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programme dans le premier cahier de la première série des Cahiers de la Quinzaine, au
début du mois de janvier 1900, dans un article intitulé “Lettre du Provincial" en hommage à
Pascal, Charles Péguy se donnait comme programme: “Dire la vérité, toute la vérité, rien que
la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité
triste."(1)
Cette phrase de Péguy est, bien sûr, une provocation: heureuse, belle, agréable, la
vérité est facile à dire. C'est quand elle paraît triste, ennuyeuse ou bête que le devoir de la dire
doit s'imposer avec le plus de force à l'écrivain. Sans doute, directement, cette mission de dire
la vérité concernait d'abord l'œuvre de fondateur et de directeur de revue de Péguy, son Eure
de journaliste. Mais il n'y a aucun doute que dans ses œuvres proprement littéraires, dans ses
essais bien sûr mais aussi tout autant dans ses poèmes, dans son drame de Jeanne d'Arc,
Péguy ne se soit proposé tout aussi intensément de dire la vérité, et même tristement la vérité
triste. Dans ce drame en trois pièces de Jeanne d'Arc, avec son style volontairement très
simple, presque naïf, et légèrement archaïsant, Péguy peut sembler loin du monde réel, dans
l'utopie sinon dans le rêve. Et cependant, dans une scène célèbre de ce drame comme celle où
Péguy oppose la manière de parler aux soldats de Gilles de Rais et celle de Jeanne (2), c'est
bien la vérité humaine des rapports entre bons ou mauvais chefs et peuple que l'écrivain
s'efforce d'exprimer, à travers un langage et un style qui ne sont évidemment pas ceux du
sociologue ni même de l'historien, mais le langage et le style d'un poète et d'un dramaturge.
Cet effort, cette recherche pour atteindre et exprimer la vérité, sont présents chez les
grands écrivains classiques français. Ce qu'ils appellent la nature ou le naturel, c'est la vérité
de l'être humain, souvent cachée volontairement par les passions, et qu'ils découvrent dans
leurs œuvres. Il y a beaucoup de manières de découvrir la vérité. Molière dans ses comédies,
nous dévoile la vérité de l'homme sous ces passions et la vérité des relations humaines, dans
la famille par exemple, relations qui sont souvent dénaturées par l'argent ou par les passions.
Molière n'a pas besoin pour cela d'écrire des traités de morale ou de psychologie, et cela ne lui
réussirait sans doute pas. C'est tout simplement dans ses comédies qu'il dévoile et fait éclater
cette vérité humaine. Par contre, celui qui comprend le mieux les passions humaines au
XVIIème siècle, Racine, les montre, suivant la formule de La Bruyère, “telles qu'elles sont", à