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En 2013, grâce à ces renseignements, nous avons pu rééchantillonner la
végétation du parc en utilisant la même méthodologie (Figure 1). Ainsi, on
a identifié toutes les espèces de plantes vasculaires de chaque placette
et évalué le recouvrement – soit la proportion de la placette couverte par
chaque espèce relativement à la surface totale. L’inventaire s’est échelonné
de mai à août 2013, sous la supervision de Stéphanie Pellerin, de l’Institut
de recherche en biologie végétale (IRBV), et de Claude Lavoie, directeur
de l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement
régional de l’Université Laval.
En comparaison de ces nouvelles observations, les données historiques
permettent de mesurer les changements survenus dans les communautés
végétales et de mieux comprendre leur réponse aux perturbations. Elles sont
d’une valeur inestimable pour évaluer l’état de santé d’un écosystème.
DES RÉSULTATS ENCOURAGEANTS
Nos travaux ont montré que sur l’ensemble des placettes d’inventaire,
18 espèces exotiques et 26 espèces indigènes sont apparues depuis 1977,
dont deux désignées menacées au Québec. Toutefois, toutes les espèces
indigènes nouvellement identifiées en 2013 avaient déjà été observées
ailleurs sur la montagne lors de l’inventaire initial, indiquant qu’elles ont pris
de l’expansion depuis. Inversement, 11 espèces initialement inventoriées
en 1977 n’ont pas été retrouvées à l’été 2013. Cependant, celles-ci avaient
été inventoriées à moins de 4 reprises en 1977 (dans 3 % des placettes
d’inventaire). L’absence de ces espèces pourrait être attribuable au
repositionnement des placettes lors de notre inventaire.
Fait notable, le nombre d’espèces de sous-bois a en moyenne plus que triplé
localement, passant de 5 à 17 espèces par placette (Figure 2). Il s’agit
ici d’un gain majeur en ce qui a trait à la richesse de la flore forestière,
d’autant plus que cette explosion du nombre d’espèces n’est pas imputable
à l’introduction de plantes exotiques. En effet, les espèces exotiques n’ont
augmenté en moyenne que d’une seule espèce par placette (Figure 3),
avec un recouvrement souvent négligeable. Néanmoins, le pourcentage de
placettes d’inventaire comptant au moins une espèce exotique est passé
de 5 % en 1977 à 70 % en 2013. Entre autres hypothèses pour expliquer cet
enrichissement, le verglas de 1998, qui pourrait avoir favorisé la présence
de trouées et ainsi l’établissement d’espèces grâce à un apport accru de
lumière dans le sous-bois. D’autres hypothèses sont également étudiées,
comme l’abondance du hêtre à grandes feuilles (Fagus grandifolia) et son
effet sur la litière du sol.
Figure 2. Nombre total d’espèces par placette d’inventaire en 2013
et 1977, Marie-Pierre Beauvais
Figure 3. Nombre d’espèces exotiques par placette d’inventaire en 2013
et 1977, Marie-Pierre Beauvais
L’espèce introduite la plus fréquente dans les massifs forestiers étudiés
est l’épipactis petit-hellébore (Epipactis helleborine L.), une petite orchidée
européenne à grande amplitude écologique. Seule espèce exotique
répertoriée en 1977 et présente dans 60 % des placettes d’inventaire en
2013, cette orchidée naturalisée n’est cependant pas reconnue pour porter
atteinte à l’intégrité des habitats qu’elle colonise.
Globalement, ces résultats ont de quoi réjouir. À l’heure où les espèces
exotiques représentent une menace sérieuse à l’intégrité des écosystèmes
(Butchart et coll., 2010), l’invasion très limitée des écosystèmes forestiers
du parc est une nouvelle digne de mention. Le constat est d’autant plus
intéressant que le parc national du Mont-Saint-Bruno est l’un des parcs les
plus fréquentés du réseau québécois, accueillant plus de 850 000 jours-visite
annuellement, et qu’il est entouré d’une matrice fortement fragmentée
par l’agriculture et l’urbanisation, foyers considérables de propagation
d’espèces introduites.
La flore forestière du mont Saint-Bruno est donc demeurée relativement
intègre au cours des 35 dernières années. Les stratégies de conservation
mises en place au cours de la dernière décennie, telles que le programme de
suivi de l’intégrité écologique et le plan de conservation, ont permis le suivi
de plusieurs espèces végétales, contribuant ainsi à leur protection au sein
du parc.
LE CERF DE VIRGINIE :
UNE OMBRE AU TABLEAU
Un autre intrus menace toutefois l’équilibre des communautés végétales
et la survie de certaines espèces sur la montagne. Présent sur le territoire
depuis le milieu des années 1980, le cerf de Virginie atteint maintenant une
densité d’environ 8 cerfs/km2, ce qui excède la capacité de support des
écosystèmes forestiers, estimée à 5 cerfs/km2 (Huot, 2006). Au-delà de ce
seuil, la pression de broutement entraine une succession d’impacts négatifs
sur la flore de sous-bois. À titre d’exemple, des recherches ont démontré
que le cerf de Virginie peut engendrer le déclin marqué des populations
de trilles blancs (Trillium grandiflorum M.) (Figure 4) par le broutement
récurrent, année après année, des plus gros individus. Or, ce sont justement
ces derniers qui ont le meilleur potentiel de reproduction (Knight, Barfield et
Holt, 2007). Il faut également souligner que cette vivace met au moins 15 ans
pour atteindre sa maturité sexuelle et ainsi produire des semences viables
(Hanzawa et Kalisz, 1993).