Les neurones miroirs et leurs étonnantes conséquences
Introduction
Un aspect clé des interactions sociales est la capacité de comprendre l’état mental des autres.
Les neurones miroirs ont à voir précisément avec le comment une personne comprend l’état
mental d’une autre personne.
Chez le singe
Au début des années 1990, une nouvelle classe de neurones prémoteurs au niveau du cortex
frontal inférieur a été découverte dans le cerveau des singes macaques. Ces neurones
déchargent non seulement quand le macaque exécute des actions particulières comme prendre
un objet, mais aussi quand ils observent d’autres individus qui exécutent des actions similaires.
Ce secteur postérieur du cortex frontal est concerné par les mouvements.
Figure 1 : Neurones miroirs dans la zone frontale F5 : décharges neuronales dans F5 du
macaque quand il prend de la nourriture et quand il observe l’expérimentateur prendre de la
nourriture.
Des neurones avec des actions similaires ont ensuite été découverts dans la partie antérieure
du cortex pariétal inférieur réciproquement connecté à l’aire F5, le tout forme le système
des neurones miroirs fronto-pariétaux. La plupart des aires motrices frontales reçoivent un
input sensoriel robuste du lobe pariétal (visuel et somatosensoriel).
Il convient de noter que ces neurones situés au niveau de F5 indiquent le but d’une action
motrice donnée, comme la préhension d’un objet, et non les mouvements requis pour
accomplir cette action. Ces neurones miroirs ne sont pas activés à la simple vue d’objets
préhensibles mais à la vue d’actions impliquant ces objets. De même, ils ne sont pas activés à
la simple vue d’un mouvement de préhension sans objet à prendre ! Ces neurones miroirs au
niveau de F5 sont aussi activés quand la partie finale de l’action observée (l’interaction objet-
main) est cachée. Ainsi s’il y a un aliment à prendre sur la table et qu’ensuite la main de
l’expérimentateur est cachée dans sa portion distale, les neurones miroirs s’activent. Si par
contre, il n’y a pas de nourriture sur la table et qu’ensuite la main de l’expérimentateur est
cachée dans sa portion distale dans le mouvement de préhension, les neurones miroirs ne
s’activent pas ! Pourtant dans les 2 situations, l’input visuel des 2 actions cachées est
identique. Cela veut donc dire que ces cellules peuvent coder des aspects hautement abstraits
des actions des autres.
Une classe particulière de neurones miroirs au niveau de F5 peuvent être activés non
seulement lorsqu’une action est exécutée ou observée, mais aussi par le son produit par
l’action (neurones miroirs audio-visuels) : casser une cacahuète produit un son caractéristique.
Cela démontre aussi la présence d’input auditif dans ce système des neurones miroirs.
Certains auteurs pensent que cet input auditif était nécessaire pour supporter l’hypothèse que
le système des neurones miroirs était un précurseur du système neuronal du langage.
Il semble y avoir 2 types de neurones miroirs :
- les neurones miroirs strictement congruents : qui s’activent lorsque l’action exécutée
et observée est strictement identique
- les neurones miroirs largement congruents ; qui s’activent lorsque l’action exécutée et
observée ont le même but mais pas nécessairement le même chemin (par exemple,
prendre de la nourriture mais avec l’entièreté de la main gauche ou seulement l’index
et le pouce de la main droite).
Au niveau du lobe pariétal inférieur, il y a une décharge au niveau de la même cellule
différente en fonction du but poursuivi. Si on utilise des aliments, plus ou moins 1/3 des
neurones miroirs à cet endroit vont s’activer de la même manière durant la préhension des
aliments si le but poursuivi est de les manger ou de les mettre dans une boîte. Pour les 2/3
restants, 75% s’activent plus quand les singes prennent la nourriture avant de la manger par
comparaison à la préhension pour les mettre dans la boîte. Des 25% restants, c’est le schéma
inverse : ils s’activent plus s’ils placent la nourriture dans la boite. Le pattern similaire existe
pour l’observation de l’action en fonction de la présence ou non de la boîte. Ces données
montrent que ce système de neurones miroirs n’est pas qu’une représentation abstraite des
actions de l’autre, mais peut coder l’intention associée aux actions observées ; ce qui est à la
base de la compréhension de l’état mental des autres.
L’existence de neurones miroirs pour les actions de la bouche, est considéré comme vital pour
la compréhension des états émotionnels des autres, transmis au travers des expressions
faciales.
Une étude a montré que certains neurones miroirs chez le singe s’activaient lorsqu’ils
voyaient l’expérimentateur prendre de la nourriture avec la main mais pas avec une pince ou
un bâton. Cela a du sens tenant compte du fait que les singes ne sont pas experts dans
l’utilisation de pinces. Cependant si le singe assiste en laboratoire à la vue répétée de la
préhension de nourriture avec un bâton, ils vont finir par activer leurs neurones miroirs. Cela
montre bien que le système des neurones miroirs puisse être modulé par l’expérience et
l’apprentissage par l’observation et l’imitation.
Chez l’homme
Durant l’observation d’une action chez l’homme, il y a une forte activation des aires
prémotrices et pariétales, l’homologue humain des aires chez le singe dans lesquelles les
neurones miroirs ont décrits. Il s’agit du pars opercularis du gyrus frontal inférieur dans l’aire
de Broca, une importante aire de langage et le cortex pariétal inférieur. Ces neurones ont une
organisation somatotopique. Il a été démontré dans une étude par fMRI que l’observation de
la mimique d’un langage humain silencieux activait le pars opercularis du gyrus frontal
inférieur gauche, au niveau de l’aire de Broca. L’activité de neurones miroirs au niveau de
l’aire de Broca supporte l’idée que ces neurones miroirs sont des importants précurseurs des
mécanismes neuronaux qui ont conduit au langage d’un point de vue évolutif. Cette aire de
Broca est essentielle pour l’imitation. Si on gêne son activité en appliquant des stimulations
magnétiques transcraniennes à cet endroit précis (Heiser, 2003), il en résulte une gêne dans la
faculté d’imitation.
Figure 2 : Circuit de l’imitation chez l’homme : les inputs visuels atteignent le sulcus
temporal supérieur (STS). L’information est donnée au cortex pariétal inférieur (IPL),
concernée par les aspects moteurs de l’action. De là, l’information va au cortex frontal
inférieur (IFG) davantage concernée par les buts de l’action. Les copies des commandes
motrices d’imitation retournent vers le IFG et STS, permettant ainsi la comparaison entre les
prédictions sensorielles du plan moteur d’imitation et la description visuelle du comportement
observé.
Nous savons que les enfants, tôt dans la vie, imitent comme dans un miroir (si on lève la main
droite, l’enfant lève la main gauche). Or les neurones miroirs au niveau frontal inférieur,
s’activent plus lorsque les participants imitent comme dans un miroir, par comparaison à
l’imitation anatomique correcte. Cela suggère un rôle important des neurones miroirs dans le
comportement d’imitation tôt dans la vie. Les buts de l’action imitée sont codés davantage par
le lobe frontal inférieur. Par opposition, les aspects moteurs de l’action imitée dépendent plus
des neurones miroirs pariétaux inférieurs.
Figure 3 : Etude fMRI d’imitation des mouvements des doigts. Les participants observaient
ou imitaient un mouvement de bouger l’index ou le majeur. Dans une situation contrôle
visuelle, ils observaient un croix apparaissant sur un de ces 2 doigts ou à sur un rectangle gris.
Durant l’imitation, une activité importante était relevée dans les 2 aires neurones miroirs :
cortex frontal inférieur et cortex pariétal postérieur.
Intentionnalité de l’action
L’intention d’une action est déterminée avant l’exécution des mouvements pour la réaliser.
Cela veut dire que quand nous voulons exécuter une action donnée, nous pouvons prédire ses
conséquences. Mais une action donnée peut être réalisée en fonction d’intentions très
différentes. Supposons que vous voyez quelqu’un saisir une tasse. Vos neurones miroirs
correspondant à l’aire motrice concernée vont être activés, vous qui êtes observateur. La
correspondance entre l’action observée et sa représentation motrice dans le cerveau de
l’observateur, ne peut que nous dire quelle est l’action (la préhension de la tasse) et non le
pourquoi de cette action. C’est ceci qui a été un prétexte pour certains auteurs pour douter de
la relevance de cette découverte des neurones miroirs dans la cognition sociale, et en
particulier, pour déterminer les intentions sociales et communicatives d’autrui.
Dans une étude par fMRI récente (Iacoboni, 2005), les sujets regardaient 3 types de stimuli :
la préhension d’objet en dehors de leur contexte, le contexte uniquement (une scène contenant
des objets), et la préhension d’objets dans leur contexte. Dans cette dernière condition, le
contexte suggérait l’intention associée à l’action (boire dans la tasse, laver la tasse). Cette
dernière condition (action dans le contexte), comparée aux 2 autres conditions, engendrait un
signal augmenté au niveau de la partie postérieure du gyrus frontal inférieur et la partie
adjacente du cortex prémoteur ventral où les actions des mains sont représentées. Par
conséquent, les aires prémotrices miroirs, aires activées durant l’exécution et l’observation
d’une action, auparavant considérées comme intervenant dans seulement dans la
reconnaissance d’une action, sont actuellement considérées comme intervenant dans la
compréhension du pourquoi de l’action, càd dans l’intentionnalité de l’action observée des
autres.
Figure 4 : Observation de saisir un objet dans divers contextes : boire ou laver la tasse. On
observe un signal augmenté au niveau de la partie postérieure du gyrus frontal inférieur si on
observe l’action dans son contexte.
Ainsi, un neurone donné décharge seulement lorsque le singe prend un objet et ce, seulement
si l’acte de préhension a pour but de porter l’objet à sa bouche et non de la placer dans une
poubelle. Il apparaît donc que ces neurones codent la même action motrice différemment en
fonction du but final. De même, la réponse visuelle de plusieurs de ces neurones miroirs
pariétaux est similaire à leur réponse motrice. Ils déchargent différemment si l’objet saisi est
porté à la bouche ou s’il est placé dans une poubelle. Il faut noter que ces neurones déchargent
avant que le singe n’observe l’expérimentateur commencer le second acte moteur (porter
l’objet à la bouche ou le mettre dans la poubelle). Cette nouvelle propriété des neurones
miroirs pariétaux suggère qu’en plus de reconnaître le but de l’action motrice observée, ils
peuvent discriminer des actes moteurs identiques en fonction du contexte dans lequel ces
gestes sont réalisés. Donc, ces neurones ne codent pas seulement l’acte moteur observé mais
également permettent au singe observateur de prédire l’action future qui sera réalisée. Ils
interviennent donc dans la capacité de mentalisation caractéristique de nos espèces. En
fonction de la chaîne motrice qui est activée, l’observateur va activer le schéma moteur le plus
vraisemblable (détection statistique de quelle action est la plus vraisemblable après telle
action donnée).
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