Traumatismes vasculaires des membres - ceil@univ

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Traumatismes vasculaires des membres
Pr. A. Nekhla
I/ INTRODUCTION
La présence d’une atteinte vasculaire lors d’un traumatisme est une urgence qui met en jeu le
pronostic fonctionnel et vital. La priorité est l’arrêt de l’hémorragie et la restauration d’une
circulation normale.
Les traumatismes vasculaires qui surviennent dans un contexte multi lésionnel
(polytraumatisme) posent le problème de la hiérarchisation des soins et des difficultés
diagnostiques.
Elles représentent 2,4% des traumatismes des membres. La mortalité atteint 10%
II/ UN PEU D’HISTOIRE
Durant 5000 ans de la période historique, l’hémostase sur le champ de bataille a constitué la
seule méthode de traitement des traumatismes artériels de pratique de guerre.
La chirurgie vasculaire reconstructrice s’est principalement développée au cours du 20ème
siècle, notamment pendant le conflit Coréen.
La 1ere série militaire structurée fut celle de MAKINS en 1919 où il rapporta 1202
traumatismes artériels parmi les troupes britanniques lors de la 1ère guerre mondiale.
En 1946 De Bakey et Simeone rapportent 2471 traumatismes artériels parmi les troupes
américaines lors de la 2eme guerre mondiale et dont le taux d’amputation avait atteint 70%.
Hugues, Spencer, et quelques autres ont pour la 1ere fois démontré que les traumas artériels
pouvaient être traités par revascularisation avec succès même dans des conditions de guerre.
Durant la guerre du Vietnam, 600 jeunes chirurgiens correctement formés ont traité 7500
victimes avec plaie artérielle.
III/ ANATOMOPATHOLOGIE.
L’agent vulnérant peut être :
 Les accidents de la voie publique (AVP) : les plus en cause.
 Armes blanches / à feu
 Iatrogènes (KT)
 Accidents du travail
La lésion :
L’atteinte artérielle peut soit respecter la continuité du vaisseau ou non, et peut intéresser la
totalité ou non des tuniques pariétales. On peut observer:
- Plaie ou rupture circonférentielle.
- Plaie latérale.
- Arrachement d’une collatérale.
- Un Flap intimal, ou déchirure intimale isolée pouvant se compliquer de thrombose ou de
dissection.
- Une rupture sous-adventitielle entrainant la formation d’un hématome ou d’un faux
anévrisme.
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Toutes ces lésions peuvent s’accompagner d’un spasme de l’artère concernée.
Les lésions associées sont variables et dépendent du mécanisme du traumatisme et de sa
localisation. Elles intéressent les parties molles, les veines et nerfs satellites, le squelette et les
organes de voisinage.
IV/MÉCANISMES :
Le traumatisme causal est :
- fermé ou ouvert (plaie cutanée associée),
- direct (plaie, ou contusion)
- ou indirect (arrachement, élongation, cisaillement).
Étiologies
 Les plaies artérielles sont provoquées par un projectile balistique, une arme blanche
voire un acte médical invasif (accident iatrogène).
 Les contusions artérielles sont la conséquence d’un traumatisme direct appuyé
(écrasement).
 Les arrachements et élongations artérielles accompagnent généralement une lésion
ostéoarticulaire.
 Les fractures osseuses avec fragments acérés peuvent être la cause d’un embrochage
artériel. –
 Les cisaillements artériels sont le plus souvent la conséquence d’un traumatisme
violent (accidents de la voie publique, accident de décélération).
VI/ CONSÉQUENCES PHYSIOPATHOLOGIQUES
Les traumatismes artériels peuvent entraîner une interruption du flux artériel (ischémie),
une extravasation sanguine (hémorragie) et/ou plus rarement, la constitution d’une fistule
artérioveineuse
Le degré d’ischémie consécutif à l’interruption du flux artériel dépend de la localisation
lésionnelle et des possibilités de suppléance naturelle par la circulation collatérale. La gravité
de l’ischémie est fonction de son degré et de sa durée.
Une rupture artérielle complète ne provoque pas forcément une hémorragie importante en
raison de la rétraction possible des berges artérielles assurant l’hémostase (plaies artérielles
sèches) qui peut n’être que temporaire.
La fistule artérioveineuse est due à une lésion simultanée d’une artère et d’une veine
adjacente : l’extravasation sanguine artérielle est drainée par le flux veineux de retour
provoquant une hypoperfusion artérielle d’aval et une augmentation de la pression veineuse
de part et d’autre de la fistule. Si le débit de la fistule est élevé, il peut entraîner
secondairement une surcharge volumétrique du cœur droit et aboutir à la survenue d’une
insuffisance cardiaque droite puis d’une insuffisance cardiaque globale.
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Risque de survenue de l’ischémie selon le site de ligature
VII/ CLINIQUE :
Le diagnostic est souvent évident, les pièges diagnostiques sont constitués des thromboses
secondaires.
 Le choc hypovolémique : fréquent dans 50% des cas et constant dans les lésions des
troncs proximaux.
 L’hémorragie : Traduit la lésion artérielle, le saignement est rouge vif, en jet, saccadé
qui peut entrainer un collapsus cardio-vasculaire.
L’hémostase temporaire, peut être due à un mécanisme réflexe par rétraction des
berges de l’artère, ou due à un caillot battant recouvrant le pédicule.
 L’hématome : forme la plus fréquente.
 Superficiel ou profond, modéré ou volumineux, circonscrit ou infiltrant.
 Rarement pulsatile pseudo-anévrysmal et rapidement compressif aggravant
l’ischémie tissulaire.
 Le Syndrome ischémique : l’intensité de l’ischémie et l’étendue du territoire ischémié
permettent de distinguer l’ischémie complète ou sévère de l’ischémie relative ; et
l’ischémie globale de l’ischémie focalisée.
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L’ischémie complète est traduite par le tétrade de GRIFFITH : Absence de pouls, pâleur,
douleur et paralysie.
Le diagnostic est évident. L’atteinte neurologique définit la gravité du Syndrome et précède
l’œdème. L’induration ligneuse des masses musculaires et les troubles trophiques cutanés
signent l’irréversibilité partielle ou totale des lésions.
 L’ischémie relative grâce aux artères collatérales:
* Membre froid, pâle avec lit superficiel vide et parfois une cyanose distale.
* Douleur modérée et loges musculaires souples.
* L’examen neurologique est normal ou retrouve une discrète hypoesthésie.
L’abolition des pouls est le maître symptôme+++.
 L’ischémie globale :
* Intéresse la totalité du membre.
* Relève des lésions proximales.
Le diagnostic est facile mais les complications sont nombreuses : hémorragie et Syndrome de
revascularisation après réparation.
 L’ischémie focalisée :
*Syndrome des loges: Caractérisé par une élévation pathologique de la pression intra
tissulaire dans un compartiment musculaire.
* Localisée à une loge bien limitée.
* Abolition des pouls distaux, œdème et signes neurologiques.
Les pièges diagnostiques de l’ischémie :
 Les formes masquées :
- Fractures osseuses étagées avec des lésions majeures des parties molles.
- L’œdème rend difficile l’affirmation de la lésion artérielle.
- Chez le blessé comateux et choqué, l’urgence vitale prime mettant l’ischémie sur le compte
de la vasoconstriction périphérique due au collapsus cardio-vasculaire.
 Les formes atténuées évolutives :
- L’ischémie initiale est pauci symptomatique et le climat rassurant.
- Les pouls périphériques sont présents et la thrombose peur être secondaire (lésion intimale).
VIII/ BILAN COMPLÉMENTAIRE
1/ Doppler complété par une mesure des index de pression systolique: n’a pas d’intérêt dans
les formes cliniques franches.
- Il est opérateur dépendant.
-Il permet de détecter des lésions intimales, des thromboses, des faux anévrismes, et des
fistules artérioveineuses.
2/ Artériographie ou angiographie : gold standard de l’investigation. Peut montrer :
→ Arrêt tronculaire brutal et complet, habituel témoin d’une rupture complète ou d’une
fracture sous adventitielle. L’opacification du lit distal est fonction de l’extension et de la
rapidité du processus de thrombose.
→ Extravasation du produit de contraste dans les parties molles témoigne d’une hémorragie
→ Image de fistule artérioveineuse avec retour veineux précoce.
→ Rétrécissement effilé régulier et extensif avec absence de vascularisation de la collatéralité
traduisant un spasme.
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L’artériographie est indiquée quand le diagnostic n’est pas évident et est contre indiquée
quand l’hémorragie est menaçante ou en cas d’ischémie sévère ou évoluée.
3/ Oxymétrie:
- Examen peu contributif.
- Peut montrer la réduction de l’oxymétrie d’un membre par rapport au controlatéral.
- N’élimine pas un traumatisme vasculaire important.
Plaie de l’artère poplitée en regard Contusion artère humérale post traumatique
d’une fracture du genou déplacée.
Faux anévrisme de l’artère tibiale antérieure après agression à l’arme blanche
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VII/ CAS PARTICULIERS
1/Particularités chez l’enfant :
L’artère humérale basse est souvent lésée au cours des fractures de la palette osseuse
humérale ou des décollements épiphysaires de l’extrémité inférieure de l’humérus. L’artère
est lésée par compression, élongation ou embrochage. La veine humérale peut aussi être lésée.
Le diagnostic peut être compliqué du fait d’un spasme artériel associé, ou isolé.
L’abolition du pouls radial persistant après la réduction de la fracture, peut conduire à la
réalisation d’une artériographie ou à une exploration chirurgicale.
La réparation artérielle chirurgicale directe peut nécessiter des procédés microchirurgicaux et
la lutte contre le spasme artériel (médicamenteuse: Papavérine).
2/ Le syndrome de Volkmann :
Ce syndrome est la conséquence d’une ischémie méconnue ou négligée du membre supérieur,
traité pour fracture ou luxation, voire la conséquence d’une atteinte iatrogène par un plâtre
compressif mal surveillé. La suspicion d’un plâtre compressif impose son ouverture et un
bilan clinique et échodoppler.
Il se traduit par des douleurs intenses de l’avant-bras et de la main, avec déficit
sensitivomoteur et aspect typique de rétraction des tendons fléchisseurs de l’avant-bras. Ce
syndrome peut aboutir tardivement à une main en « griffe », en l’absence de traitement qui
comporte, outre la restauration artérielle, de larges aponévrotomies de l’avant-bras étendues à
la main.
3/ Les plaies iatrogènes : complications fréquentes du fait de la multiplication des abords
vasculaires aux membres: ponction veineuse au pli du coude, cathétérisme de l’artère radiale
en réanimation ou pour coronarographie, abords pour hémodialyse, abords pour procédés
endovasculaires.
Les lésions artérielles après ponction chez le toxicomane peuvent être rapprochées des plaies
iatrogènes. Elles sont presque toujours infectées.
4/ Les plaies du poignet, de la main et des doigts : associent des lésions tendineuses et
vasculaires. Elles sont d’origine professionnelle (boucher, fraiseur, …), accidentelle (bris de
glace, tondeuse à gazon,…), ou secondaire à une tentative de suicide (section du poignet).
Elles nécessitent la collaboration d’un chirurgien de la main et l’utilisation de techniques de
restaurations microchirurgicales.
5/ Le traumatisme chronique de la main : souvent d’origine professionnelle (marteaupiqueur, menuisier…), les lésions artérielles (thrombose et/ou anévrisme) sont liées à un
traumatisme répété de l’éminence hypothénar (artère ulnaire). Elles sont souvent révélées par
une ischémie digitale distale, aiguë ou chronique plus ou moins sévère selon la perméabilité
de l’arcade palmaire.
6/ Les fractures de la clavicule et/ou de la première côte peuvent aboutir à des lésions
anévrismales ou thrombotiques de la jonction veineuse ou artérielle sous-clavio-axillaire,
parfois compliquées d’embolies distales.
VIII/ TRAITEMENT :
1/ Buts :
- Préserver le pronostic vital.
- Préserver la vitalité du membre.
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2/ Principe du traitement :
 Hémostase provisoire par garrot sur les lieux de l’accident
 Réduction des luxations et des fractures déplacées avec stabilisation chirurgicale
rapide, parfois de manière temporaire, à l’aide d’un fixateur externe avant tout geste
de revascularisation.
 En cas d’ischémie grave, le traitement d’une lésion viscérale vitale chez le
polytraumatisé ou la stabilisation par fixateur sera effectué après une revascularisation
transitoire via un shunt (utilisant du matériel dédié ou improvisé sur des tubulures de
perfusion ou des drains thoraciques).
 Thrombectomie avant toute revascularisation à la sonde de Fogarty.
 Les extrémités vasculaires doivent être saines par résection des zones contuses et
Débridement tissulaire.
 Pas de ligature artérielle sauf pour les artères de petit calibre sans risque d’ischémie
secondaire quand il existe une bonne collatéralité.
 Suture au fil non résorbable, ou anastomose, ou pontage veineux (Veine saphène
interne controlatérale inversée), rarement prothétique.
 La réparation doit être couverte notamment par un lambeau musculaire.
 Les lésions veineuses sont présentes dans 40% des traumatismes artériels et leur
réparation doit soit se faire avant celle des artères si possible selon le même principe
que pour les artères. Il faut toujours restaurer la veine fémorale commune et la veine
poplitée quand elles sont lésées.
 En cas de revascularisation tardive, un lavage du membre est réalisé, après canulation
artérielle, avec du sérum physiologique ou bicarbonaté ou des solutés de reperfusion
(solution de Fabiani).L’axe veineux étant ouvert pour évacuer le retour du liquide de
lavage, on perfuse 1 L de sérum par membre inférieur.
 En cas de survenue d’un syndrome des loges, une aponévrotomie de décharge large et
au moindre doute doit être faite.
 Parfois une amputation d’emblée est indiquée en cas de délabrement musculo-cutané
et osseux important.
 Un traitement endovasculaire avec pose de Stent peut être conduit.
3/ Indications opératoires
 Toute lésion axiale jusqu’à l’artère poplité basse doit être réparée.
 Une lésion du tronc tibio-péronier ou des deux tibiales ou trois axes de jambe.
 Toute lésion de l’humérale commune.
 La lésion d'un axe compliquée d’une hémorragie, d'un faux anévrysme, d'une fistule
artérioveineuse.
 Dissection et faux anévrysme : Stent ou chirurgie à ciel ouvert.
 L’embolisation est indiquée quand elle est disponible, en cas de rupture d’une artère
terminale, d’une fistule artérioveineuse (art. jambe), ou d’un faux-anévrysme (art.
jambe)
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4/ Place du traitement endovasculaire dans les traumatismes artériel
Il s’agit d’une modalité thérapeutique en pleine évolution, trouvant certaines indications
quand le matériel disponible et l’opérateur entraîné, sachant anticiper et gérer les
complications et si le patient est stable.
L’avantage du traitement endovasculaire est que la voie d’abord reste limitée, à distance du
traumatisme, sous anesthésie locale, peu hémorragique. Elle ne nécessite pas de clampage,
l’héparinisation est locale. Elle reste d’une relative simplicité.
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