rations de niveaux et de paliers, de types, de genres, de modes, de classes, qui, au
total, constituent un système de catégories permettant de s’orienter dans la recherche,
d’identifier les phénomènes et d’établir des corrélations entre des notions ou
des faits bien repérés. Il est évident que si l’on prend pour la théorie sociolo
gique ce qui est seulement son outil, si l’on détache de la réalité ce quadrillage
qui doit seulement la rendre plus observable, si l’on se laisse fasciner par ce réseau
de concepts, alors, on n’a plus affaire qu’à une caricature, alors une sociologie qui se
veut rebelle à tout dogmatisme est réduite à un jeu scolastique et à un pur for
malisme.
Si la sociologie de Georges Gurvitch est ainsi particulièrement exposée à paraître,
pour peu qu’on l’examine superficiellement, le contraire de ce qu’elle veut être,
c’est à vrai dire parce quelle est dominée par deux soucis, on pourrait presque dire
deux passions: expliquer la réalité sociale et pourtant la définir par ce quelle a
d’irréductible. Ce qui conduit à la recherche des déterminismes pour faire une
théorie de la liberté! Dans ces conditions le déterminisme ne peut être que
„l’intégration des faits particuliers dans l’un des multiples cadres ou univers réels
(vécus, connus, construits) qui restent toujours contingents”. Situer ces faits, c’est
les expliquer en fonction de la compréhension du cadre contingent. Ainsi, la vocation
de la sociologie, selon Georges Gurvitch, est de rejoindre le réel à travers le concep
tuel, c’est-à-dire de ne point laisser la théorie se figer faute d’être vivifiée par le
retour au concret, ni la recherche empirique se diluer en oubliant qu’elle n’est rien
sans la pensée théorique. Car la sociologie se perd si elle manque à sa mission
explicative. Mais la liberté humaine, comment l’expliquerait-on sinon en lui appli
quant des cadres déterministes et discontinuistes? C’est pourquoi Georges Gurvitch,
tout en affirmant que le société est jaillissement continuel, renouvellement inces
sant, fut bien obligé de consacrer l’essentiel et le plus spectaculaire de son travail
créateur à multiplier les types et les catégories, à inventer des classifications et
à énumérer les notions, apportant ainsi à la grande oeuvre des sociologues non seule
ment une contribution d’une ampleur exceptionnelle à la fois cohérente et minu
tieuse, mais aussi une batterie de concepts dont plusieurs devaient être couramment
utilisés, même dans des perspectives différentes de la sienne. Le phénomène
social total reste bien pour lui une donnée primordiale; mais pour en faire l’objet
d’une science il en distingue les différents étages, allant „en profondeur” de ce
qui est le plus accessible à ce qui reste „caché”: d’abord la surface morphologique
et écologique, puis les appareils organisés, les modèles sociaux, les conduites col
lectives présentant une certaine régularité mais se déroulant en dehors des
appareils organisés, les trames des rôles sociaux, les attitudes collectives, les sym
boles sociaux, les conduites collectives novatrices, enfin les idées et les valeurs
collectives, les états mentaux et les actes psychiques collectifs. D’autre part, ces
paliers en profondeur s’observent dans des unités réelles qui ne peuvent être
identifiées que grâce à une typologie des cadres sociaux. C’est ainsi qu’on peut
distinguer, en allant des plus petits aux plus vastes, les objets mêmes de la micro
sociologie et de la macrosociologie. Ce sont d’abord les manifestations de la socia
bilité, qui comprennent les rapports avec autrui, les Nous et leurs différents
degrés de fusion: masse, communauté, communion. Les groupements particuliers
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