La Fille du Régiment Pistes de réflexion pour les enseignements de

La Fille du Régiment
Pistes de réflexion pour les enseignements de musique et d’histoire des arts
« Marie, vivandière du 21e régiment d’infanterie, épouserait un Tyrolien [Tonio] devenu
soldat par amour pour elle, si… l’orpheline ne retrouvait sa mère et un milieu qu’elle
n’avait jamais connu. Toute la pièce repose alors sur un dilemme décliné sur tous les tons :
oublier le bonheur ancien pour un luxe nouveau, en un mot, oser ou pas être une
parvenue ?... »
(Extrait de l’argument de l’Avant Scène Opéra, Rémy Campos)
Place paradoxale de La Fille du régiment qui représente l’Opéra Français et patriotique par
excellence et qui est en fait l’œuvre d’un italien, Gaetano Donizetti.
La Fille du régiment est en réalité l’illustre reflet de la place qu’a occupée la France dans la
carrière de ce compositeur lyrique.
La Fille du régiment pousse le trait « français « jusqu’à la caricature sous la plume de
certains, elle reflète une époque et un environnement, ceux qui entourent sa création, le 11
février 1840, salle de la Bourse à Paris.
Alors peu avantagé par sa production, l’opéra connaîtra plusieurs reprises et divers succès dus
notamment aux nombreux changements de régime au XIXe siècle. Il reçoit enfin le succès qui
lui est dû et un digne successeur dans ce genre musical porté par Jacques Offenbach.
La Fille du régiment peut-être étudiée sous plusieurs aspects et notamment par le contexte qui
l’entoure et qui est riche. Explorer les différentes pistes ouvertes par cette œuvre, c’est en
proposer une deuxième lecture à travers les hommes, les œuvres et les histoires qui
l’entourent.
Un Opéra-Comique ?
Au XIXe siècle, l’appellation d’Opéra-comique est sujette à discussion. Si l’on se réfère à la
définition de Pierre Saby1, ce qui caractérise l’opéra-comique du moins cette terminologie
c’est « la réunion dans une même œuvre d’épisodes parlés et de sections chantées ».
La Fille du régiment n’échappe pas à cet état de fait. Bien qu’elle se présente sous les traits
d’un opéra historique et sous la terminologie d’opéra-comique, c’est en réalité un spectacle
singulier dont l’intérêt dramatique essentiel ne réside ni dans son aspect historique, ni dans
une quelconque intrigue burlesque.
« La Fille du régiment commence comme un opéra historique. Un événement politico
militaire digne de ceux sont représentés à l’Académie Royale de musique occupe
l’introduction : en pleine montagne les troupes françaises menacent, les paysans tyroliens se
préparent à la bataille. Ais ces inflexions militaires (canons et tambours) cèdent rapidement la
place à un style plus proche des opéras-comiques d’Aubert. La confusion des genres n’aura
été que passagère et l’Histoire donnée à entendre seulement en coulisses. »
L’ouverture propose une illustration très directe de cet état de fait par les sonneries de cors
entendues : « nous sommes à la montagne avant d’être sous l’Empire »
1 Pierre SABY, Vocabulaire de l’Opéra, Minerve, Paris, 1999.
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Bénédicte Auriol Prunaret
( professeur chargée de mission à l’Opéra National de Montpellier Languedoc Roussillon)
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« Une charmante farce militaire » selon J. et B. Massin dans l’Histoire de la musique
occidentale
L’ensemble de la musique et des artifices militaires, sonneries de cors, accents
triviaux, chœurs d’hommes, semblent être un prétexte à un plus large divertissement dont le
propos n’est pas historique. L’Empire est en toile de fond. Ce qui fait l’histoire, le drame,
c’est la condition de Marie et les deux univers qui s’affrontent, la montagne, la liberté et
l’univers bourgeois de la marquise, fermé, domestiqué. Marie est entre les deux et c’est de
cette dualité que naît la trame dramatique de cet opéra.
La critique de Berlioz : « Quoi, deux grandes partitions à lOpéra, les Martyrs et le
Dux d’Albe, deux autres à la Renaissance, Lucie de Lammermoor et L’Ange de Nisida, deux à
l’Opéra-Comique, La Fille du régiment et une autre dont le titre n’est pas encore connu, et
encore une autre pour le Théâtre Italien auront été écrites ou transcrites en un an par le
même auteur ? M. Donizetti a l’air de nous traiter en pays conquis, c’est une véritable
guerre d’invasion. On ne peut plus dire les théâtres lyriques de Paris mais les théâtres
lyriques de M. Donizetti. »
« La musique et la poésie du théâtre français ont un cachet qui leur est propre, auquel
chaque compositeur doit se conformer, soit pour récitatif, soit pour les airs, bannissant par
exemple les crescendi et les cadences habituelles ; et puis entre deux cabalettes, il y a
toujours un texte qui intensifie l’action, sans l’éternelle répétition dont usent nos poètes »
(1839, Donizetti)
Ces deux citations conduisent à l’objet de l’agacement du compositeur : la qualité et
« l’insolence » de La Fille. Auparavant, les héros guerriers étaient traités de manière lourde et
excessive. Ici le propos est économique et modeste et cela met en exergue la qualité de
l’écriture de Donizetti. C’est pourquoi, La Fille est un opéra militaire singulier, le guerrier
d’opéra cède sa place à une jeune vivandière tiraillée entre deux mondes. Le « comique
troupier » est devenu lyrique et la partition devient l’apanache de chanteurs exceptionnels.
Berlioz sent la nouveauté, Offenbach et l’Opérette en feront un héritage.
Un contexte historique fort : la première moitié du XIXe siècle
1810
Ier Empire Napoléon 1er empereur des Français (1804) Bataille d’Austerlitz (1805)
1820
1e et 2e abdications de Napoléon (1814 et 1815)
1830
Restauration (1815-1848)
Louis XVIII (1815-1824)
Charles X, roi de France (1810-1824)
Révolution de juillet : Louis Philippe 1er roi des Français (1830-1848)
1840
2e République (1848-1852)
1850
Louis Napoléon Bonaparte, président de la République (1848-1852)
IIe Empire, Napoléon III, empereur des Français (1852-1870)
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Bénédicte Auriol Prunaret
( professeur chargée de mission à l’Opéra National de Montpellier Languedoc Roussillon)
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1840
L’équilibre européen est périodiquement menacé par « la question d’Orient » c’est-à-dire les
conséquences multiples de la décadence de l’Empire ottoman.
La France se retrouve esseulée en Europe et Thiers, chef du gouvernement soumet un texte au
roi appelant à la guerre pour sauver l’honneur du pays.
Le roi refuse et remplace Thiers par Guizot.
La même année, les cendres de napoléon sont ramenées en France et ses funérailles sont
célébrées le 15 décembre 1840 devant une foule immense malgré le froid. Le corps de
napoléon est ensuite conduit aux Invalides.
Au-delà du contexte ponctuel, La Fille du Régiment doit se lire aussi sous le contexte de
glorification de l’armée, de la Révolution et de l’Empire, ce que les historiens appellent
Légende Napoléonien
Règne de LOUIS-PHILIPPE Ier (1830-1848)
1830
Louis-Philippe Ier devient roi des Français.
Talleyrand est nommé ambassadeur extraordinaire à Londres.
L loi autorisant le retour des "Régicides
Les ministres de Charles X sont jugés et condamnés.
1831
Dissolution de la Chambre des députés.
(20-22 novembre) Révolte des Canuts à Lyon.
Le prince royal et Soult à la tête de la troupe entrent à Lyon pour arrêter la révolte.
Suppression de l'hérédité des pairs.
1832
Formation du gouvernement autour de Soult.
Les Français reprennent Anvers aux Hollandais.
1833
Abrogation du jour de deuil national le 21 janvier.
Loi sur le statut des colonies.
Loi prévoyant l'élection des conseils généraux.
1834
Traité Desmichel reconnaissant d'Abd el-Kader à Oran.
Révolte ouvrière à Lyon.
La révolte lyonnaise est réprimée (200†).
Révolte à Paris.
Massacre de la Transnonain par le 35e régiment de ligne.
Signature de la quadruple alliance avec l'Angleterre, l'Espagne et le Portugal.
Mort du marquis de La Fayette à Paris.
Échec de la gauche aux élections.
Le président du Conseil Soult est remplacé par le maréchal Gérard.
Ajournement de la Chambre des députés au 31 décembre.
Démission du maréchal Gérard.
Nouveau gouvernement autour du duc de Bassano.
Démission du gouvernement Bassano.
Le maréchal Mortier reprend le gouvernement Gérard.
1835
Démission du gouvernement Mortier.
Attaque d'Abd el-Kader contre le gouverneur d'Oran (Algérie)
Attentat de Fieschi contre Louis-Philippe (12†).
Promulgation des lois sur la presse (censure).
Le gouvernement Broglie est renversé.
1836
Formation du gouvernement autour de Thiers.
Défaite française à Sidi Yacoub (Algérie).
Tentative d'assassinat de Louis-Philippe par le républicain L. P. Alibaud.
Inauguration de l'arc de Triomphe à Paris.
Démission de Thiers il est remplacé par le comte Molé.
Échec de la tentative de coup d'état de L. N. Bonaparte à Strasbourg qui se solde par son arrestation.
1837
18 janvier Acquittement des complices de la tentative de coup d'état de Bonaparte.
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30 mai Traité de Tafna avec Abd el-Kader reconnaissant sa souveraineté.
4 juillet Loi rendant obligatoire le système métrique décimal au 1 janvier 1840.
24 août Inauguration de la première voie de chemin de fer entre Paris et Orléans.
3 octobre Dissolution de la Chambre de députés.
13 octobre Prise de Constantine (Algérie) par les armées Françaises.
1838
Reconnaissance de la souveraineté d'Haïti par la France.
1839
Dissolution de la Chambre par le Roi.
Démission du gouvernement Molé.
Nomination d'un gouvernement provisoire.
Constitution du gouvernement autour de Soult.
(12-13 mai) Échec des journées révolutionnaires de Barbès et Blanqui.
1840
Création de La Fille du Régiment à Paris
Formation du ministère Thiers.
Charles de Rémusat, ministre de l'Intérieur annonce à l'assemblée le rapatriement de la dépouille de Napoléon Ier.
Échec de la tentative de coup d'état de L. N. Bonaparte à Boulogne-sur-Mer.
Tentative d'assassinat de Louis-Philippe par le communiste Marius Darmès.
Démission du gouvernement Thiers il sera remplacé par Soult.
Les cendres de Napoléon sont déposées aux Invalides.
1841
Loi sur le travail des enfants.
Exécution de Marius Darmès.
1842
Loi sur le financement du chemin de fer.
Le gouvernement remporte les élections.
Mort accidentelle du duc d'Orléans, héritier du trône.
1844
Traité de Tanger entre la France et le Maroc.
Traité de Whampoa entre la France et la Chine.
1845
Attaque du Maroc contre les Français.
Bombardement de Tanger par les Français.
Victoire française contre les Marocains.
Le sultan du Maroc accepte les conditions françaises ; fin des hostilités.
1846
Tentative d'assassinat de Louis-Philippe par Pierre Lecomte à Fontainebleau.
Évasion de Louis-Napoléon Bonaparte du fort de Ham.
Dissolution de la Chambre des députés.
Nouvelle tentative d'assassinat de Louis-Philippe.
1847
Guizot remplace Soult à la tête du gouvernement.
Reddition d'Abd el-Kader, début de la pacification en Algérie.
1848
Insurrection parisienne.
Louis-Philippe abdique en faveur de son petit-fils, le comte de Paris, ce que la chambre refuse.
1848
Le 10 décembre, Louis-Napoléon Bonaparte est élu président de la République (74,2%).
Légende Napoléonienne
Napoléon Bonaparte fait l’objet d’une sorte de mythe très vivace en France en 1840
lors de la création de La Fille du régiment de Donizetti. Cette influence majeure est à prendre
en compte dans la lecture de cette œuvre, à la fois de manière individuelle et également au
sein d’un corpus beaucoup plus vaste d’œuvres d’art répondant à cette thématique autour de la
personnalité et de la carrière de Napoléon Ier.
En effet, peu d'hommes dans l'histoire de l'humanité ont suscité autant de haine et
d’admiration, et parfois même les deux mêlées. L’épopée de Napoléon, ses victoires, son
ascension fulgurante, ses défaites aussi, son exil, ont stimulés la verve créatrice des artistes
jusqu’à aujourd’hui. Néanmoins, on remarque que cette source d’inspiration, cette ombre
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plane sur toute la création du XIXe siècle. Chaque événement historique rappelle, rapporte les
propos des artistes au mythe Napoléonien.
La Littérature :
Mémoire d’outre-tombe de Chateaubriand (1841) et La Chartreuse de Parme (1839) de
Stendhal paraphrasent tous des moments essentiels des batailles de Napoléon dont la défaite
de 1815 à Waterloo. Dans Les Châtiments (1853), Victor Hugo se moque de Napoléon
« l’usurpateur ».
Ils ont pris de la paille au fond des casemates
Pour empailler ton aigle, ô vainqueur d’Iéna !
Il est là, mort, gisant, lui que si haut plana,
Et du champ de bataille il tombe au champ de foire.
Hugo n’en demeure pas moins fasciné par les armes et les victoires guerrières comme le
confirment le recueil poétique des Odes et Ballades (1822-1828). Ses poèmes sont jalonnés de
termes et d’expressions rutilantes autour du champ lexical de la guerre : « chars poudreux »,
« glaives nus » (en référence à l’antiquité), des « belliqueux faisceaux », des « forts
tonnants », « drapeaux mutilés » ou « hussards rapides ».
Même la défaite ou la déroute militaires inspirent et galvanisent la création romantique qui
dépeint l’homme dans toute sa complexité, dans le beau et le fort comme dans le misérable et
le faible.
[…] C’est alors
Qu’élevant tout à coup sa voix désespérée,
La déroute, géante à la face effarée,
Qui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons,
Changeant subitement les drapeaux en haillons,
À de certains moments, spectre fait de fumées,
Se lève grandissante au milieu des armées,
La déroute apparut au soldat qui s’émeut,
Et, se tordant les bras, cria : Sauve qui peut ! »
(« Expiation », V. Hugo, Les Châtiments, 1853)
La Peinture :
Dans le domaine de la peinture, les courants
académiques et néoclassiques ont beaucoup servi le
mythe napoléonien. Sous l’influence des Académies et
des pouvoirs en place, la peinture s’inspire largement
des thèmes historiques et orientalisant. Le terme de
« pompier » est même utilisé pour caractériser l’art
académique. Les sources de ce terme sont multiples
allant de Pompéi à un art « pompeux ».
Les peintres utilisent des effets théâtraux dans leurs
toiles et mettent en scène les batailles ou les passages
les plus célèbres du mythe napoléonien. Ingres, plutôt
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