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autonomie, qui se rattache à une morale personnaliste (kantienne). La règle selon laquelle il faut
calculer avant d'agir, et maximiser les avantages en minimisant les risques, pour faire le plus de bien
possible en évitant de nuire, se fonde sur (...) un « principe de bienfaisance », qui se rattache à une
morale utilitariste. La troisième règle se fonde sur un « principe de justice »." A. Fagot-Largeault,
Ethique et connaissance dans les sciences de la vie et de la santé, 1988.
Chacune des règles éthiques énoncées est fondée sur un principe philosophique qui lui sert de
fondement.
La première d’entre elles qui commande de s’assurer du libre-consentement du sujet de
l’expérimentation, et qui vise en particulier à protéger les personnes ne pouvant pas faire usage
de leur libre-arbitre (enfants, handicapés mentaux…), de leur capacité à se déterminer par elles-
mêmes volontairement en étant éclairées par leur entendement, autrement dit qui ne peuvent –à
partir de toutes les informations que l’on a du leur fournir au sujet des modalités de
l’expérimentation, des risques encourus, etc., choisir de façon autonome d’y prendre part ou non,
repose sur la morale personnaliste de Kant qui commande le principe du respect de la
personne humaine et de son autonomie. Ainsi, tout homme doit être traité comme une
personne possédant une valeur, une dignité absolue (par opposition aux choses qui ont une
valeur relative et dont on peut user comme de simples moyens), pour la raison principale
qu’étant une créature raisonnable, il peut agir conformément à ce que lui dicte sa raison
(entendre la loi (=nomos) que lui dicte sa raison pratique). A ce titre, il est un sujet de droits,
c’est-à-dire capable de prendre des décisions qui l’engagent.
La seconde règle, qui impose préalablement à toute recherche d’en peser les inconvénients et
les avantages, repose sur une morale utilitariste [doctrine, représentée notamment par les
philosophes anglais J. Bentham (1748-1832) et J. Stuart Mill (1806-1873), qui est fondée sur
l‘idée que le but de la société doit être le «plus grand bonheur du plus grand nombre », c’est-à-
dire le total des plaisirs additionnés de chaque individu, et qui fait donc de l’utilité le seul critère
de la moralité (une action est bonne dans la mesure où elle contribue au bonheur du plus grand
nombre)].
Enfin, la règle de l’égalité des hommes devant l’expérimentation repose sur une certaine
conception égalitariste de la justice (égalité des droits) visant à réduire les inégalités de
conditions (sociales, économiques), conception fondée sur l’idée aristotélicienne d’équité.
III) Faut-il limiter la recherche elle-même ?
1. Certains chercheurs, parmi les plus éminents spécialistes de la reproduction in vitro, ont décidé de
suspendre leur recherche devant la perspective des changements radicaux de la personne humaine que
rend désormais possible la science.
Le cas le plus célèbre d’un tel abandon est celui du chercheur français J. Testart (« papa » d’Amandine,
premier bébé éprouvette français né le 24 février 1982). Dans son ouvrage intitulé «L’œuf transparent »
(1986), il clame l’urgence d’une pause dans les recherches, et convoque l’ensemble des citoyens, et en
premier lieu la communauté scientifique, à une réflexion éthique qui fixerait les limites de la recherche
car «c’est bien en amont de la découverte qu’il faut opérer les choix éthiques ».
Il est temps selon lui d’en finir avec une recherche qui multiplie les prouesses techniques et qui, toujours
poussée en avant, devient incontrôlable, d’autant plus que ses résultats sont souvent irréversibles. Il
s’agit au contraire de promouvoir une recherche dans les limites de la réflexion éthique (éthique de non
découverte), et d’une responsabilité collective dont il résume ainsi le principe : «fais en sorte que tes
maximes soient telles que tu puisses en accepter toutes les conséquences ». Mais les limites morales
ne peuvent être imposées ; on se les impose (choix personnel), et on peut seulement de ce point de vue
en appeler à la conscience des chercheurs.
2. Mais cette éthique de non-découverte se heurte à certaines difficultés. Pourquoi en effet empêcher la
dynamique de la recherche dans son élément proprement scientifique, en tant qu’elle cherche à
connaître ? Ne serait-ce pas la plus grande des violences à l’égard de l’esprit scientifique ?
«Une première notion fondamentale est (donc) la liberté absolue d'accès à la connaissance. Il
n'existe pas de terra incognita qui serait déterminée comme telle sous l'égide de quelque autorité que ce
soit. » (Axel Kahn). Limiter ne peut avoir ici qu’un sens positif pour être acceptable : celui de tracer les
finalités d’une recherche qui ne s’en donne pas toujours d’elle-même, car on ne saurait la limiter en bloc
sans tomber dans le piège inverse qu’est la peur de la science. Il conviendrait donc plutôt d’en limiter
les applications.