Année Biol.
40
(2001)
21-42
©2001 Éditions scientifiques
et
médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés
L'adaptation
au
lDilieu chez les plantes vasculaires
Pascal Collin*
Espace naturel comtois, Conservatoire des espaces naturels
de
Franche-Comté,
4bis, rue des Chalets, 25000 Besançon, France
21
Résumé -Des conditions de vie extrêmes impliquent la sélection de caractéristiques biolo-
giques adaptées.
L'eau
est un élément essentiel intervenant dans la répartition des végétaux et
de nombreuses adaptations sont conditionnées directement
ou
indirectement par cet élément.
Les altitudes
et
les latitudes extrêmes atteintes par les plantes supérieures sont révélatrices des
adaptations permettant àcertaines espèces de résister au froid. La lumière présente de grandes
variations dans sa répartition spatiale et temporelle et dans son intensité. Des adaptations mor-
phologiques
et
biochimiques ont alors été sélectionnées. Enfin, certains végétaux se sont adap-
tés àdes milieux toxiques ou pauvres en nutriments.
C'est
le cas, par exemple, des halophytes
et
des plantes carnivores. Les adaptations des végétaux, indispensables pour leur survie dans
des conditions données, sont extrêmement variées. Les changements globaux de la composi-
tion de l'atmosphère
et
du climat sont susceptibles
d'entraîner
des modifications des condi-
tions environnementales àl'échelle des continents. Ces changements pourraient entraîner des
modifications dans la répartition des végétaux et leurs adaptations constitueront un élément
clef
de leur survie.
adaptations'
épiphytes'
halophytes'
hydrophytes
'lianes'
plantes des
montagnes'
plantes carnivores1xérophytes
Abstract -Plant adaptations
to
environmental conditions. In response to extreme condi-
tions, plants exhibit avariety
of
adaptations that are important in the maintenance
of
plant
community. Adaptation may be defined as heritable modifications in physiological
or
devel-
opmental attributes that improve the fitness
of
an organism under conditions
of
its environ-
ment. Adaptations are selected by three types
of
constraint: climatic, edaphic and biotic. Water
act as akey element in the plant distribution and many morphophysiological traits are condi-
tioned by water, directly or indirectly. Plant have developed awide variety
of
mechanisms for
surviving in habitats exposed to episodic
or
prolonged periods
of
frost. The extreme altitude
and latitude reached by plants are revealing
of
the capacity
of
sorne plants to resist to cold.
The photosynthetic apparatus
of
plants is capable
of
optimally efficient absorption and utiliza-
lion
of
visible radiation because light availability vary considerably in intensity, duration, and
space. Nutrient-poor environments
or
toxic soils have aweIl adapted plant community like
*Correspondance et tirés àpart.
Adresse
e-mail:
[email protected] (P. Collin)
22
L'Année biologique
carnivorous plants in peat swamp land and halophytes in salted soils. In habitats exposed to
stress, the interplay
of
numerous stressors restricts the area on which aparticular plant species
can survive. Morphological and biochemical traits as been selected to withstand constraints
under given conditions and thus plants possess various adaptations. Global changes in the
atmospheric composition and climate are able to affect vegetation dynamics and could induce
changes in plant distribution. Adaptation will therefore be akey element in the survival
of
the
plant community.
adaptations /carnivorous plants /epiphytes /halophytes /hydrophytes /lianas /mountain
plants /xerophytes
1.
INTRODUCTION
L'ensemble des conditions énergétiques, physiques, chimiques et biologiques qui
règnent au voisinage immédiat
d'un
organisme constitue son environnement. Les
êtres vivants sont adaptés au milieu dans lequel ils se développent [1-7]. L'adapta-
tion peut être définie comme
l'un
ou l'ensemble des caractères biologiques qui per-
mettent àune espèce de prospérer dans un milieu donné, mais qui lui serait inutile ou
même nuisible dans un autre milieu. Il ne faut pas confondre adaptation et accommo-
dation. Dans le premier cas, le caractère adaptatif est inscrit dans le génome de la
plante et toute la descendance présentera la même caractéristique dans la mesure ou
la reproduction sexuée le permettra. Dans le second cas,
c'est
l'aptitude naturelle des
plantes àsupporter des conditions de vie plus ou moins variées qui leur permet de
survivre dans un milieu éloigné de leur optimum écologique. Les descendants de ces
plantes ne seront pas mieux adaptés àces conditions de vie que leurs parents. En
effet, la fonction ne crée pas l'organe contrairement àce que pensait Lamarck (1744,
1829) et ses partisans, mais il existe comme
l'a
découvert Darwin (1809, 1882) une
sélection des individus les plus aptes àsurvivre dans un milieu donné et cette capa-
cité est innée [8]. Celle-ci est inscrite dans le génome, suite àdes mutations aléa-
toires et l'amplitude de la plasticité phénotypique est elle-même la cible de la sélec-
tion. Les contraintes qui sélectionnent des adaptations sont de trois sortes :
contraintes climatiques (eau, vent, etc.), contraintes édaphiques (sols salés, sols
mobiles etc.), contraintes biotiques (concurrence, association, etc.).
En
dehors des
milieux qualifiés de mésophiles, c'est-à-dire des conditions moyennes dans un gra-
dient de sécheresse/humidité par exemple, les angiospermes se développent dans des
conditions extrêmement variées
[9]
:eaux douces, eaux salées, montagnes, falaises,
déserts froids ou chauds, vents permanents, embruns salés, gel quotidien, substrat
surchauffé, crue des grands fleuves, et enfin dans l'ombre des forêts tropicales [7].
Les végétaux présentent alors des caractéristiques biologiques qui sont d'autant plus
marquées que les conditions de vie sont extrêmes.
L'objectif de cette revue est
d'une
part, de présenter les différentes adaptations
morphologiques liées aux contraintes du milieu en montrant le rôle clef de
l'eau
et
d'autre part, de donner des informations récentes relative àces phénomènes.
P. Collin -L'adaptation au milieu chez les plantes vasculaires
2.
L'EAU:
FACTEUR
ESSENTIEL
DANS
LA
RÉPARTITION
DES VÉGÉTAUX
23
Les organismes sont classés depuis longtemps en groupes écologiques selon leurs
comportements vis-à-vis du facteur eau. Il existe les plantes aquatiques qui vivent
entièrement et constamment dans
l'eau;
les végétaux semi-aquatiques qui vivent
partiellement ou alternativement dans
l'eau;
les plantes hygrophiles qui vivent dans
des sols et des atmosphères saturés en eau ;les végétaux ayant des besoins modérés
en eau, que
l'on
qualifie de mésophiles et enfin les plantes vivant dans des habitats
secs et que
l'on
aappelé xérophytes.
L'eau
peut être également indirectement res-
ponsable de certaines adaptations, comme c'est le cas par exemple chez les végétaux
confrontés
au
froid, chez les épiphytes et chez les halophytes.
2.1. Les xérophytes
Les xérophytes (du grec xeros :sec et phuton :plante) sont des plantes qui se
développent dans des sols superficiels, sableux, reposant sur une roche mère fissurée
et sous des conditions climatiques entraînant une évaporation intense [10-13]. Ces
sols, par conséquent, n'ont pas de réserve en eau. Ils sont particulièrement bien déve-
loppés dans les déserts, les semi-déserts, les steppes mais aussi dans les dunes, les
falaises, les landes et les vieux murs de nos jardins. Les végétaux se développant
dans ces milieux utilisent deux stratégies :la tolérance et l'évitement [10, 14, 15].
Dans le cas de la tolérance, le métabolisme fonctionne malgré une faible quantité
d'eau, il y a ajustement aux conditions hydriques. Deux mécanismes permettent cette
tolérance au manque d'eau, il
s'agit
de l'ajustement osmotique et de l'ajustement
élastique. Lors de l'ajustement osmotique il y a production d'osmoticum. Ce sont des
i~ns
et des solutés (malate, mannitol, ions
K+)
qui s'accumulent dans la vacuole ce
qui favorise l'entrée de l'eau et le maintien de la turgescence et freine les effets néga-
tifs du déficit hydrique sur l'activité physiologique. L'ajustement élastique entraîne
des variations des propriétés mécaniques des parois par une augmentation ou une
diminution
de
leur module d'élasticité. La stratégie de la tolérance est surtout utilisée
par des végétaux se développant habituellement en conditions mésophiles mais pou-
vant être amenés, en période de sécheresse, àréguler leur transpiration [14, 15]. Dans
le cas de la stratégie de l'évitement, la réduction de la transpiration est un élément
essentiel de la résistance àla sécheresse car elle permet le maintien
d'un
potentiel
hydrique élevé. Cette diminution s'obtient par la réduction et la protection de la sur-
face transpirante. La stratégie de l'évitement est utilisée chez des végétaux se déve-
loppant en conditions sèches, c'est-à-dire les sclérophytes et les malacophytes
[16-18].
2.1.1. Les sclérophytes
Les sclérophytes (du grec sklêros :dur et phuton :plante) possèdent de faibles
réserves en eau et ils subissent la sécheresse àlaquelle ils sont réellement adaptés. Ce
sont pour la plupart des arbustes, souvent épineux, que
l'on
rencontre par exemple
dans des formations de type maquis
ou
garrigue [19]. Ils présentent, comme tous les
24
L'Année
biologique
xérophytes, un systèn1e racinaire i111portant
dont
il existe plusieurs lllodalités de
développell1ent [7,
20-22].
Un certain nOll1bre de plantes ont un systèllle dit de
grande profondeur et
le
record absolu appartient à«l'arbre du
Ténéré»
Acacia rad-
diana, avec des racines qui atteignent
30
ln
de profondeur [23]. Ces végétaux puisent
reau nécessaire àleur développelnent dans la nappe phréatique.
d'où
le ternle par-
fois utilisé de phréatophyte.
D'autres
plantes Inettent en place un systèlne dit de
faible profondeur nlais qui se développe sur une grande surface de façon àce que la
plante profite de la Inoindre pluie conllne par exelllple chez
le
genre Po!yccul)on
au
Sénégal [24]. Enfin,
il
existe un systèlne dit des racines «annuelles
»,
qui n'existe
d'ailleurs
pas que chez les plantes xérophiles avec par exen1ple
le
frêne COlnmun.
Les feui Iles des sclérophytes présentent égalen1ent de nonlbreuses particularités [7,
19,
25]. Généralen1ent, la cuticule est très développée et des poils font de ronlbre et
stabilisent la couche lin1ite (laurier-rose). Chez les bruyères que ron rencontre dans
les landes les feuilles se protègent de la sécheresse en se pliant grâce aux cellules
bullifonnes ;cette adaptation se rencontre égalelnent chez de nOlnbreuses granlinées
COlnme
par exen1ple chez royat de nos dunes littorales. Les stolnates sont protégés
par des cryptes chez
le
laurier-rose ou des sillons chez de nOlnbreuses Poacées. Les
feuilles peuvent égalen1ent être fugaces ou petites
COlnlne
c'est
le
cas chez certaines
Euphorbiacées. Elles sont alors fonctionnellement relayées par les pétioles ou les
tiges qui se «
transforment»
en feuilles (cladodes). Enfin, chez les eucalyptus, les
feuilles sont orientées de façon àne jamais recevoir directement les rayons solaires
[261·
2.1.2. Les Inalacophytes
Chez les malacophytes (du grec
17za!akia
:mollesse et phuton :plante)
l'eau
peut
être mise en réserve,
il
s'agit
alors des plantes àforte teneur en eau (plantes grasses
ou
charnues
ou
succulentes)
[16,
27-30].
Ce
sont
des végétaux
lnarqués
par
un
accroisseInent de leur volulne relatif et par une acculnulation de reau dans des cel-
lules particulières qui
constituent
le
parenchynle
aquifère. La
succulence
peut
concerner tous les organes végétatifs ou seulelnent certains, tiges et feuilles principa-
lenlent. Les dilnensions de ces végétaux sont variables et vont de
10
111
(Carnegia
gigantea) à
quelques
Inil1ilnètres (B/os.\:t'e/dia 171ininl0) et de
plusieurs
tonnes
à
quelques gralnn1es. De
n0111breuses
familles sont concernées par la succulence lnais
il
faut surtout retenir les Cactacées. les Crassulacées et quelques Euphorbiacées. Ces
plantes ont
un
n1étabolislne dit CAM
(Cros5,u!aCe([n
([cid
lneta/Jolis17z)
:rouverture
des stomates alieu la nuit et pernlet rabsorption du dioxyde de carbone tout en
lil11i-
tant les pertes en eau [4. 5,
16,
20,
30]. Un des élélnents les plus lnarquant de la mor-
phologie des xérophytes, surtout chez les
Cactacées,
est constitué
par
les épines
(fïgure J). Leurs rôles sont 111ultiples,
il
s'agit
bien évidernnlent
d'une
protection
contre les herbivores
[31
Lmais égalelnent
d'un
écran contre les rayons solaires et
d'un
systèIne de captage
d'eau
lorsqu'il y a du brouillard ou de la brunle et
d'élé-
Inents nutritifs apportés par le vent [16,
18,
28]. Certaines succulentes se dévelop-
pent au ras du sol et la plante
ne
dépasse pas les cailloux qui affleurent:
c'est
le
cas
par
exemple des genres Fenestraria et Litlzops (figure 2) qui vivent en Afrique du
Sud [27, 29]. La surface qui reçoit les photons est à
l'intérieur
de la plante et les
rayons lumineux passent àtravers une «
fenêtre»
contenant des cristaux d'oxalate
de
P.
Collin -L'adaptation au milieu chez les plantes vasculaires 25
igure
1.
Les épines des xérophytes comme celles de ce cactus appartenant au genre Mammil-
Zaria
ont des rôles multiples: protection contre les herbivores, écran contre les rayons solaires,
captage
d'eau
lorsqu'il y a du brouillard ou de la brume et d'éléments nutritifs apportés par le
vent (Jardin botanique de Besançon, cliché P. Collin).
~gure
2. Le lithops (Mésembryanthémacées) sont des plantes caractéristiques des zones
ande. de l'Afrique du sud et de la
Namibie;
elles sont nommées également «plantes cailloux»
(JardIn botanique de Besançon, cliché
P.
Collin).
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