268 Jean-Michel MASSA
Grâce à une hardiesse, à un héroïsme parfois proche de l’inconscience, les
Portugais ont découvert les premiers presque toutes les îles habitées (les Canaries)
ou — croit-on — inhabitées (Madère, les Açores, le Cap-Vert, Saint Thomas et
Prince) ainsi que la quasi-totalité des côtes africaines, asiatiques, brésiliennes où
souvent encore les noms de lieux rappellent ce passé (Lagos au Nigéria, Gabon,
Cameroun, etc.).
Ainsi va s’élaborer un immense espace, une zone du littoral, côtière avec
quelques remontées de fleuves, où le Portugal, les Portugais et la langue portugaise
vont d’une certaine manière régner pendant un ou deux siècles Les premiers
conquérants seront bientôt délogés (ou repoussés) par d’autres puissances
occidentales, marries d’avoir laissé l’occasion. S’il y eut l’échec de la France
équinoxiale au Brésil, en Afrique par exemple la Guinée sous emprise lusitanienne va
rétrécir, perdant au profit d’autres nations au nord la Petite Côte et au sud le Sierra
Leone.
Quoi qu’il en soit, au XVIe siècle et pendant une bonne partie du XVIIe
siècle, le portugais a été la langue essentielle de communication (lingua franca) en
Afrique et jusqu’en Asie.
La colonisation n’était pas culturelle mais plutôt économique, politique ou
religieuse. Elle constituait un tout. Le pouvoir politique l’emportait sur tous les
autres. Les Jésuites et leur utopie chrétienne l’apprendront à leur dépens. Le royaume
de la religion n’est pas de ce monde.
Dans les territoires qui sont devenus des colonies, l’enseignement, l’éducation,
la culture ne vont jouer pendant longtemps — la date symbolique est soit 1843 soit
1849, on le verra bientôt — qu’un rôle accessoire. L’écrit est entre les mains des
maîtres, quand il existe car hormis quelques ecclésiastiques, quelques escrivães,
c’est un monde d’acteurs qui sont plus intéressés par la pointe de l’épée que par la
pointe de la plume.
La différence entre la lusophonie et la lusographie s’installe dans la
société. C’est un monde oral où l’on parle. Il y a aussi le langage des armes.
La lusographie naît au Portugal après s’être frayé un chemin au détriment du
latin. C’est une lusographie utilitaire, celles des hommes de loi, des historiographes,
la première littérature engagée pour célébrer le roi, les puissants. Par le biais de
l’Inquisition la lusophonie va s’inscrire par écrit dans les index, les autos da fé et
devenir lusographie.
D’ailleurs à la veille du Siècle des Lumières ni la lusophonie, ni la lusographie
ne vont bon train. Les esclaves, même ladinos, ne sont guère lusophones. De même
au Brésil les Indiens poursuivis par les bandeirantes sont considérés commes des
proies. L’Inconfidência Mineira avec ses confusions et ses contradictions va
entraîner une évolution irréversible. Le Brésil devient lusophone car le marquis de
Pombal impose vigoureusement la langue portugaise. La conspiration de Tiradentes
Gonzaga, Manuel da Costa et quelques autres instaure une tradition écrite,
rassemblement d’écrivains et d’intellectuels, qui vont pour la première fois introduire
la diversité dans l’unité, la monotonie et l’universalité.