4.10 Homologie d`un produit tensoriel de modules différentiels

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4.10. Homologie d’un produit tensoriel de modules différentiels gradués
4.10
173
Homologie d’un produit tensoriel de modules
différentiels gradués
Si M et N sont deux DG-modules, on a un morphisme canonique :
H(M ) ⊗ H(N )
can
[x] ⊗ [y] �
� H(M ⊗ N )
� [x ⊗ y]
En effet, si x et y sont des cycles de M et N respectivement, il est immédiat
que x ⊗ y est un cycle de M ⊗ N , puisque ∂(x ⊗ y) = (∂x) ⊗ y + (−1)|x| x ⊗ (∂y).
Pour voir que le morphisme ci-dessus est bien défini, il suffit donc de prouver
que [x⊗y] = [(x+∂z)⊗y], c’est-à-dire que [∂z⊗y] = 0. Mais, comme ∂y = 0, ceci
résulte immédiatement du fait que ∂(z ⊗ y) = ∂z ⊗ y ± z ⊗ ∂y. Le morphisme
canonique ainsi obtenu n’est généralement pas un isomorphisme, comme on
va le voir plus loin.
Ce morphisme est par ailleurs clairement « associatif », c’est-à-dire que le
diagramme
1⊗can
H(M ) ⊗ H(N ) ⊗ H(P )
can ⊗1
� H(M ) ⊗ H(N ⊗ P )
can
�
�
H(M ⊗ N ) ⊗ H(P )
� H(M ⊗ N ⊗ P )
can
est commutatif, et il est « commutatif » en ce sens que le diagramme
H(M ) ⊗ H(N )
can
� H(M ⊗ N )
T
�
H(N ) ⊗ H(M )
�
can
T∗
� H(N ⊗ M )
est commutatif.
☞ 235 Lemme. Si l’anneau Λ est principal, et si M et N sont relativement
libres, le morphisme canonique H(M ) ⊗ H(N ) → H(M ⊗ N ) admet une rétraction (non naturelle).
Démonstration. Comme M est relativement libre et Λ principal, B(M ) est
relativement libre (lemme 493 (page 405)), et la suite exacte
0
� Z(M )
�M
∂
� B(M )
�0
[lem:can-retraction]
174
4. Initiation à l’algèbre homologique
est donc (relativement) scindée. Il en résulte que l’inclusion canonique
Z(M ) → M admet une rétraction rM : M → Z(M ).( 16 ) En composant
rM avec la projection canonique de Z(M ) sur H(M ), on obtient une flèche
pM : M → H(M ) qui envoie tout cycle sur sa classe d’homologie (pM (x) = [x],
si x est un cycle). En faisant de même pour N , on obtient la flèche :
M ⊗N
pM ⊗pN
� H(M ) ⊗ H(N )
�
Si z est un bord de M ⊗ N , il s’écrit z = ∂( i xi ⊗ yi ) (où la somme est finie),
et il est donc une somme de tenseurs de la forme (∂xi ) ⊗ y et de tenseurs
de la forme xi ⊗ (∂yi ). Or tous ces tenseurs ont 0 pour image par pM ⊗ pN .
En restreignant la flèche ci-dessus aux cycles de M ⊗ N , et en passant au
quotient, on obtient une flèche :
H(M ⊗ N )
r
� H(M ) ⊗ H(N )
On a alors (pour tous cycles x et y de M et N ) :
r(can([x] ⊗ [y])) =
=
=
=
r([x ⊗ y])
(pM ⊗ pN )(x ⊗ y)
pM (x) ⊗ pN (y)
[x] ⊗ [y]
La rétraction construite ci-dessus n’est pas naturelle, car on a utilisé l’axiome
du choix pour établir que la suite exacte au début de la démonstration est
scindée.
❏
Il en résulte bien sûr que le morphisme canonique H(M )⊗H(N ) → H(M ⊗N )
est injectif si Λ est principal et si M et N sont relativement libres.
[lem:tenseur-DG-libre-sans-diff]
☞ 236 Lemme. Soient M et N deux modules différentiels gradués sur un
anneau commutatif quelconque. On suppose que M est relativement libre et
que sa différentielle est nulle. Alors l’application canonique M ⊗ H(N ) →
H(M ⊗ N ) est un isomorphisme.
Démonstration. Comme M est relativement libre, on a les suites exactes
de modules différentiels gradués (où i est l’inclusion de B(N ) dans Z(N )) :
0
0
� M ⊗ B(N ) 1⊗i � M ⊗ Z(N )
� M ⊗ H(N )
1⊗∂
� M ⊗ Z(N )
�M ⊗N
� M ⊗ B(N )
�0
�0
16. Qui ne commute généralement pas aux différentielles. Si c’était le cas, la flèche induite
en homologie Z(M ) → H(M ) aurait une rétraction et serait un isomorphisme, ce qui n’est
bien sûr le plus souvent pas le cas.
175
4.10. Homologie d’un produit tensoriel de modules différentiels gradués
La seconde nous donne (via le lemme du serpent) la suite exacte
� M ⊗ B(N ) 1⊗i � M ⊗ Z(N )
...
� H(M ⊗ N )
� ...
car les différentielles de M ⊗ B(N ) et M ⊗ Z(N ) sont nulles et parce que le
connectant de la suite exacte longue est 1⊗i. En effet, comme la différentielle
de M ⊗ B(N ) est nulle, tous ses éléments sont des cycles. On détermine donc
le connectant en le calculant sur les tenseurs x ⊗ y, où x ∈ M et y ∈ B(N ).
On choisit u est tel que ∂u = (−1)|x| y, ce qui donne (1 ⊗ ∂)(x ⊗ u) = x ⊗ y, et
on a :
�
�x⊗y
x⊗
� u
�
x⊗y �
∂M ⊗N =1⊗∂
�x⊗y
Mais comme M est relativement libre, 1 ⊗ i est injectif, et on a donc le diagramme commutatif à lignes exactes
� M ⊗ B(N ) 1⊗i � M ⊗ Z(N )
0
1
�
1⊗i
�0
can
1
� M ⊗ B(N )
0
� M ⊗ H(N )
�
�
� M ⊗ Z(N )
� H(M ⊗ N )
�0
ce qui prouve le lemme.
❏
☞ 237 Lemme. (formule de Künneth algébrique) Soit Λ un anneau principal, M et N deux DG-Λ-modules dont l’un au moins est relativement libre.
On a la suite exacte
0
� H(M ) ⊗ H(N ) can � H(M ⊗ N )
ψ
� TorΛ (H(M ), H(N ))
1
�0
(où la flèche ψ est de degré −1), naturelle en M et N . De plus, si M et N sont
tous les deux relativement libres, cette suite est scindée, mais le scindement
n’est pas naturel.
Il est parfois utile d’extraire de la suite exacte ci-dessus la partie qui concerne Hn (M ⊗ N ),
autrement-dit, la suite exacte :
0 ����
���
�
p+q=n
Hp (M ) ⊗ Hq (N )
���� can
����
�
Hn (M ⊗ N )
���� ψ
����
�
p+q=n−1
TorΛ
1 (Hp (M ), Hq (N ))
����
���
0
[lem:Kunneth-alg]
176
4. Initiation à l’algèbre homologique
Démonstration. On suppose M relativement libre. On a la suite exacte
courte de modules différentiels gradués
� Z(M )
0
�M
� B(M )
∂
�0
qui est relativement scindée car B(M ) est relativement libre. En tensorisant
avec N on obtient la suite exacte relativement scindée de modules différentiels gradués
0
� M ⊗ N ∂⊗1 � B(M ) ⊗ N
� Z(M ) ⊗ N
�0
et le connectant H(B(M ) ⊗ N ) → H(Z(M ) ⊗ N ) de la suite exacte longue
associée est induit par i ⊗ 1 : B(M ) ⊗ N → Z(M ) ⊗ N , où i est l’inclusion
canonique de B(M ) dans Z(M ). En effet, on a le diagramme commutatif dont
les lignes et les colonnes sont exactes (où j est l’inclusion de Z(N ) dans N ) :
M ⊗ Z(N )
∂⊗1
� B(M ) ⊗ Z(N )
�0
1⊗j
1⊗j
�
∂⊗1
M ⊗N
�
� B(M ) ⊗ N
�0
1⊗∂
�
B(M ) ⊗ B(N )
Ainsi, comme 1 ⊗ ∂ est la différentielle de B(M ) ⊗ N , si x est un cycle de
B(M ) ⊗ N , il est dans l’image de 1 ⊗ j, donc dans celle de (1 ⊗ j)(∂ ⊗ 1). Il
a donc un antécédent u par ∂ ⊗ 1 qui est de la forme u = (1 ⊗ j)(v). Comme
(1 ⊗ ∂)(1 ⊗ j)(v) = 0, on voit que ∂(u) = (∂ ⊗ 1)(u) = x, et x est alors un
cycle de Z(M ) ⊗ N (qui n’est autre que (i ⊗ 1)(x)) qui représente l’image de
la classe d’homologie de x ∈ B(M ) ⊗ N par le connectant.
On a donc la suite exacte
0
ψ
� Coker((i ⊗ 1)∗ )
� H(M ⊗ N )
� Ker((i ⊗ 1)∗ )
�0
Noter que la flèche ψ est celle qui est induite par la flèche canonique de
Z(M ) ⊗ N vers M ⊗ N . On a par ailleurs le diagramme commutatif
B(M ) ⊗ H(N )
i⊗1
can
�
H(B(M ) ⊗ N )
� Z(M ) ⊗ H(N )
�
(i⊗1)∗
� H(Z(M ) ⊗ N )
177
4.10. Homologie d’un produit tensoriel de modules différentiels gradués
dans lequel les flèches canoniques verticales sont des isomorphismes (lemme
236 (page 174)). On a donc juste à calculer le noyau et le conoyau de la flèche
i ⊗ 1 (en haut du diagramme précédent). On a la suite exacte de modules
gradués
� B(M )
0
i
� Z(M )
� H(M )
�0
et comme Z(M ) est relativement libre, on a la suite exacte
0 �����
�
TorΛ
1 (H(M ), H(N ))
����
���
B(M ) ⊗ H(N )
����i⊗1
���
Z(M ) ⊗ H(N )
����
���
H(M ) ⊗ H(N )
����
���
0
ce qui donnera la suite exacte de l’énoncé quand on aura vérifié que la flèche
H(M ) ⊗ H(N ) → H(M ⊗ N ) ainsi obtenue est bien l’application canonique.
Or, on a le diagramme (où j est l’inclusion de Z(M ) dans M )
B(M ) ⊗ H(N )
i⊗1
can
can
�
H(B(M ) ⊗ N )
� Z(M ) ⊗ H(N )
�
(i⊗1)∗
� H(M ) ⊗ H(N )
� ϕ
�
� Coker((i ⊗ 1)∗ )
�
���
���
�
�
� ψ
�� ��
� H(Z(M ) ⊗ N )
(j⊗1)∗
�
H(M ⊗ N )
dans lequel le triangle inférieur est commutatif par définition de ψ et le carré
supérieur droit commutatif par définition de l’isomorphisme ϕ. Ceci montre
que ψ ◦ϕ est bien l’application canonique. La dernière affirmation de l’énoncé
résulte du lemme 235 (page 173).
❏
☞ 238 Lemme. On suppose que Λ est principal. Soit L un DG-module relativement libre et f : M → N un quasi-isomorphisme. Alors 1 ⊗ f : L ⊗ M →
L ⊗ N est un quasi-isomorphisme.
[lem:quasi-iso-relativement-libr
178
4. Initiation à l’algèbre homologique
Démonstration. On utilise la naturalité de la suite exacte du lemme 237 :
0
� H(L) ⊗ H(M ) can � H(L ⊗ M )
1⊗f∗
0
�
�
ψ
(1⊗f )∗
� H(L) ⊗ H(N ) can � H(L ⊗ N )
ψ
� TorΛ (H(L), H(M ))
1
�
TorΛ
1 (1,f∗ )
� TorΛ (H(L), H(N ))
1
et on conclut en utilisant le lemme du serpent et le lemme des cinq.
4.11
�0
�0
❏
Homologie à coefficients dans un module
Si on oublie la multiplication de l’anneau Λ (et le fait que 1 est neutre pour la
multiplication), Λ n’est plus qu’un groupe abélien, c’est-à-dire un Z-module.
Ceci nous oblige à oublier, dans tout Λ-module, la multiplication externe par
les éléments de Λ, pour ne retenir que la multiplication externe par les éléments de Z.( 17 ) Un DG-Λ-module n’est alors plus qu’un DG-Z-module, et son
homologie, n’est elle-même plus qu’un Z-module gradué. L’essentiel de l’algèbre homologique sur l’anneau Λ reste quand même valable. C’est dû surtout au fait qu’oublier la multiplication de Λ ne change ni le noyau ni l’image
d’une application Λ-linéaire. En d’autres termes, la multiplication de Λ joue
un rôle mineur dans beaucoup de questions.
Nous généralisons ici la situation évoquée par cette remarque, en remplaçant Z par Λ et Λ par un Λ-module G quelconque. Ainsi nous définissons
l’« homologie à coefficients dans un module ».
☞ 239 Définition. Soit G un Λ-module, et M un DG-Λ-module. L’homologie
de M à coefficients dans G, notée H(M ; G) est celle du DG-Λ-module M ⊗Λ G
(où G est concentré en un degré quelconque, généralement 0).
Noter que si G a une multiplication et une unité qui en font un anneau, l’homologie de M à coefficients dans G telle qu’elle est définie ci-dessus (c’est-àdire sans tenir compte de cette multiplication ni de cette unité) est isomorphe
comme Λ-module gradué à l’homologie de M à coefficients dans l’anneau G
telle qu’elle est définie en 198 (page 151). Par ailleurs, le fait que ces deux
homologies soient toutes deux notées H(M ; G), ne créera pas d’ambiguïté.
Cette homologie sera juste un G-module si G est un anneau, un Λ-module
sinon.
17. C’est surtout à cause de la présence de l’axiome (ab)x = a(bx) de la structure de module,
où a et b sont des scalaires et x un vecteur.
179
4.11. Homologie à coefficients dans un module
Une question naturelle est celle de la relation existant entre H(M ; Λ) et
H(M ; G). Elle est donnée (pour Λ principal) par le lemme suivant :
☞ 240 Lemme. (théorème des coefficients universels pour l’homologie) Soit
Λ un anneau principal. Soit M un DG-Λ-module relativement libre, et soit G
un Λ-module. On a la suite exacte :
0
� Hn (M ; Λ) ⊗Λ G
� Hn (M ⊗Λ G)
� TorΛ (H
n−1 (M ; Λ), G)
1
�0
qui est naturelle en M et en G. De plus, elle est scindée, mais le scindement
n’est pas naturel.
❏
Démonstration. Le fait que la suite soit exacte est une conséquence immédiate du lemme 237 (page 174), et elle est scindée si G est un Λ-module
libre. Si G n’est pas libre, il existe un quasi-isomorphisme ε : L → G,
où L est un DG-module relativement libre. Il suffit donc de montrer que
1 ⊗ ε : M ⊗ L → M ⊗ G est un quasi-isomorphisme, mais ceci résulte du
lemme 238 (page 177).
❏
[lem:coeff-univ-homol]
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