Les refuges de forêt atlantique brésilienne pourraient faciliter sa

Les refuges de forêt atlantique
brésilienne pourraient faciliter
sa régénération
Fiche n°273 - Août 2007
La forêt atlantique bré-
silienne est l’un des
écosystèmes les plus
menacés de la planète. Il
ne subsiste aujourd’hui
que 95 000 km² de ce milieu
naturel soit 8% de sa super-
fi cie maximum atteinte lors
de la dernière ère glaciaire.
Pour mieux comprendre
l’évolution de cette forêt
tropicale humide depuis
plus de 100 000 ans, une
équipe de chercheurs de
l’IRD, en collaboration avec
l’université de São Paulo
(1), s’est intéressée aux
espèces d’arbre du genre
Podocarpus endémiques
de la forêt atlantique bré-
silienne. Afi n de retracer
l’histoire de cette forêt tout
au long du Quaternaire
(2), les scientifi ques ont
combiné les données
issues de trois disciplines
scientifi ques: botanique,
palynologie et génétique.
D’après les résultats de
leur étude, la forêt tropi-
cale humide brésilienne
aurait connu des phases
successives de régression
et d’expansion au cours
de la dernière glaciation.
Ces variations survenues à
partir de foyers de popula-
tion qui subsistent encore
aujourd’hui seraient étroi-
tement liées aux variations
du climat. Une telle décou-
verte devrait permettre d’
identifi er ces parcelles de
forêt patrimoniales et ainsi
mieux les préserver du
changement climatique.
Au cours de la dernière glaciation qui
s’est achevée il y a environ 10 000 ans,
la forêt atlantique brésilienne s’étendait dans
toute la partie Est du pays sur plus
de 1 200 000 km²,
soit 15% du terri-
toire national. Aujourd’hui, il ne subsiste
que 95 000 km² de ce milieu naturel, soit 8%
de sa superfi cie initiale. Après la forêt ama-
zonienne, il demeure pourtant le deuxième
réservoir brésilien en terme de biodiversité.
Sur un seul hectare de forêt atlantique, les
biologistes ont ainsi inventorié plus de 450
essences d’arbres différentes. Mais la défo-
restation et les modes d’exploitation agricole
intensifs, font de cette forêt tropicale l’un des
écosystèmes les plus menacés de la planè-
te. Dans les Etats de São Paulo et du Minas
Gerais, des régions où l’agriculture s’est
fortement développée ces dernières années,
la forêt n’existe bien souvent que sous forme
de parcelles situées sur les versants abrupts
qui plongent vers l’Atlantique.
Pour mieux comprendre l’évolution de la
répartition de cet écosystème au cours de
l’ère Quaternaire, des chercheurs de l’IRD
et de l’université de São Paulo ont croisé
les résultats de trois disciplines scientifi ques
(botanique, palynologie, génétique) appli-
quées à trois espèces du
genre Podocarpus ,
à savoir P. sellowii, P. lambertii et P. brasilien-
sis. Ces arbres tropicaux qui appartiennent à
la famille des conifères constituent en effet de
bons marqueurs de l’évolution géographique
de la forêt atlantique au cours du temps car
les espèces brésiliennes sont endémiques
de ce milieu naturel. Par ailleurs, les grains
de pollen du genre Podocarpus présen-
tent une morphologie à ballonnets typique
et se conservent très longtemps dans les
sédiments. Ces deux caractéristiques en
font donc de bons candidats à l’étude paly-
nologique.
Le travail de l’équipe a d’abord consisté à
répertorier puis récolter le matériel végétal
disponible sur différents sites d’implantation
de l’actuelle forêt atlantique. Disséminés sur
un rectangle de 4000 km de long sur 500 km
de large correspondant à l’ensemble de la
Au brésil, la forêt atlantique est le deuxième réservoir de biodiversité après la forêt amazonienne
>>
© IRD/Marie-Pierre LEDRU
Institut de recherche pour le développement - 213, rue La Fayette - F-75480 Paris cedex 10 - France - www.ird.fr

zone de distribution de cet écosystème, ces
26 points de prélèvement correspondent à 26
populations différentes de Podocarpus.
Parallèlement à cette première étape permet-
tant par la suite de caractériser précisément
chaque population d’un point de vue généti-
que, six carottages sédimentaires ont été réa-
lisés à différentes latitudes d’implantation de
la forêt atlantique afi n d’analyser la fréquence
des grains de pollens appartenant au genre
Podocarpus contenus dans les différents
échantillons recueillis. Pour le forage réa-
lisé à Colônia (voir carte) dans l’Etat de São
Paulo, les scientifi ques ont notamment pu
constater que la fréquence de ces grains de
pollen fl uctuait au cours du temps, les phases
d’expansion et de régression de ce taxon (3)
se succédant sur des périodes plus ou moins
longues. Une augmentation de la fréquence
des grains de pollen de Podocarpus a notam-
ment pu être mise en évidence sur des pério-
des comprises entre -60 000 et -45 000 ans
puis entre -29 000 et -21 000 ans dans le sud
du Brésil et entre -16 000 et -15 000 ans dans
le Nordeste. Ces augmentations fl uctuantes
qui surviennent lors des périodes glaciaires
correspondraient à des phases d’expansion
de la forêt atlantique dans ces régions.
Afi n de tester cette hypothèse, l’équipe
franco-brésilienne a fi nalement fait appel
à des techniques de biologie moléculaire.
Pour chacune des 26 populations préala-
blement sélectionnées, les chercheurs ont
collecté les feuilles de cinq individus du genre
Podocarpus à partir desquelles ils ont extrait
l’ADN. Après amplifi cation des séquences de
nucléotides, une analyse phylogénétique leur
a permis de comparer le niveau de différen-
ciation génétique entre chaque population
de Podocarpus. Les scientifi ques sont ainsi
parvenu à délimiter trois grands foyers de
peuplement répartis selon la latitude.
L’approche pluridisciplinaire a également
montré que l’expansion des populations
de conifères tropicaux n’intervient jamais
au cours des périodes interglaciaires comme
cela se produit habituellement sous nos lati-
tudes tempérées. Sous les tropiques, les
populations de Podocarpus qui composent la
forêt atlantique ont en effet gagné du terrain
lors des périodes glaciaires à la faveur d’une
augmentation du taux d’humidité et d’un
rafraichissement des températures. De nos
jours, dans la région du Nordeste où le climat
est plus aride, cette forêt tropicale humide
présente un aspect de petites populations
isolées. Pourtant, il n’en a pas toujours été
ainsi. Dans cette partie du pays, l’étude, a
en effet permis d’affi rmer qu’une forêt dense
humide s’est développée il y a 15000 ans de
cela. En l’espace d’une dizaine d'années, son
expansion très rapide, sur un territoire grand
comme deux fois la France, n'a été rendue
possible que par la présence de multiples
mosaïques de forêt, aujourd'hui dispersées
sur ce territoire aride. Les prévisions d’évolu-
tion du climat pour les prochaines décennies
envisagent une augmentation de la durée
et de l’intensité des périodes de sécheresse
dans les régions intertropicales comme le
Nordeste. Si cette tendance se confi rme, la
protection des zones refuges de forêt atlan-
tique brésilienne devrait donc s’avérer indis-
pensable au maintien de cet écosystème
Grégory Fléchet - IRD
(1) Ces recherches ont été financées par la Fondation
Amparo Pesquisa de l’Etat de São Paulo
(2) L’ère Quaternaire désigne une période géologique
récente, qui se poursuit actuellement, marquée par
l’alternance de cycles glaciaires et interglaciaires et
dont la limite inférieure se situe entre -1,5 et -2,4 millions
d’années.
(3) Groupe d'organismes vivants qui descendent d'un
même ancêtre et qui ont certains caractères com-
muns. Les embranchements, classes, ordres, familles,
espèces...sont des taxons. Ici, le terme englobe toutes
les espèces appartenant au genre Podocarpus.
CONTACTS :
MARIE-PIERRE LEDRU
Institut de recherche pour
le développement (IRD)
MONTPELLIER. DÉPARTEMENT
milieux et environnement
(DME), secteur - Glaciers et
ressources en eau d'altitude
- Indicateurs climatiques et envi-
ronnementaux (GREAT ICE)
[phone]
[email protected]
RELATIONS AVEC LES MÉDIAS
[phone] ;
[email protected]
INDIGO, PHOTOTHÈQUE DE L’IRD
[phone] ;
[email protected]
www.ird.fr/indigo
IRD AUDIOVISUEL
[phone] ;
[e-mail]
www.audiovisuel.ird.fr/
RÉFÉRENCES :
MARIE-PIERRE LEDRU, MARIA LUISA
FERRAZ SALATINO, GREGORIO
CECCANTINI ET AL “Regional
assessement of impact climatic
change on the distribution of
tropical conifer in the lowlands
of South America”, Diversity and
Distributions, 2007
DOI: 10.1111/J.1472-4642.2007.00389.X
MOTS-CLEFS :
BOTANIQUE, PALYNOLOGIE,
GÉNÉTIQUE, PODOCAPUS, FORÊT
ATLANTIQUE, CLIMAT
Pour en savoir plus
Grégory Fléchet, coordinateur
Délégation à l’information et à la communication
Tél. : [phone] - fax : [phone] - fi [email protected]
Fiche n°273 - Août 2007
Localisation des 6 carottages de l'étude et répartition
actuelle de la forêt pluviale atlantique brésil (en gris).
© Sos Mata Atlantica