Traitement des infections à bactéries intra-cellulaires: Bartonella, Coxiella, Rickettsia Charlotte DENTAN Service de Maladies Infectieuses et Tropicales CHUGA DU de Thérapeutiques Anti-Infectieuses de Grenoble 25/01/2017 Plan • Généralité, physiopathologie et principes de traitement • Au plus près de la pratique: quelques pathologies – Coxiella burnetii = Fièvre Q – Bartonella – Rickettsies Classification des bactéries • Bactéries aérobies – CGP: staph, strepto, entérocoques – BGN: entérobactéries et autres BGN (dont brucella, pasteurella, legionella, bordetella) – CGN: méningocoque, gonocoque, moraxella – BGP: listeria, corynebacterium, bacillus • Bactéries anaérobies – Gram + : clostridium, propionibacterium, actinomyces – Gram – : bacteroides, fusobacterium, prevotella • Autres bactéries Autres bactéries « Atypiques » - Intracellulaires - Chlamydia - Rickettsiales: Rickettsia, Bartonella, Coxiella, Anaplasma - Sans paroi - Mycoplasmes - Ureaplasma Spirochètes - Treponema - Borrelia - Leptospira Mycobactéries - M. tuberculosis - M. avium - M. leprae -- … Autres - Nocardia - Francisella - Tropheryma Bactéries intracellulaires • Intracellulaires strictes – – – – – Chlamydia Rickettsia Coxiella Tropheryma + anaplasma, ehrlichia.. • Intracellulaires facultatives – – – – – Bartonella Brucella Legionella Francisella Helicobacter Pylori Bactéries intracellulaires • Développement dans les cellules – Plusieurs cellules cibles possibles (PNN, macrophages, cellules épithéliales, …) • Possible spécificité bactérie/pathogénicité en fonction cellule cible – Survie dans la cellule grâce à plusieurs mécanismes • Intérêt ++ du pH • Multiplication possible dans vacuoles/cytosol – Pas de multiplication dans le milieu extérieur • Echappement au système immunitaire: infections chroniques • Pas de mise en culture possible, pas d’ATBgramme – Diagnostic indirect: sérologies, antigénémies – Intérêt de la PCR Cibles intracellulaires Rappel: Phagocytose • Ingestion de particules étrangères par certaines cellules (forme d’endocytose) • PNN et macrophages++ • Adhésion et entrée de la bactérie • Formation d’un phagosome = vacuole intracellulaire contenant la bactérie • Puis fusion du phagosome avec le lysosome = phagolysosome – Digestion de la bactérie grâce aux enzymes du lysosome D’après P. Brouqui, CNRS Marseille Mécanismes de survie des bactéries intracellulaires • Mais certains organismes sont capables d’échapper à la phagocytose: survie dans la cellule → Les intracellulaires! • Plusieurs mécanismes – Empêchement de la fusion des lysosomes, et survie dans phagosome – Survie dans le phagolysosome (adaptation à pH acide) – Sortie du phagosome et survie dans le cytosol D’après P. Brouqui, CNRS Marseille : Intracellulaires obligatoires D’après P. Brouqui, CNRS Marseille Principes de traitement • Facteurs influençant l’activité de l’ATB – Pénétration intracellulaire – Localisation sub-cellulaire de l’ATB/bactérie – Sensibilité de la bactérie à l’ATB – Influence du milieu intracellulaire sur le couple bactérie/ATB • PH, enzymes, fixation protéique… Pénétration intracellulaire des ATB • Etude dans les macrophages et PNN – Dosage de l’ATB intracelullaire par autoradiographie, fluorescence, après lyse cellulaire • Bonne pénétration (C/E>4) – Macrolides: Azithro, Roxithro, Erythro – Clindamycine – Quinolones • Pénétration correcte (C/E 1-4) – Rifampicine, Doxycycline, Chloramphénicol, Bactrim – Aminosides • Pas de pénétration (C/E<1) – Betalactamines et glycopeptides D’après P. Brouqui, CNRS Marseille Cibles des ATB dans le compartiment intracellulaire • Cibles des ATB dans le compartiment intracellulaire – Cytosol: cyclines, quinolones, rifampicine – Vacuoles: aminosides, macrolides, cyclines, quinolones, rifampicine, clindamycine • Rôle du pH: optimum d’activité macrolides D’après P. Brouqui, CNRS Marseille Optimum d’activité en fonction pH Plan • Généralité, physiopathologie et principes de traitement • Au plus près de la pratique: quelques pathologies – Coxiella burnetii = Fièvre Q – Bartonella – Rickettsies Coxiella burnetii = Fièvre Q Coxiella burnetii Fièvre Q • Zoonose cosmopolite: ovins, bovins, caprins • Coxiella burnetti – Cocobacille gram neg – Bactérie intracellulaire obligatoire (phagolysosome des monocytes et macrophages) • Contamination – Aérosols de déjections/sécrétions d’animaux (paille, fumier, laine…) +++ – Parfois ingestion de lait ou piqûre de tique • Petites épidémies, printemps/été (mise bas, placenta ++) • Maladie professionnelle!! Coxiella burnetii Fièvre Q • Clinique – 60% asymtomatiques – 40% symptomatiques • 5% formes sévères nécessitant hospitalisation • 1-5% formes chroniques • Mort in utero chez la femme enceinte • Forme aigue ≠ forme chronique – Aigue: Ac phase II, granulome ++ – Chronique: Ac phase I, coxiella dans les tissus Fièvre Q aigüe • Incubation 3 semaines • Clinique – Hépatite fébrile: hépatite granulomateuse 40% • • • • Plutôt suite à ingestion de lait Le + fréquent en France (40%) Augmentation modérée des transas et GGT Parfois hépatosplénomégalie, troubles digestifs – Pneumopathie fébrile 17% • Plutôt suite à inhalation • Peut être associée à hépatite • Plus souvent interstitielle (uni ou bilatérale), mais parfois PFLA – Fièvre nue, syndrome pseudo-grippal 17% – Rares péricardites/myocardites, encéphalites/méningites • Bio: thrombopénie modérée 25%, leuconeutropénie, atteinte foie Fièvre Q chronique • Parfois des années après mais 75% dans les 6 mois • FdR de fièvre Q chronique – Valvulopathies et prothèses cardiaques – Anévrysmes et prothèses vasculaires – Immunodépression, grossesse • Association de critères cliniques, biologiques et d’imagerie Fièvre Q chronique • Endocardite à hémocs neg classique – 90% sur valvulopathie préexistante – EI subaigüe: fièvre prolongée, hépatosplénomégalie, purpura, hippocratisme digital – ETT rarement positive (20%) • Infections endovasculaires – Anévrysmes, prothèses – Mortalité ++ – Dc différentiel: • Staph doré ++, salmonelles ++, Strepto, BGN, Anaérobies, Champignons • Syphilis classique, BK, Bartonelle et Lyme rarement • Avortements à répétition chez la femme enceinte • Hépatite chronique, péricardite chronique… • Clinique: – Infections vasculaires 57% – EI 35% seulement – Ostéites, hépatites • 27% d’ATCD de fièvre Q aigüe • 19% mortalité toutes causes – ++ si infection endovasculaire Kampschreur L, J Clin Microbiol 2014 • ETT systématique en cas de fièvre Q aigüe? – – – – Oui si > 50 ans Ou > 40 ans et IgG phase II> 800 Ou FdR de fièvre Q chronique Ou auscultation cardiaque anormale • Penser à TDM/PET si FdR • Ac anticardiolipines si valvulopathie HCSP 2013 Diagnostic • Sérologie ++ (IFI) – Forme aigüe: • IgG de phase II >200, IgM de phase II > 50, IgA • Peuvent persister des mois à années – Forme chronique: • IgG de phase I > 800 • IgM, IgA • PCR sang – Peu sensible mais assez spécifique – + 15 premiers jours si aigüe, variable si chronique Sujet à débat entre France et Pays bas Traitement • Forme aigüe – Doxycycline 200mg/j 15-21j – Seulement si patient encore symptomatique! – Traitement prophylactique à discuter si valvulopathie… • Doxy-plaquenil 12 mois! – Sérologies M3-M6-M12 • ETO, TDM, IRM rachis, PET si sérologie reste positive Traitement • Forme chronique – – – – – Doxy 200mg/j + hydroxychloroquine, 18 mois voire plus Surveillance ophtalmo au départ et à 5 ans Dosages hydroxychloroquine (≈1)et doxy (> 5) mensuels Surveillance sérologique à vie!! Chirurgie? • Pas de données claires… • Mais probable intérêt quand même à enlever la prothèse… Rôle du plaquenil D’après M. Maurin : Intracellulaires obligatoires D’après P. Brouqui, CNRS Marseille Optimum d’activité en fonction pH Rôle du plaquenil Coxiella Burnetii: synergie ATB-agents alcalinisants lysosomotropes • NH4Cl: chlorure d’ammonium • Agent alcalinisant lysosomotrope • Permet l’activité bactéricide de la Doxycycline par alcalinisation du pH du phagolysosome • Car Doxycycline inactive pour des pH bas • Et Coxiella survit moins bien à des pH alcalins D’après M. Maurin Suivi Million M et al MMI Bartonella Bartonella • Plusieurs espèces – Bartonella henselae: Maladie des griffes du chat – Bartonella quintana: fièvre des tranchées – Bartonella bacilliformis: fièvre d’Oroya ou verruga peruana • BGN aérobies, intracellulaires facultatifs, cible phagosome des hématies et cellules endothéliales Maladie des griffes du chat • Ubiquitaire, pic août à février, 5000 cas/an en France • Morsure/griffure/ léchage de plaie par jeune chat (mâle, moins de 1 an) • 80% enfants (garçons ++) Maladie des griffes du chat • Clinique – Incubation 3-14j – Parfois papule erythémateuse ou nécrotique sur lésion d’inoculation Maladie des griffes du chat • Clinique – Phase d’état 3-60j – Classiquement ADN inflammatoire unique ou sur un seul site, la + proche du site d’inoculation – Fébricule 30% – Parfois formes systémiques 5-14% avec ADN multiples, atteinte hépatique ou splénique, même chez immunocompétent – 10% de suppuration – Guérison spontanée en 2-4 mois (→ 2 ans!) Hypothèses devant une adénopathie isolée • Cause infectieuse – Infections virales: EBV, CMV, (VIH) – Maladies d’inoculation • Pyogènes • Zoonoses : bartonella, toxoplasmose, mycobactéries atypiques • (Syphilis) – Tuberculose • Cause tumorale – Hémopathies – Cancers solides (ORL, thyroïde, œsophage) • Cause inflammatoire – Connectivites – Sarcoïdose Autres formes Autres formes • EI à hémocs neg – Valvulopathie préexistante ++ – Végétations massives avec destruction extensive du tissu valvulaire sous-jacent • Chirurgie souvent indispensable – 20% B. henselae, 80% B. quintana (Raoult, Arch. Intern. Med. 2003) • Ou granulomes disséminés Autres formes (Immunodéprimés ++) • Angiomatose bacillaire – Prolifération vasculaire des cellules endothéliales – Immunodéprimés++ , exceptionnellement chez l’immunocompétent – Peau (angiomatose bacillaire cutanée) – Systémique, multiviscérale (foie, rate, poumons, cerveau, moelle osseuse, ganglions) • Péliose hépatique – Prolifération des capillaires sinusoïdes hépatiques conduisant à la formation de larges espaces vasculaires, voire lacs sanguins – Péliose bacillaire (rate, ganglions lymphatiques..) – Association possible à des lésions d'angiomatose bacillaire Autres formes • Syndrome oculo-glandulaire de Parinaud: conjonctivite (site d’inoculation) + ADN préauriculaire • Autres atteintes ophtalmo • Atteintes neurologiques, osseuses, cutanées, fièvre au long cours, fatigue chronique, bactériémies chez l’immunodéprimé… Diagnostic • Sérologie – Attention peut être faussement négative au début… Recontrôler!!! – Sensibilité 50-80%, spécificité faible (Coxiella, Chlamydia) – + si > 1/100, forte corrélation EI si > 1/800 • PCR spécifique sur ganglion (ponction-aspiration ou biopsie-exérèse) – Se 80%, spé 100% • Anapath: granulome gigantocellulaire nécrotique avec nécrose pyogène Diagnostic Traitement • Pas toujours indispensable – Pas de supériorité de traitement dans la littérature – Rechutes fréquentes – A réserver aux cas graves ou immunodéprimés? • Privilégier les macrolides si traitement – Azithromycine ++, 500mg J1 puis 250mg J2-4 adulte, 10mg/kg puis 5mg/kg enfants • Sinon Doxycycline, Rifampicine, fluoroquinolones, bactrim • Endocardite: Doxy 6 sem + genta 15j • Exérèse ganglionnaire à discuter si évolution vers suppuration Bartonella • Bartonella quintana: Fièvre des tranchées – Poux de corps, SDF ++ – Fièvre « quintane », céphalées, vertiges – Endocardites, angiomatose bacillaire et péliose hépatique ou splénique en cas d’ID° (VIH++) • Bartonella bacilliformis: Maladie de Carrion – Pérou ++, phlébotome – Fièvre d’Oroya: anémie hémolytique fébrile, forme aigüe – Verruga peruana: forme chronique, cutanée Rickettsioses Rickettsioses • BGN intracellulaires stricts, cytosol des cellules endothéliales • Zoonoses transmises par les tiques et les poux/puces • Nombreuses espèces, pathogénicité pas toujours connue • Groupes « boutonneux » et « typus » – Rickettsioses à tiques (groupe boutonneux) • • • • Fièvre Boutonneuse Méditerranéenne TIBOLA Fièvre à tiques africaine Autres (Lymphangitis Associated Rickettsia, …) – Rickettsioses à poux/puces • Typhus épidémique • Typhus murin Fièvre boutonneuse méditerranéenne (FBM) • Rickettsia conorii conorii • Endémique dans le pourtour méditerranéen – Sud de la France 50/100 000 hbts/an • Tique brune du chien: Rhipicephalus sanguineus – Active entre mai et octobre • Clinique – Incubation 6j – Fièvre élevée brutale, céphalées, myalgies, arthralgies, rash maculopapuleux généralisé – Escarre noire d’inoculation, indolore • Biologie: thrombopénie, leucopénie/hyperleucocytose, anémie, cytolyse hépatique Fièvre boutonneuse méditerranéenne (FBM) • 5% formes sévères – Purpura, HSMG, rétinites, défaillance multiviscérale (vascularite par multiplication des bactéries dans les cellules endothéliales) – OH chronique, diabète, déficit G6PD, – 50% de mortalité si atteinte multiviscérale • Dc – Sérologie ++ • IgM, ou séroconversion, ou ascension des IgG à 7-10j d’intervalle • Parfois négative au début: savoir la répéter! – PCR sur biopsie de l’escarre d’inoculation – Histologie sur biopsie de l’escarre d’inoculation • Traitement – Doxy 200mg/j 5-7j, au moins 48h après apyrexie – Prise unique possible dans les formes simples – Macrolides ou quinolones si allergie Autres rickettsioses boutonneuses • TIBOLA (Tick-borne lymphadenitis) – – – – – • Fièvre à tique africaine – – – – • Afrique subsaharienne, Réunion, Antilles R. africae Tableau similaire à FBM (fièvre + escarre + rash) Evolution favorable sans traitement LAR – – • R. slovaca ou R. raoultii Chien, tiques Printemps et automne en France Escarre du scalp + ADNs + céphalées Evolution bénigne Fièvre, escarre, lymhangite, adénopathies Printemps Mêmes diagnostic et traitement que FBM (ou pas de traitement) Rickettsioses à poux/puces • Typhus endémique – Poux de corps, SDF, catastrophes humanitaires.. – 30% de décès – Clinique de FBM sévère, complications neurologiques ou cardiaques – Doxy dose unique – Parfois recrudescences tardives: maladie de Brill-Zinsser • Typhus murin – – – – Puce du rat, endémique, pays tropicaux et Maghreb++ Cause de fièvre au retour de voyage Clinique de FBM peu sévère, fièvre et céphalées plus fréquentes Doxy dose unique Conclusion • Particularités des intracellulaires qui cherchent à être phagocytées • Spécificité cellule cible/pathogénicité • Difficultés de traitement – Intérêt pH et Plaquenil certain – Apport des modèles cellulaires mais difficultés d’extrapoler les résultats à la situation clinique – Données cliniques essentielles dans l’élaboration des recommandations thérapeutiques • Doxycycline: souvent le traitement de référence Merci de votre attention