Avant-propos Parce que, dans les gouvernements absolus le Souverain est la loi, dans les pays libres, la loi doit être souveraine […] Et pour qu’il n’y ait jamais de dérives, démolissons la couronne pour la disperser parmi le peuple auquel elle revient. Thomas Paine, Common Sense, 1776 Ce que je sais, c’est que les lois et les institutions doivent avancer avec l’esprit humain. Elles doivent progresser tandis que les circonstances le font avancer, que de nouvelles découvertes sont faites, que les manières et les opinions évoluent au même rythme. Thomas Jefferson, Lettre à Samuel Kercheval, 12 juillet 1816 Gouverner c’est faire croire, disait Machiavel. Lorsque Richard Neustadt parle du pouvoir présidentiel, c’est pour évoquer le « pouvoir de persuasion » du président. La personnalité du président, sa capacité de charmer et de convaincre représentent les clés de sa réussite. C’est sur cette base qu’il sera élu, sur ce fondement qu’il sera jugé. En ce sens, George Washington, premier président des États-Unis, reste le symbole incontournable de cette nouvelle nation unie derrière un référent charismatique. Et dans ses traces, les présidences modernes posent leurs pas, en tentant à leur tour d’incarner la stabilité politique et l’unité nationale. Aussi chaque crise nationale aux États-Unis révèle-t-elle le rôle, le poids et la dimension mythique du président © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : La présidence des États-Unis, Élisabeth Vallet (dir.), ISBN 2-7605-1364-5 • D1364N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés XVI – La présidence des États-Unis américain. Lui seul, drapé dans « sa splendide solitude1 » semble pouvoir incarner l’unité des États-Unis en danger car l’union sacrée autour du président est un réflexe que porte en elle la nation américaine. L’imaginaire américain est parsemé de ces icônes présidentielles et d’instants, gravés dans les mémoires, au cours desquels le président a changé le sens de l’histoire. Ainsi, en juin 1863, tandis que 45 000 cadavres jonchent le champ de bataille de Gettysburg, en Pennsylvanie, le général confédéré Robert E. Lee bat en retraite : l’issue de la guerre civile vient de se jouer. Dans ce champ de ruines, Abraham Lincoln va prononcer un très bref discours qui marquera l’histoire du pays tout entier et son idéal démocratique, « afin que cette nation, devant Dieu, renaisse à la liberté – et afin que le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, ne soit pas effacé de cette terre2 ». Ce discours de Gettysburg, que tous les écoliers américains apprennent par cœur, appartient à cette histoire complexe. Il est aujourd’hui gravé à l’intérieur du Monument national de Lincoln à Washington sous une fresque de Jules Guérin, montrant l’Ange de vérité libérant un esclave. Lincoln est désormais la figure de la réconciliation nationale, ce symbole qui permet, 140 ans plus tard, de condamner Edgar Ray Killen, ancien membre du Ku Klux Klan, pour le meurtre de trois militants des droits civiques en 1964 à Philadelphia au Mississippi3. Ainsi, le président peut être cette figure qui représente, à travers la nation, un idéal politique et démocratique. Lorsque John F. Kennedy scandait aux Américains « ne demandez pas ce que le pays peut faire pour vous mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays », les États-Unis retrouvaient cet élan patriotique, la grandeur d’âme des Pères fondateurs, les idéaux des origines. Pour autant, le président peut aussi être le cliché négatif de ce symbole. C’est ainsi que Richard Nixon, prenant de vagues allures de despote paranoïaque, a sombré avec le scandale du Watergate, entraînant le pays dans une crise sans précédent. De même, George W. Bush est, à lui seul, devenu l’emblème d’une politique impériale tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, conduisant l’antiaméricanisme à des sommets inégalés depuis la présidence de Ronald Reagan4. Sorte 1. Il fait face à un Congrès « divisé, turbulent, bagarreur, assiégé par les groupes d’intérêt et les lobbies ». Claude Corbo (2004). Les États-Unis d’Amérique – Les institutions politiques, Tome 2, Montréal, Septentrion, p. 217. 2. Abraham Lincoln, Gettysburg Address, 19 novembre 1863 ; Roy P. Basler (dir.) (1953). The Collected Works of Abraham Lincoln, New Brunswick, Rutgers University Press, vol. 7, p. 22, adaptation en français par l’écrivain et académicien André Maurois, en ligne : <http://www.herodote.net/histoire04140.htm> (page consultée le 15 juin 2005). 3. Ce drame a été porté à l’écran en 1988, et consacré dans la mémoire collective, par Alan Parker avec le film Mississippi Burning. 4. Voir Denis Lacorne, Jacques Rupnik et Marie-France Toinet (1986). L’Amérique dans les têtes – Un siècle de fascinations et d’aversions, Paris, Hachette et CharlesPhilippe David (dir.) (2003). « Nous antiaméricains ? Les États-Unis et le monde », Les Cahiers Raoul-Dandurand, no 7, mars. © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : La présidence des États-Unis, Élisabeth Vallet (dir.), ISBN 2-7605-1364-5 • D1364N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés Avant-propos – XVII de « monarque républicain5 », le président des États-Unis est désormais l’emblème de l’hyperpuissance6 qui oppresse, opprime et bafoue les droits de la personne. Du scandale d’Abou Ghraib à la dénonciation de l’existence du centre de détention de Guantanamo par un ancien président devenu prix Nobel de la paix, Jimmy Carter, la présidence de George W. Bush porte un modèle que le monde ne comprend plus. De l’icône au leader démoniaque, il n’y aurait bien souvent qu’un pas, aisément franchi. La présidence et son titulaire appartiennent cependant à un ensemble complexe qu’il convient d’expliquer. Il y a, derrière le président, tout un appareil décisionnel, un ensemble de contraintes – les checks and balances –, des personnalités, des pressions politiques ou médiatiques, autant d’éléments qui définissent la présidence américaine. Si la présidence est indéniablement « la scène vitale de l’activité du système7 », il ne faut pas surestimer la rationalité des décisions et des décideurs8. C’est cette part d’irrationalité, assortie de ses éléments constants, des facteurs déterminants que nous avons voulu rassembler ici pour apporter au lecteur les données nécessaires pour comprendre la présidence américaine, pour décrypter les décisions présidentielles et appréhender l’étendue du pouvoir d’un seul homme. Présidence impériale ou présidence en péril, selon son détenteur, il faut la connaître pour l’appréhender avec rigueur. C’est sans doute Truman qui a su le mieux dépeindre l’institution, lui qui a dû décider de l’emploi du feu nucléaire sur le Japon. Lui qui, lorsqu’il parvint au pouvoir, n’était vice-président que depuis quelques semaines : être président, disait-il, « revient à chevaucher un tigre : soit on se tient en selle, soit on se fait avaler ». Les jeunes chercheurs de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques à l’Université du Québec à Montréal ont donc entrepris cette chevauchée au long de cet ouvrage. Il est vrai néanmoins que c’est, comme le disait Raoul Girardet, dans les sentiers battus qu’il y a le plus d’ornières9. Dès lors, sans complaisance et avec rigueur, les auteurs ont voulu ici permettre une plus grande compréhension de ce qu’est la présidence américaine. Il s’agissait de 5. Voir Arthur M. Schlesinger Jr. (1986). « La présidence impériale : vingt ans après », dans Marie-France Toinet. Et la Constitution créa l’Amérique, Nancy, Presses universitaires de Nancy, p. 162. 6. Voir Michel Wieviorka (dir.) (2004). L’empire américain, Paris, Balland, p. 19-22. 7. Woodrow Wilson (1885). Congressional Government, New York, Houghton Mifflin, p. 18. Nota Bene : à moins d’une mention contraire, toutes les citations présentées dans cet ouvrage sont traduites par les auteurs. 8. Charles-Philippe David (2004). Au sein de la Maison-Blanche : la formulation de la politique étrangère des États-Unis, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 29-30. 9. Raoul Girardet (1986). Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, p. 139. © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : La présidence des États-Unis, Élisabeth Vallet (dir.), ISBN 2-7605-1364-5 • D1364N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés XVIII – La présidence des États-Unis dépasser les idées reçues pour montrer la complexité du gouvernement américain, l’incidence de la psychologie des présidents, l’importance des poids et contrepoids et le rôle déterminant de la société civile. Pour aller au-delà des théories du complot, par essence réductrices et incomplètes, cet ouvrage permet de prendre la mesure de la diversité des acteurs qui influencent, soutiennent, altèrent, obèrent la présidence et la performance du président. Cette réalisation est avant tout le fruit du travail collectif d’une belle équipe de recherche, soutenue par la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. En effet, créé il y a plus de trois ans, l’Observatoire sur les ÉtatsUnis de la Chaire Raoul-Dandurand réunit, sous la présidence du professeur Louis Balthazar, les spécialistes des questions américaines dans le monde francophone. Pôle innovateur en études américaines, il dispose aujourd’hui d’une capacité d’expertise reconnue et produit une série de publications, en français et en anglais, ainsi que des analyses en ligne10. Ce long travail a également bénéficié du soutien de deux piliers de la recherche québécoise en science politique sur les États-Unis. Les professeurs Claude Corbo et Charles-Philippe David ont accepté de consacrer beaucoup de temps à ce projet, en se pliant notamment au fastidieux exercice de relecture et en participant à la réflexion d’ensemble. Nous souhaiterions les remercier ici, tout en soulignant que nous sommes pleinement responsables des maladresses et omissions que pourrait comporter ce livre. Je voudrais également saluer personnellement les personnes qui, en coulisses, ont contribué à l’aboutissement de ce projet : le personnel de la Chaire Raoul-Dandurand, Jacqueline et Jean-Claude Vallet pour leurs patientes et longues relectures, et l’équipe des PUQ pour son appui constant. Je souhaite enfin remercier tout particulièrement les auteurs de ce livre qui ont accepté, malgré leurs nombreux engagements, de se lancer dans l’aventure. Peut-être serons-nous parvenus, tous ensemble, à comprendre le tigre, à défaut de le dompter. Élisabeth Vallet Montréal, le 1er juillet 2005 10. Sur le site : <www.dandurand.uqam.ca>. © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : La présidence des États-Unis, Élisabeth Vallet (dir.), ISBN 2-7605-1364-5 • D1364N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés Avant-propos – XIX Les présidents des États-Unis No Nom Mandats Parti Vice Président(s) 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 George Washington John Adams Thomas Jefferson James Madison James Monroe John Quincy Adams Andrew Jackson Martin Van Buren William Henry Harrison John Tyler James Knox Polk Zachary Taylor Millard Fillmore Franklin Pierce James Buchanan Abraham Lincoln Andrew Johnson Ulysses Simpson Grant Rutherford Birchard Hayes James Abram Garfield Chester Alan Arthur Stephen Grover Cleveland Benjamin Harrison Stephen Grover Cleveland William McKinley 1789-1797 1797-1801 1801-1809 1809-1817 1817-1825 1825-1829 1829-1837 1837-1841 1841-1841 1841-1845 1845-1849 1849-1850 1850-1853 1853-1857 1857-1861 1861-1865 1865-1869 1869-1877 1877-1881 1881-1881 1881-1885 1885-1889 1889-1893 1893-1897 1897-1901 Aucun Fédéraliste Démocrate-républicain Démocrate-républicain Démocrate-républicain Démocrate-républicain Démocrate Démocrate Whig Whig Démocrate Whig Whig Démocrate Démocrate Républicain Démocrate Républicain Républicain Républicain Républicain Démocrate Républicain Démocrate Républicain 26 27 28 29 30 31 32 Theodore Roosevelt, Jr. William Howard Taft Thomas Woodrow Wilson Warren Gamaliel Harding John Calvin Coolidge, Jr. Herbert Clark Hoover Franklin D. Roosevelt 1901-1909 1909-1913 1913-1921 1921-1923 1923-1929 1929-1933 1933-1945 Républicain Républicain Démocrate Républicain Républicain Républicain Démocrate 33 34 35 36 37 Harry S. Truman Dwight David Eisenhower John Fitzgerald Kennedy Lyndon Baines Johnson Richard Milhous Nixon 1945-1953 1953-1961 1961-1963 1963-1969 1969-1974 Démocrate Républicain Démocrate Démocrate Républicain 38 39 40 41 42 43 Gerald Rudolph Ford, Jr. James Earl “Jimmy” Carter, Jr. Ronald Wilson Reagan George Herbert Walker Bush William Jefferson Clinton George Walker Bush 1974-1977 1977-1981 1981-1989 1989-1993 1993-2001 2001-2008 Républicain Démocrate Républicain Républicain Démocrate Républicain John Adams Thomas Jefferson Aaron Burr puis George Clinton Elbridge Gerry Daniel D. Tompkins John C. Calhoun John C. Calhoun puis Martin Van Buren Richard Mentor Johnson John Tyler Aucun George M. Dallas Millard Fillmore Aucun William R. King John C. Breckinridge Hannibal Hamlin puis Andrew Johnson Aucun Schuyler Colfax puis Henry Wilson William A. Wheeler Chester A. Arthur Aucun Thomas A. Hendricks Levi P. Morton Adlai E. Stevenson Garret A. Hobart puis Theodore Roosevelt Aucun puis Charles W. Fairbanks James S. Sherman Thomas R. Marshall Calvin Coolidge Aucun puis Charles G. Dawes Charles Curtis John Nance Garner puis Henry A. Wallace puis Harry S. Truman Aucun puis Alben W. Barkley Richard M. Nixon Lyndon B. Johnson Aucun puis Hubert H. Humphrey Spiro Agnew puis aucun puis Gerald Ford Aucun puis Nelson Rockefeller Walter F. Mondale George H. W. Bush James Danforth Quayle III Albert A. Gore, Jr. Richard B. Cheney © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : La présidence des États-Unis, Élisabeth Vallet (dir.), ISBN 2-7605-1364-5 • D1364N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés XX – La présidence des États-Unis Note au lecteur Vous trouverez une bibliographie exhaustive sur le sujet ainsi qu’un glossaire en recherchant le titre de ce livre à l’adresse suivante : www.puq.ca. Vous pouvez également atteindre directement la page de cet ouvrage en tapant l’adresse suivante : www.puq.ca/fr/repertoire_fiche.asp?titre= titres&noProduit=D1364 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : La présidence des États-Unis, Élisabeth Vallet (dir.), ISBN 2-7605-1364-5 • D1364N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés