A
SPECTS SOCIOLOGIQUES
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NO
1,
MARS
2011
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donc a priori trancher sur la nature même de la périodisation historique. Certains
auteurs le font commencer aussi tôt que la mise en place de l’Acte constitutionnel
de 1791 et d’autres le font terminer aussi tard que la fin des années 1960, avec les
états généraux sur le Canada français. Nous devons donc trancher. Nous nous
baserons, dans le cadre de cette réflexion, sur la périodisation défendue par Gilles
Gagné (Gagné, dans Gagné (dir.), 2006 : 75), soit une société qui prend racine avec
la Confédération (1867) et s’affaiblit avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale
(1945). Cette périodisation «idéaltypique» s’inspire directement de notre analyse
de cette société en terme «moderne» et «institutionnalisée»; ainsi, c’est par la
nature même de notre réflexion sur le Canada français que nous démontrerons la
pertinence d’une telle périodisation.
Aussi, l’analyse de cet objet historiographique doit tenir compte d’un fait
important, soit que la nature du Canada français a été largement défini par
l’historiographie et surtout par la sociographie mises en œuvre au moment de la
Révolution tranquille. Effectivement, selon Gilles Gagné, «ce sont les sciences
sociales qui ont baptisé, il y a une cinquantaine d’années, le Canada français
traditionnel, et elles l’ont fait à un moment où la signification de tous les enjeux
allait être traduite dans les termes d’une polarisation idéologique opposant une
doctrine de l’immobilisme ("la voix des tombeaux") à une valorisation globale du
changement ("il faut que ça change").» (Gagné, dans Elbaz (dir.), 1996 : 68) Nous
comprenons ainsi que cette période historique a été largement définie et enrichie
de manière notable par ce que nous pouvons nommer comme étant le «Paradigme
de la Révolution tranquille», soit la volonté de mobiliser au niveau théorique une
vision historique de la société québécoise d’avant 1960 comme étant «rurale,
conservatrice, immobile et ultracatholique» : bref, une «grande noirceur». Nous
devrons donc tenir compte de cette volonté de définition et surtout de soulever le
fait rendu aujourd’hui évident de la fragilité de ce paradigme de pensée.
1
C’est en
1 Nous pouvons grossièrement retracer trois ensembles de critiques du paradigme de la Révolution tranquille. Un premier
que l’on peut nommer «néolibéral», qui tend à remettre en question le rôle de l’État au cours des années 1960, avec Gilles
Paquet, notamment dans Oublier la Révolution tranquille, Montréal, Liber, 1999. Deuxièmement, il y a la critique sur le rôle
du catholicisme dans la Révolution tranquille, plus présent que ne le disait le «paradigme», faite notamment par Micheal
Gauvreau dans Les origines catholiques de la Révolution tranquille, Montréal, Fides, 2008 et par Martin Meunier entres
autres dans Sortir de la grande noirceur : l’horizon personnaliste de la Révolution tranquille, Québec, Septentrion, 2002.
Finalement, il y a la critique du couple tradition/modernité qui remet en question le fait que le Québec entre enfin dans la