REVUE FRANÇAISE D’ŒNOLOGIE JANVIER/FÉVRIER 2016 274
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CAHIER TECHNIQUE
Effet du changement climatique
sur le comportement de la vigne
et la qualité du vin
par Cornelis van Leeuwen(1*), Philippe Darriet(2), Alexandre Pons(2,3) et Marc Dubernet(4)
1 Bordeaux Sciences Agro, ISVV, UMR Ecophysiologie et Génomique Fonctionnelle de la Vigne, UMR 1287 -33140 Villenave d’Ornon
2 Université de Bordeaux, Unité de Recherche Œnologie, USC 1366 INRA, ISVV -33140 Villenave d’Ornon
3 Tonnellerie Seguin-Moreau, ZI Merpins - 16103 Cognac
4 Laboratoire Dubernet - 11100 Montredon-Corbières
Viticulture
Introduction
La réalité du changement climatique, qui retrouve son origine dans
les activités humaines et notamment la production de gaz à effet
de serre par la combustion d’énergies fossiles, est très largement
admise par la communauté scientifi que (IPCC 2014). L’agriculture
en général, et la viticulture en particulier, sont des activités très
dépendantes du climat. Elles risquent donc d’être signifi cativement
impactées par le changement climatique. La plupart des productions
agricoles sont essentiellement valorisées par le rendement, car le prix
de vente varie peu avec la qualité ; il convient dans ce cas d’étudier
l’effet du changement climatique sur le rendement. La valorisation
du principal produit de la viticulture, le vin, ne varie pas seulement
avec le rendement mais également très fortement avec la qualité.
Ainsi, le prix de vente d’une bouteille de vin varie d’un facteur 1 à 100
dans un même millésime en fonction de sa qualité et de sa réputation.
Il est donc pertinent d’étudier l’impact du changement climatique
en viticulture non seulement sur le rendement, mais également sur
la qualité. Nous proposons d’analyser dans cet article les principaux
effets du changement climatique sur le comportement de la vigne
et comment ces changements modifi ent la composition du vin, ainsi
que sa typicité et sa qualité organoleptique. Un certain nombre de
changements sont déjà observables, et d’autres modifi cations dans
la composition du vin sont à prévoir pour les décennies à venir.
Les effets du changement climatique sur la culture de la vigne et
la qualité du vin, ainsi que les possibles adaptations, sont étudiés
dans le méta-programme INRA LACCAVE (Long term impacts and
Adaptations to Climate ChAnge in Viticulture and Enology), qui
fédère 23 instituts de recherche et universités français.
1. Le climat est un facteur important
de la production viticole
Le climat est un facteur important de la production viticole et de
nombreuses études y sont consacrées. La vigne est cultivée dans
une grande diversité de conditions climatiques à travers le monde,
même si l’essentiel de la production se situe entre le 35ème et le 50ème
degré latitude sur l’Hémisphère nord et entre le 30ème et le 45ème
degré latitude sur l’Hémisphère sud. Il est en effet diffi cile de produire
des vins de qualité dans les zones tropicales. La culture de la vigne
est également diffi cile sous des climats trop froids, où l’initiation
des infl orescences a du mal à se réaliser et où les gelées de printemps,
ou le gel d’hiver, menacent la récolte, voire la survie des ceps de vigne.
Chaque région de production est caractérisée par des conditions
climatiques moyennes, qui sont bien décrites par Gladstones (2011).
Ces conditions climatiques sont un facteur essentiel de la typicité
du vin produit en fonction de son origine (van Leeuwen and Seguin,
2006). Il a été montré que le développement de la vigne et la compo-
sition du raisin dépendent plus du climat que du type de sol ou
du cépage (van Leeuwen et al., 2004). Le climat varie également
d’une année sur l’autre, dans un même lieu de production. L’effet
de cette variabilité climatique annuelle est connu en viticulture sous
l’effet millésime. D’un millésime à l’autre, le rendement varie, tout
comme la qualité du vin et sa typicité (van Leeuwen et al., 2004).
Les viticulteurs ont appris à choisir le matériel végétal et l’itinéraire
Résumé : Le changement climatique constitue un défi majeur pour
la viticulture mondiale. Il se manifeste par une augmentation globale
des températures et, dans la majorité des situations, par une plus
grande fréquence des épisodes de sécheresse estivale. Une augmen-
tation du rayonnement incident, et en particulier sa composante UV-B,
a également été observée. L’avancée de la phénologie de la vigne liée
à l’augmentation des températures est la première conséquence de
ce phénomène. La composition du raisin et la typicité du vin risquent
aussi d’être modifi ées, en particulier les composés du métabolisme
secondaire du raisin (composés phénoliques et arômes). Aujourd’hui,
ces modifi cations sont favorables à la qualité du vin dans de nom-
breuses régions viticoles. À terme, avec l’amplifi cation des phénomènes
[augmentation des températures, intensifi cation de la sécheresse
estivale, éventuellement associées selon les régions à des évènements
climatiques exceptionnels (grêle, précipitations importantes)], elles
risquent d’être délétères. Il convient donc de préparer dès aujourd’hui
les adaptations nécessaires pour pérenniser la production de vins
de qualité et avec une identité marquée dans un contexte climatique
modifi é. Le choix du matériel végétal (porte-greffe et cépage) constitue
une piste de choix pour une adaptation réussie. Les effets du change-
ment climatique sur la vigne et le vin, ainsi que l’exploration de
possibles adaptations au vignoble et au chai, est l’objectif du méta-
programme INRA LACCAVE (Long term impacts and Adaptations to
Climate ChAnge in Viticulture and Enology) qui fédère 23 instituts
de recherche et universités français.
Mots clés : Changement climatique, qualité du vin, typicité du vin,
température, contrainte hydrique.
Abstract: Climate change is a major challenge for viticulture.
Higher temperatures, an increased frequency of water defi cits
as well as higher UB-B levels are expected in almost all winegrowing
regions around the world. Higher temperatures will speed up
vegetative and reproductive development of vines. Grape and wine
composition will be modifi ed, in particular with respect to secondary
metabolites (aromas and phenolic compounds). Wine quality has
benefi tted from these changes in most winegrowing regions over
the past decades. However, if the trend continues, grape and wine
quality might be increasingly impaired, in particular because too
early ripening is not favorable to wine quality. Extreme climatic events
(high rainfall or excessive drought, hail storms) are also expected
to occur with increased frequency. Major adaptations are necessary
to continue the production of high quality wines in a changing
environment. Changing plant material (grapevine varieties, root-stocks)
is a major option in this context. The INRA LACCAVE program
(Long term impacts and Adaptations to Climate ChAnge in Viticulture
and Enology) is a cooperation of 23 French research institutes
and universities. The aim of this project is to study the effects
of Climate ChAnge on viticulture and wine quality and explore
possible adaptations.
Keywords: Climate change, wine quality, typicity, temperature,
water defi cit
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CAHIER TECHNIQUE
Viticulture
technique en fonction du climat régional pour optimiser le compromis
entre la qualité et le rendement. Ils modulent également les techniques
viticoles qu’ils emploient pour s’adapter à la variabilité climatique
annuelle.
1.1. L’effet des températures
La phénologie de la vigne, c’est-à-dire les dates à laquelle la vigne
atteint les différents stades de son développement comme le débour-
rement, la floraison ou la véraison, dépend étroitement de la tempé-
rature. La relation est tellement forte qu’il est possible de prévoir
l’occurrence des stades phénologiques avec une assez bonne précision
à partir de modèles basés uniquement sur les températures (Parker
et al., 2011). La température est aussi impliquée dans la maturation
du raisin. L’accumulation de sucre dans le raisin augmente avec
la température (Coombe, 1987), mais l’accumulation de certains
composés secondaires, comme les anthocyanes, diminue (Kliewer
and Torres, 1972). L’acidité du raisin, et en particulier sa teneur
en acide malique, diminue avec la température (Coombe, 1987).
1.2. L’effet du statut hydrique de la vigne
Le statut hydrique de la vigne dépend principalement de la texture
du sol, du taux d’éléments grossiers, de la profondeur d’enracinement,
de la quantité et de la répartition des précipitations, de l’évapotrans-
piration potentielle (ETP) et de la surface foliaire. Une contrainte
hydrique limite la photosynthèse (Hsiao, 1973), la croissance des
rameaux (Lebon et al., 2006) et la taille des baies (van Leeuwen
et Seguin, 1994 ; Trégoat et al., 2002). Elle augmente la teneur en
composés phénoliques (Duteau et al., 1981 ; Matthews and Anderson,
1988 ; van Leeuwen et Seguin, 1994) et diminue l’acidité du raisin,
en particulier la teneur en acide malique (van Leeuwen et Seguin,
1994). Un stress hydrique excessif peut aboutir à une défoliation
des ceps, un dessèchement du raisin et un blocage de la maturation.
1.3. L’effet du rayonnement
Lorsque l’eau n’est pas un facteur limitant, la photosynthèse de
la vigne augmente avec l’intensité du rayonnement jusqu’à environ
un tiers de la luminosité enregistrée au cours d’une journée ensoleil-
lée, puis elle atteint un plateau (Kriedemann and Smart, 1971).
Des résultats contradictoires ont été publiés concernant l’effet
du rayonnement sur la composition du raisin, probablement parce
qu’il est difficile de séparer l’effet de la lumière de celui de la tempé-
rature. À l’aide d’un dispositif adapté, Spayd et al. (2002) ont réussi
à manipuler indépendamment luminosité et températures. Ils ont
montré que la teneur en anthocyanes du raisin augmente avec le
rayonnement directement reçu par les grappes, alors qu’elle diminue
avec la température.
2. Le changement climatique
Jusqu’au début des années 1990, la variabilité annuelle du climat
était considérée comme étant aléatoire. À partir des années 1990,
les chercheurs ont découvert qu’il y avait un sens dans cette variabilité,
qu’ils ont appelé “changement climatique”. La principale manifes-
tation du changement climatique est une augmentation des tempé-
ratures. Elle est générale, même si l’ampleur de l’augmentation de
température est variable d’une région à une autre (Schar et al., 2004).
Suivant le scénario d’émissions de gaz à effet de serre retenu,
les projections de l’augmentation des précipitations d’ici à la fin
du siècle se situent dans une fourchette de 1,0° C à 3,7° C par rapport
à la période 1985 – 2005 (IPCC, 2014). Concernant une éventuelle modi-
fication du régime des précipitations il existe moins de certitudes,
d’une part, parce que les précipitations sont des phénomènes
discontinus pour lesquels il faut disposer de longues séries avant
de pouvoir discerner d’éventuelles tendances et, d’autre part, parce
que les effets régionaux sont importants, certaines régions recevant
moins de précipitations, d’autres davantage. Cependant, la sécheresse
perçue par les végétaux ne dépend pas uniquement des précipitations,
mais également de l’évapotranspiration (Lebon et al., 2003). Cette
dernière augmente avec la température. Un climat plus chaud est
donc également un climat plus sec pour les cultures, à précipitations
équivalentes. Le changement climatique implique par ailleurs une
augmentation du rayonnement solaire et une augmentation de
la fréquence des événements extrêmes (IPCC, 2014).
2.1. Effet d’une augmentation des températures
sur le comportement de la vigne, la composition
du raisin et la qualité du vin
2.1.1. Des effets déjà observés
L’augmentation des températures, qui est l’une des conséquences
du changement climatique, provoque une avancée de la phénologie
de la vigne. Depuis les années 1980, la date de récolte a été avancée
de l’ordre de deux semaines en Alsace (Duchêne et al., 2004) et dans
le Bordelais (Figure 1a). Dans les régions septentrionales (Alsace) ou
atlantiques (Bordeaux), les viticulteurs profitent du réchauffement
pour rechercher une meilleure maturité du raisin au moment de la
cueillette. Cela se traduit par une durée véraison – récolte qui s’est
considérablement allongée depuis 25 ans (Figure 1b). L’année 2013
fait exception à cette tendance, à cause d’une forte pression de
Botrytis cinerea. L’avancée de la date des vendanges ne reflète donc
que partiellement l’avancée réelle de la phénologie dans ces régions.
Dans les vignobles méridionaux, il n’est pas possible de rechercher
une meilleure maturité, sous peine d’obtenir un raisin déséquilibré,
car trop riche en sucres et trop pauvre en acides organiques. Cet état
de fait explique la plus grande avancée de la date des vendanges
Figure 1a : Évolution de la date du début de vendange dans un château à Saint-Émilion de 1892 à 2015 (ONERC, 2014).
La ligne épaisse correspondent aux moyennes mobiles sur 10 ans.
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dans ces régions, près de quatre semaines en Côtes-du-Rhône par
exemple (Figure 1c). D’une manière générale, l’avancée de la phéno-
logie a pour conséquence que la maturation du raisin se déroule
dans des conditions plus chaudes, non seulement parce que le climat
se réchauffe, mais également parce que la maturation se déroule
plus tôt dans l’été.
Au cours des 30 dernières années, la composition du moût de raisin
au moment du dernier contrôle de maturité avant la récolte a consi-
dérablement évolué, comme le montre les données du Laboratoire
Dubernet (11100 Montredon-Corbières, Figure 2). Ces données portent
sur des milliers d’analyses tous les ans. On constate sur cette période
une augmentation du titre alcoométrique potentiel de 2 % vol.,
une baisse de l’acidité de 0,6 g H2SO4/L et une augmentation du
pH de 0,2 unité, ce qui est considérable. Des évolutions similaires
ont été constatées dans de nombreux autres vignobles dans le monde
(Duchêne and Schneider, 2005 ; Mira de Ordunia, 2010). Il est probable
que la hausse des températures a joué un rôle important dans cette
Figure 1b : Durée entre la mi-véraison et la récolte pour une parcelle de cabernet franc dans l’appellation Saint-Émilion entre 1988 et 2014.
Figure 1c : Évolution des dates des vendanges à Châteauneuf-du-Pape entre 1945 et 2013. Source : ONERC 2014.
évolution, même si d’autres facteurs ont certainement contribué
comme l’effet de l’augmentation de la teneur en CO2 dans l’atmosphère
(15 % sur la période considérée), une augmentation du rayonnement
reçu par la vigne, une amélioration des techniques viticoles et
la recherche, de la part des viticulteurs, d’une meilleure maturité
du raisin au moment de la récolte.
Un raisin plus sucré donne un vin plus alcoolisé. Le degré alcoolique
idéal d’un vin varie en fonction de sa composition globale, et notam-
ment sa teneur en acides organiques, ainsi qu’avec le type de vin
recherché. On peut cependant dire que la qualité du vin peut être
pénalisée aussi bien par un degré alcoolique trop faible que par
un degré alcoolique trop fort. Jusqu’au début des années 1980,
dans de nombreuses situations, la teneur en sucre du raisin était
sub-optimale. Dans un premier temps, l’augmentation des tempéra-
tures bénéficie donc au potentiel qualitatif de la vendange.
Aujourd’hui, cependant, il devient de plus en plus fréquent de récolter
des raisins avec un degré potentiel supérieur à 14 % vol ce qui est,
Figure 2 : Évolution du titre alcoométrique prévisionnel, de l’acidité et du pH du moût de raisin
dans le vignoble du Languedoc entre 1984 et 2013 (données : laboratoire Dubernet, 11100 Montredon-Corbières).
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CAHIER TECHNIQUE
pour la plupart des types de vin, trop élevé. Concernant l’acidité,
le paramètre le plus pertinent est le pH du moût et du vin.
Une augmentation du pH du vin conduit à une diminution de la
sensation de dureté perçue au cours de la dégustation, et donc à un
assouplissement du vin. La plupart des consommateurs perçoivent
positivement cette évolution, mais un pH trop élevé peut aussi avoir
pour conséquence de limiter la sensation de fraîcheur.
L’augmentation du pH risque également d’affecter la stabilité micro-
biologique du vin par diminution de la proportion de SO2 actif.
En effet, la levure de contamination Brettanomyces bruxellensis,
connue pour se développer dans les vins rouges au cours de l’élevage,
et même après la mise en bouteilles, nécessite l’emploi de doses
de dioxyde de soufre accrues lorsque la valeur du pH du vin est plus
élevée (Lonvaud Funel et al., 2010).
Concernant les arômes et les précurseurs d’arômes du raisin, il a été
montré que la teneur en 2-methoxy-3-isobutyl-methoxypyrazine
(IBMP), molécule très odorante associée au caractère végétal des
raisins et des vins diminue lorsque la température est plus élevée
pendant la période végétative (Falcao et al., 2007). La proportion de
vins végétaux diminue donc avec une augmentation des tempéra-
tures, même si d’autres facteurs, comme l’exposition à la lumière,
sont également déterminants pour la teneur en IBMP du raisin
et du vin (Koch et al., 2012). Il est par exemple observé que les vins
peuvent présenter des nuances de poivron vert marquées, même
sous climat chaud, si la canopée est dense et entassée. Par ailleurs,
la teneur en rotundone, arôme associé à la note poivrée de vins
de syrah, a tendance à diminuer dans un contexte de température
plus élevée (Scarlett et al., 2014). Ainsi, les vins de syrah risquent
d’être moins marqués par cette note aromatique dans un contexte
d’élévation importante des températures. Inversément, il est bien
établi que des teneurs en TDN, composé impliqué dans les nuances
pétrolées (kérosène) que peuvent présenter les vins de riesling
au cours du vieillissement sont toujours plus importantes dans
un contexte de maturation des raisins sous climat chaud (Marais
et al., 1992). En Bordelais, Pons et al. (2011) ont constaté que les vins
de différents millésimes d’une propriété de Pomerol, élaborés à partir
d’une forte proportion de merlot, contenaient plus de 5,6-dihydro-
6-pentyl-2(2H)-pyranone (appelée massoia lactone) au cours d’années
chaudes, qu’elle soit plutôt sèche (2003) ou humide (2007) (Figure 3).
Ce composé, dont l’odeur rappelle à la fois des notes de figue et
de noix de coco, est caractéristique de l’odeur des raisins rouges
en sur-maturation.
2.1.2 Des effets potentiels pour les années à venir
Des propositions de modélisation de l’effet de la température sur
la phénologie de la vigne pour les années à venir ont été élaborées.
Ainsi, l’avance prévisible de floraison de la vigne à Bordeaux serait
de 15 jours pour le futur proche (2020-2050) et de 30 jours pour la
fin du siècle (2070-2100, Figure 4). Pour la maturité, l’avancée serait
de 25 et 45 jours respectivement (Brisson et Levrault, 2010).
Cela conduirait à une maturation des raisin rouges à Bordeaux
vers le tout début du mois de septembre d’ici à 20 ans et vers la mi-
août à la fin du XXIème siècle. Ces dates de maturité sont incompa-
tibles avec la production de vins de grande qualité exprimant une
forte typicité par rapport au lieu de production (van Leeuwen and
Seguin, 2006).
S’il est assez facile de prévoir la phénologie en fonction de la hausse
des températures, il est nettement plus difficile de modéliser l’évo-
lution de la composition du raisin sous l’effet de l’augmentation des
températures pour les décennies à venir. Il n’y a cependant aucune
raison que la tendance observée sur les 30 dernières années (Figure 2)
s’arrête ou s’inverse. Ainsi, une évolution qui pourrait dans un
premier temps être considérée comme un atout (augmentation
de la teneur en sucre du raisin et diminution de l’acidité) risquerait
de plus en plus souvent de devenir un handicap dans un contexte
de réchauffement climatique.
Figure 3 : Teneur en 5,6-dihydro-6-pentyl-2(2H)-pyranone (appelé massoia lactone) dans les vins
d’une même propriété de Pomerol (Bordeaux) entre les millésimes 1999 et 2008 (Pons et al., 2011).
Figure 4 : Dates moyennes de floraison (a) et de vendanges (b) pour le cépage merlot calculées pour le passé récent PR (1971-2000),
le futur proche FP (2020-2050) et le futur lointain FL (2070-2100) à Bordeaux, Lusignan et Toulouse. D’après Brisson et Levrault, 2010.
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CAHIER TECHNIQUE
2.2. Effet de l’augmentation
de la contrainte hydrique
2.2.1. Effets déjà observés
Il est possible d’évaluer la contrainte hydrique subie par la vigne
par la modélisation du bilan hydrique. Dans le Tableau 1, le bilan
hydrique a été calculé du 1er avril au 30 septembre suivant la
méthode proposée par Lebon et al., (2003) pour 61 millésimes,
de 1952 à 2014, pour la région de Saint-Émilion (Bordeaux). Pour faire
ressortir dans ces bilans uniquement l’effet du climat, la réserve
en eau du sol a été considérée comme égale à zéro, ce qui explique
les valeurs négatives. Une éventuelle régulation de la fermeture
stomatique n’a pas été prise en compte. Le millésime est d’autant
plus sec que le bilan hydrique climatique est fortement négatif.
Il ressort que, sur cette période, les millésimes deviennent de plus
en plus secs, pas forcément à cause d’une diminution des précipi-
tations, mais surtout à cause d’une augmentation de l’évapotrans-
piration potentielle (ETP), conséquence mécanique de l’augmentation
des températures (Figure 5). Ainsi, parmi les 20 millésimes les plus
secs depuis 61 ans, on compte 10 millésimes de la période 2000 - 2012.
On constate en même temps que la qualité du millésime pour le vin
rouge à Bordeaux augmente avec la contrainte hydrique subie par
la vigne (notations du bureau de courtage Tastet et Lawton, 33000
Bordeaux). La corrélation entre le bilan hydrique climatique et
la qualité du millésime est très largement significative (Figure 6,
r2 = 0,54). Sur la même période, la qualité du millésime est beaucoup
plus faiblement corrélée avec la température moyenne d’avril
à octobre (r2 = 0,26). Il est intéressant de noter qu’à Bordeaux tous
les millésimes secs sont de bons ou d’excellents millésimes : une note
supérieure ou égale à 16 est obtenue si le bilan hydrique calculé
entre le 1er avril et le 30 septembre est inférieur à -220 mm.
En revanche, l’inverse n’est pas vrai : tous les millésimes arrosés
ne sont pas forcément de mauvais millésimes. En effet, il existe
des exemples où un été pluvieux a été sauvé par une arrière-saison
exceptionnellement sèche et ensoleillée. Cette analyse de l’évolution
de la sécheresse des millésimes sur une longue période montre,
qu’à Bordeaux, au cours des dernières décennies, la qualité du vin
a moins bénéficié de l’augmentation des températures que de
l’augmentation de la fréquence de la contrainte hydrique. Il faut
noter cependant que la contrainte hydrique n’est pas totalement
indépendante des températures, à cause de l’effet de la température
sur l’ETP. La contrainte hydrique augmente la qualité en provoquant
un arrêt de croissance des rameaux, en induisant une plus petite
Tableau 1 : Classement de 61 millésimes de 1952 à 2014 du plus sec au plus humide par modélisation du bilan hydrique (BH)
climatique calculé entre le 1er avril et le 30 septembre pour la région de Saint-Émilion (modèle de bilan hydrique
de Lebon et al., 2003 ; paramétrage : RU = 0 mm et absence de régulation stomatique).
La qualité des millésimes a été notée par le bureau de courtage Tastet et Lawton (33000 Bordeaux).
Figure 5 : Évolution du bilan hydrique climatique de 1952 à 2012 par modélisation du bilan hydrique climatique
calculé entre le 1er avril et le 30 septembre pour la région de Saint-Émilion
(bilan hydrique calculé d’après Lebon et al., 2003 ; paramétrage : RU = 0 mm et absence de régulation stomatique).
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