octobre 2011 Le producteur de Lait québécois 17
santé animale
ANTIBIOTIQUES EN SANTÉ DU PIS ET
ANTIBIORÉSISTANCE DES BACTÉRIES
Y a-t-il un lien?
Au Canada, malgré tout ce que l’on peut penser,
l’antibiorésistance des bactéries liée à l’usage
d’antibiotiques pour traiter la mammite est faible.
Partout dans le monde, la mammite
bovine demeure la principale maladie
pour laquelle on fait usage d’anti-
biotiques dans les fermes. De nom-
breux agents pathogènes, tels que
Staphylococcus aureus, Streptococcus
uberis, Streptococcus dysgalactiae,
Escherichia coli et Klebsiella sont
retrouvés dans les échantillons de
lait prélevés lors des cas de mam-
mite. L’usage d’antibiotiques (anti-
biothérapie) est l’approche la plus
favorisée pour la prévention et le
traitement des infections du pis chez
les vaches laitières. Toutefois, malgré
le traitement prolongé à l’aide d’anti-
microbiens, les résultats sont parfois
décevants, par exemple, dans les cas
de mammite chronique causés par
S. aureus. De plus, on note des pré-
occupations croissantes concernant
le rôle potentiellement joué par les
antibiotiques, utilisés en alimentation
animale, dans le transfert de bactéries
antibiorésistantes et/ou de détermi-
nants génétiques de résistance aux
pathogènes humains, par le biais de la
chaîne alimentaire; d’où l’hypothèse
qu’il pourrait y avoir une association
entre l’usage d’antibiotiques et la
résistance de pathogènes au sein
des produits alimentaires d’origine
animale.
Par VINEET SAINI, candidat au doctorat et
Herman Barkema, professeur, Department
of Production Animal Health, Faculté
de médecine vétérinaire, Université de
Calgary; STINA NILSSON, candidate
à la maîtrise et PATRICK BOERLIN,
professeur, Department of Pathobiology,
Ontario Veterinary College, Université de
Guelph; J. TRENTON McCLURE,
professeur, Department of Health
Management, Université de l’Île-du-Prince-
Édouard et HÉLÈNE POIRIER, agente de
transfert, RCRMB
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santé animale
Cependant, cette hypothèse restait
encore à prouver dans l’environnement
d’une ferme laitière, car, malheureuse-
ment, il y avait peu d’information sur
ce sujet au sein de l’industrie laitière
au Canada. Il était donc nécessaire
d’obtenir des données, pour démon-
trer qu’il y avait une association entre
l’usage des antibiotiques et la résis-
tance des bactéries, causant la mam-
mite, les plus répandues.
Le Réseau canadien de recherche
sur la mammite bovine s’est penché
sur cette question, en produisant une
étude qui comportait trois volets :
1. Déterminer l’usage des antibioti-
ques au sein des troupeaux laitiers
canadiens.
2. Déterminer les modèles d’antibioré-
sistance des bactéries responsables
de la mammite.
3. Décrire les effets des traitements de
la mammite clinique, incluant ceux
pour les vaches taries, sur l’antibio-
résistance des bactéries responsa-
bles de la mammite bovine.
L’USAGE RESPONSABLE
D’ANTIBIOTIQUES EST
UN FACTEUR CLÉ POUR
LA SANTÉ PUBLIQUE
Dans le cadre du premier volet de
l’étude, l’usage des médicaments a
été déterminé grâce à des rapports
écrits complétés par des produc-
teurs sélectionnés. Les informations
issues des rapports ont été validées
en faisant l’inventaire des contenants
vides d’antibiotiques recueillis dans
des réceptacles fournis à 89 fermes
laitières (voir graphique), réparties
dans six provinces et associées à la
Cohorte nationale des fermes laitières
du RCRMB. Les résultats de cette col-
lecte ont démontré que les six classes
d’antibiotiques qui étaient les plus
utilisées dans ces fermes étaient, res-
pectivement : les céphalosporines, les
pénicillines, les combinaisons pénicil-
line-bêta-lactamase, les tétracyclines,
les combinaisons triméthoprime-sulfa-
mides et les lincosamides.
En conclusion, les antibiotiques
de type bêta-lactame (céphalospo-
rines et pénicillines) sont les plus
fréquemment administrés dans les
fermes canadiennes. Aussi, parmi les
antimicrobiens qu’on y retrouve et qui
sont de haute importance en médecine
humaine, on a pu constater que les
fluoroquinolones étaient rares, ce qui
limite le potentiel de développement
de résistance. Par contre, les céphalos-
porines de troisième génération et les
combinaisons de pénicilline contenant
de la colistine étaient, quant à elles,
utilisées largement dans les fermes
canadiennes. Conséquence : advenant
le cas les bactéries pathogènes dans
les fermes étaient soumises assez fré-
quemment à ces médicaments pour y
développer une résistance, et qu’elles
se retrouvaient ensuite dans les pro-
duits consommés par les humains et
les rendaient malades, il pourrait être
plus difficile de trouver un traitement
efficace.
LES PROFILS DE
RÉSISTANCE DES BACTÉRIES
RESPONSABLES DE
LA MAMMITE SONT
MIEUX CONNUS
Justement, les volets deux et trois
du projet apportent une réponse à cet
enjeu d’importance : quelle est la fré-
quence à laquelle on retrouve des bac-
téries antibiorésistantes parmi celles
qui sont responsables de la mammite
et quelle est l’étendue de leur résis-
tance aux antibiotiques disponibles?
Pour savoir si les bactéries qui cau-
sent la mammite sont actuellement
résistantes aux antibiotiques utilisés
dans les fermes, les chercheurs ont
effectué un profil d’antibiorésistance.
Celui-ci révèle si une bactérie est
sensible ou si elle possède des gènes
qui lui permettent de résister à ces
différents antibiotiques. Ils ont aussi
déterminé la concentration minimale
requise du médicament pour inhiber
leur croissance. Pour ce faire, des
milliers d’échantillons de lait prélevés
dans les fermes de la Cohorte ont
permis de recueillir et de sélectionner
562 isolats de Staphylococcus aureus,
394 isolats d’Escherichia coli et 139 iso-
lats de Klebsiella qui ont été testés.
Les résultats démontrent que le
degré d’antibiorésistance est actuel-
lement faible et peu étendu chez les
principaux agents pathogènes res-
ponsables de la mammite dans les
isolats canadiens. Aussi, une décou-
verte encourageante a émergé de
cette recherche : la résistance aux
antibiotiques de haute importance en
médecine humaine (céphalosporines
de troisième génération, combinaisons
pénicilline-bêta-lactamase et fluoro-
quinolones) est rare ou absente. Ces
résultats suggèrent donc que le risque
est faible que des bactéries antibioré-
sistantes soient transmises par le lait,
à la population humaine.
LES OUTILS MOLÉCULAIRES
POUR MIEUX COMPRENDRE
LES BACTÉRIES DE LA
MAMMITE
Deux autres études complémen-
taires ont été menées sur E. coli,
Klebsiella spp. et S. aureus dans la
foulée de ce projet de recherche. Le but
était de déterminer et de caractériser
0123
Céphalosporines
Pénicillines
Combinaisons de pénicilline
Tétracyclines
Triméthoprime-sulfamides
Lincosamides
Nombre de doses/
1 000 vaches/jour
0,84
0,87
1,83
2,2
2,56
3,05
GRAPHIQUE : TOP 6 DES MÉDICAMENTS LES PLUS UTILISÉS AU CANADA
Étude effectuée dans 89 fermes de la Cohorte nationale des fermes laitières du RCRMB.
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les gènes qui rendent une bactérie
résistante aux antimicrobiens.
Premièrement, des isolats d’E. coli
résistants à l’ampicilline et de
Klebsiella résistants à de multiples
antibiotiques ont été sélectionnés
parmi les échantillons prélevés au
sein de la Cohorte. Ils ont été soumis,
en laboratoire, à une méthode molé-
culaire pour étudier leur ADN. La
première étape réalisée par les cher-
cheurs leur a permis d’identifier des
enzymes bêta-lactamase, produites
par E. coli et qui lui confèrent sa résis-
tance aux antibiotiques bêta-lactame.
La deuxième étape visait à carac-
tériser plus en détail les gènes qui
permettent de produire les bêta-lac-
tamases. Leur diversité s’est avérée
plus large que prévu. Il a aussi été
possible de démontrer que la plu-
part des déterminants de résistance,
mais pas tous, étaient associés à
des éléments génétiques mobiles et
transférables d’une bactérie à l’autre.
De plus, on a pu identifier deux
gènes inattendus de résistance aux
antibiotiques bêta-lactame rendant
cette information très pertinente pour
la santé publique dans le contexte de la
mammite. Certains gènes de résistance
à d’autres classes d’antibiotiques ont
aussi été étudiés dans le but de mieux
comprendre les bactéries impliquées
dans les infections du pis qui sont
résistantes à de multiples antibiotiques
(multirésistantes).
Par la suite, l’équipe de chercheurs
s’est penchée sur la diversité d’un
autre gène bêta-lactamase, qui confère
la résistance aux antibiotiques bêta-
lactame, produit par S. aureus résistant
à la pénicilline et isolé à partir d’échan-
tillons de la Cohorte du RCRMB. Si on
la compare à une souche de S. aureus
sensible à la pénicilline, il apparaît
que S. aureus résistant à la pénicilline
possède certains facteurs spécifiques
de virulence donc qui lui donnent la
capacité de provoquer une maladie
qui sont associés à sa résistance.
LES BÉNÉFICES
POTENTIELS POUR
L’ÉCONOMIE, LA SOCIÉTÉ
ET L’INDUSTRIE
En conclusion, plusieurs constata-
tions relativement à l’industrie laitière
et à la santé publique, liées aux résul-
tats obtenus, peuvent être tirées :
un usage responsable des anti-
biotiques de haute importance en
médecine humaine est fait dans les
fermes laitières au Canada;
l’antibiorésistance est conférée par
une grande diversité de facteurs
génétiques transmissibles chez les
bactéries étudiées;
pour le moment, l’antibiorésistance
des bactéries responsables de la
mammite est relativement faible et
peu étendue;
le risque actuel de transmission de
bactéries résistantes par le lait, à la
population du Canada, est faible. n
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