2. Plus généralement LP{E)
est de type 2 si E est de type 2, 2 ^ p < oo. Si J? est de type 2, il en est de même de
ses sous-espaces et de ses quotients, et le dual E' est de cotype 2. (Par contre ll est
de cotype 2, mais l°° n'est pas de type 2.)
THéORèME 4 ([4] ET [11], EXPOSé VIII]). Si E est de type 2 et F de cotype 2, tout
opérateur linéaire continu de E dans F se factorise par un espace de Hilbert. En
particulier, si E est de type 2 et de cotype 2, il est isomorphe à un espace de Hilbert.
Ce théorème est à rapprocher du Théorème 2. En fait, on peut poser une question, dont la solution par l'affirmative impliquerait à la fois les Théorème 2 et 4:
Question 2. Si E' et F sont de cotype 2, est-il vrai que tout opérateur linéaire
continu de E dans F se factorise par un espace de Hilbert?
Citons un cas particulier de ce problème: E = A9 F - 2?', où A et B sont deux
C*-algèbres. Plus particulièrement E = «£?(//), algèbre des opérateurs d'un espace
de Hilbert, et F = N{H)9 espace des opérateurs nucléaires d'un espace de Hilbert.
En modifiant très légèrement les arguments qui démontrent les Théorèmes 3 et
4, on obtient le résultat suivant:
THéORèME 5 [7]. Soient E un espace de type 2, EQ un sous-espace de E9 F un espace
de cotype 2. Tout opérateur linéaire continu u de EQ dans F admet un prolongement
linéaire continu ü de E dans F, tel que \\ü\\ g K \\ u ||, où K ne dépend que de E et F.
COROLLAIRE. Soit E un espace de type 2. Si F est un sous-espace de E isomorphe
à un espace de Hilbert, il existe une projection % de E sur F, telle que |rc|| ^
Kd{F9 H), où H désigne un espace de Hilbert de même dimension (finie ou infinie)
que F, et où K ne dépend que de E.
FACTORISATION
D'OPéRATEURS
LINéAIRES
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Ce dernier résultat généralise un théorème de Kadéc et Pelczynski [3], obtenu
pour E = LP9 2 g p < oo.
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CENTRE DE MATHéMATIQUES DE L'ECOLE POLYTECHNIQUE
PARIS, FRANCE
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