Biodiversité et économie : ce n`est pas qu`une question d`espèces !

Biodiversité et économie : ce n’est pas qu’une question d’espèces !
A l’heure où, à Nagoya, pendant la dixième Convention sur la Diversité Biologique
(CDB), les discussions semblent se focaliser sur la monétarisation des biens et des
services rendus par les écosystèmes et que les médias se saisissent du sujet,
l’institut INSPIRE contribue au débat avec la déclaration ci-dessous approuvée par
Orée et le CJD.
Les 3 structures dont l’objet et l’action se complètent rappellent quelques valeurs et
principes fondamentaux, pour éviter la financiarisation de la nature, la destination
des biens naturels étant universelle.
La déclaration est diffusée sur les sites internet de l’institut INSPIRE (www.inspire-
institut.org), Orée (www.oree.org) et celui du CJD (www.jeunesdirigeants.fr) !!
Les liens entre biodiversité, économie et bien-être humain sont-ils encore à démontrer ?
S’il y a débat aujourd’hui, ce n’est plus tant sur l’existence de tels liens que sur le sens qu’il convient
de leur donner. Faut-il donner un prix à la biodiversité pour favoriser sa prise en compte par le marché
et sa conservation ? Faut-il à l’inverse repenser l’économie pour la réinscrire dans la dynamique des
flux et des interactions de la biosphère ?
Le bien-être dépend largement des biens et des services rendus par les écosystèmes, contemporains,
ou fossiles. A mesure que les ressources fossiles s’épuisent, la dépendance vis à vis du monde vivant
ne pourra aller qu’en s’accroissant.
Le concept récent de biodiversité apporte une innovation sémantique majeure, induisant une nouvelle
vision du monde. Etant nous-mêmes des êtres vivants, nous participons pleinement, ainsi que toutes
nos activités, de la dynamique d’interactions et d’interdépendances de la biosphère. Les sociétés
humaines et les économies qui leur sont liées ne peuvent donc plus se penser indépendamment de
la biodiversité, et vice versa.
Pour préserver et restaurer la biodiversité, aucune piste n’est à négliger : une réglementation
nationale, européenne et internationale claire et cohérente est indispensable. Une inversion des
régulations fiscales, qui doivent peser moins sur le travail mais beaucoup plus sur l’accès aux
ressources naturelles et leur consommation doit être rapidement étudiée et engagée. Enfin, toutes les
initiatives volontaires et exemplaires doivent être encouragées, connectées et accompagnées pour en
optimiser l’efficacité.
A l’heure où le débat semble se cristalliser sur la monétarisation des biens et des services rendus par
les écosystèmes, il nous a semblé important, à travers cet appel à la raison, de préciser quelques
valeurs et principes fondamentaux à prendre en compte si nous voulons éviter de faire fausse route.
1. Il y a des opportunités à prendre en compte la biodiversité
Le développement économique et social a été possible depuis plusieurs siècles par l’exploitation et la
destruction du capital naturel, mais nous avons aujourdhui atteint les limites de ce système. Le
facteur limitant de la performance des entreprises se déplace : de la disponibilité des capitaux vers la
connaissance et la capacité d’innovation, puis aujourd’hui vers la capacité des écosystèmes à nous
fournir les biens et services d’approvisionnement, de gulation ou d’inspiration. La recapitalisation
écologique - entendons par là, la restauration de la pleine fonctionnalité et du potentiel dévolution
des écosystèmes - est aujourd’hui la condition sine qua non de la poursuite du développement
et du bien-être humain. Cette recapitalisation écologique doit être encadrée par la mise en œuvre
d’une politique de développement de la biodiversité sur tout le territoire.
La performance des entreprises, leur capacité à créer de la richesse et de l’emploi, repose, et
reposera de plus en plus, sur la gestion durable des écosystèmes et leur restauration. Au-delà des
services d’approvisionnement (aliments, fibres, matériaux, molécules) et de régulation (pollinisation,
lutte contre les ravageurs, gulation du climat et des intempéries, ), la prise en compte de la
biodiversité dans les processus de production et dans l’aménagement des territoires ouvre la voie à
l'innovation, la créativité, à l’invention de nouveaux produits ou services.
Le premier de ces principes, c’est qu’il y a, pour tous, de véritables opportunités à prendre en
compte la biodiversi
2. Il est urgent de comprendre les liens d’interdépendances entre activités et biodiversité
Les gestionnaires d’entreprises ont été formés au pilotage à l’aide d’indicateurs chiffrés, monétaires
pour la plupart, et à rechercher un équilibre entre charges et produits sans toujours tenir compte des
externalités. Les indicateurs qualitatifs sont souvent jugés certes intéressants, mais peu
opérationnels. Ils restent de ce fait la plupart du temps considérés comme non opposables aux
indicateurs de gestion monétaire. Mais la performance des acteurs économiques et, au-delà, l’avenir
de l’humanité se jouent désormais sur notre capacité à appréhender les systèmes complexes, à
travailler avec leur incertitude, à intégrer les logiques floues, inhérentes aux relations entre les êtres
vivants qu’ils soient humains ou non-humains. Ce n’est pas seulement le modèle économique,
support du développement humain, qui est à reconsidérer, mais aussi notre manière de le
comprendre et d’en évaluer la performance. En même temps, il nous faut accepter avec humilité que
nous ne serons peut-être jamais capable de tout expliquer ni tout modéliser.
Le deuxième de ces principes, c’est qu’il est plus urgent de bien comprendre les liens
d’interdépendances entre biodiversité et entreprises que de les chiffrer.
3. Faire rentrer le marché dans le vivant !
Reconnaître une valeur au vivant peut, pourquoi pas, passer par des instruments d’évaluation
économique. Pour les besoins de la gestion de la ressource naturelle, il peut être pertinent de la
valoriser et de créer des instruments de marché, quotas ou droits d’accès. Mais ne confondons pas
l’instrument et la finalité. Si des instruments de marché peuvent aider à la protection du vivant,
pourquoi s’en priver ? Si la préservation de la biodiversité et la restauration du capital naturel sont
financièrement rentables, tant mieux. Mais par nature et parce qu’il précède toute activité
économique, le vivant a une valeur supérieure, une valeur pour ce qu’il est, en tant que tel,
indépendamment de toute transaction ou plus-value potentielle. En clair, et pour tenter une formule
simplificatrice, c’est le marché qu’il faut faire entrer dans le vivant, et non le vivant qu’il faut faire
rentrer dans le marché.
C’est notre 3e principe.
4. Ne pas créer un marché des indulgences sur la destruction de biodiversité
Parmi les instruments de marché proposés aujourd’hui, s’il en est un qui est particulièrement débattu
et contesté, c’est celui qui consiste à compenser financièrement les impacts sur la biodiversité.
Rappelons que ce principe existe en droit français depuis la loi de 1976, dans le cadre du triptyque :
« Eviter, réduire, compenser ». En clair, la compensation n’est justifiable et pertinente que si
l’aménageur ou l’opérateur économique a d’abord chercà éviter les impacts, puis à duire ce qui
ne pouvait être évité. La compensation ne portant donc que sur les impacts résiduels.
Notre 4e principe : En aucun cas, la compensation ne doit, et ne peut, constituer un « permis de
détruire » échangeable sur les marché. Pas plus qu’elle ne créerait une sorte de marc des
indulgences…
Mais bien encadrée, reposant sur la transparence et la concertation avec les parties prenantes,
accompagnée par une évaluation scientifique en amont et en aval, la compensation peut contribuer à
cette nécessaire recapitalisation écologique que nous appelons de nos vœux, et qui complèterait le
triptyque déjà mentionné d’un quatrième : « Eviter, réduire, compenser, recapitaliser ». A ce jour, il
n’existe en France qu’un instrument de compensation, règlementaire, portant sur les impacts
concentrés des projets d’aménagement (infrastructures). Il faut engager lebat sur la création, pour
changer d’échelle, de dispositifs permettant de compenser, non la destruction massive et localisée de
milieux naturels, mais les impacts diffus liés aux activités économiques (transports,
approvisionnement, consommation d’espace et de ressources, etc.). Il s’agit ici, notamment, de
financer la restauration de milieux dégradés par une exploitation ou une gestion inappropriée. Ces
instruments innovants permettront, parce qu’ils ne seront pas directement liés à des opérations
d’aménagement, de découpler la destruction et l’artificialisation des espaces de la création de flux
financiers au service de la restauration des écosystèmes. Ces dispositifs de compensation doivent
aussi permettre l’émergence et l’utilisation d’un « étalon écologique » à même de compléter utilement
l’étalon monétaire, seul en vigueur aujourd’hui.
5. La biodiversité est l’affaire de l’ensemble des citoyens !
Dernier principe : la biodiversité est une « chose » sociale. Au delà du troisième pilier de la
Convention sur la Diversité Biologique, qui promeut un « partage juste et équitable des avantages
découlant de l’exploitation des ressources génétiques », il est indispensable de prendre en compte les
diversités humaines, d’usage ou de représentation, pour gérer collectivement la biodiversité. Bien
commun par excellence, la gestion de la biodiversité ne peut être abandonnée aux seules
forces du marché, pas plus qu’elle ne doit relever de la seule compétence des experts et des
gouvernants. Il est indispensable de créer, dès aujourdhui, les instruments démocratiques qui
permettront une véritable appropriation collective de la biodiversité, intégrant un pluralisme de
représentations le plus large possible, des plus utilitaristes (la biodiversité vue en tant que socle du
bien-être humain) jusqu’aux approches non anthropocentrées qui attribuent au vivant une valeur en
soi, indépendamment de toute utilité pour les êtres humains présents ou à venir.
La prise en compte de la biodiversité dans les politiques économiques, sociales, d’aménagement du
territoire et dans la régulation du commerce international est un préalable indispensable à la
nécessaire transformation de nos sociétés, de nos modes de production et de consommation, face
aux défis de la raréfaction des énergies fossiles, de l’accroissement de la population et de la demande
alimentaire mondiale. Ce qui est en jeu n’est rien d’autre que la paix, la démocratie, la liberté et le
bien-être de chacun."
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