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Les deux options métropolitaines des politiques de développement
territorial1
Ludovic Halbert
Annales de géographie / Volume 2013 / Issue 689 / January 2013, pp 108 - 121
DOI: 10.3917/ag.689.0108, Published online: 15 April 2013
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Ludovic Halbert (2013). Les deux options métropolitaines des politiques de développement territorial1. Annales de
géographie, 2013, pp 108-121 doi:10.3917/ag.689.0108
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AU FIL DE LACTUALITÉ
Les deux options métropolitaines
des politiques de développement territorial
1
Ludovic Halbert
Chargé de recherches du CNRS, université Paris-Est, LATTS (UMR 8134)
Face aux territoires fragilisés par la concurrence internationale et la politique
d’austérité, les « métropoles » françaises font preuve d’une plus grande résilience
dans « la crise qui vient » (Davezies, 2012). Ce constat sonnera certainement
comme un encouragement supplémentaire pour des élus qui conçoivent de
plus en plus leurs stratégies de développement à la lumière des dynamiques de
métropolisation. Dans cet article, nous poursuivons des réflexions amorcées dans
l’Avantage métropolitain (Halbert, 2010a), en continuant de faire appel aux
apports renouvelés de l’économie territoriale, pour proposer une interprétation
critique de deux options métropolitaines en matière de développement territorial.
1 De la mondialisation à la fabrique des métropoles
La globalisation des chaînes de valeur et, plus largement, les mutations des
systèmes productifs dans le cadre de la mondialisation contemporaine peuvent être
perçues comme l’expression d’un désencastrement des agents économiques face
aux ressources locales (Michalet, 2007). Les stratégies industrielles et financières
orchestrées depuis quelques « villes mondiales » où sont concentrés des centres
de décision lointains (Sassen, 1996) expliqueraient alors les entrées et sorties de
firmes privilégiant la mobilité spatiale à l’engagement territorial. C’est ainsi que
si les destins de Fiat et de Turin ont été historiquement liés, le redéploiement
de l’industrie automobile réduit la dépendance de la première à la seconde et
menace le système industriel piémontais (Whitford et Enrietti, 2005). Selon cette
lecture, la mobilité des facteurs de production rompt les solidarités traditionnelles,
et contribue à la mise en concurrence de territoires aux dotations factorielles et
aux régulations différenciées. Les effets économiques et sociaux en sont parfois
brutaux, encourageant l’expression de projets de « démondialisation » (Sapir,
2011).
L’intégration des économies nationales peut aussi se concevoir sous l’angle
du renforcement des complémentarités entre les territoires (Veltz, 2005). Ces
dernières résultent d’une division spatiale des tâches verticale, mais aussi de plus
1 Cet article approfondit une communication réalisée lors de la séance de clôture de la 23econvention
nationale de l’intercommunalité (Biarritz, 3-5 octobre 2012) et dont le thème portait sur : « Entre maîtrise
et impuissance : que peut vraiment l’action publique locale ? ». L’auteur remercie les participants ayant
commenté ce travail en cette occasion.
L’auteur souhaite également témoigner sa reconnaissance à Antoine Guironnet pour sa relecture attentive
et ses commentaires avisés ainsi qu’à Élisabeth Decoster pour les échanges intellectuels stimulants.
Enfin, l’auteur remercie Gabriel Dupuy pour son patient soutien.
Ann. Géo., n°689, 2013, pages 108-121, Armand Colin
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en plus horizontale à mesure qu’apparaissent de nouveaux centres de l’économie
cognitive et de grands foyers de consommation, notamment dans les pays dits
« émergents » (Giraud, 2008). En d’autres termes, si l’efficacité de la Silicon
Valley californienne tient bien sûr à des ressources spécifiques (investissements
publics massifs, rôle des universités, capital-risque abondant), son succès dépend
également des liens qu’elle entretient avec l’industrie taïwanaise et les sociétés
informatiques de Bangalore (Saxenian, 2002).
Entre concurrence accrue et complémentarités renforcées, les interdépendances
entre les territoires se traduisent par un déplacement des logiques d’organisation
spatiale de l’activité. La division des tâches fordistes d’échelle nationale laisse une
plus grande place aux niveaux infranationaux. La littérature a tout d’abord insisté
sur l’importance de l’échelle régionale (Storper, 1997) avant de progressivement
mettre l’accent sur les économies d’agglomération liées aux régions urbaines
(Krugman, 1991 ; Marcuse et Van Kempen, 2000 ; Scott, 2001). Ces dernières,
en raison de leur taille et de leur connectivité, tiennent une place dominante, tant
elles sont à la fois les produits et les vecteurs des interactions de longue portée
d’une économie plus mondialisée (Halbert et al., 2012). Pour certains courants
de la géographie économique (Nouvelle Géographie économique, école régionale
de Los Angeles), les régions métropolitaines constituent ainsi les « moteurs » du
développement (Scott, 1996 ; Halbert, 2005), sans pour autant éviter un « effet
yoyo » en raison de leur sensibilité aux variations de la conjoncture internationale
(Beckouche, 1995). Leur surproductivité relative (Rousseau, 1994), associée
à des transferts de richesse publics et privés eux-mêmes liés à des politiques
redistributives et à la mobilité accrue des ménages, pourrait soutenir le reste du
territoire national (Davezies, 2008).
Ce constat d’interdépendances accrues des régions urbaines interroge la
capacité d’action locale et régionale en matière de développement. Certes, bien
des régulations ne se jouent pas à ces niveaux : les réglementations portant sur
les circulations des biens, des services, des capitaux et des personnes, tout comme
les politiques industrielles et d’innovation, relèvent plutôt, dans le cas français,
des échelles nationales et européennes. Pourtant, une observation des stratégies
menées montre combien la question métropolitaine a surgi dans l’action publique
locale. Emboîtant le pas à une communauté académique qui, tout en alertant sur
les limites sociales, politiques et environnementales de ce « modèle », s’est efforcée
de comprendre la place des métropoles dans la mondialisation industrielle
2
, les
politiques de développement récentes semblent de plus en plus séduites par les
promesses de prospérité qu’offriraient les métropoles.
L’action de l’État n’y est pas étrangère. Sans en surestimer l’influence, la Datar
a pu contribuer à l’affirmation de la question métropolitaine par la diffusion de
travaux académiques portant sur les systèmes urbains français et européen (Rozen-
blat et Cicille, 2003 ; Pinson et Rousseau, 2011 ; Berroir et al., 2012 ; Halbert
2
À de rares travaux d’économie régionale près (voir par exemple Corpataux et Crevoisier, 2005), la
globalisation financière constitue un quasi-impensé.
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et al., 2012), par des incitations à des formes de coopération métropolitaine
(appel de la Datar en 2004) ou par l’évolution du cadre réglementaire (loi du
16 décembre 2010 sur la Réforme des collectivités territoriales). L’action de
certains élus locaux y contribue aussi. En témoignent l’adoption de stratégies
métropolitaines par des intercommunalités de grandes (et moins grandes) villes
ainsi que la floraison de grands projets urbains à visée européenne (depuis Eur-
alille jusqu’à Euratlantique, en passant par Euroméditerranée, EuroRennes, ou
Euronantes).
Bien sûr, la montée de la question métropolitaine est aussi un avatar du
processus de décentralisation. Le recours au vocabulaire « métropolitain » facilite
le travail d’ajustement des périmètres de l’action publique locale. À force d’épi-
thètes choisies (des « Grand Poitiers » aux « Caen métropole »), l’on recherche
une plus grande cohérence institutionnelle en réponse à l’évolution fonction-
nelle d’agglomérations distendues par la société mobile. Le plébiscite des « pôles
métropolitains » permis par la loi du 16 décembre 2010 peut dès lors s’interpréter
comme la mobilisation d’une carte joker dans le jeu brouillé de la réforme des
collectivités territoriales (Béhar et al., 2011).
Au-delà cependant, l’intérêt métropolitain reflète une évolution des poli-
tiques de développement. Poursuivant une logique de redistribution spatiale, les
« métropoles d’équilibre » des années 1960 visaient à contrebalancer la dyna-
mique centripète de la région parisienne. Pour répondre aux défis perçus de la
mondialisation contemporaine, l’enjeu consiste désormais à renforcer le potentiel
métropolitain d’un ensemble de grandes et moyennes villes (Veltz, 2012).
Entre un État soucieux de ne pas perdre la main sur des territoires considérés
comme stratégiques, avec en premier chef la métropole parisienne soumise
à l’exception, et des collectivités locales désireuses d’« exister » sur la scène
européenne, les années 2000 signalent l’adoption d’une option métropolitaine en
matière d’aménagement et de développement territorial
3
. Ou, plus sûrement, de
deux options métropolitaines difficilement conciliables.
2 Le « marché des territoires » (Colletis et al., 1999) ou les
limites des politiques « d’attractivité »
La première option se donne pour objectif d’attirer des agents économiques
« exogènes »
4
qui assureront l’inscription dans des circuits d’échanges mondialisés,
et, par effet de percolation, alimenteront la croissance locale. L’entrée dans une
3
Ceci n’est pas spécifique à la France. Voir les évolutions, plus ou moins marquées, dans des pays
ouverts/en cours d’ouverture aux échanges internationaux (États-Unis, Chine, Europe de l’Est, Inde,
Amérique latine, etc.).
4
Si une telle stratégie est dite « d’attractivité », le terme ne présage pas d’une efficacité supérieure à
d’autres formes d’ingénierie territoriale pour parvenir à attirer effectivement des entreprises et capitaux
extérieurs.
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logique de « marché des territoires » (Colletis et al., 1999) vise alors généralement
trois principales cibles.
Les premières sont des entreprises « exogènes » dont l’arrivée renouvellerait la
base productive existante. Dans les territoires d’héritage industriel, des groupes
provenant bien souvent de pays en concurrence directe sont courtisés pour installer
leurs unités de production à mesure de l’européanisation de leur stratégie. Après
la chasse aux investisseurs japonais des années 1990, les initiatives pour attirer
des groupes chinois fleurissent. Dans les métropoles régionales, comme celles de
Rennes ou Bordeaux, on vise plutôt l’arrivée des services supérieurs et des sièges
sociaux qui voudraient bien se déconcentrer depuis Paris.
Les ménages constituent une seconde cible. À la suite des propositions de
R. Florida (2002), dont le bilan critique a été réalisé par la littérature anglo-
saxonne mais peut-être moins en France (Peck, 2005 ; Vivant, 2009 ; Halbert,
2010b), les «classes créatives »constituent une cible alternative, en particulier
pour les territoires ne disposant pas de ressources autres. La simple présence de ces
dernières aurait la vertu d’arrimer l’économie locale aux secteurs d’avenir. À force
de politiques culturelles ou de requalification d’espaces urbains, il conviendrait
alors d’offrir des aménités auxquelles ces ménages seraient sensibles.
Enfin, la recherche de nouveaux investisseurs vise à attirer des capitaux
extérieurs qui fourniront les moyens de la transformation de l’environnement
bâti, et, par ricochet, doperont l’attractivité auprès des entreprises et des ménages.
En proposant une offre d’immobilier d’entreprise modernisée, en requalifiant des
quartiers considérés comme dégradés, en investissant dans des infrastructures et
des équipements, les investisseurs deviendraient les alliés des pouvoirs publics
dans l’entreprise de transformation matérielle et symbolique d’un territoire.
Les leviers d’une stratégie « d’attractivité » ne portent pas directement sur le
fonctionnement d’un système productif mais opèrent un double déplacement
de l’action publique locale. Déplacement vers l’amont tout d’abord. Le projet
urbain ne relève plus du seul domaine de l’aménagement mais devient un
instrument de politique économique (Turok, 1992). La requalification des
alentours de la gare de Rennes à l’occasion de l’arrivée de la LGV est par exemple
conçue comme une opportunité pour développer un « quartier d’affaires » à des
fins de rayonnement métropolitain. Implicitement, ceci renvoie à l’idée que le
développement immobilier peut entraîner une dynamique économique vertueuse.
Dans les termes mêmes des services et des agences de développement, les projets
urbains à caractère « métropolitain » sont censés être éloquents en signalant
le « dynamisme » d’un territoire auprès des cibles mentionnées ci-dessus, en
commençant par les investisseurs.
L’adoption d’un marketing territorial agressif déplace l’action publique locale
vers l’aval cette fois. En mobilisant des techniques issues des écoles de commerce
et du monde de la communication, l’objet est de démontrer la capacité du
territoire à s’inscrire sur le front des évolutions de l’économie contemporaine.
Les agences de développement ne se contentent pas de faciliter les stratégies
de mobilité, notamment en proposant un guichet unique pour les entreprises.
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