
La chute 
Mais le scénario est invariablement le 
même... Les hommes n'ont pas su jouir cor-
rectement de ces bienfaits et ce thème de 
l'âge d'or décrit par nombre de poètes 
depuis Hésiode se termine toujours par la 
faute des hommes. 
Ovide fait succéder l'âge d'argent à 
l'âge d'or. Dans ce temps sont apparues les 
quatre saisons, obligeant les hommes à 
souffrir des chaleurs torrides et du froid gla-
cial, et à entrer pour la première fois dans 
des maisons. 
Puis vint l'âge du bronze pire encore 
durant lequel commencèrent les combats. 
Enfin l'âge du fer quand l'homme «ne se 
contenta plus de demander à la terre fécon-
de les moissons et les aliments qu'elle lui 
devait, mais il pénétra jusque dans ses 
entrailles ; On vit de rapines ; l'hôte ne se fie 
plus à l'hôte, ni le beau-père au gendre, 
même entre frères, la concorde devient rare ; 
l'époux médite la perte de l'épouse; l'épou-
se, celle de l'époux;... La piété est vaincue, 
foulée aux pieds ; loin de cette terre trempée 
de sang se retire, la dernière, après tous les 
immortels, la vierge Astrée».(1) 
Alors les dieux se fâchent, annulent cet 
âge d'or et provoquent généralement par le 
déluge un anéantissement général, épar-
gnant en fin de compte un homme ou un 
couple qui sera à l'origine de la seconde 
naissance des hommes. 
Une très belle illustration de la fin de 
cette première époque et du début de la 
seconde nous est livrée par le mythe de 
Pyrrha et Deucalion. 
Le déluge a recouvert la terre de mer. 
Une seule montagne a été épargnée et garde 
sa cime élevée jusqu'au ciel, il s'agit du 
Parnasse. 
C'est au pied du Mont Parnasse que va 
accoster le seul couple survivant de cette 
catastrophe. Survivant car vertueux et sou-
cieux de justice. Il s'agit de Deucalion et de 
sa compagne Pyrrha. 
Mais voyant le vide et le silence qui 
régnent autour d'eux, Deucalion et Pyrrha 
fondent en larmes. Ils cherchent alors à 
implorer la divinité se tournant dans la direc-
tion du sanctuaire de la déesse Thémis. 
La déesse est touchée par leur prière 
dans laquelle ils demandent comment ils 
pourront réparer la perte de leur race, et rend 
l'oracle suivant : «Eloignez vous du temple, 
voilez vous la tête, détachez la ceinture de 
vos vêtement et jetez derrière votre dos les 
os de votre grand mère». 
Deucalion trouve le premier le sens de 
l'oracle, comprenant que la terre symbolise 
la grand mère, les pierres symbolisent les os 
de la terre. Le couple décide de suivre cette 
interprétation : «Ils s'éloignent, se voilent la 
tête, dénouent leur tunique et comme ils en 
ont reçu l'ordre lancent des pierres derrière 
leurs pas. Ces pierres perdent leur dureté et 
leur apparence rigide, elles s'amollissent 
peu à peu et en s'amollissant, prennent une 
nouvelle forme. Puis elles s'allongent, leur 
nature s'adoucit et on peut reconnaître 
jusqu'à un certain point, quoique vague 
encore la figure humaine telle qu'elle com-
mence à sortir du marbre, à peine ébauchée 
et toute pareille aux statues imparfaites. La 
partie de ces pierres où quelques sucs 
liquides se mêlent à la terre devient de la 
chair, ce qui est solide et ne peut fléchir se 
change en os, ce qui était veine de la pierre 
subsiste sous le même nom. Dans un bref 
espace de temps comme l'avaient voulu les 
dieux, les pierres lancées par les mains mas-
culines devinrent des hommes, et le sexe 
féminin dut une nouvelle vie à celles qu'une 
femme avait jetées. Voilà pourquoi nous 
sommes une race dure, à l'épreuve de la 
fatigue». 
Ce thème rapporté ainsi par Ovide se 
retrouve sous des formes différentes de 
façon plus générale dans tout le monde 
indo-européen. Que ce soit la forme du 
poème d'Athranasis, le plus complet des 
poèmes sumériens qui raconte comment les 
hommes à un moment se rendent insuppor-
tables aux dieux. Surgit alors un héros, le 
plus sage, qui sauvera l'humanité en parti-
culier du déluge. Ou encore sous la forme 
de la légende d'Ymir dans la mythologie 
Scandinave. Là il est question de l'âge d'or 
durant lequel le divertissement par excel-
lence est le jeu de hasard. Mais ce temps ne 
peut durer, intervient alors un événement 
dramatique, en relation directe avec un par-
jure. Toute une série de récits différents 
annoncent ce moment de rupture, suivi d'un 
cataclysme, disparition de la terre sous la 
mer, ou encore embrasement universel: 
l'apocalypse. 
Jean Haudry a ramené à quatre les catas-
trophes du monde : 
- un hiver auquel, seuls, un héros et les 
siens survit, 
- l'obscurité qui se manifeste par la dispa-
rition des astres (soleil, lune, étoiles), 
- l'inondation ou déluge, 
- l'incendie universel. 
Passé ce cataclysme, un ordre nouveau 
est rétabli; mais ce n'est plus le même. 
L'action répressive des dieux va obliger les 
hommes à travailler, à peiner. 
Ce temps de Zeus, celui que nous vivons 
est le pendant du temps de Cronos premier 
temps idyllique dont nous parle Platon. 
Le monde sort d'un paradis perdu, il ne 
le retrouvera plus pour certains mythes, 
pour d'autres un jour viendra où les hom-
mes connaîtront à nouveau un âge d'or. 
Deux doctrines sont à la base de ces 
cycles cosmiques. Il existe une orientation 
traditionnelle dans les cultures primitives 
pour laquelle le temps cyclique se régénère 
périodiquement à l'infini et une orientation 
moderne pour laquelle le temps fini est frag-
ment entre deux infinis atemporels. Dans le 
premier cas l'âge d'or est répétable une infi-
nité de fois, dans le second cas il n'y a eu 
qu'un âge d'or. 
Chez les Iraniens, les Juifs ou les chré-
tiens l'histoire n'est pas répétable, elle est 
limitée. Dans cette conception linéaire du 
temps, il y a une fin unique suivie d'une 
Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, 1994 
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