L`Etat pris en comptes. Les finances du duché de Lorraine sous le

Université de Strasbourg
INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES DE STRASBOURG
L'État pris en comptes.
Les finances du duché de Lorraine
sous le règne du duc Antoine (1508-1544).
Antoine Fersing
Mémoire de 4
ème
année d’I.E.P.
Direction du mémoire : Karim Fertikh
Juin 2010
Remerciements :
A mon directeur de mémoire, Karim Fertikh,
pour son soutien, sa disponibilité et ses conseils avisés.
A monsieur Schirmann,
pour les utiles références qu’il m’a fait parvenir.
A mes colocataires,
qui ont supporté d’entendre parler de fiscalité lorraine du XVI
ème
siècle
pendant près d’un an...
L'Université de Strasbourg n'entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans
ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
Introduction :
De l'État à la fiscalité.
« La société que nous appelons la société moderne est
caractérisée, surtout en Europe occidentale, par un niveau bien
déterminé de monopolisation. La libre disposition des moyens
militaires est retirée au particulier et réservée au pouvoir central,
quelle que soit la forme qu’il revête ; la levée des impôts sur les
revenus et les avoirs est également du domaine exclusif du
pouvoir social central. »
Norbert Elias, La dynamique de l’Occident
1
.
L'émergence de l'État dans les sociétés européennes durant les époques
médiévale et moderne est en effet une évolution cisive pour la naissance du monde
que nous connaissons ; et en tant que telle, elle a fait l'objet d'un grand nombre de
recherches et de publications. La plupart d'entre elles proviennent du champ de la
recherche historique, mais d'autres émanent d’autres sciences sociales (sociologie,
science politique) et cherchent à connaître de la nécessité, des causes et des modalités
de l'apparition des États tout en réfléchissant sur les homogénéisations arbitraires que le
terme d'État opère
2
.
L'État comme addition de monopoles.
La première difficulté à laquelle se heurtent ces études est d'ordre ontologique :
quelle définition donner à l'État moderne ? L'enjeu de la question est de trouver un
1 Norbert Elias, La dynamique de l’Occident, Paris, Pocket, 2009 (1939), p. 25.
2 Sur la diversité des formes d'État, Philippe Braud, Penser l'État, Paris, Points, 2004, pp. 121 à 132.
1
critère discriminant permettant de séparer comme concepts différents les États
européens de l'époque moderne et contemporaine des différents types d'États que la
recherche historique rencontre à chacun de ses pas, de la Rome impériale à l'Empire
aztèque en passant par la Chine des Han et la monarchie carolingienne. Plusieurs
définitions ont été élaborées à cette fin
3
, dont celle de Max Weber, qui nous semble faire
autorité en la matière : l’État contemporain est « une entreprise politique de caractère
institutionnel lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès,
dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime.
4
»
Une telle définition permet en effet de distinguer efficacement les États modernes nous
intéressant ici des formes de domination que nous avons évoquées précédemment, dans
lesquels l'autorité centrale partage toujours l'usage de la violence physique légitime avec
une aristocratie locale plus ou moins autonome.
Ainsi défini, l'État moderne nous est relativement bien connu : il apparaît, selon
la thèse éliassienne, en Europe de l'Ouest au XV
ème
siècle, à peu près simultanément en
France, dans la péninsule ibérique et dans les îles britanniques, avant de s'étendre
progressivement au reste de l'Europe, puis, sous diverses formes et au cours de
processus divers, au reste du monde (par le processus de colonisation/décolonisation, ou
par imitation/adaptation dans les rares pays non colonisés par des puissances
européennes
5
). Le succès de cette forme d'organisation politique est tel qu'aujourd'hui,
pratiquement aucune surface sur Terre n'échappe à l'autorité d'un État
6
.
Pour autant, au delà des développements historiques relatifs à l'apparition et à
l'extension de l'État, se posent des questions complexes : l'apparition de l'État est-elle
l'aboutissement inévitable d'une dynamique historique ? Quelles causes expliquent le
fait que l'apparition de l'État moderne se soit faite en Europe plutôt qu'en Amérique
centrale, dans le Moyen-Orient, en Inde ou en Chine ? Quels rapports entretiennent
l'État et le capitalisme dans leurs genèses respectives ? Ces questions, interdépendantes,
ne nous intéressent pas immédiatement ici, mais elles appellent pour leurs réponses une
meilleure connaissance des modalités de la construction de l'État moderne ; et c'est à
cette meilleure connaissance que nous nous proposons, modestement, de contribuer
3 Traditionnellement, l'État était défini, dans la tradition juridique, comme une autorité séparée de la
société, reconnue internationalement et qui exerce son autorité sur un territoire et une population. Il
nous semble toutefois que cette définition est une reconstruction a posteriori, relativement peu
opératoire dans le cadre d'une démarche de recherche historique.
4 Max Weber, Économie et société, tome 1, Paris, Pocket, 1995 (1921), p. 97.
5 Philippe Braud, op. cité, p. 133-147.
6 Même si l'État peut connaître des mécanismes d’effondrement (Somalie) ou si certains espaces (eaux
internationales, continent Antarctique) restent libérés de l’appropriation étatique.
2
dans cette étude.
Dans son ouvrage La dynamique de l'Occident, le sociologue allemand Norbert
Elias nous offre une modélisation intéressante des logiques à l'œuvre dans l'émergence
de l'État moderne, conséquence selon lui de l'agrégation de décisions individuelles ne
visant pas délibérément à la création d'un monopole de la violence légitime. Dans un
monde féodal caractérisé par l'éclatement le plus complet des pouvoirs politiques et
militaires, chaque seigneur cherche à conserver son rang social et même, si possible, à
l'améliorer. Ces seigneurs cherchent alors à maintenir l'indépendance de leur seigneurie
par l'extension de celle-ci aux territoires voisins ; cette logique conduit à l'apparition
d'un nombre plus réduit de seigneuries plus importantes, qui continuent à lutter entre
elles. Cependant, cette lutte suppose des moyens militaires extrêmement coûteux et il
devient bientôt impossible de continuer la lutte avec les moyens financiers limités
offerts par le système féodal, c’est-à-dire les revenus domaniaux. L'une des innovations
soulignée par N. Elias consiste alors à utiliser les moyens militaires déjà existants pour
lever par la force des moyens financiers supplémentaires via l'impôt, ce qui permet en
retour de solder plus d'hommes, qui permettent d'avoir à la fois un plus grand territoire,
et un meilleur contrôle de ce territoire, ceci dans un contexte de « luttes éliminatoires »
et de conquête d’une « position monopoliste ». Ce mouvement d'horlogerie se poursuit
durant toute l'époque moderne et conduit à la création de grands États centralisés, peu
ou prou tels que nous les connaissons aujourd'hui.
Ce modèle, dont l’étayage empirique mobilise essentiellement l’exemple de la
centralisation/monopolisation dans le cadre du Royaume de France
7
, correspond
relativement bien à l'histoire moderne de l'Europe occidentale
8
. En conséquence, il
suffirait pour identifier le moment de l'apparition d'un État, d'identifier le point de
départ de ce phénomène d'horlogerie. Or, levée de troupes et levée d'impôts procédant
l'une de l'autre et réciproquement, le processus ne peut s'enclencher qu'en présence d'au
moins une de ces deux composantes. L’observation du féodalisme permet de constater
l'existence de moyens militaires importants bien avant l'apparition de l'État (expliqués
7 C’est par ses particularités qu’Elias justifie de fonder son analyse empirique sur la dynastie
capétienne : « Vu sous l’angle de ses dimensions, le domaine héréditaire du royaume franc d’Occident
offrait donc au départ de bonnes chances à un candidat à la fonction de "seigneur central" et facilitait
la mise en place d’un monopole de domination. Reste à examiner en détail comment la maison
capétienne s’est emparée de ces chances et grâce à quels mécanismes le monopole de la domination a
pu être instauré dans ce territoire », Norbert Elias, op. cité, p. 23.
8 Sur l’extension du modèle à d’autres espaces géographiques, voir Stephen Mennell, « L’étude
comparative des processus de civilisation », in Yves Bonny, Jean-Manuel de Queiroz et Erik Neveu,
Norbert Elias et la théorie de la civilisation. Lectures et critiques, Rennes, PUR, 2003, pp. 27-36.
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