SUJET : COLONISATION ET COLONS DANS LE MONDE

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Histoire – Géographie :
Composition
Sujet d’histoire ancienne
SUJET : COLONISATION ET COLONS DANS LE MONDE
GREC DU VIIIe AU IIIe SIECLE AV. J.-C.
Avertissement : ce corrigé est volontairement plus ambitieux que ce qui
est attendu comme copie du candidat au Capes/Cafep.
Vers 220 av. J.-C., le savant Eratosthène de Cyrène dont l’activité astronomique et
géographique s’exerça dans le cadre du Musée d’Alexandrie d’Égypte, parvint à établir une
cartographie des terres connues par les Grecs. Le tracé de cette carte plane du monde, qui
se faisait selon deux axes orthogonaux, représentait l’oecoumène, l’espace habité par les
Grecs. Celui-ci s’étendait des colonnes d’Hercule à l’Ouest aux colonnes d’Alexandre à l’Est.
Cet espace avait été le fruit d’un intense mouvement de colonisation qui débuta au VIIIe
siècle et qui n’était pas complètement achevé à la fin du III siècle.
Le terme « colonisation » est moderne. Il a comme origine un terme qui n’est pas grec
mais latin : colonia = « réunion d'hommes installés dans un autre pays ». Contrairement à
notre langue, les Grecs, comme les Romains, ne possédaient pas de terme abstrait pour
désigner le processus de colonisation. Cela n’empêche pas que le phénomène a bel et bien
existé. Les Grecs employaient différents mots qui témoignaient de leurs migrations et de leurs
implantations en terre étrangère : apoikia (-aï), qui signifie « départ de chez soi » dans le but
d’aller s’installer ailleurs ; klèrouchia (-aï) (« clérouquie ») qui traduit l’idée d’un partage de
kléros (-oï), « lot(s) de terres », par tirage au sort ; et katoikia (-aï) que l’ont peut traduire par
« établissement », « lieu d’habitation ». De ce fait, les « colons » doivent être entendus
comme ces Grecs (puis ces Gréco-Macédoniens) qui quittèrent leur cité d’origine-métropole
(ou leur royaume) pour aller s’installer ailleurs : outre mer, du VIII au IVe siècle, puis en Asie,
à l’époque hellénistique.
Le terme de « colonisation » est fortement influencé par les réalités modernes : la
colonisation du Nouveau Monde à partir du XVIe siècle et surtout la constitution des empires
coloniaux européens au XIXe siècle. En histoire grecque, un article provocateur de 1998 de
Robin Osborne, « Early Greek Colonisation ? The Nature of Greek Settlements in the West »,
dans N. Fisher, H. Van Wees, éd., Archaic Greece. New Approaches and new Evidence,
Londres, 1998, p. 251-269, a proposé d’éradiquer le terme de « colonisation » des livres
portant sur l’histoire archaïque : en cause, le caractère planifié des départs et la comparaison
trop évidente avec les réalités contemporaines. Un autre article de Roger Bagnall,
« Decolonizing Ptolemaic Egypt », dans P. Cartledge, P. Garnsey et E. Gruen, éd., Hellenistic
Constructs. Essays in Culture, History, and Historiography, Berkeley, 1997, p. 225-241, a
proposé la même « déconstruction » afin d’éviter, là encore, les résonnances fâcheuses avec
l’époque contemporaine. Conscient de cette difficulté épistémologique, dont l’historiographie
témoigne, le sujet propose de manier les deux termes de « colonisation » et de « colons » de
manière neutre, comme débarrassés de leurs oripeaux « colonialistes ». L’intitulé nous invite
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à nous interroger sur un phénomène de temps long, sur une période de six siècles, dans un
cadre géographique qui se modifie puisque au bassin méditerranéen s’ajoute tout l’Orient à
partir de la conquête d’Alexandre la Grand.
On pourra dès lors se demander comment se manifeste cette réalité d’implantation
grecque en terre étrangère, pas forcément non-grecque et quelles en furent les permanences
et des mutations sur une longue période, de l’époque archaïque (VIIIe-VIe s.) à la haute
époque hellénistique (fin IVe-IIIe s.), en passant par l’époque classique (Ve-IVe s.) ?
Pour cela, nous tâcherons de mettre en lumière les caractères de « la grande colonisation
archaïque » qui permit l’installation des Grecs sue le pourtour de la Méditerranée ; puis nous
chercherons à percevoir les évolutions du phénomène à l’époque classique qui peut être
perçue comme une période de transition ; enfin, nous envisagerons le processus de
colonisation à l’époque d’Alexandre et de ses successeurs qui favorisa un essaimage
important des Gréco-Macédoniens en Asie.
Partie I : Les caractéristiques de « la grande colonisation grecque » (VIIIeVIe siècles)
La colonisation grecque d’époque archaïque possède un certain nombre de caractéristiques
qu’il convient de préciser.
1) Le double caractère commercial et agraire de la colonisation archaïque
Les historiens caractérisent « La grande colonisation grecque » archaïque selon deux
phénomènes à la fois différents et conjoints. L’apoikia(-aï) désigne la réalité du « départ de
chez soi », mais aussi les établissements d’outre-mer, c’est-à-dire les colonies (l’apoikos étant
le colons) ; mais les sources grecques emploient aussi le terme d’emporion (emporia au
pluriel, à ne pas confondre avec emporia, au fém. sing. qui signifie le commerce) pour
désigner le « comptoir » établis outre-mer, le plus souvent un « port de commerce », mais pas
toujours (parfois un comptoir terrestre comme Pistiros, en Thrace, il est vrai au Ve siècle).
Cette implantation grecque archaïque, sous forme d’apoikiaï ou d’emporia (au pluriel) a
pour cadre la mer Méditerranée, son bassin occidental comme son bassin oriental, dont la
mer Noire est une extension ; selon une chronologie sur laquelle nous reviendrons.
Fondamentalement, l’établissement d’une apoikia implique la création d’une cité (polis)
contrôlant (comme toutes les poleis) une chôra (territoire civique) destinée à subvenir à
l’essentiel de l’alimentation de ses colons. En revanche, l’emporion, même si on ne peut
douter qu’il fut structuré et doté de certaines institutions, semble n’être resté qu’à l’état de
« comptoir », sans pouvoir (ou vouloir) établir un contrôle sur le territoire environnant, qu’on
imagine contrôlé par des populations locales non-grecques.
La distinction apoikia/emporion en recouvre une autre liée aux causes (ou plus
exactement aux intentions) de la colonisation : l’apoikia serait une « colonie agraire » (selon
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une vieille terminologie, employée encore par Claude Mossé), donc « une colonie de
peuplement », alors que l’emporion serait une « colonie commerciale ». Dans un cas, les
Grecs seraient venus chercher un moyen de nourrir des colons (par implantation, mais peutêtre aussi en exportant du grain vers la métropole ?) ; dans l’autre, ils seraient plutôt venus
échanger des biens, notamment chercher des métaux dans le but de les exporter vers leur
métropole.
Ce schéma est globalement valide : dans le détail, les choses sont plus subtiles, comme
en témoigne la fondation de la première colonie grecque outre-mer, qui fut l’emporion de
Pithécusses vers 770-760, par des Eubéens. Pithécusses a d’emblée une vocation
commerciale sur le « route des métaux » (néanmoins certains soutiennent qu’elle fut dès
l’origine une apoikia), contrôlant la baie de Naples et ses nombreux ateliers métallurgiques
attestés par l’archéologie. Pourtant, les Eubéens de Pithécusses, sans doute au bout de
moins d’une génération (vers 750 : chronologie débattue) firent un saut sur le continent, et
fondèrent Cumes, dont le caractère agraire ne peut être contesté (c’est une apoikia). Un
phénomène similaire se trouve dans la fondation par les Milésiens d’un emporion sur le
promontoire de Bérézan (à l’embouchure du fleuve Boug), au nord de la mer Noire, avant
qu’ils aillent fonder, au bout de deux générations, Olbia pontique, plus à l’intérieur de
l’estuaire, qui contrôla une étendue impressionnante de terres cultivables.
La dichotomie commerce/agriculture n’est donc pas si tranchée qu’on le dit. Certains y
voient même une temporalité, insistant sur la notion de pré-colonisation commerciale (comme
ce fut peut-être le cas pour Cyrène).
2) Les causes de la colonisation archaïque
Comme pour tout phénomène migratoire, dans le cas de la colonisation archaïque, il est
difficile de dissocier les facteurs attractifs (commerciaux et agraires) des facteurs répulsifs.
Dans ces derniers, il convient d’envisager d’abord le problème de la sténochôria, littéralement
« territoire agricole resserré » qu’il faut comprendre comme une « soif de terre ». Ce
phénomène est physique : on note une vitalité démographique dans un milieu naturel
méditerranéen où les terres cultivables sont peu nombreuses, rocailleuses, et constituées de
plaines côtières ou d’emprises sur les versants par des terrasses de culture. Ce phénomène
est aussi socio-politique : nombreux sont les paysans déchus ou appauvris, les fils cadets,
contraints à l’exil du fait que l’accaparement ou du morcellement des kléroi (lots de terres),
dans un contexte d’endettement de la paysannerie et plus largement de crise sociale dans la
cité aristocratique naissante. À Athènes, Solon (594) grâce à des réformes a résolu la crise,
ce qui explique peut-être l’absence d’aventure coloniale athénienne à l’époque archaïque.
Ailleurs, des citoyens pauvres durent tenter leur chance outre-mer.
Ceux qui partirent ne le firent pas que pour des raisons économiques, mais aussi pour des
raisons politiques : c’est le cas des exilés. Banni de son pays, Archias, membre déchu du clan
des Battiades (des aristocrates qui font la loi à Corinthe) fonda Syracuse, « une nouvelle
Corinthe » en Sicile en 734. Sparte envoya des « Parthéniens » (ou « Parthénies ») fonder
Tarente vers 706. Les Parthéniens sont des enfants illégitimes (des sous-Spartiates), soit fils
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de femmes spartiates et d’Hilotes durant la première guerre de Messsénie (deuxième moitié
du VIIIe), soit fils de femmes spartiates et de jeunes gens de rang inférieur dans la cité de
Sparte.
3) Les modalités de la colonisation archaïque
Traditionnellement, on considère que la colonisation se définit avant tout comme une
entreprise publique et planifiée. Ce caractère essentiel distingue la colonisation des mobilités
individuelles et des mobilités temporaires, notamment les mobilités professionnelles (cf. les
métèques de l’époque classique). Cela est fondamentalement juste, même si dans nombre de
récits (souvent postérieurs de quelques siècles) on insiste sur des individualités, notamment
celle de l’oikiste. Les colons de l’époque archaïque partent en groupe, par pentécontère (50
rameurs par navire long), avec armes mais sans trop de bagages, notamment sans femmes
puisqu’on considère en général qu’ils prennent femmes sur place, soit par rapt, soit par
contrat (cf. les noces de Massalia, relatées par Justin), ce qui crée un corps de colons métissé
dès les origines. Les données archéologiques corroborent ce point de vue (fibules indigènes
dans des tombes féminines interprétées comme des épouses de Grecs à Pithécusses). Par la
suite, il a pu y avoir des epoikoi , c’est-à-dire des colons additionnels, avec peut-être des
femmes ( ?)
Les récits de fondation témoignent de l’usage de règles précises. À cette époque,
l’entreprise coloniale procède d’une consultation de l’oracle d’Apollon Pythien à Delphes, par
l’intérmédiaire de la Pythie, une prophétesse, pour savoir en quel pays fonder une colonie (de
ce point de vue, le spartiate Dorieus qui a tenté une aventure en Libye en 514-512 est un
contre-exemple qui rate de ce fait son entreprise). On note la participation d’un oikiste, un
« fondateur » (parfois appelé aussi archégétès) auxquels obéissent les colons et qui
commence par sacrifier aux dieux et allumer sur l’autel le feu emporté du foyer (hestia) de la
métropole. Sur la foi de ces récits, postérieurs et de rares documents épigraphiques tardifs,
on considère que l’oikiste est aussi celui qui trace le plan de la future ville, délimite les
espaces sacrés et profanes, accorde des périmètres de lotissement, négocie avec les
populations locales pour la possession (plus ou moins pacifiquement accordée) de la chôra,
partage et distribue des lots de terres (kléroi). Battos est l’archétype de l’oikiste, aristocrate qui
finit par fonder une dynastie de rois à Cyrène. L’oikiste doit être dissocié de l’éponyme, un
dieu ou un héros, qui donne son nom à la colonie. Toutefois, l’oikiste prend place dans un
récit mythique qui lui fait quitter l’histoire ; à sa mort il est « héroïsée » : son hérôon, c’est-àdire son tombeau monumental, est localisé à l’intérieur de la ville, sur l’agora ou dans un
sanctuaire (téménos) consacré à un dieu, ce qui l’extrait du monde des simples citoyens
(inhumés à l’extérieur des murs de la ville).
Enfin, une colonie à cette époque n’implique pas une intégration territoriale, une annexion,
pas même un rapport de dépendance à l’égard de la métropole. Une partie de la cité-mère
s’est détachée pour donner naissance à une nouvelle polis qui la prend pour modèle.
Institutionnellement, puisque le magistrat éponyme de Mégare est le basileus (« archonteroi »), celui d’Héraclée du Pont (fondation de Mégare) doit certainement être aussi le basileus,
d’autant que celui de Callatis (fondation d’Héraclée du Pont) est encore le basileus. Mais les
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liens peuvent être coupés. Dès 664, l’ambitieuse Corcyre se souleva contre sa métropole
Corinthe dans la première bataille navale connue dans nos sources. Les historiens
considèrent que les fondations coloniales de l’époque archaïque, du moins les apoikiaï,
vécurent assez rapidement leur vie propre, selon un principe d’indépendance (eleuthéria) et
d’autonomie (autonomia) cher aux yeux Grecs. D’ailleurs, assez rapidement, on constate un
phénomène de colonisation de « second degré », c’est-à-dire la fondation de colonies par des
colonies.
Les nouveaux colons vivent donc comme des Grecs, selon des valeurs qui fondent leur
hellénisme sur toute la période (religion, banquet, gymnase, hospitalité, honneurs), avec une
conscience aïgue de ce qui les sépare des barbaroï, ces non-Grecs qui ne parlent pas la
langue grecque. Les relations de ces colons avec les populations locales ne sont souvent
documentées que par l’archéologie et sont d’interprétation difficile. Les modernes notent à
des degrés divers une certaine « hellénisation » des barbares, peut-être aussi une
« barbarisation » des Grecs et la constitution de mixobarbaroi « barbares mélangés » (avec
les Grecs) ou de mixhellènes ou migadès hellènes « Grecs mélangés » (avec des barbares)
ou même encore de hémihellènes peuples « à moitié grecs ». Parfois les relations avec les
populations locales pouvaient être belliqueuses.
4) Les rythmes de la colonisation archaïque
L’installation durable des Grecs dans une communauté d’outre-mer avait été précédée par
un certain tâtonnement, une sorte de « précolonisation », dont témoigne par exemple
l’aventure du samien Colaios jusqu’à Tartessos telle qu’elle est racontée par Hérodote, IV,
152. Elle s’est également faîte en concurrence avec l’entreprise coloniale des Phéniciens,
plus tard des Carthaginois et des Étrusques.
Ensuite, en dépit des difficultés multiples de datation et de chronologie (les récits
historiques ne s’accordant pas toujours avec l’archéologie), les savants s’accordent pour
distinguer deux grands mouvements dans la colonisation. Un premier mouvement va du
deuxième quart du VIIIe siècle (770) jusque vers 680 et concerne surtout l’Italie du Sud et la
Sicile, la côte Illyrienne de l’Adriatique, le nord de l’Egée (la presqu’île Chalcidique) et des
comptoirs installés en Asie Mineure méridionale, en Syrie (Al Mina) et en Phénicie. Les
principaux points de départs sont trois régions distinctes du monde grec : l’île d’Eubée
(Chalcis, mais aussi Erétrie), des cotés doriennes telles que Corinthe et Mégare et des cités
achéennes, pas individualisées et provenant d’Achaïe, la région au nord du Péloponnèse. S’y
ajoutent de manière occasionnelle : Sparte et les Messéniens du Péloponnèse, Les Locriens
de Grèce centrale et quelques cités insulaires de Rhodes et de Crète, de même que certains
Ioniens d’Asie mineure , surtout en provenance de Colophon. Ainsi les Chalcidiens fondent
plusieurs cités de Sicile (Zancle, Naxos,...) ; Mégare fonde Mégara Hyblaea (Sicile), au plan si
caractéristique, au milieu du VIIIe siècle (vers 750); les Achéens fondent Sybaris et Crotone
au milieu du VIIIe siècle (vers 750) qui sont à l’origine d’une constellation de colonies « de
second degré » en Italie du Sud.
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La deuxième phase s’étend de vers 680 à ca 500 (fin de l’époque archaïque). Notons que
durant cette deuxième phase, les régions touchées par la première phase continuent de
connaître (puisque le phénomène s’était enclenché dès le première phase) des colonisation
de « second degrés », c’est-à-dire la fondation de colonies par des colonies. Ainsi, la
corinthienne Syracuse fonde quelques colonies, dont Camarine en 598 ; Mégara Hyblaea, en
collaboration avec sa métropole, fonde Sélinonte en 650-630 (soit en « 651 » soit en « 628 »).
Dès lors, la deuxième phase voit maintenant des Grecs s’installer en Méditerranée
occidentale (Provence, Sardaigne, Corse et Espagne), en Afrique du Nord (Cyrène et
Apollonia de Libye ; l’emporion de Naucratis dans le delta du Nil), en mer de Marmara, du
côté européen et asiatique et en mer Noire, sur toutes ses côtes. Alors que les Eubéens
(guerre entre Chalcis et Erétrie) ne font plus parler d’eux dans ce domaine, Corinthe, Rhodes,
Mégare continuent d’être actives, mais l’on voit surtout des cités insulaires (Andros, Paros,
Théra, Chios, Samos) et des cités d’Asie Mineure (d’Eolide : Cumes ; de Carie : Cnide ;
d’Ionie : surtout Phocée et Milet). Ainsi Télésiclès, le père du célèbre poète Archiloque de
Paros fonde Thasos vers 680 ; les Mégariens sont actifs en Propontide (nom grec de la mer
de Marmara) et dans le Pont Euxin (nom grec de la mer Noire) ; mais se sont surtout les
Milésiens qui fondent de 75 à 90 colonies (selon les auteurs anciens), dont Istros ou Olbia
(appelée aussi Borysthène, du nom du fleuve à l’embouchure duquel elle se trouve).
À la fin de l’époque archaïque, la colonisation n’est pas achevée, mais sa nature évolue.
Partie II : Le phénomène de colonisation à l’époque classique : une
période de transition
L’époque classique peut être perçue comme une période de transition au regard de
certaines permanences par rapport à l’époque précédente, mais aussi compte tenu
d’évolutions dont certaines connurent une affirmation ultérieure.
1) Apoikiai plus ou moins comparables à celles de l’époque archaïque
Parmi les métropoles, il faut dorénavant citer Athènes, qui n’avait pas connu de
phénomène similaire à l’époque archaïque (sauf par l’intermédiaire de certains de ses
citoyens, par exemple Pisistrate ou Miltiade l’Ancien) ; Sparte (qui avait fondée Tarente à
l’époque archaïque) et Syracuse.
Les fondations sont assez comparables à celles de l’époque archaïque… Un cas
significatif est celui de Sparte qui fonde Héraclée Trachinienne en Thessalie, en 426 (durant
la guerre du Péloponnèse) : les Spartiates sont associés à des périèques et « aux autres
Grecs qui le désireraient, à l’exception des Ioniens, des Achéens et de quelques autres
peuples » (Thucydide, III, 92)… c’est une période de guerre, mais comme à l’époque
archaïque, les colons peuvent venir de plusieurs origines. Un autre cas tout aussi significatif
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est Héraclée du Pont qui envoie des colons s’installer en Chersonnèse taurique en 422/1, une
région fréquentée jadis par les Milésiens.
On note la poursuite de la colonisation « de deuxième degré », voire « de troisième
degré » : ainsi, Syracuse, qui s’était déjà manifestée en Sicile dans une colonisation « de
deuxième degré » et qui, après avoir résisté aux Carthaginois, fonde sur le côte illyrienne :
Issa (vers le début du IVe siècle) et Pharos (en 385), en collaboration avec l’égéenne Paros,
qui n’était plus active depuis trois siècles. Issa fonda à son tour plusieurs apoikiai « de
troisième degré » , dont Corcyre la Noire (date non précisée, courant du IVe s .), sur un
territoire concédé par les dynastes illyriens (riche document épigraphique, non traduit en
Français : SIG3 141)
Parmi les différences avec la période précédente, on note le plus souvent la disparition de
la référence à l’oracle de Delphes. Mais des oikistes sont repérables. De même, autre
différence, le lien semble avoir été plus fort avec la métropole à cette époque qu’à l’époque
archaïque. Prenons le cas d’Amphipolis de Thrace qui est une apoikia athénienne fondée en
437/6 : ses habitants, formées de colons athéniens, sont désignés comme des
« Amphipolitains » (et non comme des « Athéniens », ce qui aurait fait d’Amphipolis une
clérouquie). Toutefois, un lien fort existait entre la colonie et la métropole puisque, durant la
guerre du Péloponnèse (431-404), la paix de Nicias, en 421, prévoit que « les Lacédémoniens
et leurs alliés rendront Amphipolis aux Athéniens » (Thucydide V, 18, 5) ; en 357, l’orateur
Eschine (Sur l’ambassade, II, 33) fit dire à Philippe II de Macédoine : « Mais si tu t’empares
d’Amphipolis, la ville des Athéniens, tu ne possèdes pas ce qui est à eux, mais la terre des
Athéniens »… le lien avec la métropole est donc plus fort qu’à l’époque archaïque.
Phénomène comparable à propos de la fondation de Thourioi (ca. 446-443). La fondation
est dite « panhellénique », car il y avait deux oikistes (dont un athénien ; on ne sait rien de
l’autre) et un apport de population d’Athènes mais aussi du Péloponnèse. Diodore XII, 10, 311, 3, rapporte que dix ans après la fondation, en 434/3, un stasis (guerre civile) faillit éclater
à Thourioi pour savoir si le fondateur était athénien ou Péloponnésien… la crise politique fut
surmontée par la désignation d’Apollon Delphien comme ktistès (fondateur) de Thourioi.
2) le phénomène spécifique des clérouquies athéniennes
Il s’agit d’une invention athénienne qui date vraisemblablement de la fin du VIe siècle, et
non du début du VIe siècle, comme on a pu le croire à travers les cas de la petite île de
Salamine, en face du Pirée (conquise vers 600 mais perdue ensuite) et de Sigée (fondée vers
600 par l’Athénien Phrynon, dans une initiative privée ?). La première attestation certaine
d’une clérouquie date de 506 : Hérodote V 77, 2 et VI, 100, 1 nous indique clairement que
Chalcis d’Eubée fut conquise par les Athéniens qui y installèrent et allotirent 4000 clérouques.
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De la même époque (fin du VIe s.) date la « loi de Salamine » (IG I3 1) qui oblige les
clérouques à « payer des taxes aux Athéniens et prêter le service militaire pour eux ». De ce
point de vue, les clérouques demeurent des citoyens athéniens. Mais qu’est-ce au juste
qu’une clérouquie ?
Un phénomène militaire d’allotissement de soldats ? On a lié ce phénomène particulier de
colonisation qu’est la clérouquie avec l’impérialisme athénien (il est antérieur néanmoins) qui
s’est manifesté à travers la ligue attico-délienne (dite Ligue de Délos dans les manuels – 478404) puis la seconde confédération athénienne (377-357/5 – 337). Les clérouquies sont des
morceaux de territoire arrachés à des cités vaincues ou matées : 2700 clérouques à Lesbos
en 427 ; 1000 à Chersonnèse de Thrace en 437, et à Potidée en 430, et peut-être aussi à
Histiée, sur l’île d’Eubée, en 446 ; 500 àsur l’île de Mélos en 416 ; 250 sur l’île d’Andros en
450… Notons que l’installation de la clérouquie va de pair avec une diminution du tribut
(phoros) payé à Athènes par ces cités, qui subirent de la part des Athéniens des massacres,
déportations ou mise en esclavage de leurs populations.
Un fragment d’un discours de l’orateur Démosthène, préservé par Libanios, un auteur du
IVe siècle après J.-C, laisse supposer que les clérouques étaient des citoyens athéniens
pauvres envoyés comme colons (epoikoi), avec armes et argent au frais du trésor, dans les
cités qu’Athènes contrôlaient. Traditionnellement, on voit en eux des garnisaires à qui l’on a
confié une terre, vraisemblablement accordé par tirage au sort (klérouchia, « clérouquie »
désigne à dans son sens premier « pierre ou jeton destiné au tirage au sort » et a pour origine
le mot kléros, « lot de terre »)
Pourtant, la clérouquie semble aussi relever d’un véritable phénomène de colonisation de
production agricole. Certains historiens réévaluent la clérouquie dans le sens d’une véritable
colonisation de peuplement. Ils insistent sur le fait que la cité athénienne a cherché à
transformer par ce moyen des thètes (des Athéniens de la 4ème classe censitaire solonienne,
la plus pauvre, servant comme rameurs) en zeugites (la 3ème classe, possédant une terre et
une panoplie pour le combat hoplitique). Les îles à clérouques de Imbros, Lemnos et Skyros,
sont avant tout des centres de production de grain, à destination du Pirée, pour nourrir la
population de la ville d’Athènes. Avant de devenir aussi, au IVe siècle, de véritables points de
relâche sur la route maritime du grain depuis le Pont Euxin. La cité insulaire de Samos, prise
en 366 par le stratège athénien Timothée qui en expulsa la population en Asie Mineure,
constitue une autre clérouquie, numériquement très nombreuse, en dépit de l’engagement
pris par la cité en 377, dans le décret de fondation de la Seconde Confédération athénienne,
de ne plus en créer. En 324, le décret des bannis d’Alexandre oblige à un rapatriement
douloureux qui n’est pas encore soldé en 322/1.
Les clérouquies ont un caractère militaire dans la mesure où elles témoignent de
l’impérialisme athénien du Ve et du IVe siècle. Dès le Ve siècle, elles furent aussi de
véritables colonies de peuplement.
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3) Faire des militaires des colons : les villes fondées par des stratèges victorieux ou
des rois
Ce phénomène est une nouveauté de l’époque classique et surtout du IVe siècle et
annonce son développement spectaculaire à l’époque hellénistique. On peut y voir un
symptôme, non pas de la crise de la cité, mais de l’individualisation des pouvoirs, qui
s’effectue aux marges de la cité qui, depuis l’époque archaïque était le pouvoir politique par
excellence du monde grec. Au IVe siècle, le terme de ktistès « fondateur » fait son apparition
dans le lexique grec : il est synonyme d’oikiste, mais autant l’oikiste pouvait apparaître
comme mandaté par sa cité d’origine, autant le ktistès fut, à l’époque hellénistique, un titre
porté par les rois.
En toile de fond de ce phénomène, il y a les perturbations issues de la guerre du
Péloponnèse : la professionnalisation des armées, le développement du mercenariat et une
masse croissante de mercenaires non-utilisés, d’exilés et de réfugiés désœuvrés qu’il
convient d’établir quelque part. Certains historiens se sont plu à comparer le situation de crise
sociale du IVe siècle avec celle des VIIIe- VIIe siècles. L’orateur attique Isocrate s’est fait une
spécialité de ce thème de la crise de son temps. Le IVe siècle apparaît dans ses discours
comme un siècle d’errance de masse pour une partie significative de Grecs, apolidès
« apatrides », mais peut-être le traitement rhétorique qu’il en fait exagère-il le phénomène ?
Dans le but de stabiliser ces populations d’apolidès, l’action de deux stratège est
significative : le thébain Epaminondas, stratège victorieux des Spartiates à Leuctres (371)
recréa la cité de Messéne et refonda la ville (370/69) : c’est là que furent installés des hilotes
messéniens, qui acquirent le statut de citoyen de la nouvelle cité ainsi que « d’autres qui le
voulaient » (Diodore XV, 66, 1). Epaminondas est perçu par ses contemporains comme un
véritable oikiste : il veille à la construction de la ville, à l’aménagement du territoire, il reçoit
des honneurs accordés à un fondateur : une statue le représentant, encore visible au IIe
siècle ap. J.-C. selon Pausanias. Le corinthien Timoléon, envoyé par sa cité en Sicile en 344
pour combattre les Carthaginois devint au bout de quelques années le vrai maître de l’île. Il
endossait un pouvoir que d’autres, notamment les tyrans de Syracuse, avaient assumés
avant lui. Plutarque (Vie de Timoléon, 23, 3) nous dit de Timoléon installa quelques 60000
colons en Sicile, venus non seulement d’Italie, mais aussi de Grèce propre : il leur assigna
des lots et refonda des cités jadis détruites par les Carthaginois, telles que Géla ou Agrigente.
Le phénomène le plus novateur est celui des fondations royales. Philippe II de Macédoine
en est le meilleur exemple : en Thrace il fonde Philippes en 356, puis Philippopolis, en 342.
Les noms des fondations en disent long : désormais le roi fondateur, Kistès, incarne à la fois
l’oikiste mais aussi l’éponyme, autrefois assumé par un dieu ou un héros. Isocrate, dans son
Discours à Philippe (date : 346) lui demande de poursuivre cette entreprise en Asie.
L’époque classique apparaît alors pleinement comme une période de transition.
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Histoire – Géographie :
Composition
Partie III : L’essaimage des Gréco-Macédoniens en Orient à l’époque
d’Alexandre et de ses successeurs (IVe-IIIe siècles)
1) Alexandre et l’ouverture d’une nouvelle colonisation grecque vers l’Est.
Une rupture majeure s’opère avec la conquête de l’Asie par Alexandre III Mégas (« le
Grand »), fils de son père Philippe II dont finalement il poursuit le programme. On assiste à
une phase nouvelle de colonisation, dont les colons sont dans un premier temps des soldats,
et dont l’intensité n’est comparable qu’à la colonisation de l’époque archaïque. L’oikouménè,
(« la terre habitée par les Grecs », l’oecoumène en français) est d’une nature différente : il ne
s’agit plus d’essaimer des Grecs outre-mer, dans le seul bassin méditerranéen, mais à
l’intérieur des terres, en Asie, jusqu’à l’Indus. Les Grecs connaissaient ce territoire (cf.
l’expédition des Dix-Mille en 401). Pour gouverner un territoire aussi vaste, le génie
d’Alexandre fut de se substituer politiquement au Grand Roi, en conservant le système assez
décentralisé des satrapies, qui laissait une autonomie certaine aux peuples que les satrapes
gouvernaient au nom de leur monarque.
L’image d’un Alexandre civilisateur, de Plutarque à l’idéologie coloniale du XIXe s.,
appartient désormais au passé (Briant 1982). Comme les Macédoniens avaient besoin de
main-d’œuvre pour poursuivre le travail de la terre et pour leurs chantiers urbains, les
populations locales vécurent l’installation des Gréco-Macédoniens sur le mode de l’exclusion
et de l’exploitation. Nombre de populations locales, villageoises, devinrent dépendantes des
colons grecs et furent utilisées comme main-d’œuvre, notamment agricole. Cela avait peutêtre déjà été le cas à l’époque archaïque.
Alexandrie d’Egypte fut la première cité fondée par Alexandre (janvier 331) pendant son
règne. D’autres Alexandries suivirent - d’Alexandrie d’Asie à Alexandrie Eschatè, « l’Ultime »,
- des cités de l’Inde comme Nikaia et Bucéphale ou l’Alexandrie de Susiane, au fond du golfe
Persique (324). Alors que les colonies étaient formées de soldats, le peuplement des cités
mêlait des groupes sociaux et ethniques différents. Le cas du peuplement d’Alexandrie de
l’Iaxarte (Syr Daria) est sans doute exemplaire : « Alexandre y réunit comme habitants les
mercenaires grecs, des Barbares du voisinage qui étaient volontaires » (Quinte-Curce VII, 6,
27). Arrien évoque des prisonniers qu’Alexandre libéra, c’est-à-dire, racheta aux soldats, pour
s’installer, et également certains Macédoniens du corps expéditionnaire désormais inaptes au
service (Arrien IV, 4, 1). De ce point de vue, Alexandre procède comme un héritier de son
père qui avait déjà fondé des villes ex-nihilo.
2) les cités fondées par les rois : les modalités et les rythmes
Le roi apparaît comme un ktistès, c’est-à-dire à la fois oikiste et éponyme. Les nouvelles
cités portèrent désormais le nom d’Alexandre, on l’a vu, ou de ses diadoques (les généraux
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Histoire – Géographie :
Composition
qui lui ont succédé et se sont assez rapidement partagés son royaume… ne prenant
néanmoins le titre royal qu’à partir de 306) : Antigoneia (d’Antigone Monophtalmos « le
Borgne »), Lysimacheia (de Lysimaque), Démétrias (de Démétrios Poliorcète « preneur de
ville »), Cassandreia (de Cassandre), Ptolémaïs (de Ptolémée II), Antioche (d’Antiochos Ier ou II)…
Après 306, on note aussi des noms de reines : Laodicée (de Laodice), Arsinoé ou Arsinoeia
(d’Arsinoé), Bérénikè (de Bérénice).
On peut distinguer de manière artificielle deux vagues dans ce mouvement de fondation :
l’une correspondant à l’époque d’Alexandre et de ses diadoques, l’autre correspondant
surtout à la politique très active des Séleucos Ier, qui a fondé la Tétrapole syrienne (« les
quatre cités » : Séleucie de Piérie, Antioche sur l’Oronte, Apamée sur l’Oronte et Laodicéesur-mer, vers 300, et à la même époque Doura-Europos sur l’Euphrate, Séleucie du Tigre en
Mésopotamie ou Aï Khanoum (le nom grec est inconnu) en Afghanistan, sans compter les
nombreuses fondations d’Asie Mineure, à l’intérieur du plateau anatolien, œuvre que ses
successeurs (Antiochos Ier et Antiochos II) ont continuée. Les fouilles archéologiques et les
textes montrent que la trame urbaine est prévue de manière suffisamment large pour
permettre des apports et un développement ultérieur, un peu comme cela avait dû se dérouler
sur les sites de colonisation archaïque (Mégara Hyblaea)
On peut noter au moins quatre modalités différentes de fondation :

Certaines fondations sont des créations ex-nihilo : il n’y avait aucun antécédent
notable sur le site occupé. Tel est le cas des Alexandries, dont Alexandrie d’Égypte
ou bien encore d’Antioche sur l’Oronte ou Doura Europos.

De nombreuses fondations sont dues à un synoecisme (synoikismos), c’est-à-dire
à un regroupement de deux ou plusieurs établissements, parfois déjà des cités, en
un seul, avec déplacement de population ou à une sympolitie (sympoliteia), qui est
l’union de deux cités, sans qu’il y ait déplacement de population. Tel est le cas de
d’Antigoneia de Troade, crée en 309/8 à partir de 7 petites communautés initiales
ou bien du déplacement des habitants de Lébédos, détruite par un tremblement de
terre, vers Téos ca. en 303/2, donnant naissance à Eurydikeia, le tout par la
volonté d’Antigone le Borgne ; on note aussi d’assez nombreux exemples de
sympolitie dont celui de Smyrne avec Magnésie du Sipyle (OGIS 229).

Certains rois se contentaient de refonder une cité déjà existante en lui donnant un
nouveau nom, qu’il y ait ou non déplacement du site, de quelques kilomètres : en
301, après sa victoire d’Ipsos sur Monophtalmos, Lysimaque « refonda »
Antigoneia de Troade en la rebaptisant Alexandrie de Troade ; de même, en 288, il
créa la nouvelle Smyrne, à 8 kilomètres du site depuis longtemps abandonné de
cette ancienne cité ionienne.

Certains rois assurent la promotion d’une communauté initialement indigène au
rang de cité : dans la première moitié du IIIe s., sous Antiochos Ier ou Antiochos II,
la ville de Kélainai devient la cité d’Apamée du Méandre ; en 226/5, ce fut le cas de
Sardes, vieille capitale de satrapie, promue au rang de cité par le roi Attale Ier . On
a pu parler à ce propos de « poliadisation ».
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Histoire – Géographie :
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3) Etablir des soldats et des colons gréco-macédoniens : clérouquie et katoikia (-aï)
La colonisation hellénistique ne se résume pas au monde poliade (des cités) : certains
établissements de colons gréco-macédoniens, le plus souvent des soldats, mais aussi peutêtre, dans un deuxième temps des « civils » venus chercher fortune, n’ont jamais atteint le
statut d’une polis.
En Égypte, pays producteur de blé par excellence, les premiers lagides (Ptolémée Ier et
Ptolémée II) ont cherché à la fois à mettre en valeur le territoire, notamment le front de
défrichement du Fayoum, et à s’assurer un vivier de soldats aptes à être rapidement levés.
Les colons militaires grecs et macédoniens reçurent en usufruit des lots de terre prélevés sur
la chôra, dont la taille pouvait varier selon le grade et qui revenaient au roi quand il n’y avait
pas d’héritier. Le système clérouchique lagide évitait le versement d’une solde (peu d’argent
disponible), permettait la pacification de l’Egypte et créait une armée disponible et plus fidèle
que si il s’agissait de mercenaires prompts à changer de camp. En outre, cela augmentait les
superficies cultivées. Les clérouques sont uniquement des Grecs jusqu’à la 4e guerre de Syrie
(219). Jusqu’à cette date, 453 noms de clérouques d’Egypte sont connus : 107 Macédoniens
(fin à partir de Gonatas qui stoppa cette fuite de Macédoine) et 69 de Thrace, manifestement
descendants de l’armée satrapique de Ptolémée + 85 de Cyrénaïque ; et pour le reste, il y
une grande diversité : Occident 9, Grèce centrale 57 dont 12 Athéniens, Péloponnèse 25,
Asie mineure et Pont 48, Iles de l’Egée 19 dont Crète 9, Levant 14 dont 12 Juifs. Chez les
Séleucides, les clérouques sont attestés, mais faute d’une documentation aussi riche qu’en
Egypte, on ignore comment le système fonctionnait véritablement : on sait en outre qu’il y
avait des clérouques juifs en Phrygie, installés sur des terres concédées par le roi (Josephe,
AJ XII 148-153).
Par ailleurs, en Asie Mineure, dans le domaine séleucide et attalide, d’assez nombreuses
sources épigraphiques mentionnent des katoikiai. Le terme de katoikia peut parfois désigner
simplement une kômè, « un village », sans plus de précision technique. Actuellement, les
savants restent prudent sur la réelle nature de ces katoikiaï qui ne sont pas forcément des
établissements de colons militaires gréco-macédoniens mais peuvent être aussi des villages
indigènes. Il semble en revanche que ces katoikiaï aient parfois revendiqué leur caractère
hellénique, notamment lors d’une demande visant à leur faire acquérir le rang de polis : au
début du IIe siècle, les katoikoi de Tyraion, petit établissement de Phrygie obtiennent
d’Eumène II, le roi attalide, le statut de cité puisqu’ils possèdent quelques uns des marqueurs
essentiels de l’héllénisme : un gymnase, une ecclésia (assemblée du peuple) et une boulè (un
conseil) et une politeia (constitution)
CONCLUSION
Pour conclure, la colonisation apparaît comme un phénomène continue du VIII au IIIe
siècle av. J.-C. Du côté des permanences, il faut noter cette capacité des Grecs à diffuser un
modèle : celui de la cité qui, avec ses institutions et son mode de vie est un élément essentiel
de la propagation de l’hellénisme. Les préoccupations d’un colon grec du VIIIe siècle et celles
d’un colon grec au IIIe siècle devaient être assez proche : venu d’une métropole avec laquelle
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Histoire – Géographie :
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ils avaient plus ou moins coupés les liens, tous deux étaient désireux de vivre dans une
communauté leur permettant d’assurer leur défense et leur substance ; tous deux étaient
confrontés de différentes manières, pacifique ou hostile, à des populations locales avec
lesquelles ils étaient forcément en contact. Néanmoins, des évolutions sont notables. La
colonisation archaïque est certainement plus maritime que la colonisation hellénistique. Cette
dernière, héritière de l’époque classique, possède de plus une dimension militaire sans doute
plus marquée. De même, le monarque hellénistique y apparaît comme un élément
d’organisation primordial, supplantant le rôle joué par les cités-métropoles à l’époque
classique.
Ces nombreuses communautés grecques demeurèrent cependant entourées de non
Grecs, et cela à partir de leurs propres territoires, largement mis en exploitation par des
populations locales dépendantes. On peut considérer qu’il s’agissait finalement d’îlots grecs
dans un océan non grec. Pourtant, l’influence de ces isolats dans leur milieu environnant fut
prépondérante. Dans certains cas, la postérité de cette colonisation est visible aujourd’hui
encore, de manière plus ou moins vivace : on peut penser à la langue copte en Egypte ou
bien à l’art du Gandhara en Afghanistan. En méditerranée, Rome s’est nourrie de ces racines
grecques qui sont aussi devenues les siennes. Avant la fin du Ier siècle avant J.-C., les cités
grecques de Grande Grèce acquirent la citoyenneté latine puis romaine.
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