des riches. Partout, et quelle que fût la faction dominante, la vanité, l’envie, la
haine de toute supériorité, furent les caractères saillants du patriotisme
hellénique. Les citoyens d’une ville grecque se disaient et se croyaient descendus
d’un dieu, ou tout au moins d’un héros. Ils méprisaient et détestaient les
étrangers, c’est-à-dire leurs voisins. Non seulement ils ne les admettaient pas à
partager leurs droits de citoyen, mais ils veillaient même à ce que leur propre
cité, leur famille divine ou héroïque, ne s’agrandît pas. Si la population
augmentait, on en exilait une partie, car, dans l’étroite enceinte d’une acropole
antique, la place était trop précieuse pour être partagée. L’esclavage, avec tous
les maux qui le suivent, était une condition indispensable à l’exigence de ces
républiques chétives. En effet, pour gouverner l’Etat, pour le défendre, pour
juger, pour administrer, tous les moments, toute la force, toute l’intelligence du
citoyen, étaient réclamés par la patrie. Quelle industrie, quel commerce
pouvaient exercer des gens obligés de prendre les armes au premier appel, ou
de se réunir à l’agora dès qu’il plaisait à un de leurs compatriotes de proposer un
décret ? Travailler n’était pas alors le fait d’un homme libre.
Cet amour de l’autonomie, que l’on confond trop souvent avec l’amour de la
liberté, n’excluait pas une certaine ambition nationale. Le Spartiate, l’Athénien,
rêvaient l’agrandissement de leur patrie, mais ils se seraient bien gardés de
partager leurs privilèges. Ils voulurent avoir des sujets, non des concitoyens; les
ilotes de Lacédémone, les alliés d’Athènes, auraient pu dire comment étaient
traités les sujets d’une nation libre.
Toujours en querelle, les deux factions aristocratique et démocratique, ne se
trouvaient d’accord que sur un point, c’est à savoir une haine aveugle contre
toute supériorité. Aussi l’on s’appliqua à rendre le pouvoir médiocre de fait, et
toujours transitoire, quelque bienfaisant, quelque utile qu’il se fût montré. Le
mérite fut suspect ; on inventa l’ostracisme pour le réprimer, ou l’on s’en remit
au hasard pour désigner celui qui commanderait. Avec de semblables
institutions, on comprend que l’éloquence devînt le seul moyen de
gouvernement, car les Grecs, quoique assez corrompus pour vendre leurs
suffrages, étaient trop pauvres pour les acheter. Nulle part l’éloquence ne fut
autant cultivée qu’en Grèce ; nulle part elle n’atteignit à une si grande hauteur ;
on sait aussi le peu d’effet qu’elle eut pour assurer son indépendance. Il y eut
des orateurs pour conseiller l’expédition de Sicile, pour dénoncer l’ambition de
Philippe, mais on ne sut trouver ni généraux ni soldats lorsqu’il fallut combattre.
Il y a des admirateurs très sincères de ces institutions pour répondre que la
Grèce leur doit cette multitude de grands hommes utiles à la civilisation qu’elle a
produits. Voilà un de ces théorèmes qui, ne pouvant se prouver, ne méritent
guère d’être discutés que comme un exercice de rhétorique ; mais, le fait fût-il
admis, tout le monde reconnaîtra, nous le pensons, que, si la Grèce a donné
l’exemple du plus sublime développement de l’esprit humain, il faut aller
chercher ailleurs un modèle de gouvernement pour un grand peuple qui veut
vivre indépendant, libre et tranquille.
Grœcia capta ferum victorem cepit.
Il serait plus exact de dire que, dès avant la conquête romaine, la Grèce initia les
Italiotes aux systèmes qui devaient causer sa perte. Le moyen de résister à tant
de génies bien-disants, si habiles dans l’art de persuader ? Dès que des relations
suivies s’établirent entre Rome et la Grèce, les mœurs romaines, les idées
romaines, furent profondément modifiées. Les vertus sauvages de l’ancienne
république disparurent, on en eut honte comme de la barbarie. Dans la bonne