LUSOPHONIE - LUSOGRAPHIE Le portugais n’a pas toujours été la langue du Portugal. Le latin était la langue de l’ennemi, de l’envahisseur romain qu’il fallait chasser. Viriathe avec ses amis celtibères le savait bien. Tout comme Vercingétorix ou… Astérix. Ce qui va devenir par la suite le portugais ou le français était la langue de conquérants étrangers. D’ailleurs récemment, depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’à Salazar on s’est plu à rechercher d’autres racines, celles d’avant les Romains qui représentaient une authenticité disparue. On s’est plu à cueillir ces champignons du passé, dolmens, menhirs, mais aussi noms de lieux et étymologies oubliées pour le domaine linguistique. Il fallait rappeler que le portugais n’était pas vraiment la langue du terroir de ce qui va devenir le Portugal, pas plus qu’elle n’était celle d’une partie de l’Afrique, du futur Brésil et de vastes zones en Asie. L’avenir nous dira si le portugais (nous laissons de côté les autres langues romanes — ou romaines — de la colonisation) aura été, sera ou continuera d’être une langue dont la première qualification est celle d’être une langue imposée par la colonisation, un pouvoir importé. En Asie par exemple, une fois disparu ou chassé le pouvoir européen, le portugais a presque disparu et ne subsiste que fossilisé : les 300 mots au Japon inventoriés par Jasmins Pereira ; ici ou là des créoles ; le grave échec de Macao où la langue de Camoëns, malgré une installation depuis 1513, n’a pas vraiment pris racine. Il faudrait des livres entiers pour suivre en détail les progrès et reculs du portugais depuis le premier débarquement de l’aristocratie nationale à Ceuta en 1415. Dès cette date le portugais a cessé d’être ce qu’il était, le latin de la Rome antique, parlé ou écrit quinze siècles plus tôt, puisque c’était en 139 avant J.-C. que Viriathe fut assassiné. Dès 1415 le portugais avait reçu une, et bientôt deux prothèses, deux béquilles : un bénitier et un porte- monnaie. En 1415 commence une aventure qui ne se terminera que dans quelques années lorsque Macao sera revenue au sein de la Chine. Six siècles qui sont plus qu’une parenthèse. 268 Jean-Michel MASSA Grâce à une hardiesse, à un héroïsme parfois proche de l’inconscience, les Portugais ont découvert les premiers presque toutes les îles habitées (les Canaries) ou — croit-on — inhabitées (Madère, les Açores, le Cap-Vert, Saint Thomas et Prince) ainsi que la quasi-totalité des côtes africaines, asiatiques, brésiliennes où souvent encore les noms de lieux rappellent ce passé (Lagos au Nigéria, Gabon, Cameroun, etc.). Ainsi va s’élaborer un immense espace, une zone du littoral, côtière avec quelques remontées de fleuves, où le Portugal, les Portugais et la langue portugaise vont d’une certaine manière régner pendant un ou deux siècles Les premiers conquérants seront bientôt délogés (ou repoussés) par d’autres puissances occidentales, marries d’avoir laissé l’occasion. S’il y eut l’échec de la France équinoxiale au Brésil, en Afrique par exemple la Guinée sous emprise lusitanienne va rétrécir, perdant au profit d’autres nations au nord la Petite Côte et au sud le Sierra Leone. Quoi qu’il en soit, au XVIe siècle et pendant une bonne partie du XVIIe siècle, le portugais a été la langue essentielle de communication (lingua franca) en Afrique et jusqu’en Asie. La colonisation n’était pas culturelle mais plutôt économique, politique ou religieuse. Elle constituait un tout. Le pouvoir politique l’emportait sur tous les autres. Les Jésuites et leur utopie chrétienne l’apprendront à leur dépens. Le royaume de la religion n’est pas de ce monde. Dans les territoires qui sont devenus des colonies, l’enseignement, l’éducation, la culture ne vont jouer pendant longtemps — la date symbolique est soit 1843 soit 1849, on le verra bientôt — qu’un rôle accessoire. L’écrit est entre les mains des maîtres, quand il existe car hormis quelques ecclésiastiques, quelques escrivães, c’est un monde d’acteurs qui sont plus intéressés par la pointe de l’épée que par la pointe de la plume. La différence entre la lusophonie et la lusographie s’installe dans la société. C’est un monde oral où l’on parle. Il y a aussi le langage des armes. La lusographie naît au Portugal après s’être frayé un chemin au détriment du latin. C’est une lusographie utilitaire, celles des hommes de loi, des historiographes, la première littérature engagée pour célébrer le roi, les puissants. Par le biais de l’Inquisition la lusophonie va s’inscrire par écrit dans les index, les autos da fé et devenir lusographie. D’ailleurs à la veille du Siècle des Lumières ni la lusophonie, ni la lusographie ne vont bon train. Les esclaves, même ladinos, ne sont guère lusophones. De même au Brésil les Indiens poursuivis par les bandeirantes sont considérés commes des proies. L’Inconfidência Mineira avec ses confusions et ses contradictions va entraîner une évolution irréversible. Le Brésil devient lusophone car le marquis de Pombal impose vigoureusement la langue portugaise. La conspiration de Tiradentes Gonzaga, Manuel da Costa et quelques autres instaure une tradition écrite, rassemblement d’écrivains et d’intellectuels, qui vont pour la première fois introduire la diversité dans l’unité, la monotonie et l’universalité. GÉOPOLITIQUES DES MONDES LUSOPHONES 269 BRÉSIL LUSOPHONE Il ne se passera rien pour notre sujet jusqu’à la moitié du XIXe siècle avec les deux dates qui sont des phares. En 1843 paraît au Cap-Vert le premier Bulletin officiel pour présenter les lois du continent mais aussi (accessoirement) la vie du Cap-Vert et de la Guinée-Portugaise. Six ans plus tard est publié à Luanda Espontaneidades da minha alma de Maia Ferreira, un premier et superbe ouvrage de la lusographie africaine qui fonde par l’écrit imprimé la perennisation de la langue orale. On ne comptera pas les lusographes au XIXe siècle, pas même au Brésil. Les populations lusophones n’ont guère le droit de prendre la parole, mais ici ou là quelques noyaux, souvent métis, ont défini des lieux de convivialité et d’écriture. Praia a son théâtre dans les années 1860. Mindelo émerge. Bientôt, ce sera Bolama à partir de 1879. Au Mozambique et en Angola surgit une classe qui parle, écrit, revendique et publie. Rien de tout cela ni dans l’Afrique francophone ou francographe pas plus que dans celle anglophone ou anglographe. Faute d’avoir laissé s’établir la liberté, la diversité, l’Empire portugais va s’agrandir avec le traité de Berlin mais amorcer un mouvement de décadence et maintenir l’inégalité et l’injustice jusqu’à l’indépendance des cinq nations africaines de langue portugaise. Un siècle et demi plus tôt celle du Brésil n’avait pas posé de problèmes théoriques puisque le Brésil, déjà très lusophonisé (si on me permet l’expression) avait conservé plusieurs continuités (le régime monarchique, la famille royale, l’immensité d’un territoire conservant son unité). Ainsi le Brésil est devenu peu à peu lusophone et lusographe, réduisant les poches culturelles et linguistiques que constituaient encore les Indiens. Par exemple la conquête des terres pour le café le long du Paraiba de Campos à São Paulo va chasser les Indiens. Le portugais s’installe alors dans toute cette zone. Les bandeirantes n’ont pas prospéré qu’au XVIe et au XVIIe siècles. Il y eut l’or puis le café. Le processus s’est maintenu au XXe siècle, nul ne l’ignore. C’est aussi au même moment que naît, grâce à Alencar, dans l’inconscient national à travers Iracema et son fils Moacir, un métis presque noble, christianisé et intégré, alors qu’au même moment la réalité nationale marginalise les Indiens. C’est encore à ce moment que naît, grâce au même Alencar, l’hypothèse d’une autre langue portugaise, profondément refusée au Portugal par Pinheiro Chagas. Alencar réalise cette langue différente, la conçoit, mais sans oser la nommer le brésilien. Même si au XXe siècle le pourcentage d’analphabètes est encore important au Brésil la nation avec 130 à 140 millions d’habitants constitue le fief le plus nombreux de la langue portugaise et la nation chrétienne (protestants compris) la plus importante. Le Portugal est dans la même situation mais depuis de nombreux siècles. Depuis l’unité nationale réalisée au XIIe siècle, il y a une continuité, une homogénéité de la langue, même si la Galice pose un problème linguistique et politique sans solution, même si en Espagne on trouve des enclaves, comme celle presque symbolique d’Olivença (Olivenza), source vive pour l’irrédentisme portugais. 270 Jean-Michel MASSA ASIE-OCÉANIE Restent l’Asie, l’Afrique et l’Océanie. La première est en déclin pour la présence du portugais et sans doute à jamais. Peut-être des occasions ont elles été perdues au fil des siècle ou des années. Mais comme les Portugais voyaient diminuer leur puissance politique, commerciale, économique, la langue perdit pied. Seuls subsistèrent grâce à quelques poignées d’individus enracinés sur place, les lusodescendants comme on dit aujourd’hui, une vingtaine de créoles à base lexicale portugaise. Ils disparaissaient peu à peu. Macao sera peut être le lieu d’une renaissance. Une véritable politique linguistique serait nécessaire. De même pour Goa et les anciens territoires indiens. Il serait nécessaire, là comme dans les autres territoires qui sont ou ont été portugais, d’élaborer maintenant une politique linguistique plus imaginative avec les partenaires locaux qui sont les seuls véritables interlocuteurs de demain. Au sens propre du terme les indigènes. Eux seuls ont l’oreille et l’écoute des nationaux. Ils sont la durée et la permanence. Ils ont compétence pour délivrer des titres. L’expérience que beaucoup d’entre nous ont pu acquérir au fil des ans pour ce qui touche à la diffusion d’une langue montre que la réussite d’une politique de diffusion d’une langue étrangère dans quelque pays que ce soit passe généralement par l’action d’agents locaux, artisans d’un enseignement dans la langue. En Inde, combien y-a-t-il de professeurs indigènes de portugais ? Nous anticipons sur l’Asie la définition d’un modèle mais on imagine aisément qu’il s’applique en d’autres endroits d’Asie, d’Afrique ou … d’Europe. Mais dans cette présentation de la langue portugaise dans le monde et particulièrement en Asie, il faut faire une place aux communautés portugaises enracinées à l’étranger et qui sont à la merci d’autres aléas. En Océanie nous évoquerons l’Australie. En Amérique du Nord, ce sont les États anciens et de dimensions modestes du Nord des USA : Rhode Island, New Jersey (les Açoréens voisinent avec les Cap-Verdiens, les Black Portuguese). Sans compter les noyaux du Canada. Dans l’hémisphère sud le Venezuela et l’Argentine comptent de fortes et actives communautés portugaises. Nous tairons le cas du Brésil, où chaque Brésilien a au moins une goutte de sang noir et une goutte de sang portugais, même si souvent ces deux gouttes font l’objet d’une sorte de refus… Le Portugal, terre naturelle d’émigration économique, et ce, depuis plusieurs siècles, sème et essaime des nationaux dans le monde entier. N’oublions pas jadis les degredados expulsés pour des raisons politiques ou des chrétiens nouveaux déportés jeunes comme à Saint Thomas et Prince ou envoyés au moment de l’Inquisition par familles entières vers les villes atlantiques françaises ou vers la Hollande et qui vont vider le Portugal d’un vivier d’intelligences et d’une richesse qui fera défaut au pays pendant plusieurs siècles. En Australie, une émigration nouvelle (au moins 100 000 personnes) représente un cas récent d’une migration dont l’avenir nous dira si elle a su conserver une GÉOPOLITIQUES DES MONDES LUSOPHONES 271 identité culturelle ou linguistique et si cette communauté saura établir pour les autres nationaux quelques différences ou perceptions. En fait le portugais, hors des pays lusophones ou lusographes, c’est la constitution, la reconnaissance moins d’une identité nationale (au bout d’une ou deux générations on acquiert la nationalité du pays) d’une identité linguistique ou plutôt culturelle. Aux USA, on reconnait les Irlandais. En France les Bretons (aussi Français que vous et moi) ont défini des traits originaux ! SITUATIONS PÉRIPHÉRIQUES ET FRAGILES D’AFRIQUE On est passé de la langue, avec beaucoup de traits communs au Portugal et au Brésil, à des situations périphériques fragiles, complexes et qui ne concernent pas les deux nations dont la langue portugaise est la langue nationale. Le goût de l’ordre et du classement qui caractérise souvent notre vision du monde nous pousse à vouloir gommer la diversité qui va surgir en Afrique. Moins celle de l’Afrique du Sud (600 000 âmes ?, mozambicaines, portugaises et parmi celles-ci madériennes) ou du Sénégal (les Cap Verdiens de Dakar et les mandjaks, diolas etc… de Casamance) que ces diversités qui séparent ou opposent les cinq PALOP (Pays africains de langue officielle portugaise). Si l’Angola, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, le Mozambique, Saint Thomas et Prince, ont en commun d’avoir le portugais comme langue officielle pour l’essentiel de l’écrit (presse, administration, justice, éducation, religion, littérature) ils s’opposent sur bien des points. Le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, Saint Thomas et Prince ont comme langue maternelle des créoles. Cette créolisation pose un difficile problème politique car les créoles sont plus nombreux que les gouvernants ne l’acceptent et la diglossie peut jouer entre eux. La langue portugaise est dans une situation délicate. On s’interroge sur son statut : langue seconde, première langue étrangère. Pour ces trois pays, la lusographie joue à plein et occupe sans conflit un vaste espace hors de la vie quotidienne. Plusieurs écrivains mozambicains (Craveirinha, Mia Couto) ont exprimé une crainte de voir le portugais s’étioler ou disparaître de leur pays. La menace est ancienne puisque l’Afrique du Sud voisine et d’autres pays anglophones d’Afrique exercent une presssion réelle. Par la bouche de Samora Machel, le FRELIMO qui est à la tête du pays avait assigné à la langue portugaise un rôle fédérateur, unificateur : une seule langue, une seule nation. Le but était également politique car il s’agissait aussi de chasser le passé, le “tribalisme” jugé rétrograde. La langue portugaise était d’ailleurs plus un instrument qu’un contenu. Il est sûr qu’en perdant ou en abandonnant la langue portugaise, le Mozambique perdrait une part de son originalité, de son identité. La guerre civile qui a fait rage de 1976 à 1992 n’est guère favorable à une méditation culturelle ou linguistique. Après l’indépendance, un programme d’alphabétisation 272 Jean-Michel MASSA avait donné de bons résultats puisqu’on était passé d’un dérisoire 1,2 ou 3 % de lusofalantes à 20 ou 30 % de la population. Ces chiffres officiels sont peut être sujets à discussion, mais ils inscrivaient dans la durée une orientation politique volontaire malgré la situation linguistique complexe du Mozambique (vingt-six langues africaines), son étendue et sa population largement supérieures à celles de l’Angola. Un problème d’abord pédagogique Il y a en Afrique une situation inextricable. En effet, à partir d’une situation de fait, celle de la langue portugaise, langue du colonisateur mais aussi seule langue européenne qui avait un pouvoir fédérateur, un statut international, on a voulu trouver une solution, une lecture politique à un problème linguistique. La fausse solution a été d’ériger des langues régionales en langues nationales. C’est le pluriel qui a crée l’erreur. La Belgique, le Canada peuvent avoir (non sans problèmes) deux langues nationales. Boileau disait déjà : ”Souvent trop d’abondance appauvrit la matière”, et six langues nationales en Angola symbolisent une richesse culturelle et linguistique qu’il faut conserver. Mais le moyen imaginé a été d’autant plus inopérant que l’Angola — comme souvent les PALOP — n’avaient pas les moyens humains, scientifiques, financiers de mettre en pratique la réalisation de cette définition. Il ne s’agit pas de critiquer au nom de principes idéologiques une affirmation, mais de faire apparaître son inadaptation à la réalité. Au Mozambique, ce fut une autre erreur. Le FRELIMO voulut longtemps marginaliser les langues africaines régionales (ou ethno-régionales), nationales ou vernaculaires, puis fit marche arrière. Légiférer sans analyser le corps social, évaluer les moyens, financer la recherche, fit prendre le risque de commettre des erreurs. En d’autre termes le problème selon nous, est d’abord pédagogique et il ne faut pas oublier les principes suivants : — on ne peut enseigner que ce que l’on connaît et il faut étudier de très près les langues du terrain. Cette remarque vaut et pour le portugais et les créoles (tout est dans le pluriel) et pour les langues africaines ; — entre temps, il faut partir du connu, du parlé (une langue maternelle créole, une langue africaine) pour arriver à l’alphabétisation, à la lusographie ; — c’est alors que la politique doit choisir les bénéficiaires, ceux que l’État sélectionnera. Au moins sur ce dernier point ce fut la politique que la IIIe République a choisi en France et qui a créé pendant trois-quarts de siècle un réseau dense et serré de personnes capables de lire et d’écrire. GÉOPOLITIQUES DES MONDES LUSOPHONES 273 LUSOPHONIE… Comment épuiser en quelques pages une réalité aussi complexe, hétérogène et qu’une prétention statistique (celle de dénombrer pour l’emporter par les chiffres) a fait divaguer ? En effet on mélange trois réalités derrière l’apparence du nombre des citoyens de sept (ou neuf) pays où la langue portugaise occupe une place de choix. Au Portugal et au Brésil, le portugais est la langue de la nation, parlée par tous (excepté dans les réserves d’Indiens), écrite par ceux qui sont en mesure de le faire. Il y a donc ces deux nations, des lusophones et des lusographes. Les lusophones peuvent facilement devenir lusographes. Les Cinco d’Afrique présentent des cas bien différents. Les statistiques les comptent comme lusophones. Si les mots ont un sens, un lusophone est une personne qui parle portugais. Même en tenant compte d’un certain bilinguisme, on ne peut inclure tous les Africains de l’Angola, du Cap-Vert, de la Guinée-Bissau, du Mozambique et de Saint Thomas et Prince dans les statistiques. Mais significativement, les estimations des locuteurs de langues africaines ne sont pas systématiques… Une analyse — évoquée seulement dans un article de Pepetela — concernant Luanda montre clairement un processus sans doute définitif. Si on me permet un néologisme, une “maternalisation” du portugais : dans les classes d’âge jusqu’à 20 ans le pourcentage de jeunes qui utilisent exclusivement (ou presque) le portugais dépasse la moitié de la classe d’âge. Les chiffres diminuent à partir de 20 ans. Il est donc sûr qu’en ville le portugais gagne du terrain. Cela doit valoir aussi pour le Mozambique, mais dans les campagnes il n’en va pas de même. Au Cap-Vert les créoles (un pour chaque île mais avec deux groupes géographiquement délimités) sont la langue maternelle de la totalité de la population. Toutefois le passage au portugais est moins difficile car les créoles sont à base lexicale portugaise. À Saint Thomas et Prince la distance est déjà plus grande avec la langue portugaise. En Guinée-Bissau a surgi un processus original. Ce petit État, grand comme la Bretagne, a une dizaine de langues africaines. Mais depuis l’indépendance le créole, “langue de la libération”, se répand presque partout et tend à s’imposer comme langue de la nation au point qu’il est largement utilisé dans la vie quotidienne, et dit-on pendant les réunions du Conseil des Ministres. …ET LUSOGRAPHIE Et la lusophonie dans tout cela ? Elle n’a guère d’espace. Seule prévaut et prospère la lusographie puisque c’est dans cette langue qu’ont lieu tous les échanges écrits. On parlera créole, mais tout ce qui sera couché sur le papier, écrit avec de l’encre sera rédigé en portugais. De plus l’essentiel de la littérature (cela vaut pour les Cinq) utilise la langue portugaise ou — diront certains — une langue portugaise. 274 Jean-Michel MASSA Personnellement je qualifierai cette langue de nationale en prenant ce terme avec une valeur pleine. Timor et Macao sont dans une situation différente mais le portugais y joue un rôle un peu emblématique : les lusophones sont peu nombreux ou plutôt les lusophones sont généralement lusographes. Dégager le concept de la lusographie, ébauché en 1985, permet de mieux éclairer une réalité difficile. Faute de l’avoir fait, bien des gouvernements et des organismes officiels ont fait fausse route, gaspillé des sommes importantes, engendré — notamment en Afrique de langue portugaise — des échecs. Février 1994 Jean-Michel MASSA Centre d’études portugaises, brésiliennes et de l’Afrique et l’Asie lusographes, Université de Rennes 2 (Les sous-titres sont de la rédaction).