Tasnîm
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Après ces considérations sur la nature du Soufisme et son origine islamique, notre auteur
entend introduire le lecteur à l’aspect doctrinal du Soufisme, comme nous l’indique l’intitulé
de ce livre. En effet, comme toute voie spirituelle, le Soufisme possède une doctrine
immuable que se doit d’assimiler l’aspirant.
Ainsi, la doctrine soufique se fonde sur le principe d’Unité métaphysique (taw…ñd) dont la
formulation en langage islamique est représentée par la première formule du témoignage de
foi (shahædah) : ‘’Point de divinité si ce n’est La Divinité’’ (læ ilæha ill-Allæh). Cette
formulation très simple englobe pourtant toute la doctrine Soufique. Cependant, la portée
spirituelle de cette formule se situe sur un tout autre plan que celui de l’exotérisme qui se
limite au plan rationnel. Sa portée réside plutôt dans le nécessaire dépassement du plan
rationnel, ce qui n’est possible que par l’intuition intellectuelle, à condition toutefois que
celle-ci soit actualisée chez l’individu moyennant une méthode spirituelle appropriée.
En effet ceci nous renvoie à la notion de réalisation spirituelle, car toute doctrine aussi
profonde soit elle, n’a pas de raison suffisante en elle-même ; elle doit par conséquent être
accompagnée d’une méthode qui permet de la réaliser. En d’autres termes, on pourrait dire
que la doctrine est une vérité potentielle qui doit être actualisée à l’aide d’une pratique
spirituelle ; ou encore que la doctrine est le but et la méthode le moyen de l’atteindre. A ce
propose Titus Burckhardt nous dit que :
« L’assimilation des vérités doctrinales est indispensable ; cependant, elle n’opère pas
à elle seule de transformation dans l’âme.»8
Même le mental, qui permet pourtant de recevoir les clés doctrinales de la Voie, n’a plus sa
place dans la contemplation et doit être ainsi dépassé :
« L’aspect intellectuel de la Voie comporte à la fois l’étude de la doctrine et son
dépassement par l’intuition ; l’erreur est toujours rigoureusement exclue, mais le
mental, qui véhicule la vérité tout en la limitant d’une certaine manière doit également
être éliminé dans la contemplation unitive. »9
Une dernière chose dont nous ferons mention ici est le rôle de la vertu dans la Voie
ésotérique. La vertu spirituelle, nous dit Titus Burckhardt, est un des trois éléments
constitutifs de toute voie contemplative ; les deux autres étant la doctrine et la méthode. Dire
cela signifie que la vertu est toute aussi importante, parce que ces trois aspects forment un
tout harmonieux et indissociable. Frithjof Schuon disait à ce sujet que : « La Vérité n'a pas en
elle-même besoin de vertu, mais l'homme a besoin de vertu pour s'assimiler à la Vérité. »10.
Car si la Voie consiste à se conformer à Dieu cela doit signifier aussi qu’il faut se revêtir de
Ses Attributs caractérisés par Ses plus beaux noms (asmæ’ Allæh al-…usnæ) ; en d’autres
termes, la conformité à la vérité implique la beauté de l’âme car « Dieu est beau et il aime la
beauté », nous dit un hadith.
En somme, Titus Burckhardt montre dans ce livre que, si les religions ont pour vocation de
sauver les âmes, l’ésotérisme quant à lui, outre cela, permet à l’homme de réaliser la Vérité
qu’il porte en lui-même. Pour ce faire, il a besoin de comprendre la doctrine spirituelle (al-
taw…ñd) laquelle lui donnera des points de repères au sujet de la Vérité, de l’actualiser en son
âme en pratiquant une méthode correspondante – essentiellement invocation (dhikr) et
méditation (fikr) – et de laisser rayonner en lui les vertus spirituelles (al-khuluq al-…asan)
pour conformer son âme à la Vérité.
8 Introduction, p. 115
9 Introduction, p. 118
10 Logique et Transcendance, F. Schuon, Ed. Sulliver, Juin 2007.