Mai 2011 NOTE DES AUTORITES FRANÇAISES OBJET : Feuille de route « Une Europe efficace dans l’utilisation des ressources » : Note de commentaires des autorités françaises dans le cadre de la consultation publique lancée par la Commission européenne En janvier 2011, les autorités françaises ont accueilli favorablement la communication de la Commission européenne « Une Europe efficace dans l’utilisation des ressources – Initiative phare relevant de la stratégie Europe 2020 ». Faire de l’efficacité de l’utilisation des ressources un principe directeur attaché à la Stratégie Europe 2020 est en effet un signal important et peut constituer un moteur essentiel de la croissance verte. Les autorités françaises s’accordent avec la Commission sur le besoin d’intégration sectorielle de l’efficacité de l’utilisation des ressources, la recherche de synergies et de cohérence. L’Initiative phare annonce, pour le début de l’été 2011, un document plus opérationnel, à savoir une Feuille de route sur l’efficacité de la ressource. Dans le cadre de la préparation de ce document et de la consultation publique qui s’est tenue jusqu’au 22 avril 2011, les autorités françaises souhaiteraient, en addition au questionnaire proposé par la Commission, apporter à cette dernière les commentaires suivants. Efficacité et gestion durable des ressources : une impulsion politique nécessaire Face à la raréfaction des ressources énergétiques fossiles et au constat partagé de la nécessité de combattre le changement climatique, s’est mise en place au niveau international au cours des dernières années une politique énergétique et climatique volontariste, structurée en Europe autour d’objectifs ambitieux : l’augmentation de l’efficacité énergétique, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la substitution des ressources renouvelables aux ressources fossiles. Or, le développement des économies et du bien être humain dépend également de la disponibilité d’autres catégories de ressources : l’eau, les sols1, les ressources issues du vivant et minérales. Comme le montrent les travaux récents du Panel international du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) pour la gestion durable des ressources naturelles, le développement économique au cours du 20ème siècle s’est accompagné d’une très forte croissance de l’utilisation des matières (minéraux et matériaux de construction, énergies fossiles, métaux, matériaux et molécules issues de biomasse …). Bien que les pays industrialisés utilisent de moins en moins de matière pour produire la même quantité de richesse (augmentation de la productivité des ressources), plusieurs travaux internationaux montrent que l’accès au développement des pays émergents et en développement conduira, en l’absence de politiques volontaristes, à plus que doubler la quantité de matières premières consommées au niveau mondial à l’horizon 2050. Un tel niveau de prélèvement semble difficilement soutenable sur le plan environnemental. En effet, la façon dont une économie utilise les matières tout au long de leur cycle de vie (depuis leur extraction jusqu’à leurs réutilisations successives au travers de l'économie circulaire, ou élimination, en passant par leur transformation en produits et leur usage) détermine la plus grosse partie des impacts qu’elles exercent sur leur environnement. Mais ce niveau de prélèvement est également difficilement soutenable sur le plan économique et social. 1 Le sol est une ressource naturelle multi-usages avec des enjeux nationaux : terres agricoles et géostratégiques (acquisitions foncières extranationales), protection de la biodiversité, protection des terres riches en carbone, étalement urbain. 1 Aussi, l’utilisation efficace des matières deviendra-t-elle de plus en plus un enjeu de compétitivité des entreprises et des économies et une condition d’accès au développement du plus grand nombre. Face à ce constat, il est urgent de mettre en place, à côté de politiques énergétiques ambitieuses, des politiques ciblées sur les matières. Une utilisation plus efficace des matières permet, à côté de l’utilisation plus efficace de l’énergie, d’une part de réduire les prélèvements sur les stocks de ressources naturelles, qu'elles soient renouvelables ou non et, d’autre part, de réduire les émissions associées à leur utilisation. Elle constitue ainsi un élément incontournable d’une utilisation plus efficace des ressources. Une attention spécifique doit être accordée au cas particulier de la biomasse. En effet, l'exploitation des matières première renouvelables répond à la demande à la fois en énergie et en matière, et ce en substitution des hydrocarbures fossiles. Ainsi, il est primordial de veiller à la parfaite cohérence entre les politiques énergétiques et celles relatives aux matières, tant pour l'évaluation des ressources disponibles que pour le chiffrage des objectifs d'utilisation. La cohérence doit s'articuler autour des principes d'économie circulaire et de la hiérarchisation des usages. Cette démarche est essentielle pour garantir la sécurité alimentaire tout en orientant les co-produits vers les industries des agro-ressources en vue de la production de matériaux ou de produits bio-sourcés (« bio-based products »). La réutilisation et le recyclage devront être favorisés avant les valorisations énergétiques et le retour au sol des résidus finaux L’accès des pays émergents (et à terme de tous les pays) au développement économique doit pousser l’Union européenne à se doter d’un mandat politique clair sur les matières, comme elle a su le faire pour l’énergie, visant à : • répondre aux besoins avec moins de matières ; • produire avec des matières qui génèrent moins d’impacts environnementaux, qui demandent par exemple moins d’énergie pour leur extraction et leur transformation, ou qui émettent moins de polluants vers les milieux ; • allonger la durée d’utilisation de la matière via la prévention et le recyclage des déchets. Les enjeux économiques, environnementaux et sociaux liés à l’utilisation des matières sont en effet aussi importants que ceux liés à l’énergie. Ils supposent des efforts de recherche dédiés, notamment dans le domaine des matériaux stratégiques (cf. la contribution française en réponse à la consultation de la Commission sur ce sujet) L’approche « cycle de vie » Les autorités françaises se félicitent de l’approche « cycle de vie » intégrée dans l’Initiative phare « Une Europe efficace dans l’utilisation des ressources » et souhaiteraient, naturellement, que la Feuille de route ait aussi cette approche. Une approche systémique est, en effet, indispensable pour éviter et/ou limiter le fait que les impacts environnementaux ne soient transférés à l’étranger et pour éviter qu’une augmentation de l’indépendance de l’Europe pour une catégorie de ressources naturelles ne déplace la dépendance sur une autre catégorie (les énergies fossiles / les métaux rares). Les autorités françaises partagent ainsi le constat, établi dans l’Initiative phare « Une Europe efficace dans l’utilisation des ressources », que l’Union européenne doit également aborder la question de l’efficacité de l’utilisation des ressources au niveau international et coopérer étroitement avec ses principaux partenaires. La Feuille de route devrait dès lors également comporter une dimension internationale. Dans le domaine particulier des ressources en biomasse, la feuille de route devrait s'appuyer sur l'item « Construire la bio-économie d'ici 2020 », thème développé dans le cadre de l'initiative phare « Une Union pour l'innovation » De même, les autorités françaises invitent la Commission européenne à continuer de soutenir les travaux du Panel international du PNUE pour la gestion durable des ressources naturelles, dont les travaux intègrent la dimension internationale de l’utilisation des ressources. 2 Découplage absolu et convergence La maîtrise de la consommation des ressources au niveau mondial est un impératif écologique et une opportunité de croissance durable pour l’Union européenne et ses Etats membres. Si l’objectif est, à terme, de stabiliser l’extraction des matières premières à leur niveau actuel, il faut que les pays industrialisés découplent leur croissance économique de l’utilisation des matières et que les pays en voie de développement, après une phase de rattrapage, convergent progressivement vers un niveau de consommation de matières par habitant inférieur à celui atteint actuellement par les pays riches. Utilisation efficace des ressources versus gestion durable des ressources Les autorités françaises attirent l’attention de la Commission européenne sur le fait que l’augmentation de la productivité des ressources dans l’Union européenne, et donc des progrès dans l’efficacité de leur utilisation, ne s’est pas accompagnée d’une réduction de la consommation de ressources par habitant. Les autorités françaises considèrent ainsi, pour que l’efficacité de l’utilisation des ressources puisse réellement porter ses fruits en termes de gestion durable des ressources naturelles, impératif : • d’identifier et de mettre en place les actions (possiblement des instruments économiques) visant à maîtriser l’effet rebond ; • d’identifier et de mettre en place une réelle politique de consommation durable. Les aspects sociaux ne devraient pas être oubliés et il faudra développer des critères sociaux dans les outils concourant à la gestion durable des ressources naturelles (marchés publics, fiscalité, conditions sociales de production, commerce équitable, etc.). La mise en place de leviers d’actions visant à réduire les éventuelles inégalités qui pourraient résulter de l’augmentation de la rareté de la ressource devrait également être envisagée. Indicateurs et suivi Les autorités françaises soutiennent les efforts de la Commission pour développer les indicateurs de suivi et d’analyse adaptés, dans le respect du principe de subsidiarité, et promouvoir certains d’entre eux au rang d’indicateurs de développement durable, afin d’assurer dans la durée un suivi adéquat des progrès vers la gestion durable des ressources et de contribuer à une bonne gouvernance. Les autorités françaises attachent une importance particulière à ce que le développement de ces indicateurs se fasse en cohérence avec les travaux menés par Eurostat et l’Agence européenne de l’environnement. Des outils opérationnels et des objectifs intermédiaires Les autorités françaises félicitent la Commission pour sa volonté d’articuler différentes politiques sectorielles autour d’une vision à l’horizon 2050. Une vision de long terme est utile à la fois pour structurer l’action et pour susciter l’adhésion des citoyens. Les autorités françaises rejoignent également la Commission européenne dans sa volonté de fixer des cibles intermédiaires indispensables à l’action. Afin de progresser vers les cibles de moyen et long termes, les autorités françaises estiment que la Feuille de route devrait aborder de nombreuses politiques transversales et sectorielles pouvant contribuer à améliorer l’efficacité de l’utilisation de la matière et de la ressource : consommation et production durables, révision des directives « marchés publics », politiques communes agricole et de la pêche, accompagnement de la R&D (recherche et développement) favorisant une meilleure productivité des ressources en biomasse (bio-raffineries), révision de la directive « taxation énergétique », politique des transports, politique énergétique, élimination des subventions néfastes pour l’environnement, valorisation des services d'approvisionnement et de régulation rendus par les écosystèmes (en lien avec 3 l’étude TEEB 2), mise en place d'infrastructures vertes 3 visant à préserver ou restaurer des services rendus par les écosystèmes… La promotion de l’éco-innovation, des éco-technologies, des filières et des produits bio-sourcés (« bio-based products »), doit être poursuivie, renforcée et mise en cohérence : « Environmental Technologies Action Plan (ETAP) », « Environmental Technology Verification (ETV) », Initiative « marchés porteurs », consommation et production durables, marchés publics, plans d’actions et feuilles de routes liés à l’énergie, à l’efficacité énergétique et aux transports, SET Plan, initiative sur les technologies habilitantes, PCRD, etc. De même, l’efficacité de l’utilisation des ressources passe aussi par la formation et les emplois verts. Les autorités françaises appellent également la Commission à progresser dans la mise en œuvre d’outils concrets permettant notamment de promouvoir la gestion durable des ressources sur les chaînes de valeur. Le budget européen, et par exemple les fonds structurels, devraient être mobilisés en faveur de l'efficacité de l’utilisation des ressources. Les autorités françaises sont particulièrement demandeuses d’outils innovants sur ce sujet et appellent la Commission à favoriser le retour d’expériences afin que les Etats membres et l’Union européenne puissent s’inspirer des meilleures pratiques dans les Etats membres et audelà. Les autorités françaises peuvent également contribuer à ces échanges, avec notamment leur expérience en matière d’affichage environnemental des produits, pour lequel des groupes de travail sectoriels rassemblant des acteurs variés préparent des méthodologies communes d’évaluation des impacts environnementaux, ou encore leur initiative relative aux « filières industrielles stratégiques de l’économie verte », dite « filières vertes »4. Les autorités françaises appellent également la Commission européenne à intégrer dans la Feuille de route sur l’efficacité de l’utilisation des ressources des objectifs allant au-delà de l’efficacité énergétique et de la réduction des gaz à effet de serre. Elles soutiennent ainsi la fixation d’objectifs de moyen terme d’amélioration de la productivité des ressources et de réduction de leur consommation, articulés autour d’indicateurs intégrant les flux cachés. Enfin, les autorités françaises appellent la Commission européenne à renforcer les politiques et outils pour la consommation et la production durables et à les élever à un niveau plus stratégique. A ces égards, les autorités françaises estiment que les conclusions du Conseil du 20 décembre 2010 sous présidence belge (« Pour une gestion durable des matières et des modes de production et de consommation durables: une contribution essentielle à l'utilisation efficace des ressources en Europe ») constituent une bonne base de travail. La révision, en 2012, du Plan d’action européen « Consommation et production durables » représente une occasion importante de donner une nouvelle impulsion et une nouvelle ambition à ces politiques (les autorités françaises ont envoyé des commentaires à ce sujet à la Commission européenne le 1er avril 2011). Verdir nos économies passe par un « verdissement » du marché intérieur, moteur économique de l’Union européenne. A cet égard, la communication de la Commission d’avril 2011 « L'Acte pour le marché unique : 12 leviers pour stimuler la croissance et renforcer la confiance – Ensemble pour une nouvelle croissance » constitue un bon signal d’intégration, qu’il s’agit de mettre en œuvre et de renforcer. 2 The Economics of Ecosystems and Biodiversity (TEEB) est une étude mondiale lancée par le G8 et 5 grands pays en voie de développement qui est axée sur « le bienfait économique mondial de la diversité biologique, les coûts de la perte de biodiversité et l’échec à prendre des mesures de protection par rapport aux coûts de conservation efficace ». La TEEB fait la promotion de l’intégration des valeurs économiques de la biodiversité et des services rendus par les écosystèmes dans le processus de prise de décision. 3 Ce terme désigne les continuités écologiques des milieux naturels ou semi-naturels terrestres et le réseau aquatique et des zones humides. 4 18 filières porteuses en termes de potentiel de développement de marché et d'évolutions technologiques mettent en place des plans d’action visant à améliorer l’efficacité de la ressource, améliorer leur compétitivité et réduire leurs impacts. 4 Une nouvelle gouvernance Enfin, l’intégration d’une approche « cycle de vie », indispensable à une utilisation efficace des ressources et, de façon plus générale, à la gestion durable des ressources, exige l’émergence de nouveaux modes de gouvernance économique et politique, plus transparents, et demande une plus grande coopération des acteurs impliqués dans les chaînes de valeur de l’utilisation des ressources. La Feuille de route devrait fortement promouvoir cette gouvernance intégrée, cycle de vie et multi-acteurs. 5