évitant ainsi les conséquences téléologiques d’un précepte personnalisé. Mais il est déjà trop
tard. Le biologiste officiel Darwin a pris le pas sur Wallace.
La sélection naturelle se résume donc à la force des circonstances. Quelque page qu’on
feuillette, quelque phrase où l’on s’attarde, le texte du chercheur reste curieusement construit.
Loin de déployer une argumentation expérimentale comme certains l’on affirmé, le livre
énumère des exemples. Parfois aussi saugrenus que celui de la queue de la girafe dont la
morphologie particulière constituerait un chasse-mouches indispensable à sa survie. Le style
du livre de Darwin s’avère aussi, sinon verbeux, au moins laborieux. Il s’appuie aussi sur les
fondements théoriques développés par l’économiste Thomas Robert Malthus. Sommairement,
Malthus soutient que, tandis que les ressources s’accroissent arithmétiquement, les
populations croissent exponentiellement. En raison de la différence des vitesses
d’accroissement, les populations finissent inéluctablement par manquer de ressources. Aussi,
pour Malthus, il est souhaitable que « les pauvres soient forcés à travailler et engagés à une
abstinence sexuelle » grâce à une stricte morale. Darwin en retirera l’idée d’une concurrence
acharnée, mais nécessaire pour ces ressources rares. (« Hence, as more individuals are
produced than can possibly survive, there must in every case be a struggle for existence »). La
théorie de la lutte pour la vie (struggle for life) s’édifiait.
Ce n’est pas Darwin qui rassemble le singe et l’être humain. Buffon n’hésite pas à placer
délibérément l’homme au cœur du règne animal. L’idée était d’ailleurs largement acquise dès
la philosophie des lumières. L’idée d’une science affranchie de la religion n’est pas une idée
neuve en Europe. Démocrite et Lucrèce réfutent déjà l’intervention des dieux dans les
changements du monde animal. Même si le procès de Galilée fait écho aux pires moments,
l’astronomie, la physique, la médecine et la biologie contestent déjà les assistances divines.
Toute la philosophie des lumières souligne l’indépendance de la nature en même temps
qu’elle exige l’émancipation de la raison. Avant même la révolution française, nombre de
philosophes, d’écrivains et de scientifiques, comme JB d’Holbach ou Julien de la Mettrie pour
ne citer qu’eux, s’avèrent clairement athées. Quant à l’origine de l’humain, Buffon en 1760,
contre le dogme déjà affadi de l’église, place clairement l’homme au côté des singes dans le
règne animal. Les parentés entre primates étaient donc déjà, sinon précisément établies, du
moins amplement admises. Les anglo-saxons étaient-ils si en retard qu’il aurait fallu attendre
Darwin pour critiquer la domination religieuse sur la science ?
Loin de s’avérer un scientifique neutre et un humaniste bienveillant, Darwin épousait
clairement le fatras des idées dominantes de son temps. Mais ce temps, capable de se
critiquer, était aussi celui des Louise Michel et des espoirs. Darwin, lui, tenait volontiers des
propos phallocratiques et affichait, comme beaucoup de biologistes, des idées franchement
réactionnaires comme le rappellent ses tirades sur la faiblesse des femmes (« l’homme a fini
par s’avérer bien supérieur à la femme. Pour rendre la femme égale à l’homme, il faudrait
qu’elle fût dressée ») ou encore sur les « inconvénients à maintenir les faibles d’esprits et de
corps dans nos sociétés civilisées » (dans la Descendance de l’homme). Certains biologistes
ont beau en être honteux, on ne peut pas nier son eugénisme, d’autant qu’il s’appuie
clairement sur une signification biologique pour justifier ce raisonnement imbécile.
L’eugénisme promeut une politique volontariste d’éradication des caractères jugés mauvais
ou handicapants et de développement des traits regardés comme bénéfiques. Il ne s’agit pas
d’une simple préoccupation pour assurer le meilleur à ses enfants. Non, l’eugénisme exprime
un jugement de valeur. La science biologique a largement participé à la légitimation des
théories eugénistes, de Francis Galton à Alexis Carrel, raciste et prix Nobel 1912. N’en
déplaise à ceux qui le nient, l’historien André Pichot a montré que Darwin s’est clairement