phiques. Notre Troie exhale des parfums orientaux, qui expriment moins l’agitation d’Istanbul que les déa-
grations de Bagdad. Quant à Buthrote, la ville où se noue la tragédie et que l’on peut localiser dans l’Albanie
actuelle, nous l’avons imaginée plus à l’Est an qu’elle aussi bénécie des efuves épicées de l’Orient.
Grâce à ce tour de passe-passe, totalement assumé, Pyrrhus peut revendiquer les mêmes racines culturelles
que sa captive. Comme elle, ses origines sont arabes. Il devient celui qui a trahi en s’alliant avec les forces
impérialistes occidentales, représentées par la Grèce. Mais il hérite ainsi de la même langue que celle prati-
quée par Andromaque et tente, par ce biais, de se concilier ses faveurs.
Ces « réajustements » ne relèvent en rien du sacrilège. Au contraire, ils perpétuent l’une des règles de la tra-
gédie, analysée par Jovan Hristic dans Réexions sur la tragédie (L’Age d’Homme) : « Pour leurs tragédies, les
poètes grecs choisissaient non seulement les histoires les plus sanglantes, mais également celles qui auraient
des répercussions contemporaines /.../ Les Athéniens n’allaient pas au théâtre pour assister à des drames
métaphysiques abstraits sur la destinée humaine, mais pour voir des pièces qui leur parlaient des choses qui
les émouvaient au quotidien ».
Très anciennes, les règles de la guerre ne varient pour ainsi dire jamais. De la Guerre de Troie aux récentes
interventions en Afghanistan et en Irak, on assiste toujours à la mise en place d’alliances entre puissances
dont les intérêts sont les mêmes, du moins le temps que dure le conit. On pourra ainsi comparer ce qui
caractérise ces différents conits et surtout pointer en quoi ils sont similaires.
d) Les sources
« Celui qui n’a étudié que les Anciens blessera infailliblement le goût de son siècle dans bien des choses, celui
qui n’a consulté que le goût de son siècle s’attachera aux beautés passagères et négligera les beautés durables.
C’est de ces deux études réunies que résultent le goût solide et la sûreté des procédés de l’Art »
Marmontel La poétique française
Au Ve siècle avant Jésus-Christ, Euripide signe une première pièce autour du personnage d’Andromaque. Sa
version s’articule essentiellement autour du conit qui oppose Hermione à Andromaque, la première étant
stérile tandis que la seconde a un enfant.
S’il s’inspire de cet auteur, Racine n’hésite pas, en guise de préface, a emprunter une vingtaine de vers à Virgile.
Il ne cache pas, d’ailleurs, avoir puisé dans L’Enéide, tant pour le lieu de l’action que pour les personnages et
l’action elle-même. Il s’inspire également d’Homère, du moins de L’Illiade, à laquelle il emprunte notamment
l’épisode des adieux d’Hector.
Racine doit non seulement s’approprier ses modèles mais aussi veiller à ne pas dénaturer la fable. Le non
respect de la tradition pouvant à l’époque conduire à un échec irrévocable.
Extrait de L’Enéide (livre III - traduction de l’Abbé Delille (1834) :
« De l’Epire déjà nous côtoyons les bords ;
La ville de Chaon nous reçoit dans ses ports ;
Et, de loin dominant sur la plaine profonde,
Buthrote a réparé les fatigues de l’onde.
Là d’incroyables bruits, jusqu’à nous parvenus,
Etonnent notre oreille : on nous dit qu’Hélénus,
Enfant du dernier roi de la triste Pergame,
Possède de Pyrrhos et le sceptre et la femme ;
Qu’il commande à des Grecs, et qu’un dernier lien
Met la veuve d’Hector dans les bras d’un Troyen.
Un désir curieux de mon âme s’empare ;
Je brille d’admirer un destin si bizarre,
De voir, d’entretenir le successeur d’Hector.
Ce jour même, sa veuve, inconsolable encor,