ressemblent aux hommes qui suivent les dieux et leur course à travers le ciel dans le mythe du
Phèdre et ont de la malchance avec leurs chevaux après avoir vu le hyperouranos topos
(l'endroit au-dessus du ciel) pour quelques instants. Voici un extrait du Phédon (trad.
Chambry):
[L]a terre est immense et [...] nous qui l’habitons du [fleuve] Phase aux colonnes d’Héraclès, nous
n’en occupons qu’une petite partie, répandus autour de la mer, comme des fourmis ou des
grenouilles autour d’un étang, et que beaucoup d’autres peuples habitent ailleurs en beaucoup
d’endroits semblables; car il y a partout sur la terre beaucoup de creux de formes et de grandeurs
variées, où l’eau, le brouillard et l’air se sont déversés ensemble. [...N]ous croyons habiter en haut
de la terre, comme si quelqu’un vivant au milieu du fond de l’Océan, se croyait logé à la surface de
la mer, et, voyant le soleil et les astres à travers l’eau, prenait la [superficie de] la mer [vue d‘en
bas] pour le ciel [..S]i quelqu’un pouvait arriver en haut de l’air [= le brouillard], ou s’y envoler sur
des ailes, il serait comme les poissons de chez nous qui, en levant la tête hors de la mer, voient
notre monde [..N]otre terre à nous, les pierres et le lieu tout entier que nous habitons sont
corrompus et rongés, comme les objets qui sont dans la mer le sont par la salure [..C]ette terre-là,
vue d’en haut, offre l’aspect d’un ballon à douze bandes de cuir [...] de couleurs bien plus
éclatantes et plus pures que les nôtres [...] là-bas toutes les pierres sont précieuses et encore plus
belles de couleur. [...] Elle porte beaucoup d’animaux et des hommes, dont [quelques-uns habitent]
au bord de l’air, comme nous au bord de la mer [...] l’air est pour eux ce que l’eau et la mer sont ici
pour notre usage, et ce que l’air est pour nous, c’est l’éther qui l’est pour eux. Leurs saisons sont si
bien tempérées qu’ils ne connaissent pas les maladies [...] Ils voient [...] le soleil, la lune et les
astres, tels qu’ils sont [...]
Le texte est aussi difficile que beau, parce qu’il n’est pas clair où la description sérieuse finit
et où, peut-être, la parabole commence. Pour compliquer les choses il faut tenir compte du fait
que la limite entre description et parabole n’est pas nécessairement la même pour Socrate, que
Platon fait parler, et pour Platon lui-même. Peut-être le Socrate de Platon est plus naïf que
Platon lui-même. Pourtant il est clair que n’importe quel auteur ancien qui connaissait le texte
et l’admirait aurait eu du mal à le surpasser. Cicéron s'y essaye.
4. Le songe de Scipion de Cicéron
Cicéron écrit à peu près 300 ans après Platon, la majeure partie de son œuvre date des années
50 avant J.C. Il écrit de la littérature philosophique en latin, ce qui n’est pas entièrement mais
quand même largement sa propre invention. Sa République contenait six livres. Il savait bien
qu’il existait une République de Platon, mais il connaissait très probablement encore d’autres
œuvres du même genre, notamment stoïciennes. J’ai appris récemment à apprécier le fait que
la politeia est un genre littéraire dans un bon article de Stephen Menn de McGill university au
Canada (mais peut-être bientôt à Berlin). Le songe de Scipion est la fin solennelle de la
République. Tandis qu’une assez grande partie du texte de la République n‘a été redécouverte
qu'au 19ème siècle sous la forme de palimpseste, le songe de Scipion a toujours été connu
parce que Macrobe, auteur néo-platonicien de l’antiquité tardive, en avait écrit un
commentaire qui contenait le texte même. Il est peu étonnant que Macrobe ait aimé ce texte:
le songe de Scipion est plus platonicien que d’autres textes de Cicéron dont le choix de