La place de l’animal aux XXeet XXIesiècles
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La nature est décrétée harmonieuse par des agents sociaux qui n’admettent la
cruauté ni dans la nature, ni dans le monde social.
Qui sont ces agents sociaux ? Massivement les enseignants, travailleurs sociaux,
chercheurs et journalistes, bref tous ceux que l’on peut rattacher aux classes moyen-
nes, salariées et intellectuelles des villes, toutes ces professions nouvelles qui sont
apparues en nombre depuis la Libération et qui sont liées, bien entendu, au dévelop-
pement de notre société. Cette perception bucolique de la nature où finalement seul
l’homme serait de trop et l’idée d’une société égalitariste sont en harmonie, sont en
correspondance, avec les dispositions des membres de ces couches moyennes intel-
lectuelles, à l’inverse du cynisme grand-bourgeois qui légitime, sans complexe, hié-
rarchies et inégalités ; à l’inverse aussi du fatalisme populaire qui prend acte du fait
«qu’il pleut toujours où c’est mouillé ».
Ayant pédalé pendant trois ans dans toutes les forêts de France, les chiens pour-
suivant des cerfs, des sangliers ou des chevreuils, nous avons ainsi pu constater que
dans la chasse à courre, seuls les deux extrêmes de la société sont représentés. En ef-
fet, la chasse à courre est à la fois une lutte pour la vie et une mise en scène symbo-
lique de la société (c’est comme cela que nous l’avons interprétée) : « que le
meilleur, que le plus fort gagne » ! En conséquence, les membres des classes
moyennes intellectuelles se retrouvent du côté des opposants à la chasse à courre, et
Dieu sait si le débat est vif et animé, alors que nobles, grands bourgeois, ouvriers et
paysans y retrouvent symboliquement la société telle qu’ils la vivent et telle qu’ils
en prennent leur parti.
Il apparaît donc que l’idée d’une frontière entre humanité et animalité est de plus
en plus récusée, pour des raisons sociologiques dont on peut rendre compte.
LE RÔLE DE L’URBANISATION
D’un autre côté, nos sociétés deviennent de plus en plus urbaines, avec de moins en
moins d’enfants et de plus en plus d’animaux domestiques ; plus d’un foyer sur
deux est concerné, et 80 % de nos compatriotes habitent dans des villes où le nom-
bre des animaux domestiques est totalement vertigineux : environ aujourd’hui dix
millions de chiens et neuf millions de chats. On comprend bien que l’animal se fait
plus familier, qu’il est investi de sentiments affectifs portés autrefois aux enfants :
ceux-ci étant plus rares, on assiste à un déplacement affectif, en faveur notamment
du chien et du chat. Les nombreuses revues spécialisées, les publicités pour aliments
spécifiques que nous subissons chaque jour à la télévision, montrent assez l’ampleur
du phénomène.
Nous avons parlé d’humanisation, mais la sociologue peut parler d’une véritable
anthropomorphisation, avec identification et projection des sentiments humains sur
l’animal, comme la conscience et l’angoisse de la mort. Ce processus d’anthropo-