criant les uns aux autres de ne pas rompre les rangs. Quant aux chars,
abandonnés bien vite de leurs conducteurs, les uns étaient emportés à travers
les troupes ennemies, les autres vers la ligne des Grecs, qui s’ouvrit et les laissa
passer. Il n’y eut qu’un soldat qui, frappé d’étonnement comme on le serait dans
l’hippodrome, ne se rangea pas et fut renversé par un de ces chars, sans
toutefois avoir d’autre mal. Un seul Grec aussi fut blessé d’une flèche.
Cyrus fut rempli de joie à la vue de ce succès des Grecs, et déjà ceux qui
l’entouraient l’adoraient comme leur roi. Cependant il n’y avait qu’une aile qui fût
dispersée, et l’armée royale était si nombreuse que son centre dépassait encore
l’aile gauche de Cyrus. Aussi le prince garda sa position et tint serrés autour de
lui ses sis cents chevaux, en observant tous les mouvements du roi. Artaxerxés,
qui s’était placé au centre avec six mille cavaliers, fit un mouvement pour
entourer les Grecs. Cyrus, craignant qu’il ne les prit à dos et ne les taillât en
pièces, courut à lui avec ses cavaliers, replia tout ce qui était devant le roi, et
tua, dit-on, de sa main, leur général. Mais ses cavaliers se dispersèrent à la
poursuite des fuyards, et il n’y avait plus que peu de monde auprès de lui,
lorsqu’il reconnut le roi : Je vois l’homme, s’écria-t-il. Il se précipita sur lui, le
frappa à la poitrine, et le blessa à travers sa cuirasse. Au même instant il fut
atteint lui-même au-dessous de l’œil, d’un javelot lancé avec force par un soldat
inconnu. Il tomba mort, et sur son corps périrent huit de ses principaux amis.
Ainsi finit Cyrus. Tous ceux qui l’ont intimement connu s’accordent à dire que
c’est le Perse, depuis l’ancien Cyrus, qui s’est montré le plus digne de l’empire, et
qu’il possédait toutes les vertus d’un grand roi... (septembre 401).
Sa mort changea l’issue de la bataille. Ses troupes, sans chef et sans raison de
combattre davantage, se dispersèrent, et le roi pénétra dans leur camp, où le
harem du vaincu tomba en ses mains. Il s’y trouvait deux Grecques que leurs
parents avaient offertes au prince lorsqu’il résidait à Sardes : usage habituel à
ces populations asiatiques, qui trafiquaient de tout, même de la beauté de leurs
filles, dotées par eux, dans cette intention, d’une éducation brillante. Une d’elles,
originaire de Milet, s’échappa ; la belle Milto de Phocée, moins ou plus heureuse,
devint une des femmes du grand roi et, comme la Monime de Mithridate, mais
sans avoir sa fin tragique, régna sur son maître.
Pendant que Cyrus mourait, les Grecs victorieux continuaient leur marche en
avant. Lorsqu’ils apprirent que l’ennemi pillait leurs bagages, ils revinrent sur
leurs pas. D’abord les Perses allèrent hardiment à leur rencontre ; mais en les
voyant se mettre en ligne, entonner le pæan et charger avec fureur, ils
s’enfuirent plus vite encore que la première fois. Au coucher du soleil, les Grecs
revinrent à leurs tentes, surpris de n’avoir pas de nouvelles de Cyrus et
n’imaginant pas qu’il eût péri. Ils ne le surent que le lendemain matin, et
apprirent en même temps qu’Ariée, avec les auxiliaires barbares, avaient fui à
une journée de marche en arrière ; de sorte que cette petite troupe de Grecs, qui
avait à peine perdu un ou deux soldats, demeurait maîtresse du champ de
bataille entre deux armées, l’une alliée, l’autre ennemie, fuyant en sens
contraires ! Alors commença cette retraite fameuse, à travers des pays pour la
plupart inconnus des Perses eux-mêmes et malgré les déserts, les montagnes,
les fleuves, les neiges, la disette et les peuplades sauvages. Elle fut appelée la
retraite des Dix Mille, parce que tel était à peu près le nombre des soldats.
D’abord les Grecs se rapprochèrent d’Ariée, et les deux armées se jurèrent une
alliance inviolable. Le roi les fit sommer de déposer leurs armes ; comme ils
répondirent fièrement que ce n’était pas aux vainqueurs à désarmer, il changea