Histoire – Géographie :
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Sujet d’histoire ancienne
SUJET : COLONISATION ET COLONS DANS LE MONDE
GREC DU VIIIe AU IIIe SIECLE AV. J.-C.
Avertissement : ce corrigé est volontairement plus ambitieux que ce qui
est attendu comme copie du candidat au Capes/Cafep.
Vers 220 av. J.-C., le savant Eratosthène de Cyrène dont l’activité astronomique et
géographique s’exerça dans le cadre du Musée d’Alexandrie d’Égypte, parvint à établir une
cartographie des terres connues par les Grecs. Le tracé de cette carte plane du monde, qui
se faisait selon deux axes orthogonaux, représentait l’oecoumène, l’espace habité par les
Grecs. Celui-ci s’étendait des colonnes d’Hercule à l’Ouest aux colonnes d’Alexandre à l’Est.
Cet espace avait été le fruit d’un intense mouvement de colonisation qui débuta au VIIIe
siècle et qui n’était pas complètement achevé à la fin du III siècle.
Le terme « colonisation » est moderne. Il a comme origine un terme qui n’est pas grec
mais latin : colonia = « réunion d'hommes installés dans un autre pays ». Contrairement à
notre langue, les Grecs, comme les Romains, ne possédaient pas de terme abstrait pour
désigner le processus de colonisation. Cela n’empêche pas que le phénomène a bel et bien
existé. Les Grecs employaient différents mots qui témoignaient de leurs migrations et de leurs
implantations en terre étrangère : apoikia (-aï), qui signifie « départ de chez soi » dans le but
d’aller s’installer ailleurs ; klèrouchia (-aï) clérouquie ») qui traduit l’idée d’un partage de
kléros (-oï), « lot(s) de terres », par tirage au sort ; et katoikia (-aï) que l’ont peut traduire par
« établissement », « lieu d’habitation ». De ce fait, les « colons » doivent être entendus
comme ces Grecs (puis ces Gréco-Macédoniens) qui quittèrent leur cité d’origine-métropole
(ou leur royaume) pour aller s’installer ailleurs : outre mer, du VIII au IVe siècle, puis en Asie,
à l’époque hellénistique.
Le terme de « colonisation » est fortement influencé par les réalités modernes : la
colonisation du Nouveau Monde à partir du XVIe siècle et surtout la constitution des empires
coloniaux européens au XIXe siècle. En histoire grecque, un article provocateur de 1998 de
Robin Osborne, « Early Greek Colonisation ? The Nature of Greek Settlements in the West »,
dans N. Fisher, H. Van Wees, éd., Archaic Greece. New Approaches and new Evidence,
Londres, 1998, p. 251-269, a proposé d’éradiquer le terme de « colonisation » des livres
portant sur l’histoire archaïque : en cause, le caractère planifié des départs et la comparaison
trop évidente avec les alités contemporaines. Un autre article de Roger Bagnall,
« Decolonizing Ptolemaic Egypt », dans P. Cartledge, P. Garnsey et E. Gruen, éd., Hellenistic
Constructs. Essays in Culture, History, and Historiography, Berkeley, 1997, p. 225-241, a
proposé la même « déconstruction » afin d’éviter, encore, les résonnances fâcheuses avec
l’époque contemporaine. Conscient de cette difficulté épistémologique, dont l’historiographie
témoigne, le sujet propose de manier les deux termes de « colonisation » et de « colons » de
manière neutre, comme débarrassés de leurs oripeaux « colonialistes ». L’intitulé nous invite
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à nous interroger sur un phénomène de temps long, sur une période de six siècles, dans un
cadre géographique qui se modifie puisque au bassin méditerranéen s’ajoute tout l’Orient à
partir de la conquête d’Alexandre la Grand.
On pourra dès lors se demander comment se manifeste cette réalité d’implantation
grecque en terre étrangère, pas forcément non-grecque et quelles en furent les permanences
et des mutations sur une longue période, de l’époque archaïque (VIIIe-VIe s.) à la haute
époque hellénistique (fin IVe-IIIe s.), en passant par l’époque classique (Ve-IVe s.) ?
Pour cela, nous tâcherons de mettre en lumière les caractères de « la grande colonisation
archaïque » qui permit l’installation des Grecs sue le pourtour de la Méditerranée ; puis nous
chercherons à percevoir les évolutions du phénomène à l’époque classique qui peut être
perçue comme une période de transition ; enfin, nous envisagerons le processus de
colonisation à l’époque d’Alexandre et de ses successeurs qui favorisa un essaimage
important des Gréco-Macédoniens en Asie.
Partie I : Les caractéristiques de « la grande colonisation grecque » (VIIIe-
VIe siècles)
La colonisation grecque d’époque archaïque possède un certain nombre de caractéristiques
qu’il convient de préciser.
1) Le double caractère commercial et agraire de la colonisation archaïque
Les historiens caractérisent « La grande colonisation grecque » archaïque selon deux
phénomènes à la fois différents et conjoints. L’apoikia(-) désigne la réalité du « départ de
chez soi », mais aussi les établissements d’outre-mer, c’est-à-dire les colonies (l’apoikos étant
le colons) ; mais les sources grecques emploient aussi le terme d’emporion (emporia au
pluriel, à ne pas confondre avec emporia, au fém. sing. qui signifie le commerce) pour
désigner le « comptoir » établis outre-mer, le plus souvent un « port de commerce », mais pas
toujours (parfois un comptoir terrestre comme Pistiros, en Thrace, il est vrai au Ve siècle).
Cette implantation grecque archaïque, sous forme d’apoiki ou d’emporia (au pluriel) a
pour cadre la mer Méditerranée, son bassin occidental comme son bassin oriental, dont la
mer Noire est une extension ; selon une chronologie sur laquelle nous reviendrons.
Fondamentalement, l’établissement d’une apoikia implique la création d’une cité (polis)
contrôlant (comme toutes les poleis) une chôra (territoire civique) destinée à subvenir à
l’essentiel de l’alimentation de ses colons. En revanche, lemporion, même si on ne peut
douter qu’il fut structuré et doté de certaines institutions, semble n’être resté qu’à l’état de
« comptoir », sans pouvoir (ou vouloir) établir un contrôle sur le territoire environnant, qu’on
imagine contrôlé par des populations locales non-grecques.
La distinction apoikia/emporion en recouvre une autre liée aux causes (ou plus
exactement aux intentions) de la colonisation : l’apoikia serait une « colonie agraire » (selon
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une vieille terminologie, employée encore par Claude Mossé), donc « une colonie de
peuplement », alors que l’emporion serait une « colonie commerciale ». Dans un cas, les
Grecs seraient venus chercher un moyen de nourrir des colons (par implantation, mais peut-
être aussi en exportant du grain vers la métropole ?) ; dans l’autre, ils seraient plutôt venus
échanger des biens, notamment chercher des métaux dans le but de les exporter vers leur
métropole.
Ce schéma est globalement valide : dans le détail, les choses sont plus subtiles, comme
en témoigne la fondation de la première colonie grecque outre-mer, qui fut l’emporion de
Pithécusses vers 770-760, par des Eubéens. Pithécusses a d’emblée une vocation
commerciale sur le « route des métaux » (néanmoins certains soutiennent qu’elle fut dès
l’origine une apoikia), contrôlant la baie de Naples et ses nombreux ateliers métallurgiques
attestés par l’archéologie. Pourtant, les Eubéens de Pithécusses, sans doute au bout de
moins d’une génération (vers 750 : chronologie débattue) firent un saut sur le continent, et
fondèrent Cumes, dont le caractère agraire ne peut être contesté (c’est une apoikia). Un
phénomène similaire se trouve dans la fondation par les Milésiens d’un emporion sur le
promontoire de Bérézan l’embouchure du fleuve Boug), au nord de la mer Noire, avant
qu’ils aillent fonder, au bout de deux générations, Olbia pontique, plus à l’intérieur de
l’estuaire, qui contrôla une étendue impressionnante de terres cultivables.
La dichotomie commerce/agriculture n’est donc pas si tranchée qu’on le dit. Certains y
voient même une temporalité, insistant sur la notion de pré-colonisation commerciale (comme
ce fut peut-être le cas pour Cyrène).
2) Les causes de la colonisation archaïque
Comme pour tout phénomène migratoire, dans le cas de la colonisation archaïque, il est
difficile de dissocier les facteurs attractifs (commerciaux et agraires) des facteurs répulsifs.
Dans ces derniers, il convient d’envisager d’abord le problème de la sténochôria, littéralement
« territoire agricole resserré » qu’il faut comprendre comme une « soif de terre ». Ce
phénomène est physique : on note une vitalité mographique dans un milieu naturel
méditerranéen les terres cultivables sont peu nombreuses, rocailleuses, et constituées de
plaines côtières ou d’emprises sur les versants par des terrasses de culture. Ce phénomène
est aussi socio-politique : nombreux sont les paysans déchus ou appauvris, les fils cadets,
contraints à l’exil du fait que l’accaparement ou du morcellement des kléroi (lots de terres),
dans un contexte d’endettement de la paysannerie et plus largement de crise sociale dans la
cité aristocratique naissante. À Athènes, Solon (594) grâce à des réformes a résolu la crise,
ce qui explique peut-être l’absence d’aventure coloniale athénienne à l’époque archaïque.
Ailleurs, des citoyens pauvres durent tenter leur chance outre-mer.
Ceux qui partirent ne le firent pas que pour des raisons économiques, mais aussi pour des
raisons politiques : c’est le cas des exilés. Banni de son pays, Archias, membre déchu du clan
des Battiades (des aristocrates qui font la loi à Corinthe) fonda Syracuse, « une nouvelle
Corinthe » en Sicile en 734. Sparte envoya des « Parthéniens » (ou « Parthénies ») fonder
Tarente vers 706. Les Parthéniens sont des enfants illégitimes (des sous-Spartiates), soit fils
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de femmes spartiates et d’Hilotes durant la première guerre de Messsénie (deuxième moitié
du VIIIe), soit fils de femmes spartiates et de jeunes gens de rang inférieur dans la cité de
Sparte.
3) Les modalités de la colonisation archaïque
Traditionnellement, on considère que la colonisation se définit avant tout comme une
entreprise publique et planifiée. Ce caractère essentiel distingue la colonisation des mobilités
individuelles et des mobilités temporaires, notamment les mobilités professionnelles (cf. les
métèques de l’époque classique). Cela est fondamentalement juste, même si dans nombre de
récits (souvent postérieurs de quelques siècles) on insiste sur des individualités, notamment
celle de l’oikiste. Les colons de l’époque archaïque partent en groupe, par pentécontère (50
rameurs par navire long), avec armes mais sans trop de bagages, notamment sans femmes
puisqu’on considère en général qu’ils prennent femmes sur place, soit par rapt, soit par
contrat (cf. les noces de Massalia, relatées par Justin), ce qui crée un corps de colons métissé
dès les origines. Les données archéologiques corroborent ce point de vue (fibules indigènes
dans des tombes féminines interprétées comme des épouses de Grecs à Pithécusses). Par la
suite, il a pu y avoir des epoikoi , c’est-dire des colons additionnels, avec peut-être des
femmes ( ?)
Les récits de fondation témoignent de l’usage de règles précises. À cette époque,
l’entreprise coloniale procède d’une consultation de l’oracle d’Apollon Pythien à Delphes, par
l’intérmédiaire de la Pythie, une prophétesse, pour savoir en quel pays fonder une colonie (de
ce point de vue, le spartiate Dorieus qui a tenté une aventure en Libye en 514-512 est un
contre-exemple qui rate de ce fait son entreprise). On note la participation d’un oikiste, un
« fondateur » (parfois appelé aussi archégétès) auxquels obéissent les colons et qui
commence par sacrifier aux dieux et allumer sur l’autel le feu emporté du foyer (hestia) de la
métropole. Sur la foi de ces récits, postérieurs et de rares documents épigraphiques tardifs,
on considère que l’oikiste est aussi celui qui trace le plan de la future ville, limite les
espaces sacrés et profanes, accorde des périmètres de lotissement, négocie avec les
populations locales pour la possession (plus ou moins pacifiquement accordée) de la chôra,
partage et distribue des lots de terres (kléroi). Battos est l’archétype de l’oikiste, aristocrate qui
finit par fonder une dynastie de rois à Cyrène. L’oikiste doit être dissocié de l’éponyme, un
dieu ou un héros, qui donne son nom à la colonie. Toutefois, l’oikiste prend place dans un
récit mythique qui lui fait quitter l’histoire ; à sa mort il est « héroïsée » : son hérôon, c’est-à-
dire son tombeau monumental, est localisé à l’intérieur de la ville, sur l’agora ou dans un
sanctuaire (téménos) consacré à un dieu, ce qui l’extrait du monde des simples citoyens
(inhumés à l’extérieur des murs de la ville).
Enfin, une colonie à cette époque n’implique pas une intégration territoriale, une annexion,
pas même un rapport de dépendance à l’égard de la métropole. Une partie de la cité-mère
s’est détachée pour donner naissance à une nouvelle polis qui la prend pour modèle.
Institutionnellement, puisque le magistrat éponyme de Mégare est le basileus archonte-
roi »), celui d’Héraclée du Pont (fondation de Mégare) doit certainement être aussi le basileus,
d’autant que celui de Callatis (fondation d’Héraclée du Pont) est encore le basileus. Mais les
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liens peuvent être coupés. s 664, l’ambitieuse Corcyre se souleva contre sa métropole
Corinthe dans la première bataille navale connue dans nos sources. Les historiens
considèrent que les fondations coloniales de l’époque archaïque, du moins les apoikiaï,
vécurent assez rapidement leur vie propre, selon un principe d’indépendance (eleuthéria) et
d’autonomie (autonomia) cher aux yeux Grecs. D’ailleurs, assez rapidement, on constate un
phénomène de colonisation de « second degré », c’est-à-dire la fondation de colonies par des
colonies.
Les nouveaux colons vivent donc comme des Grecs, selon des valeurs qui fondent leur
hellénisme sur toute la période (religion, banquet, gymnase, hospitalité, honneurs), avec une
conscience aïgue de ce qui les sépare des barbaroï, ces non-Grecs qui ne parlent pas la
langue grecque. Les relations de ces colons avec les populations locales ne sont souvent
documentées que par l’archéologie et sont d’interprétation difficile. Les modernes notent à
des degrés divers une certaine « hellénisation » des barbares, peut-être aussi une
« barbarisation » des Grecs et la constitution de mixobarbaroi « barbares mélangés » (avec
les Grecs) ou de mixhellènes ou migadès hellènes « Grecs mélangés » (avec des barbares)
ou même encore de hémihellènes peuples « à moitié grecs ». Parfois les relations avec les
populations locales pouvaient être belliqueuses.
4) Les rythmes de la colonisation archaïque
L’installation durable des Grecs dans une communauté d’outre-mer avait été précédée par
un certain tâtonnement, une sorte de « précolonisation », dont témoigne par exemple
l’aventure du samien Colaios jusqu’à Tartessos telle qu’elle est racontée par Hérodote, IV,
152. Elle s’est également faîte en concurrence avec l’entreprise coloniale des Phéniciens,
plus tard des Carthaginois et des Étrusques.
Ensuite, en dépit des difficultés multiples de datation et de chronologie (les récits
historiques ne s’accordant pas toujours avec l’archéologie), les savants s’accordent pour
distinguer deux grands mouvements dans la colonisation. Un premier mouvement va du
deuxième quart du VIIIe siècle (770) jusque vers 680 et concerne surtout l’Italie du Sud et la
Sicile, la côte Illyrienne de l’Adriatique, le nord de l’Egée (la presqu’île Chalcidique) et des
comptoirs installés en Asie Mineure méridionale, en Syrie (Al Mina) et en Phénicie. Les
principaux points de départs sont trois régions distinctes du monde grec : l’île d’Eubée
(Chalcis, mais aussi Erétrie), des cotés doriennes telles que Corinthe et Mégare et des cités
achéennes, pas individualisées et provenant d’Achaïe, la région au nord du Péloponnèse. S’y
ajoutent de manière occasionnelle : Sparte et les Messéniens du Péloponnèse, Les Locriens
de Grèce centrale et quelques cités insulaires de Rhodes et de Crète, de même que certains
Ioniens d’Asie mineure , surtout en provenance de Colophon. Ainsi les Chalcidiens fondent
plusieurs cités de Sicile (Zancle, Naxos,...) ; Mégare fonde Mégara Hyblaea (Sicile), au plan si
caractéristique, au milieu du VIIIe siècle (vers 750); les Achéens fondent Sybaris et Crotone
au milieu du VIIIe siècle (vers 750) qui sont à l’origine d’une constellation de colonies « de
second degré » en Italie du Sud.
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