les interférons

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- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 1 -
LES INTERFÉRONS
L'interférence (1935)
(to interfere = empêcher, gêner, s'opposer à)
Dès 1935, on avait constaté que l'infection expérimentale d'un
animal par un virus pouvait empêcher l'infection par un autre
virus inoculé 48 heures plus tard (l'intervention de l'immunité
spécifique était donc exclue).
En 1943, on décrit l'interférence entre un virus grippal "tué" et un
virus grippal "vivant" dans la cavité allantoïdienne de l'œuf incubé.
L'interféron (1957)
À Londres, Isaacs et Lindenmann, reprenant le travail décrit
ci-dessus, vont expliquer l'interférence :
1. à une culture de membrane chorio-allantoïdienne (mca) on ajoute
une suspension de virus grippal "tué" par la chaleur. On porte à
37° C pendant 24 heures et on recueille le surnageant.
2.
à une culture de membrane chorio-allantoïdienne fraîche on
ajoute le surnageant et on laisse en contact 24 heures.
3.
on ajoute alors une suspension de virus grippal vivant : il ne se
multiplie pas.
24 heures
MCA
recueil du
surnageant
MCA
+ virus inactivé
Le surnageant contient une substance sécrétée par les cellules
mises en contact avec le virus "tué". Fixée par des cellules
saines, cette substance les protège de l'infection. Responsable
de l'interférence, les chercheurs l'appellent interféron (IFN) :
→ ils viennent de découvrir la première cytokine...
24 heures
Les interférons
D'autres interférons sont découverts. Ce sont tous des petites
protéines d'environ 150 acides aminés, glycosylées ou non.
D'après leurs propriétés biologiques et l'origine cellulaire, on
distingue deux types d’interférons :
Types
type I
"antiviral"
type II
"immun"
familles
abréviation
nombre
interférons α
IFN-α
∼ 12
interféron β
IFN-β
1
interféron ω
IFN-ω
1
interférons λ
IFN-λ
3
interféron γ
IFN-γ
1
1° - les interférons de type I : α, β, λ et ω
Pratiquement, toutes les cellules de l’organisme synthétisent
les interférons α et β, notamment les leucocytes (IFN-α), les
fibroblastes (IFN-β) et les cellules épithéliales.
Les gènes codant les interférons de type I sont tous situés sur
le bras court du chromosome 9. Les IFN α, β, ω se fixent à un
récepteur commun. Les IFN λ ont un récepteur particulier.
• inducteurs principaux : virus et microbes intracellulaires.
• fonction principale
: antiviraux et antibactériens.
MCA
fraîche
MCA
+ surnageant
MCA
+ virus vivant
pas
de multiplication
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 2 -
2 ° - l'interféron de type II : γ
C'est l' interféron immun, car il est sécrété principalement par les
cellules NK, les lymphocytes Th-1 et les lymphocytes Tc.
C'est un interféron glycosylé, dont le gène est situé sur le bras
long du chromosome 12. L'IFN-γ a un récepteur particulier.
• inducteur principal : les antigènes.
• fonction principale : l'activation des cellules NK, des
macrophages et des lymphocytes T- cytotoxiques.
La production des interférons type I
Les gènes codant les interférons α, β et ω sont silencieux : c'est
la présence d'un virus qui active leur transcription, le signal
activateur étant l'apparition d'ARN bicaténaire au cours du
cycle de multiplication.
cellule
infectée
Les virus sont plus ou moins inducteurs d’interférons :
les meilleurs se multiplient lentement, ne perturbent pas d'emblée
les synthèses protéiques de l'hôte et sont peu cytocides.
→ la synthèse d’interféron dure 24 à 48 heures puis s'arrête.
L'activité antivirale des interférons type I
Les interférons n'ont aucune action directe sur les virions. Les
mécanismes de leur activité antivirale sont complexes et ne
sont pas encore tous complètement élucidés.
Sécrétés par la cellule infectée, les interférons α, β et ω se fixent à
un récepteur commun sur les cellules voisines indemnes. Ce
sont bien des cytokines :
La fixation active une protéine-kinase fixée à la portion
cytoplasmique du récepteur qui phosphoryle des facteurs
cytoplasmiques inactifs (les STATs1).
En s'associant, les facteurs phosphorylés constituent un facteur
de transcription qui migre dans le noyau, se fixe en amont des
gènes possédant un site de liaison, et active leur transcription.
Ö les interférons induisent l'expression d'au moins 30 gènes.
On a identifié quatre protéines actives sur les virus, les
protéines antivirales (PAV). Les PAV perturbent une cible
commune aux virus à ADN et aux virus à ARN :
Î ce sont les ARN-messagers.
Cette cible explique le large spectre d'activité de l'interféron.
Les PAV :
1.
2.
3.
4.
l'Oligo Adénylate Synthétase : hydrolyse les ARN-m,
une protéine-kinase PKR
: bloque la traduction des ARN-m,
une protéine Mx
: bloque la transcription,
une adénosine désaminase : modifie les ARN-m.
• Ces protéines sont présentes sous une forme inactive, le
signal activateur étant l'apparition d'ARN bicaténaire.
• Par ailleurs, les interférons augmentent la production des
molécules de classe I du CMH.
1
STAT (Signal transducers and activators of Transcription)
?
cellule
saine
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 3 -
Après l'activation de la cellule par l'interféron :
•
•
•
la cellule "interféronée" est en état de veille,
les PAV n'empêchent pas l'infection : le virus pénètre,
les PAV sont activées par l'ARN bicaténaire qui apparaît
au début du cycle de multiplication : l'infection avorte.
1. l'hydrolyse des ARN-m :
Ö par l'activation indirecte d'une ribonucléase
- l'oligo Adénylate synthétase (OAS) polymérise quelques molécules
d'ATP (3 à 5) par une liaison inhabituelle 2' → 5' (et non 3' → 5'
comme dans les acides nucléiques) formant des oligonucléotides
appelés collectivement les oligonucléotides "2-5 A".
cellule
infectée
- les oligonucléotides "2-5 A" activent à leur tour une enzyme cellulaire,
l'ARNAse L (L pour "latente", car elle est présente en permanence,
mais sous sa forme inactive).
L'ARNase hydrolyse les ARN messagers viraux (et
cellulaires), entraînant ainsi l'interruption du cycle viral (et le
ralentissement des synthèses cellulaires).
2. le blocage de la traduction des ARN-m :
Ö par l'inactivation d'un facteur d'initiation
La protéine-kinase PKR (PK RNA-dependant) est activée par
l'ARN bicaténaire et phosphoryle le facteur d'initiation eIF-2 :
eIF-2 (eucaryotic Initiation Factor) lie l'ARN-t initiateur chargé de
la méthionine (ARN-t Met) à la petite sous-unité du ribosome. Le
tout forme un complexe d'initiation de la traduction, requis pour
l'assemblage du ribosome.
eIF-2 phosphorylé en eIF2- P est inactivé : pas de complexe
d'initiation, donc pas de traduction des ARN-m viraux qui ont
échappé à l'hydrolyse par la ribonucléase L, (et diminution de
la traduction des ARN-m cellulaires).
3. le blocage de la transcription
Ö par la protéine Mxa
1. dans le cytoplasme, la protéine MxA (Mx pour Myxovirus)
– une GTPase –
empêche
le
transport
de
la
nucléocapside vers le noyau.
2. dans le noyau, la protéine MxA bloque la synthèse des
ARN messagers viraux en inactivant les transcriptases
virales.
4. la mutation des ARN viraux
Ö par l'adénosine désaminase ADAR-1
Une mutation peut modifier les ARN viraux sous l'action de
l'ADAR-1 (Adénosine désaminase agissant sur le RNA) : un résidu
A (dénine) est désaminé en I (nosine), qui sera reconnu comme
G (uanine), tant par les ribosomes que par les ARN polymérases
virales.
5. l'expression des molécules de classe I du CMH
En augmentant l'expression des gènes de classe I du CMH, les
interférons α et β favorisent la présentation des peptides
viraux à la surface cellulaire et leur reconnaissance par les
lymphocytes T-cytotoxiques.
cellule
infectée
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 4 -
L'interféron et l'immunité
Les interférons α et β font partie des facteurs de l'immunité
innée et constituent, avec les cellules NK (dont ils accroissent
l'activité cytotoxique), la première défense de l'organisme
contre les agressions virales.
Les interférons limitent l'extension de l'infection :
Lorsqu'on injecte simultanément un virus et des anticorps antiIFN à des animaux sensibles, ceux-ci présentent des infections
beaucoup plus sévères que des animaux ne recevant que le
virus seul.
• Les interférons α et β orientent la réponse spécifique vers
l'immunité cellulaire en stimulant le développement des TH1.
• La guérison de l'infection est assurée par l'immunité
spécifique à médiation cellulaire : des lymphocytes T CD8
cytotoxiques activés reconnaissent les cellules infectées
(peptides viraux présentés par CMH I) qu'elles détruisent en
déclenchant leur apoptose (par la voie perforine / granzymes).
Synthèse industrielle des interférons
Les interférons α, β et γ sont produits par génie génétique :
On isole l'ARN messager d'un interféron que l'on transcrit en ADN
bicaténaire (par une rétrotranscriptase). Ce gène artificiel est
inséré dans un plasmide.
Le plasmide est introduit dans une bactérie, une levure ou une
cellule de mammifère. Les cellules sont mises en culture.
L'interféron produit est extrait du milieu de culture en le fixant à des
anticorps monoclonaux anti-IFN.
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 5 -
Les interférons en thérapeutique
Des indications particulières d'utilisation sont retenues pour
chacun d'entre eux.
1.
l'interféron alpha
1 / pour son activité antivirale :
L'interféron α est utilisé dans le traitement des hépatites
chroniques actives dues aux virus des hépatites B (associé à
la lamivudine) et C (associé à la ribavirine). Le but du
traitement est l'éradication complète du virus afin d'éviter
l'évolution, à bas bruit, vers la cirrhose et le carcinome hépatocellulaire.
Interférons α
2 / pour son activité antiproliférative :
IFN α conjugué à une molécule de polyéthylène
glycol (Peg) : sa demi-vie est 10 fois plus longue
que celle de l'INF α.
L'interféron α agit à la phase initiale de la mitose en allongeant
le cycle cellulaire.
- leucémie à tricholeucocytes.
- leucémie myéloïde chronique,
- lymphomes folliculaires,
- sarcome de Kaposi associé au sida,
2.
- Introna
- Roféron-A
- Viraféron
3 injections/semaine
Interférons α pégylés
- Pegasys
- ViraféronPeg
1 injection/semaine
l'interféron bêta
L'interféron β est uniquement utilisé pour ses propriétés
immunomodulatrices (–), qui s'opposent à celles de l'IFN γ.
• il inhibe la production d'interféron γ et, par conséquent, la
prolifération des lymphocytes T cytotoxiques.
• il restaure une activité T suppressive.
Interférons β
- Avonex
- Bétaféron
- Rebif
L'interféron β est utilisé dans le traitement des formes de
sclérose en plaques (SEP) évoluant par poussées : il diminue
la fréquence et la gravité des poussées.
La SEP est une maladie inflammatoire démyélinisante du SNC. De
cause inconnue, il pourrait s'agir d'une maladie auto-immune.
L'intervention de l'interféron γ est suspectée dans la genèse des
lésions caractéristiques de la SEP, au cours de laquelle on observe
également une activité T suppressive déficiente.
2.
l'interféron gamma
L'interféron γ est uniquement utilisé pour ses propriétés
immunomodulatrices (+), qui s'opposent à celles de l'IFN β :
• il active les cellules NK
• il active les macrophages1
• il active les lymphocytes Th1
L'interféron γ est utilisé dans le traitement de la granulomatose
septique chronique.
Effets secondaires des interférons
Fièvre (sensible au paracétamol), frissons, sueurs, malaises,
céphalées, myalgies, nausées, vomissements, asthénie,
modifications de l'humeur (dépression).
Ces symptômes accompagnent de nombreuses infections
virales. Ils constituent le syndrome pseudo-grippal, que l'on
pourrait aussi appeler le syndrome des interférons, car il reflète
leurs activités diverses sur le métabolisme cellulaire.
1
l'interféron γ a été appelé le MAF (Macrophage arming factor).
Interféron γ
- Imukin
granulomatose septique chronique
Les phagocytes présentent un défaut du
complexe enzymatique de la NADPH-oxydase : ils
sont dépourvus d'une activité bactéricide
dépendant de l'oxygène . Les bactéries sont
phagocytées mais ne sont pas détruites.
→ les infections sont fréquentes et graves.
(revoir L'immunité innée – p. 10)
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 6 -
LA CHIMIOTHÉRAPIE ANTIVIRALE
La chimiothérapie antivirale est confrontée à un problème
difficile : c'est la cellule qui multiplie les virus. Toute
molécule affectant la multiplication du virus risque
d'endommager la cellule infectée et les cellules saines.
Elle a pris son essor au début des années 1980, avec la
découverte de l'aciclovir, et surtout avec l'arrivée du sida.
En usage externe, certains antiseptiques sont virocides :
l'hypochlorite de sodium (eau de Javel, soluté de Dakin),
l'alcool à 60°, les produits iodés (Bétadine).
En usage interne, tous les antiviraux sont virostatiques :
sans action sur le virus lui-même – particule inerte – ils
suspendent la multiplication virale. Dans les infections latentes
(→ Herpesvirus) l’antiviral n’agit qu’au moment des
récurrences.
Chaque étape du cycle de multiplication peut être une cible...
Encore faut-il que la molécule soit plus toxique pour le virus que pour l'hôte.
CIBLES POTENTIELLES ET MOLÉCULES
étape du cycle viral
virus
cible
Fixation
HIV
co-récepteurs
Fusion (virus enveloppés)
HIV
gp41
virus grippal A
Protéine M2 de matrice
HBV, HCV
ARN-m
Réplication de l'ARN viral
HCV
Transcriptase virale
Réplication de l'ADN viral
Herpesvirus
ADN polymérase virale
Transcription ARN → ADN
Rétrovirus
HBV
Rétrotranscriptase (RT)
Intégration du génome
HIV
Intégrase
Régulation de la transcription
HIV
Protéines de régulation
Maturation des protéines
HIV
virus grippal A
Décapsidation
Traduction des ARN-m
Libération des virions
molécules utilisées
ec
- Enfuvirtide
oui
- Amantadine
oui
- Interférons
- Oligonucléotides antisens
oui
ec
- Ribavirine
oui
- inhibiteurs nucléosidiques
- inhibiteurs nucléotidiques
oui
oui
- inhibiteurs nucléosidiques
- inhibiteurs nucléotidiques
- Inhibiteurs non nucléosidiques
oui
oui
oui
- acides β-dicétoniques (ADC)
- styrylquinoléines (SQL)
ec
- Inhibiteurs de Tat
ec
Protéase virale
- Inhibiteurs de la protéase
oui
Neuraminidase
- Inhibiteurs de la neuraminidase
oui
oui : molécules disponibles
ec : en cours d'expérimentation
Chimiothérapie antivirale : quatre obstacles
1 - la cytotoxicité
2 - la sélection des mutants résistants
3 - la difficulté d'éradiquer l'infection chronique
4 - l'impossibilité d'éradiquer l'infection latente
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 7 -
Les inhibiteurs nucléosidiques et nucléotidiques
nucléosides → nucléotides...
un nucléoside
1 ose + 1 base
désoxyribose + thymine = thymidine
dT
C'est dans le cytoplasme des cellules que les nucléosides sont
phosphorylés par des kinases :
en nucléotides 1 ose + 1 base + 1 à 3 phosphates
+1P
+1P
+1P
désoxythymidine monophosphate
désoxythymidine diphosphate
désoxythymidine triphosphate
dTMP
dTDP
dTTP
Les désoxyribonucléotides triphosphates des quatre bases :
Adénine (A), Thymine (T), Cytosine C et Guanine (G) sont les
substrats des ADN polymérases.
Ö la membrane cellulaire est imperméable aux nucléotides
La synthèse de l'ADN
La polymérase ajoute un désoxyribonucléotide triphosphate à
l'extrémité 3'-OH de la chaîne en cours d'élongation, appariée à
la chaîne matrice ADN (ou ARN dans le cas d'un Rétrovirus) :
L'hydrolyse du nucléotide triphosphate fournit l'énergie nécessaire à sa fixation et libère un résidu pyrophosphate (P – P).
Ö L'OH en 3' est indispensable : s'il est absent, la
polymérase ne peut pas fixer de nucléotide.
Les analogues de nucléosides vont perturber la réplication
par deux mécanismes :
1 - l'inhibition compétitive : l'analogue entre en compétition
avec les nucléotides normaux pour le site actif de l'enzyme
virale qu'il inactive.
2 - la terminaison de chaîne : l'analogue qui est incorporé dans
l'ADN viral n'a pas d' OH en 3' : la transcription s'arrête.
le nucléotide triphosphate dTTP
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 8 -
1° - Inhibiteurs nucléosidiques et virus à ADN
Les nucléosides sont modifiés au niveau du désoxyribose ou,
rarement, au niveau de la base.
a - les premiers analogues nucléosidiques : toxiques
Produits de la thérapeutique anticancéreuse, ils sont d'un
maniement délicat car très toxiques...
c L'IdU (1959) est un analogue de la thymidine : le
groupement méthyle est remplacé par un atome d'iode.
Les ADN polymérases incorporent l'IdU : il en résulte des
erreurs d'appariement dans l'ADN viral et cellulaire.
Par voie générale, l'IdU est aplasiant, tératogène, hépato-toxique,
cancérigène... Il est encore utilisé en collyre dans la
kératoconjonctivite herpétique. l'ADN des cellules cornéennes
infectées, à divisions très espacées, incorpore infiniment moins
d'IdU que l'ADN viral.
d La vidarabine (1979) est utilisée sous la forme de
phosphate plus soluble (d'où MP pour monophosphate),. Par
voie IM, on l'a l'utilisée dans le traitement de l'hépatite
chronique à HBV.
b - les analogues améliorés : spécifiques et moins toxiques
Ce sont des analogues de nucléosides dont le désoxyribose est
remplacé par une chaîne latérale acyclique :
c Aciclovir (Zovirax ) : HSV et VZV
L'aciclovir (ACV - 1984) est le seul inhibiteur nucléosidique ne
présentant pratiquement pas de cytotoxicité. L'innocuité de
l'aciclovir tient à son affinité élective pour deux enzymes
virales :
1. la première phosphorylation de l'ACV en ACV-MP n'est
réalisée que par la thymidine-kinase virale. Les deux
suivantes sont assurées par des kinases cellulaires.
Ö ainsi le produit actif, l'ACV-TP n'est présent que dans
les cellules infectées.
2. L'affinité de l'ADN polymérase virale pour l'ACV-TP est 30
fois plus élevée que celle de l'ADN polymérase cellulaire.
L'acyclovir bloque la réplication de l'ADN viral selon les deux
mécanismes :
- inhibition compétitive pour le site de l'enzyme,
- terminaison de chaîne (pas d'OH en 3')
Le spectre est étroit : HSV-1, HSV-2 et VZV vis-à-vis duquel les
doses utilisées sont plus élevées.
Tous les inhibiteurs nucléosidiques
sont des prodrogues : ils subissent
une triphosphorylation intracellulaire
conduisant au dérivé actif.
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 9 -
c bis Valaciclovir (Zelitrex )
C'est une prodrogue de l'aciclovir (l'ester de la valine et de
l'aciclovir). La biodisponibilité par voie orale est 5 fois plus
élevée que celle de l'aciclovir. Il est utilisé dans le traitement
de l'herpès oculaire et génital, la prévention du zona oculaire et
la prévention des infections à CMV après une greffe d'organe.
d Ganciclovir (Cymévan ) : CMV
Le ganciclovir, assez proche de l'aciclovir, est actif sur le virus
cytomégalique : la protéine kinase du CMV phosphoryle mieux
le ganciclovir que l'aciclovir.
C'est un antiviral toxique (toxicité médullaire, neutropénie,
thrombopénie), qui n'est utilisé que dans le traitement des
infections sévères chez les immunodéprimés, au cours du sida
ou après une greffe.
d bis Valganciclovir (Rovalcyte )
C'est une prodrogue du ganciclovir (le diester de la valine et du
ganciclovir). La biodisponibilité par voie orale est au moins
3 fois plus élevée que celle du ganciclovir.
e Famciclovir (Oravir )
Le famciclovir est une prodrogue du penciclovir (le diester acétique
du penciclovir),améliorant la biodisponibilité du penciclovir, actif sur
les virus HSV, EBV et VZV.
2° - Inhibiteurs nucléosidiques : HIV et HBV
1. La rétrotranscriptase du HIV
Les inhibiteurs nucléosidiques de la RT du HIV empêchent
l'infection des cellules saines par les virus libérés des cellules
infectées.
Actuellement, sept INTI (inhibiteurs nucléosidiques de la
transcriptase inverse) sont utilisés :
DCI
Spécialité
Nom chimique
1 - zidovudine
AZT Rétrovir 
Azidothymidine
2 - lamivudine
3TC Épivir 
Déoxythiacidine
3 - abacavir
ABC Ziagen 
analogue de la guanosine
association
Combivir
AZT + 3TC
association
Trizivir
AZT + 3TC + ABC
4 -didanosine
ddI
Videx 
Didéoxyinosine
5 - stavudine
d4T
Zerit 
Didéhydrodidéoxythymidine
6 - zalcitabine
ddC
Hivid 
Didéoxycytidine
7 - emtricitabine
FTC
Emtriva 
Déoxythiacidine fluorée
Le HIV ne codant aucune kinase, les analogues sont phosphorylés
par les kinases cellulaires.
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 10 -
Les analogues triphosphorylés se fixent préférentiellement à la
RT et bloquent la transcription en ADN viral :
– inhibition compétitive pour le site de l'enzyme,
– terminaison de chaîne (pas d'OH en 3')
2. La rétrotranscriptase du VHB
Les analogues nucléosidiques inhibant la rétrotranscriptase du
HIV ont été étudiés pour le traitement de l'hépatite B chronique.
Du fait de son bon index thérapeutique, seule la lamivudine a
fait, à ce jour, l'objet d'une AMM :
lamivudine
3TC Zeffix 
Déoxythiacidine
Toxicité cellulaire des analogues :
Les analogues inhibent l'ADN polymérase mitochondriale, et
entraînent à long terme le développement de toxicités diverses.
L'AZT présente une toxicité hématologique : anémies et
neutropénies chez les patients à un stade évolué de la maladie.
Les ddI, d4T et ddC peuvent provoquer des neuropathies
périphériques douloureuses. Les ddi et d4T sont à l'origine de
pancréatites aiguës. L'arrêt du traitement est obligatoire.
3° - Inhibiteurs nucléosidiques : la ribavirine
La ribavirine (Rebetol , Copegus ) est un analogue de
ribonucléoside : la base dérive de la guanine, mais le sucre
reste le ribose.
Son activité, encore mal comprise, s'exerce sur plusieurs cibles, dont
l'inhibition des ARN polymérases, ce qui pourrait expliquer son spectre
assez large, sur les virus à ARN en particulier.
On l'utilise par voie orale dans le traitement de l'hépatite C
chronique, en association avec l'interféron α.
La ribavirine est toxique pour les globules rouges : l'anémie
hémolytique est le principal effet secondaire. Tératogène chez
l'animal, elle est contre-indiquée au cours de la grossesse.
4° - Inhibiteurs nucléotidiques
Ce sont des nucléosides acycliques sur lesquels on a greffé un
groupement phosphonate stable (par une liaison P – C).
Ils ressemblent à des nucléosides monophosphates : on peut les
considérer comme des inhibiteurs nucléotidiques.
Ils échappent à la contrainte de la première phosphorylation et
possèdent un spectre d'activité plus large que les analogues
nucléosidiques. Ainsi, le cidofovir s'est révélé actif contre tous
les Herpes, Adeno, Polyoma, Papilloma et Poxvirus...
Le groupement phosphonate rend la traversée des membranes
cellulaires plus difficile, et leur biodisponibilité orale est faible.
Pour cette raison, le cidofovir est utilisé en IV. Des prodrogues
sont utilisées pour l'adéfovir et le ténofovir.
Ils sont
néphrotoxiques.
Indications approuvées :
- Cidofovir (Vistide ): traitement de la rétinite à CMV,
- Adéfovir : (Hepsera ) traitement de l'hépatite chronique B,
- Ténofovir : (Viread ) traitement du sida.
la rétrotranscriptase
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 11 -
5° - Inhibiteurs non nucléosidiques : Herpesvirus
Acide phosphonoformique (Foscavir )
Un analogue du pyrophosphate, l'acide phosphonoformique, (le
sel de sodium) se fixe à l'ADN polymérase virale et empêche la
fixation des nucléotides triphosphates.
Le produit est toxique (toxicité rénale, hypocalcémie). On
l'utilise, en perfusions, dans les infections à CMV, et à virus
herpétiques devenus résistants à l'aciclovir chez les patients
immunodéprimés.
6° - Inhibiteurs non nucléosidiques des rétrotranscriptases
Les INNTI (inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase
inverse)sont des molécules qui se lient directement à des
acides aminés hydrophobes proches du site catalytique de la
rétrotranscriptase, sans transformation préalable.
névirapine
NVP
Viramune
efavirenz
EFV
Sustiva
delavirdine
DLD
Rescriptor
Leur activité est importante – uniquement sur le HIV-1 – mais à
cause de l'apparition rapide d'une résistance (croisée avec
toutes les autres molécules), ces produits ne sont utilisés
qu'en association avec des inhibiteurs nucléosidiques et/ou
des antiprotéases.
7° - Inhibiteurs de la protéase du HIV
La protéase du HIV découpe les protéines précurseurs Gag,
Gag-Pol et Nef, reconnaissant des sites de clivage spécifiques :
La coupure se fait en amont d'une proline précédée d'une
phénylalanine ou d'une tyrosine (deux aa aromatiques) :
 Phe  Pro 
 Tyr  Pro 
Les inhibiteurs de la protéase (les IP) sont des
peptidomimétiques de synthèse qui se logent dans le site actif
de l'enzyme et, n'étant pas clivables, bloquent son activité.
Ö les IP conduisent à la production de virions défectueux qui
sont incapables d'infecter de nouvelles cellules.
saquinavir HGC1
SQV
Invirase 
2
saquinavir SGC
SQV
Fortovase 
indinavir
IDV
Crixivan 
nelfinavir
NFV
Viracept 
amprénavir
Agenerase 
atazanavir
Reyataz 
fosamprénavir
Telzir 
ritonavir
lopinavir (+ ritonavir)
1
2
RTV
un inhibiteur de protéase
l'analogue se fixe à la protéase, mais celle-ci
ne peut pas hydrolyser la liaison.
Norvir 
Kaletra 
HGC : hard gelatine capsule (gélules)
SGC : soft gelatine capsule (capsule molle : biodisponibilité augmentée d'un facteur 3)
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 12 -
Les inhibiteurs de protéase sont fixés et inactivés par une famille
d'enzymes surtout présentes dans le foie, les cytochromes P450.
Même à faible dose le ritonavir a une haute affinité pour des
enzymes du cytochrome P450 qui sont neutralisées. On ne
l'utilise plus comme IP mais comme potentialisateur d'IP :
associé à un autre inhibiteur de protéase, il permet une
augmentation des concentrations sanguines et une diminution
de la posologie.
Effets secondaires des IP – troubles du métabolisme glucidique
et lipidique : hypertriglycéridémies, lipodystrophies ; diarrhées,
nausées.
8° - Inhibiteur de fusion du HIV
L'enfuvirtide (Fuzéon ) est un peptide synthétique (36 aa) qui,
en se liant à gp 41, empêche le changement de conformation
requis pour la fusion de l'enveloppe avec la membrane de la
cellule. Il inhibe ainsi l'entré du HIV dans les cellules hôtes.
Le produit est utilisé à raison de deux injections S/C par jour, en
association avec d'autres antirétroviraux.
9° - Les associations d'antirétroviraux
La monothérapie n'a plus d'indication en dehors de la grossesse
(pour éviter la transmission mère → enfant, on utilise l'AZT à partir
du 3ème trimestre de la grossesse).
Les association ont les avantages théoriques suivants :
• addition de l'effet thérapeutique,
• prévention de l'émergence de mutants résistants.
La stratégie thérapeutique actuelle repose sur la multithérapie
("HAART", highly active antiretroviral therapy) :
• 3 INTI
• 2 INTI + 1 IP
• 2 INTI + 2 IP
• 2 INTI + 1 INNTI
Les associations sont très diverses, et pour la plupart en cours
d'évaluation.
associations
intéressantes
associations
antagonistes
associations
toxiques
AZT + 3TC + ABC
d4T + AZT
ddC + ddi
AZT + ddI + névirapine
ddC + 3TC
ddC + d4T
AZT + 3TC + Indinavir
ddi + 3TC
AZT + 3 TC + EFV
L'emploi des "multithérapies" a permis une réduction de 75 %
de la morbidité et de la mortalité dues au HIV.
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 13 -
Les antigrippaux
1° - inhibiteurs de la décapsidation (Amantadine)
Ö entrée interdite…
L'amantadine (Mantadix ) est efficace dans la prévention de
la grippe due aux virus de type A, puisque le taux de
protection, de l'ordre de 70 %, est équivalent à celui que
confère la vaccination.
L'amantadine, également utilisée dans le traitement de la maladie de
Parkinson, n'est pas dénuée d'effets secondaires (vertiges,
insomnies). Un dérivé neurologiquement moins actif, la rimantadine
(Roflual ) a été mis au point1.
La cible est la protéine M2 (présente uniquement chez les
virus A), une "pompe à protons" qu'ils inactivent. L'absence
d'acidification qui en résulte bloque la décapsidation des virions
endocytés.
Le traitement doit débuter au plus tard dans les 2 jours suivant
l'apparition des premiers symptômes et être poursuivi deux jours après
la disparition des symptômes.
formule tricyclique curieuse évoquant un
diamant d'où son nom : l'adamantamine
2° - inhibiteurs de la neuraminidase (Zanamavir,Oseltamivir )
Ö décollage interdit…
Pour se fixer à la cellule, les virus grippaux s'accrochent
par les spicules HA aux extrémités des molécules
d'acide sialique dépassant de la membrane cellulaire.
• lorsque les nouveaux virions bourgeonnent, ilsvont rester
collés à la cellule par le même mécanisme.
• leur enveloppe (qui dérive de la membrane) contient
aussi des molécules d'acide sialique qui peuvent
agglutiner les virions entre eux.
La neuraminidase rompt cette liaison :
• elle détache et désagrège les nouveaux virions,elle facilite la
diffusion des virions en fluidifiant le mucus des voies
respiratoires riche en sialoglycoconjugués.
On a cristallisé la neuraminidase complexée avec son
substrat ce qui a permis d'en déterminer la structure
tridimensionnelle en utilisant la diffraction des rayons X :
les quatre monomères présentent une poche où l'acide
sialique est fixé.
Cette poche, site actif de l'enzyme, comprend une dizaine
d'acides aminés qu'on retrouve quel que soit le variant du
virus A ou B.
Deux analogues de l'acide sialique ont été construits :
- le zanamavir - (Relenza ), utilisable en inhalations
- l'oseltamivir - (Tamiflu ), utilisable par voie orale
Le traitement doit débuter dans les deux jours suivant l'apparition des
premiers symptômes, et se poursuivre pendant 5 jours. Il permet de
réduire la durée et la sévérité des symptômes.
Il faut compter au moins six mois pour produire un nouveau
vaccin antigrippal. Ces molécules seraient alors le seul
traitement en cas de pandémie due à une nouvelle souche
issue d'une cassure antigénique...
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La rimantadine a été retirée du marché français en 1993.
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