Transcription du témoignage de Michel FERRY du 24 décembre 1964.
« Faire le passeur était une passion. Savoir que tant de gars comme ton père, ton grand-père,
ton oncle fuyaient l’Alsace pour ne pas plier le genou devant les nazis, ça me remplissait
d’espoir et de fierté. Et puis il faut le dire, Moussey m’attirait comme un aimant. J’y étais reçu
comme un coq en pâte par plein de gens. A chacun de mes passages, j’allais chez les uns ou
chez les autres avec mes évadés. Le plus souvent a été chez le Joseph EDELBLOUTE et chez
la Joséphine BLAISON. Ton père et toute la famille, comme tu sais, ont été chez les deux.
Mais j’en ai confié aussi chez les MARCHAL de Quieux, le monmon BLAISON, l’Henri
BLAISE, les familles ODILLE, le boulanger, le boucher, les curés, le maire, les forestiers, le
chef de gendarmerie DEMALINE et ses hommes, et encore chez des autres personnes.»
« Souvent, quand mes évadés étaient casés chez l’habitant, dans le train ou dans un camion de
chez LAEDERICH ou par d’autres moyens et ben je poussais un ouf de soulagement et
j’allais casser la croûte chez les uns ou chez les autres avant de rentrer à La Claquette. C’était
souvent chez le chef de gendarmerie DEMALINE que je restais pour le repas de midi.
Je descendais aussi à Senones avec des évadés qui mangeaient et couchaient chez le Mimile
GIESY et qui partaient le lendemain par le train ou par le camion du Robert TISSERAND de
St Michel ou la gimbarde du père MOUGENOT et encore avec d’autres. A Senones j’avais
aussi un bon copain à la gendarmerie.
La gendarmerie de Moussey: c’était un gros rouage de notre filière, parce qu’ils étaient tous
dans le coup; c’est sûr qu’on avait des choses à se dire et à transmettre à chaque fois avec
DEMALINE.
Il y avait des évasions planifiées à l’avance, comme celle de ta famille. Forcément, on ne
pouvait pas lâcher dans la nature une famille entière, car elle se serait vite fait repérer. C’était
toujours plus compliqué quand on passait une famille entière, dès fois les gosses
« bouâlaient », et dans la nuit, ça s’entendait de loin». Quelques fois aussi, à Moussey, je les
confiais au chef de gare (Georges ADENOT), ou alors j’allais avec le Joseph EDELBLOUTE
et mes évadés, jusqu’à la gare d’Etival, là l’Henri LAMBERT se chargeait de mes gars et
souvent, il me prêtait son vélo et je fonçais chez le Jules FERRY à La Bourgonce juste pour
avoir des nouvelles de ceux qu’il hébergeait ou qu’il avait été planquer de droite ou de
gauche. Il allait en planquer à pied jusqu’à Bruyères et dans des patelins autour, comme
garçons de ferme.
Trois fois seulement, je me suis arrêté à la maison des Dernières Cartouches de Nompatelize.
A chaque fois je n’ai vu que ta grand-mère et Pierrot, car ton grand-père et ton père étaient
toujours sur les quatre chemins en mission pour FRANCOIS et PELET et aussi pour convertir
des gens à la Résistance. Alors je ne faisais qu’entrer et sortir, j’avais pas envie de me faire
repérer.
Tu sais, c’était pas facile dans ce village, pour ta famille.
On avait une planque dans un arbre creux dans les dessus de Moussey, il fallait connaitre le
truc; nous devions escalader trois bons mètres avant d’arriver au trou. De temps en temps lors
de mes passages, j’y mettais ce que je pouvais et ce que la famille ou les voisins me donnaient
pour eux, et l’Etienne récupérait quand il pouvait. Lui aussi, tu penses, il connaissait la forêt
comme sa poche.
J’avais un passeur de courrier à Nompatelize: le Charles VOINSON qui était marchand de
cochons, il a même passé deux types dans une cochonnière jusqu’en Haute-Saône. Y en a un
des deux qu’est revenu me voir, au moins cinq ans après la guerre pour me ramener les petits
sous que je lui avais donné afin qu’il aille se planquer loin dans le centre de la France. Moi
j’avais fait une croix dessus mais il m’a rapporté mes petits sous et en plus un litre de gnôle,
et il m’a raconté le voyage avec les cochons du père VOINSON, assis dans la m…..,oui ! De
quoi être dégoûté du cochon pour le reste de sa vie.