- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 1 -
LES INTERFÉRONS
L'interférence (1935)
(to interfere = empêcher, gêner, s'opposer à)
Dès 1935, on avait constaté que l'infection expérimentale d'un
animal par un virus pouvait empêcher l'infection par un autre
virus inoculé 48 heures plus tard (l'intervention de l'immunité
spécifique était donc exclue).
MCA
+ virus inactivé
recueil du
surnageant
MCA
24 heures
24 heures
pas
de multiplication
MCA
+ virus vivant
MCA
+ surnageant
MCA
fraîche
En 1943, on décrit l'interférence entre un virus grippal "tué" et un
virus grippal "vivant" dans la cavité allantoïdienne de l'œuf incubé.
L'interféron (1957)
À Londres, Isaacs et Lindenmann, reprenant le travail décrit
ci-dessus, vont expliquer l'interférence :
1. à une culture de membrane chorio-allantoïdienne (mca) on ajoute
une suspension de virus grippal "tué" par la chaleur. On porte à
37° C pendant 24 heures et on recueille le surnageant.
2. à une culture de membrane chorio-allantoïdienne fraîche on
ajoute le surnageant et on laisse en contact 24 heures.
3. on ajoute alors une suspension de virus grippal vivant : il ne se
multiplie pas.
Le surnageant contient une substance sécrétée par les cellules
mises en contact avec le virus "tué". Fixée par des cellules
saines, cette substance les protège de l'infection. Responsable
de l'interférence, les chercheurs l'appellent interféron (IFN) :
ils viennent de découvrir la première cytokine...
Les interférons
D'autres interférons sont découverts. Ce sont tous des petites
protéines d'environ 150 acides aminés, glycosylées ou non.
D'après leurs propriétés biologiques et l'origine cellulaire, on
distingue deux types d’interférons :
Types familles abréviation nombre
interférons α IFN-α 12
interféron β IFN-β 1
interféron ω IFN-ω 1
type I
"antiviral"
interférons λ IFN-λ 3
type II
"immun" interféron γ IFN-γ 1
1° - les interférons de type I : α, β, λ et ω
Pratiquement, toutes les cellules de l’organisme synthétisent
les interférons α et β, notamment les leucocytes (IFN-α), les
fibroblastes (IFN-β) et les cellules épithéliales.
Les gènes codant les interférons de type I sont tous situés sur
le bras court du chromosome 9. Les IFN α, β, ω se fixent à un
récepteur commun. Les IFN λ ont un récepteur particulier.
inducteurs principaux : virus et microbes intracellulaires.
fonction principale : antiviraux et antibactériens.
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 2 -
2 ° - l'interféron de type II : γ
C'est l' interféron immun, car il est sécrété principalement par les
cellules NK, les lymphocytes Th-1 et les lymphocytes Tc.
C'est un interféron glycosylé, dont le gène est situé sur le bras
long du chromosome 12. L'IFN-γ a un récepteur particulier.
inducteur principal : les antigènes.
fonction principale : l'activation des cellules NK, des
macrophages et des lymphocytes T- cytotoxiques.
La production des interférons type I
?
cellule
saine
cellule
infectée
Les gènes codant les interférons α, β et ω sont silencieux : c'est
la présence d'un virus qui active leur transcription, le signal
activateur étant l'apparition d'ARN bicaténaire au cours du
cycle de multiplication.
Les virus sont plus ou moins inducteurs d’interférons :
les meilleurs se multiplient lentement, ne perturbent pas d'emblée
les synthèses protéiques de l'hôte et sont peu cytocides.
la synthèse d’interféron dure 24 à 48 heures puis s'arrête.
L'activité antivirale des interférons type I
Les interférons n'ont aucune action directe sur les virions. Les
mécanismes de leur activité antivirale sont complexes et ne
sont pas encore tous complètement élucidés.
Sécrétés par la cellule infectée, les interférons α, β et ω se fixent à
un récepteur commun sur les cellules voisines indemnes. Ce
sont bien des cytokines :
La fixation active une protéine-kinase fixée à la portion
cytoplasmique du récepteur qui phosphoryle des facteurs
cytoplasmiques inactifs (les STATs1).
En s'associant, les facteurs phosphorylés constituent un facteur
de transcription qui migre dans le noyau, se fixe en amont des
gènes possédant un site de liaison, et active leur transcription.
Ö les interférons induisent l'expression d'au moins 30 gènes.
On a identifié quatre protéines actives sur les virus, les
protéines antivirales (PAV). Les PAV perturbent une cible
commune aux virus à ADN et aux virus à ARN :
Î ce sont les ARN-messagers.
Cette cible explique le large spectre d'activité de l'interféron.
Les PAV :
1. l'Oligo Adénylate Synthétase : hydrolyse les ARN-m,
2. une protéine-kinase PKR : bloque la traduction des ARN-m,
3. une protéine Mx : bloque la transcription,
4. une adénosine désaminase : modifie les ARN-m.
Ces protéines sont présentes sous une forme inactive, le
signal activateur étant l'apparition d'ARN bicaténaire.
Par ailleurs, les interférons augmentent la production des
molécules de classe I du CMH.
1 STAT (Signal transducers and activators of Transcription)
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 3 -
Après l'activation de la cellule par l'interféron :
la cellule "interféronée" est en état de veille,
les PAV n'empêchent pas l'infection : le virus pénètre,
les PAV sont activées par l'ARN bicaténaire qui apparaît
au début du cycle de multiplication : l'infection avorte.
1. l'hydrolyse des ARN-m :
cellule
infectée
cellule
infectée
Ö par l'activation indirecte d'une ribonucléase
- l'oligo Adénylate synthétase (OAS) polymérise quelques molécules
d'ATP (3 à 5) par une liaison inhabituelle 2' 5' (et non 3' 5'
comme dans les acides nucléiques) formant des oligonucléotides
appelés collectivement les oligonucléotides "2-5 A".
- les oligonucléotides "2-5 A" activent à leur tour une enzyme cellulaire,
l'ARNAse L (L pour "latente", car elle est présente en permanence,
mais sous sa forme inactive).
L'ARNase hydrolyse les ARN messagers viraux (et
cellulaires), entraînant ainsi l'interruption du cycle viral (et le
ralentissement des synthèses cellulaires).
2. le blocage de la traduction des ARN-m :
Ö par l'inactivation d'un facteur d'initiation
La protéine-kinase PKR (PK RNA-dependant) est activée par
l'ARN bicaténaire et phosphoryle le facteur d'initiation eIF-2 :
eIF-2 (eucaryotic Initiation Factor) lie l'ARN-t initiateur chargé de
la méthionine (ARN-t Met) à la petite sous-unité du ribosome. Le
tout forme un complexe d'initiation de la traduction, requis pour
l'assemblage du ribosome.
eIF-2 phosphorylé en eIF2- P est inactivé : pas de complexe
d'initiation, donc pas de traduction des ARN-m viraux qui ont
échappé à l'hydrolyse par la ribonucléase L, (et diminution de
la traduction des ARN-m cellulaires).
3. le blocage de la transcription
Ö par la protéine Mxa
1. dans le cytoplasme, la protéine MxA (Mx pour Myxovirus)
une GTPase – empêche le transport de la
nucléocapside vers le noyau.
2. dans le noyau, la protéine MxA bloque la synthèse des
ARN messagers viraux en inactivant les transcriptases
virales.
4. la mutation des ARN viraux
Ö par l'adénosine désaminase ADAR-1
Une mutation peut modifier les ARN viraux sous l'action de
l'ADAR-1 (Adénosine désaminase agissant sur le RNA) : un résidu
A (dénine) est désaminé en I (nosine), qui sera reconnu comme
G (uanine), tant par les ribosomes que par les ARN polymérases
virales.
5. l'expression des molécules de classe I du CMH
En augmentant l'expression des gènes de classe I du CMH, les
interférons α et β favorisent la présentation des peptides
viraux à la surface cellulaire et leur reconnaissance par les
lymphocytes T-cytotoxiques.
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 4 -
L'interféron et l'immunité
Les interférons α et β font partie des facteurs de l'immunité
innée et constituent, avec les cellules NK (dont ils accroissent
l'activité cytotoxique), la première défense de l'organisme
contre les agressions virales.
Les interférons limitent l'extension de l'infection :
Lorsqu'on injecte simultanément un virus et des anticorps anti-
IFN à des animaux sensibles, ceux-ci présentent des infections
beaucoup plus sévères que des animaux ne recevant que le
virus seul.
Les interférons α et β orientent la réponse spécifique vers
l'immunité cellulaire en stimulant le développement des TH1.
La guérison de l'infection est assurée par l'immunité
spécifique à médiation cellulaire : des lymphocytes T CD8
cytotoxiques activés reconnaissent les cellules infectées
(peptides viraux présentés par CMH I) qu'elles détruisent en
déclenchant leur apoptose (par la voie perforine / granzymes).
Synthèse industrielle des interférons
Les interférons α, β et γ sont produits par génie génétique :
On isole l'ARN messager d'un interféron que l'on transcrit en ADN
bicaténaire (par une rétrotranscriptase). Ce gène artificiel est
inséré dans un plasmide.
Le plasmide est introduit dans une bactérie, une levure ou une
cellule de mammifère. Les cellules sont mises en culture.
L'interféron produit est extrait du milieu de culture en le fixant à des
anticorps monoclonaux anti-IFN.
- JC Lemahieu et A. Decoster, Antiviraux, FLM, p. 5 -
Les interférons en thérapeutique
Des indications particulières d'utilisation sont retenues pour
chacun d'entre eux.
1. l'interféron alpha
1 / pour son activité antivirale :
L'interféron α est utilisé dans le traitement des hépatites
chroniques actives dues aux virus des hépatites B (associé à
la lamivudine) et C (associé à la ribavirine). Le but du
traitement est l'éradication complète du virus afin d'éviter
l'évolution, à bas bruit, vers la cirrhose et le carcinome hépato-
cellulaire.
Interférons
α
- Introna
- Roféron-A 3 injections/semaine
- Viraféron
Interférons
α
pégylés
IFN α conjugué à une molécule de polyéthylène
glycol (Peg) : sa demi-vie est 10 fois plus longue
que celle de l'INF α.
- Pegasys
- ViraféronPeg 1 injection/semaine
2 / pour son activité antiproliférative :
L'interféron α agit à la phase initiale de la mitose en allongeant
le cycle cellulaire.
- leucémie à tricholeucocytes.
- leucémie myéloïde chronique,
- lymphomes folliculaires,
- sarcome de Kaposi associé au sida,
2. l'interféron bêta
L'interféron β est uniquement utilisé pour ses propriétés
immunomodulatrices (–), qui s'opposent à celles de l'IFN γ. Interférons
β
- Avonex
- Bétaféron
- Rebif
il inhibe la production d'interféron γ et, par conséquent, la
prolifération des lymphocytes T cytotoxiques.
il restaure une activité T suppressive.
L'interféron β est utilisé dans le traitement des formes de
sclérose en plaques (SEP) évoluant par poussées : il diminue
la fréquence et la gravité des poussées.
La SEP est une maladie inflammatoire démyélinisante du SNC. De
cause inconnue, il pourrait s'agir d'une maladie auto-immune.
L'intervention de l'interféron γ est suspectée dans la genèse des
lésions caractéristiques de la SEP, au cours de laquelle on observe
également une activité T suppressive déficiente.
2. l'interféron gamma
L'interféron γ est uniquement utilisé pour ses propriétés
immunomodulatrices (+), qui s'opposent à celles de l'IFN β : Interféron
γ
- Imukin
il active les cellules NK
il active les macrophages1
granulomatose septique chronique
Les phagocytes présentent un défaut du
complexe enzymatique de la NADPH-oxydase : ils
sont dépourvus d'une activité bactéricide
dépendant de l'oxygène . Les bactéries sont
phagocytées mais ne sont pas détruites.
les infections sont fréquentes et graves.
(
revoir L'immunité innée
p
. 10
)
il active les lymphocytes Th1
L'interféron γ est utilisé dans le traitement de la granulomatose
septique chronique.
Effets secondaires des interférons
Fièvre (sensible au paracétamol), frissons, sueurs, malaises,
céphalées, myalgies, nausées, vomissements, asthénie,
modifications de l'humeur (dépression).
Ces symptômes accompagnent de nombreuses infections
virales. Ils constituent le syndrome pseudo-grippal, que l'on
pourrait aussi appeler le syndrome des interférons, car il reflète
leurs activités diverses sur le métabolisme cellulaire.
1 l'interféron γ a été appelé le MAF (Macrophage arming factor).
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