santé animale antiBiotiques en santé du pis et antiBiorésistance des Bactéries Y a-t-il un lien? au canada, malgré tout ce que l’on peut penser, par vineet saini, candidat au doctorat et herman Barkema, professeur, department of production animal health, Faculté de médecine vétérinaire, université de calgary; stina niLsson, candidate à la maîtrise et patrick BoerLin, professeur, department of pathobiology, ontario veterinary college, université de Guelph; J. trenton MccLure, professeur, department of health Management, université de l’île-du-princeédouard et héLène poirier, agente de transfert, rcrMB l’antibiorésistance des bactéries liée à l’usage d’antibiotiques pour traiter la mammite est faible. Partout dans le monde, la mammite bovine demeure la principale maladie pour laquelle on fait usage d’antibiotiques dans les fermes. De nombreux agents pathogènes, tels que Staphylococcus aureus, Streptococcus uberis, Streptococcus dysgalactiae, Escherichia coli et Klebsiella sont retrouvés dans les échantillons de lait prélevés lors des cas de mammite. L’usage d’antibiotiques (antibiothérapie) est l’approche la plus favorisée pour la prévention et le traitement des infections du pis chez les vaches laitières. Toutefois, malgré le traitement prolongé à l’aide d’antimicrobiens, les résultats sont parfois décevants, par exemple, dans les cas de mammite chronique causés par S. aureus. De plus, on note des préoccupations croissantes concernant le rôle potentiellement joué par les antibiotiques, utilisés en alimentation animale, dans le transfert de bactéries antibiorésistantes et/ou de déterminants génétiques de résistance aux pathogènes humains, par le biais de la chaîne alimentaire; d’où l’hypothèse qu’il pourrait y avoir une association entre l’usage d’antibiotiques et la résistance de pathogènes au sein des produits alimentaires d’origine animale. octobre 2011 Le producteur de Lait québécois 17 santé animale L’usaGe responsaBLe d’antiBiotiques est un Facteur cLé pour La santé puBLique Dans le cadre du premier volet de l’étude, l’usage des médicaments a été déterminé grâce à des rapports écrits complétés par des producteurs sélectionnés. Les informations issues des rapports ont été validées en faisant l’inventaire des contenants vides d’antibiotiques recueillis dans des réceptacles fournis à 89 fermes laitières (voir graphique), réparties dans six provinces et associées à la Cohorte nationale des fermes laitières du RCRMB. Les résultats de cette collecte ont démontré que les six classes d’antibiotiques qui étaient les plus utilisées dans ces fermes étaient, respectivement : les céphalosporines, les pénicillines, les combinaisons pénicilline-bêta-lactamase, les tétracyclines, les combinaisons triméthoprime-sulfamides et les lincosamides. En conclusion, les antibiotiques de type bêta-lactame (céphalosporines et pénicillines) sont les plus fréquemment administrés dans les fermes canadiennes. Aussi, parmi les antimicrobiens qu’on y retrouve et qui sont de haute importance en médecine humaine, on a pu constater que les 18 octobre 2011 Le producteur de Lait québécois Graphique : top 6 des MédicaMents Les pLus utiLisés au canada Lincosamides 0,84 Triméthoprime-sulfamides 0,87 Nombre de doses/ 1 000 vaches/jour Cependant, cette hypothèse restait encore à prouver dans l’environnement d’une ferme laitière, car, malheureusement, il y avait peu d’information sur ce sujet au sein de l’industrie laitière au Canada. Il était donc nécessaire d’obtenir des données, pour démontrer qu’il y avait une association entre l’usage des antibiotiques et la résistance des bactéries, causant la mammite, les plus répandues. Le Réseau canadien de recherche sur la mammite bovine s’est penché sur cette question, en produisant une étude qui comportait trois volets : 1. Déterminer l’usage des antibiotiques au sein des troupeaux laitiers canadiens. 2. Déterminer les modèles d’antibiorésistance des bactéries responsables de la mammite. 3. Décrire les effets des traitements de la mammite clinique, incluant ceux pour les vaches taries, sur l’antibiorésistance des bactéries responsables de la mammite bovine. 1,83 Tétracyclines 2,2 Combinaisons de pénicilline 2,56 Pénicillines 3,05 Céphalosporines 0 1 2 3 Étude effectuée dans 89 fermes de la Cohorte nationale des fermes laitières du RCRMB. fluoroquinolones étaient rares, ce qui limite le potentiel de développement de résistance. Par contre, les céphalosporines de troisième génération et les combinaisons de pénicilline contenant de la colistine étaient, quant à elles, utilisées largement dans les fermes canadiennes. Conséquence : advenant le cas où les bactéries pathogènes dans les fermes étaient soumises assez fréquemment à ces médicaments pour y développer une résistance, et qu’elles se retrouvaient ensuite dans les produits consommés par les humains et les rendaient malades, il pourrait être plus difficile de trouver un traitement efficace. Les proFiLs de résistance des Bactéries responsaBLes de La MaMMite sont Mieux connus Justement, les volets deux et trois du projet apportent une réponse à cet enjeu d’importance : quelle est la fréquence à laquelle on retrouve des bactéries antibiorésistantes parmi celles qui sont responsables de la mammite et quelle est l’étendue de leur résistance aux antibiotiques disponibles? Pour savoir si les bactéries qui causent la mammite sont actuellement résistantes aux antibiotiques utilisés dans les fermes, les chercheurs ont effectué un profil d’antibiorésistance. Celui-ci révèle si une bactérie est sensible ou si elle possède des gènes qui lui permettent de résister à ces différents antibiotiques. Ils ont aussi déterminé la concentration minimale requise du médicament pour inhiber leur croissance. Pour ce faire, des milliers d’échantillons de lait prélevés dans les fermes de la Cohorte ont permis de recueillir et de sélectionner 562 isolats de Staphylococcus aureus, 394 isolats d’Escherichia coli et 139 isolats de Klebsiella qui ont été testés. Les résultats démontrent que le degré d’antibiorésistance est actuellement faible et peu étendu chez les principaux agents pathogènes responsables de la mammite dans les isolats canadiens. Aussi, une découverte encourageante a émergé de cette recherche : la résistance aux antibiotiques de haute importance en médecine humaine (céphalosporines de troisième génération, combinaisons pénicilline-bêta-lactamase et fluoroquinolones) est rare ou absente. Ces résultats suggèrent donc que le risque est faible que des bactéries antibiorésistantes soient transmises par le lait, à la population humaine. Les outiLs MoLécuLaires pour Mieux coMprendre Les Bactéries de La MaMMite Deux autres études complémentaires ont été menées sur E. coli, Klebsiella spp. et S. aureus dans la foulée de ce projet de recherche. Le but était de déterminer et de caractériser les gènes qui rendent une bactérie résistante aux antimicrobiens. Premièrement, des isolats d’E. coli résistants à l’ampicilline et de Klebsiella résistants à de multiples antibiotiques ont été sélectionnés parmi les échantillons prélevés au sein de la Cohorte. Ils ont été soumis, en laboratoire, à une méthode moléculaire pour étudier leur ADN. La première étape réalisée par les chercheurs leur a permis d’identifier des enzymes bêta-lactamase, produites par E. coli et qui lui confèrent sa résistance aux antibiotiques bêta-lactame. La deuxième étape visait à caractériser plus en détail les gènes qui permettent de produire les bêta-lactamases. Leur diversité s’est avérée plus large que prévu. Il a aussi été possible de démontrer que la plupart des déterminants de résistance, mais pas tous, étaient associés à des éléments génétiques mobiles et transférables d’une bactérie à l’autre. De plus, on a pu identifier deux gènes inattendus de résistance aux antibiotiques bêta-lactame rendant cette information très pertinente pour la santé publique dans le contexte de la mammite. Certains gènes de résistance à d’autres classes d’antibiotiques ont aussi été étudiés dans le but de mieux comprendre les bactéries impliquées dans les infections du pis qui sont résistantes à de multiples antibiotiques (multirésistantes). Par la suite, l’équipe de chercheurs s’est penchée sur la diversité d’un autre gène bêta-lactamase, qui confère la résistance aux antibiotiques bêtalactame, produit par S. aureus résistant à la pénicilline et isolé à partir d’échantillons de la Cohorte du RCRMB. Si on la compare à une souche de S. aureus sensible à la pénicilline, il apparaît que S. aureus résistant à la pénicilline possède certains facteurs spécifiques de virulence – donc qui lui donnent la capacité de provoquer une maladie – qui sont associés à sa résistance. Les BénéFices potentieLs pour L’éconoMie, La société et L’industrie En conclusion, plusieurs constatations relativement à l’industrie laitière et à la santé publique, liées aux résultats obtenus, peuvent être tirées : • un usage responsable des antibiotiques de haute importance en médecine humaine est fait dans les fermes laitières au Canada; • l’antibiorésistance est conférée par une grande diversité de facteurs génétiques transmissibles chez les bactéries étudiées; • pour le moment, l’antibiorésistance des bactéries responsables de la mammite est relativement faible et peu étendue; • le risque actuel de transmission de bactéries résistantes par le lait, à la population du Canada, est faible. n octobre 2011 Le producteur de Lait québécois 19