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La voie du loup
numéro24
juillet
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6 Que pouvez-vous nous dire de l’impact du loup
sur les ongulés sauvages en France ?
Eric Marboutin : Pour l’instant peu de
données sont disponibles, essentiellement
parce qu’il n’y a pas de méthodes à la fois vrai-
ment robustes et vulgarisables pour suivre les
évolutions des populations d’ongulés sauvages;
certaines enquêtes auprès de détenteurs de
droit de chasse ou informations émanant de ces
milieux laissent penser qu’en quelques endroits
de nombreux cadavres de proies sauvages (essen-
tiellement cerfs et chevreuils) soit attribuables à
la prédation du loup; il semble aussi dans ces cas
que cela puisse coïncider avec une forte con-
centration momentanée des populations de ces
espèces sur des zones plus accessibles en temps
de neige (gagnage herbager disponible, moindre
profondeur de neige, arbres à écorcer), zones sur
lesquelles le loup concentrerait alors lui aussi
son action de prédation. Sur le massif de Belle-
done, dans la zone d’Arvillard par exemple, de
nombreuses carcasses de cervidés auraient été
retrouvées localement -mais n’ayant pas toutes
fait l’objet d’une expertise par le réseau Grands
Carnivores Loup-lynx- durant les hivers passés ;
toutefois lors de comptages nocturnes au phare
des cervidés dans ces vallées du massif de Bel-
ledonne, on détecte de plus en plus de cerfs par
exemple.
Tout se passe comme si l’action de préda-
tion, concentrée momentanément dans l’espace
lors de l’hiver, présentait des effets dilués dans
un espace plus conséquent par la suite (celui de
la vraie échelle spatiale de la population de cerfs
par exemple), effets qu’au mieux on ne parvient
plus à détecter par les méthodes de suivi classi-
que (comptages nocturnes de cervidés); un cas
semblable (concentration spatiale des attaques
de loups sur cervidés) semble aussi se produire
sur la partie basse en altitude du domaine de la
meute du Thabor-Galibier (versant moyenne
vallée de Maurienne). L’impact du loup dans les
conditions écologiques actuelles de disponibilité
et de diversité des proies potentielles est proba-
blement hétérogène selon les zones, et difficile
à cerner (mortalité additive, compensatoire, les
deux ?); c’est la raison pour laquelle l’ONCFS a
initié, en collaboration avec le CNRS et le Parc
national du Mercantour ainsi que la Fédération
des chasseurs 06, l’étude « prédateur-proie » pilo-
tée par Carole Toigo et Ariane Bernard-Laurent
(avec Xavier Tardi en tant que personnel d’ap-
plication, responsable sur le terrain des captures
d’ongulés): cette étude mesurera les différentiels
de taux de survie, de fécondité...etc, entre zones
soumises à plus ou moins forte prédation par
le loup (sur cerf, chevreuil, chamois, mouflon),
ainsi que la réponse spatiale des proies (éclate-
ment des groupes ou regroupement, vigilance/
réaction de fuite plus prononcées).
6 Certains échos sont très alarmistes... Assiste-
t-on à une évolution à la baisse des plans de
chasse qui traduirait une baisse des effectifs
d’ongulés ?
E.M. : En certaines zones, les plans de
chasse ont baissé alors que les prédateurs (loup
ou lynx) potentiels n’y sont pas détectés ; en
d’autres endroits, il y a coïncidence en baisse
des plans de chasse et présence détectées des
prédateurs; en fait quasiment tous les apparie-
ments entre tendances des plans de chasse et
présence/absence des prédateurs peuvent être
rencontrés. En matière de chevreuil par exemple,
on connaît maintes zones avec plan de chasse en
baisse et pas de prédation autre que celle issue de
l’activité cynégétique, cette dernière étant même
parfois très modérée (i.e. ce n’est probablement
même pas la chasse qui explique la baisse de la
population de chevreuils); inversement, on con-
naît aussi des zones où il semble y avoir au mini-
mum une coïncidence temporelle entre appari-
tion puis installation d’une meute et baisse des
plans de chasse ; une partie du questionnement
au moins provient du problème de différentiel
d’échelle spatiale entre le rayon d’action du loup
(150 à 300 km2 pour une meute) et le rayon d’ac-
tion de la perception du problème cynégétique
et de sa gestion (échelle d’une commune le plus
souvent).
6 Quels enseignements tirez-vous des études
menées dans d’autres pays ?
E.M. : En matière d’études scientifiques
robustes, la quasi totalité des informations vient
d’écosystèmes peu comparables au nôtre : sou-
vent caractérisés par des systèmes basés sur une,
voire deux espèces proies, les relations sont plus
«directes» et plus «fortes» potentiellement entre
le prédateur et sa proie. Chez nous, on peut s’at-
tendre à un mécanisme de switching entre plus
d’espèces de proies (cerf, chevreuil, chamois,
mouflon, sanglier) au gré de l’évolution de leur
Questions
à
Eric Marboutin,
chef de projet loup/lynx
à l’ONCFS (Office national
de la chasse et de la faune
sauvage)
&
à
Benoît Lequette,
chef du service Etude et
Gestion du Patrimoine au
Parc national du Mercantour
Propos recueillis
par Florence Englebert
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