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little attention has gone to the specific contribution of written records to imperial control”10. Or, Cl.
Lévi-Strauss rappelait à propos de l’écriture que “le seul phénomène qui l’ait [l’écriture] fidèlement
accompagnée est la formation des cités et des empires, c’est-à-dire l’intégration dans un système
politique d’un nombre considérable d’individus et leur hiérarchisation en castes et en classes”11. Sans
elle, les empires ne sauraient s’affermir et ne pourraient durer. De même, les recherches de J. Goody
l’ont amené à affirmer que “la communication orale impose des limites à l’organisation de
l’administration politique”12. Au contraire, l’écriture, lorsqu’elle est utilisée par les États, modifie la
conduite des affaires13. Elle offre la possibilité des recensements, des levées de taxes, etc.
Enfin, ces analyses nous amèneront à reprendre la question du décret de Mégare pour chercher à
comprendre le sens et la portée de la décision prise par les Athéniens, à la lumière des développements
sur la fiscalité impériale et sur l’importance de l’écrit dans l’administration de l’empire, afin d’estimer la
place de cette décision dans le déclenchement de la guerre du Péloponnèse.
1. Fiscalité, empire athénien et autonomia des alliés
Les différentes fiscalités perçues sur les membres de la Ligue de Délos constituent une source très
importante de revenus, comme plusieurs sources l’attestent. Dans le discours de Périclès qu’il nous
donne à lire, Thucydide mentionne une somme de 600 talents pour le tribut, sans compter les autres
revenus14. Xénophon parle d’une somme globale jamais inférieure à 1000 talents, sans donner plus de
détails15.
D’autres auteurs fournissent en revanche des précisions sur la nature de ces revenus. Aristote
rapporte qu’Aristide conseilla aux Athéniens de s’installer en ville car l’hégémonie leur donnerait les
moyens de vivre, “car les tributs, les taxes et les alliés permettaient de nourrir plus de vingt mille
hommes”16. Quelle est la nature de ces taxes? P. J. Rhodes pense qu’il s’agit des taxes payées par les
Athéniens et par les étrangers en Attique, qu’ils soient citoyens d’une cité alliée ou non17. Cl. Mossé
propose une interprétation différente: Aristote “prend en compte, parmi les revenus de la cité, le tribut
versé par les alliés, les taxes qui pesaient sur les échanges dont le Pirée était le centre, les amendes
infligées par les tribunaux athéniens”18.
Pour déterminer la nature des taxes dans le texte aristotélicien, il faut se tourner vers un autre auteur,
Aristophane, qui nous fournit d’importantes précisions sur la question des revenus de l’empire et sur
celle de leur composition: “Et d’abord calcule simplement, non avec des cailloux, mais sur tes doigts, le
tribut qui nous revient au total des cités alliées; puis compte, en outre et à part les taxes (t°lh) et les
nombreux centièmes, les consignations, mines, marchés, ports, rentes, confiscations. En tout, cela nous
fait environ deux mille talents.”19 L’orateur, Bdélycléon, additionne ici l’ensemble des revenus de la
cité mais il est à remarquer que selon lui les revenus hors tribut de la cité athénienne s’élèvent autour de
10 Thomas 1994, 43. De manière générale, cependant, R. Thomas minimise l’importance de l’écriture dans la Grèce
classique: voir par exemple Thomas 1992.
11 Lévi-Strauss 1955, 343. Un peu plus loin, il note que l’écriture facilite l’asservissement.
12 Goody 1986, 97.
13 Sur ces points, voir Goody 1986, 97–131. Sur la question des relations entre l’écrit et le pouvoir dans l’Antiquité,
voir plus généralement Bowman et Woolf 1994, notamment 1–16.
14 Thc 2.13.3.
15 Xén. An. 7.1.27
16 Arist. Ath. 24.3: Sun°bainen går épÚ t«n fÒrvn ka‹ t«n tel«n ka‹ t«n summãxvn ple¤ouw µ dismur¤ouw êndraw
tr°fesyai (traduction CUF).
17 Rhodes 1993, 300–302. Dans son commentaire, il indique des problèmes liés à l’établissement du texte de ce
passage. Pour notre part, nous utilisons la version traditionnelle. Sur le chiffre de vingt mille, il se montre prudent.
18 Voir l’édition Les Belles Lettres 1996 du texte d’Aristote (Ath.), coll. Classiques en poche.
19 Ar. Vesp. 655–660 (traduction CUF).