L.D~
L-il.L-\.lVlr.Dl
~
V.l~
ET LA CROISADE
Actes des quatrièmes journées rémoises 27-28 novembre
1987
publiés sous
la
direction de
Yvonne
BELLENGER
et Danielle
QUÉRUEL
Alfons BECKER
(Université
de
Mayence)
URBAIN
11,
PAPE
DE
LA CROISADE
Dans
l'historiographie
moderne,
Urbain
II,
deuxième
pape
français
(après
Silvestre
II,
précédemment
Gerbert
d'Aurillac,
archevêque
de
Reims),
commence
depuis
peu
à
sortir
de
l'ombre
de son plus
célèbre
prédécesseur,
Grégoire
VII,
pour
sc
révéler
comme
un
personnage
his-
torique de premier rang ct
de
très grande
importance;
depuis une ving-
taine
d'années
environ,
la
recherche
historique
s'intéresse
plus
particu-
lièrement
à lui
sous
de
multiples
aspects.
Le
temps
d'Urbain
II. la
deuxième
moitié du
XI"
siècle,
est
un
grand
tournant
dans
l'histoire
médiévale.
la
transition
du
Haut
Moyen
Âge
au
Moyen
Âge
classique,
une
époque
de
profondes
transfonm;tions
de
la
société,
de
développements
multiples,
d'un
essor
général
dans
presque
tous
les
domaines
de
la vic
(intellectuelle
ct sociale, religieuse
ct
politi-
que,
spirituelle
ct
matérielle).
L'un
des
grands
mouvements
historiques
de
cette
époque
fut la
réforme
dite
grégorienne
qui,
par
sa
conception
de
l'Église ct
de
la
société,
contribua
fortement
il ces
changements.
Pour
situer
ct
apprécier
la
position
d'Urbain
II
dans
cette
évolution
historique, on peut dire sans exagération que cc fut grâce à
son
action,
pendant
les
onze
ans
ct
quatre
mois
de
son pontificat (1088-1099),
que
l'œuvre
de
Grégoire
VII
ne resta
pas
un
épisode
sans
lendemain,
une
politique
vouée
à
l'échec
avec
la
mort
de
cc
pape
en cxil, il
Salerne,
en
1085.
C'est
Urbain
II
qui,
en
défendant
l'héritage
de
Grégoire
VII,
a
rendu
possible la
percée
historique
de
cc
grégorianisme
médiéval,
tout
en
le modifiant
ct
en
le
développant.
En
cette
année
de
commémoration
capétienne',
on
rappcllerait
volontiers
quc
ce fut
Urbain
II
qui,
en
1089,
accorda un privilège
authentique
il
l'archevêque
de
Reims,
lui
assurant
le droit exclusif de couronner le roi
ct
sanctionnant ainsi explicitement
],
Le colloque olt prit place cette communic,llion il
cu
lieu
en
1987, année ùu millénaire
capétien.
10
ALFONS
BECKER
L1ne
très ancienne
tradition
rémOlsc qui, par la suite, sc
maintiendra
jusqu'au
X1X
C sièclc2.
Dans
le
cadre
du
sujet
général
dc
ces
journées,
je
me
limiterai
à
présenter
Urbain
II
uniquement
comme
«
papc
dc
la
croisade
»,
ct
il
n'est
pas sans
intérêt
d'évoquer
le
souvenir de cc
Champenois,
initiateur
de
la
croisade, ct
d'esquisser
très succinctement l'idée de
croisade
telle
qu'il l'a
développée
lui-même
-
même
s'il
n'est
pas possible de
s'attar-
der
sur
ses activités ni
sur
les
événements,
bien
connus
par
ailleurs.
En
étudiant
les bulles
ct
les
lettres
d'Urbain
II,
on
peut
observer
l'évolution
de
son idée de croisade,
dont
les
éléments
essentiels ct
caractéristiques
apparaisscnt
déjà
dès
le
début
de son pontificat,
en
IOkk.
Et
il
y a
cu
dans sa vic ct
dans
sa
carrière,
avanl1088,
des
expériences
personnelles,
des
impulsions,
qui
ont
sans
doute
contribué
à la
formation
ct
au
déve-
loppement
chez lui de
l'idée
de croisade.
Tout
d'abord
-
ct
tout
naturellement
-
par
son origine noble
et
sa
jeunesse
vécue
dans
Lille
famille noble ayant sans
doute
clIc-même de
multiples
relations
avec
la
noblesse
champenoise,
il
acquit
ct
garda
pour
toujours
une
connaissance
et
une
compréhension
particulières
de
l'aris-
tocratie
féodale,
de
sa
mentalité,
de ses
aspirations
et
de
ses
problèmes.
La croisade,
dans
l'idée
que
s'en
faisait
Urbain
Il,
est l'affaire de la
noblesse, des ducs
et
des comtes, des seigneurs, des chevaliers. des
« rni/ites
»,
comme
il
le
dit
lui-même·"\,
Quant
il son
origine,
il semble
que
l'on ne puisse
guère
dire plus
que
ccci:
Urbain
Il,
qui, avant de
devenir
pape,
s'appelait
Eudes,
ou
Odon,
descendait
d'une
famille noble ayant des
propriétés
il Binson.
Son
père,
probablement
seigneur
de
Lagery
et
sans
doute
vassal
du
comte
de
Champagne,
possédait vraisemblablement le village
de
Bin-
son, et
certainement
l'église
Saint-Pierre,
comme
le
prouve
une bulle
d'Urbain
II
du
20
mars
1096
pour
Saint-Pierre de Binson
(prieuré
cluni-
sien)
que
le
pape
possédait
encore
par
héritage".
On
peut
supposer
qu'Odon
est plutôt à
Châtillon-sur-Marne
qu'à
Lagery,
ct
que
la
date
de sa naissance se
situe
autour
de
1035.
2.
Buile adressée li
l'archevêque
Renaud
de Reims. le 25
décembre
1089. Jaffé-Loe\\'enfckL
Reges{a
/'olifijiC/lII/ ROII/al/omll/
J,
Leipzig 1885. réimpression Gral. 1956,
5415 (cit. JL),
éd.
l"vlîgne,
Pa/mlagia Ltllil1u, vol.
151
col.
309
(cil.
i"v1igl1e
PL). -
Pour
l'histoire
d'Urbain
IL voir
A.
Becker, Papst Urban
II.
(1088-1099j,
1:
!-ll'rklflljt
ul/d
kirchliche
Laujbahll,
der
Fap.,·{
IIlId die
lareillische Chrisfcnheft,
Stuttgart
1964
~
JJ
: !Jer
PI/pSI,
die gricchtsche
ChriSlenheillll/d
d('r Krellz-
::ug,
Stuttgart
1988.
Schriften'
der
Monuillenta
Gennaniae
Historicn
19,1-11.
J.
Lettre
aux moines
de
l'abbaye
de Vallombrosa (oct. 10(6) : " Nos
cllim
ad han!" cxpcdi-
liOI/CI/I
mililulII
a/limos il/Sligill··ill/II.>",
qui
anl/is
sllis SaraCCIiOrl/lIl
jl'rùmclI/
dccliI/arc
el
christi{/no·
rl/m (ecc!csias) possif1lliberrari pri.lïùlc rC.lïilw'/"('
".
P.
Kehl'.
Rr'gCSIII
POlllijïcllm
ROlllanonllll,
I/(!-
lia POl/lifiCill JlI, Berlin
1908,
p.
89.
Il''
8 (cit. Il. Pon!.).
éd.
R.
Iliestand.
Fomrhcitel/
:;/1111
Oriens
POlllificil
..
s
III,
Abhandlullgen
der
Akademie
der
Wisscnschaftcn
in
(;ôttingcn.
Philologisch-His-
torische
f..;.lasse.
3. Foige
N~·.
136. Ciüttingen
19R5.
p.
RR.
n"
2.
4.
JL
5621, Migne
PL
151,450.
URBAIN
IL
PAPE
DE
LA
CROISADE
J J
En
1055,
Odon
de
Châtillon
apparaît
comme
grand-archidiacre
à
Reims
-le
personnage
le plus
important
après
l'archevêque
dans le
gouvernement
de
l'archevêché.
Le
1"
octobre
1055,
en
effet,
l'archidia-
cre
Odon
figure
comme
témoin
dans
l'acte
final
d'un
procès
entre
l'ar-
chevêque
Gervais
de
Rcims
ct
le
comte
Manassc
de
Porcien;
ce docu-
ment
est
d'autant
plus
intéressant
qu'il
contient
la
premièrc
mention
datée
avec
certitude
de
la ligesse (ligia fielel;tas et
homo
figius) ; qua-
rante
ans plus
tard,
au
concile
de
Clermont
en
1095,
Urbain
II,
comme
législateur
de
la
réforme
grégorienne,
fera
interdire
aux
ecclésiastiques
de
prêter
hommage
lige aux laïcs,
étape
très
importante
dans
l'évolution
de
la
querelle
des
investitures'.
Après
1067,
Odon
de
Châtillon
fut pen-
dant
une
dizaine
d'années
d'abord
moine,
puis
Grand
Prieur
à Cluny -
cette
fois le
personnage
le plus
important
après
l'abbé
dans
l'administra-
tion
de
la
grande
abbaye
bourguignonne.
A
l'occasion
d'une
querelle
entre
Cluny
et
l'évêque
de
Mâcon,
le
Grand
Prieur
Odon
fut
envoyé
en
1079 à
Rome
pour
représenter
son
abbaye
auprès
du
pape
Grégoire
VII
qui le
garda
dans
son
entourage
et
le
nomma
(en
1(80)
cardinal-évêque
d'Ostie,
à la
tête
du
collège des
cardinaux:
une
fois
de
plus,
on
le voit
dans
une
position
éminente.
Le
12
mars 1088,
au
cours
d'une
grave
crise de la
papauté
et
de
la
réforme
grégorienne,
Odon
de
Châtillon
fut
élu
pape
et
prit le
nom
d'Urbain
II.
Au
cours
de
sa
carrière
ecclésiastique, le
futur
initiateur
de
la croi-
sade
avait fait
connaissance
du
mouvement
de
la Paix
et
de
la
Trêve
de
Dieu
dont
il
avait
été
témoin
en
Champagne
et
en
Bourgogne.
Ce mou-
vement
de
la Paix
contribua,
à plusieurs
égards,
à
préparer
mentale-
ment
l'esprit
de
croisade
d\ll1e
part,
c'était
la
condamnation,
comme
crimes
et
péchés,
de
toutes
les
guerres
privées
et
les violences
désordon-
nées
de
l'époque;
d'autre
part,
c'est la
reconnaissance
d'une
valeur
morale
de
l'action
militaire,
dans
la
mesure
elle
s'exerce
au service
de
la paix
ct
cie
la
justice,
et
pour
la défense
et
la
protection
de
la popu-
lation
ct
des églises. Plus
tard,
comme
pape,
Urbain
II
renforcera
ce
mouvement
de
la
Paix,
ct
spécialement
la
Trêve
de
Dieu,
par
les cléci-
sions
de
plusieurs
de
ses conciles,
surtout
celui
cie
Clermont
en
1095, au
moment
même
il
proclamera
la croisade
ll
.
De
façon
générale,
en
cc siècle
il
y
eut
un
nouvel essor
cie
la
noblesse
et
spécialement
cie
la
chevalerie,
c'est
l'Église
qui se charge
cie
5.
Acte
du
procès
dc
lOS;'):
Reims.
Bibl. municip. Ms. 15fol. 2'.
G.
ivl<1l"lot.
MClmpolis
Remcl/sis His/oria,
fi,
InsuIis 1679,
p.
113.
~
..
,
Décret
du
concile
de
Clermont
1095 :
cano
17
ct 9.
G.
D. MansÎ, Sacrorum
cOl/cilimlf/1I
110\'(/
CI
ompfissÎlI/iI coltt'Clio,
Florencc-Venise
1759 sq., vol.
XX. col. 817
ct
906. (cit. Mansi 20) : - R. SOll1crvillc. The COllllci/,\"
of
l/rh{jll
fi,
vo!. 1 : DecrcllI
C1aroIJ101lfensi(l,
Annuariulll
Historiac
COllciliorUIll,
Supplemcllium
(,
Amsterdam
1972.
cano
I.'i
ct
39.
p.
78
ct
82.
6.
Décrets
des
conciles
dc
l'vlcllï. 1089 (JI.
J.
664;
IL
Pont.
8,
n
N"
*'
71),
de
Troia,
1093
(çarl. 2, M,lflSi 20,
7(0),
de
Clermont.
1(}95
(j\·1allsi 20. g16
ct
912 :
R.
Somcrvil1c. Counci/s
of
Urban
JJ
(voir
Ilote
5).
p.
73-74. lOg. 124).
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