Droit constitutionnel - Ve République Professeur : Jean

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Droit constitutionnel
Ve République
Professeur : Jean-Louis Iten
TRAVAUX DIRIGÉS (2nd SEMESTRE)
LICENCE I (L1)
Année universitaire 2015-2016
Université Paris 8
Droit constitutionnel – Ve République
(Semestre 2)
Professeur : Jean-Louis Iten
Séance de travaux dirigés n° 1 : Présentation et méthodologie
Présentation du programme et des règles du jeu
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Séance n° 2 : La consécration de la République
Séance n° 3 : Les origines de la Ve République
Séance n° 4 : La fonction présidentielle
Séance n° 5 : Le Premier Ministre et le Gouvernement
Séance n° 6 : Le Parlement
Séance n° 7 : Galop d'essai
Séance n° 8 : Le Conseil constitutionnel
Séance n° 9 : Le Conseil d'État
Séance n° 10 : Les révisions constitutionnelles
Explications méthodologiques :
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La préparation de la séance
La dissertation
Le commentaire de texte ou de jurisprudence
Le cas pratique
Correction des sujets de l'examen du premier semestre :
Université Paris 8
Droit constitutionnel – Ve République
(Semestre 2)
Professeur : Jean-Louis Iten
Séance de travaux dirigés n° 2 : La consécration de la République
Document n° 1a. Loi du 17 février 1871, ayant pour objet de nommer M. Thiers,
Chef du pouvoir exécutif de la République française, dans S. Rials, prés., Textes
constitutionnels français, PUF, coll. « Que sais-je ? », 15e édition, 2001, p. 71 ; 1b.
Loi du 31 août 1871, portant que le chef du pouvoir exécutif prendra le titre de
Président de la République française, ibid., pp. 71-72 ; 1c. Loi du 13 mars 1873,
ayant pour objet de régler les attributions des pouvoirs publics et les conditions
de la responsabilité ministérielle, ibid., pp. 72-73 (extraits) ; 1d. Loi du 20
novembre 1873, ayant pour objet de confier le pouvoir exécutif pour sept ans au
Maréchal de Mac-Mahon, ibid., p. 73.
Document n° 2. Loi du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat
(extraits).
Document n° 3. Loi du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs
publics (extraits).
Document n° 4. Loi du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics
(extraits).
Document n° 5a. Loi du 21 juin 1879, révisant l’article 9 de la loi
constitutionnelle du 25 février 1875 ; 5b. Loi du 14 août 1884, portant révision
partielle des lois constitutionnelles.
Document n° 6a. Lettre du maréchal de Mac-Mahon à Jules Simon, le 16 mai
1877 ; 6b. Ordre du jour de la Chambre des députés, le 17 mai 1877 ; 6c.
Message de Jules Grévy au Sénat, le 6 février 1879.
Document n° 7. Projet de constitution du 19 avril 1946 (extraits).
Document n° 8. Constitution du 27 octobre 1946 (extraits).
Document n° 9. Révision du 7 décembre 1954 (extraits).
Document n° 10. Godechot, J., prés., Les constitutions de la France depuis
789, chapitre XIV, La constitution de la IVe République, Garnier-Flammarion,
1979, pp. 357-369 (extraits).
Commentaire : L'article 6 de la loi du 25 février 1875 (document n°3)
Document n° 1a. Loi du 17 février 1871, ayant pour objet de nommer M. Thiers,
Chef du pouvoir exécutif de la République française, dans S. Rials, prés., Textes
constitutionnels français, PUF, coll. « Que sais-je ? », 15e édition, 2001, p. 71 .
« L’Assemblée nationale, dépositaire de l’autorité souveraine, – Considérant qu’il importe, en
attendant qu’il soit statué sur les institutions de la France, de pourvoir immédiatement aux
nécessités du gouvernement et à la conduite des négociations, Décrète : – M. Thiers est nommé chef
du pouvoir exécutif de la République française. Il exercera ses fonctions sous l’autorité de
l’Assemblée nationale, avec le concours des ministres qu’il aura choisis et qu’il présidera ».
Document n° 1b. Loi du 31 août 1871, portant que le chef du pouvoir exécutif
prendra le titre de Président de la République française, ibid., pp. 71-72.
« L’Assemblée nationale, – Considérant qu’elle a le droit d’user du pouvoir constituant, attribut
essentiel de la souveraineté dont elle est investie, et que les devoirs impérieux que tout d’abord elle
a dû s’imposer, et qui sont encore loin d’être accomplis, l’ont seuls empêchée jusqu’ici d’user de ce
pouvoir ; – Considérant que, jusqu’à l’établissement des institutions définitives du pays, il importe
aux besoins du travail, aux intérêts du commerce, au développement de l’industrie, que nos
institutions provisoires prennent, aux yeux de tous, sinon cette stabilité qui est l’oeuvre du temps,
du moins celle que peuvent assurer l’accord des volontés et l’apaisement des partis ; – Considérant
qu’un nouveau titre, une appellation plus précise, sans rien changer au fond des choses, peut avoir
cet effet de mettre mieux en évidence l’intention de l’Assemblée de continuer franchement l’essai
loyal commencé à Bordeaux ; – Que la prorogation des fonctions conférées au Chef du Pouvoir
exécutif, limitée désormais à la durée des travaux de l’Assemblée, dégage ces fonctions de ce
qu’elles semblent avoir d’instable et de précaire, sans que les droits souverains de l’Assemblée en
souffrent la moindre atteinte, puisque dans tous les cas la décision suprême appartient à
l’Assemblée, et qu’un ensemble de garanties nouvelles vient assurer le maintien de ces principes
parlementaires, tout à la fois la sauvegarde et l’honneur du pays ; – Prenant, d’ailleurs, en
considération les services éminents rendus au pays par M. Thiers depuis six mois et les garanties
que présente la durée du pouvoir qu’il tient de l’Assemblée ; – Décrète
Article premier. – Le Chef du Pouvoir exécutif prendra le titre de Président de la République
française, et continuera d’exercer, sous l’autorité de l’Assemblée nationale, tant qu’elle n’aura pas
terminé ses travaux, les fonctions qui lui ont été déléguées par décret du 17 février 1871.
Article 2. – Le Président de la République promulgue les lois dès qu’elles lui sont transmises par le
président de l’Assemblée nationale. – Il assure et surveille l’exécution des lois. – Il réside au lieu où
siège l’Assemblée. – Il est entendu par l’Assemblée nationale toutes les lois qu’il le croit nécessaire,
et après avoir informé de son intention le président de l’Assemblée. – Il nomme et révoque les
ministres. Le Conseil des ministres et les ministres sont responsables devant l’Assemblée. – Chacun
des actes du Président de la République doit être contresigné par un ministre. – Le Président de la
République est responsable devant l’Assemblée ».
Document n° 1c. Loi du 13 mars 1873, ayant pour objet de régler les attributions
des pouvoirs publics et les conditions de la responsabilité ministérielle, ibid., pp.
72-73 (extraits).
« L’Assemblée nationale, – Réservant dans son intégrité le pouvoir constituant qui lui appartient,
mais voulant apporter des améliorations aux attributions des pouvoirs publics, décrète :
Article premier. – La loi du 31 août 1871 est modifiée ainsi qu’il suit : – Le Président de la
République communique avec l’Assemblée par des messages qui, à l’exception de ceux par lesquels
s’ouvrent les sessions, sont lus à la tribune par un ministre. – Néanmoins, il sera entendu par
l’Assemblée dans la discussion des lois, lorsqu’il le jugera nécessaire, et après l’avoir informée de
son intention par un message. – La discussion à l’occasion de laquelle le Président de la République
veut prendre la parole est suspendue après la réception du message, et le Président sera entendu le
lendemain, à moins qu’un vote spécial ne décide qu’il le sera le même jour. La séance est levée
après qu’il a été entendu, et la discussion n’est reprise qu’à une séance ultérieure. La délibération a
lieu hors la présence du Président de la République.
Article 2. – Le Président de la République promulgue les lois déclarées urgentes dans les trois jours,
et les lois non urgentes dans le mois après le vote de l’Assemblée. – Dans le délai de trois jours,
lorsqu’il s’agira d’une loi non soumise à trois lectures, le Président de la République aura le droit de
demander, par un message motivé, une nouvelle délibération. – Pour les lois soumises à la formalité
des trois lectures, le Président de la République aura le droit, après la seconde, de demander que la
mise à l’ordre du jour pour la troisième délibération ne soit fixée qu’après le délai de deux mois
[…].
Article 4. – Les interpellations ne peuvent être adressées qu’aux ministres et non au Président de la
République. – Lorsque les interpellations adressées aux ministres ou les pétitions envoyées à
l’Assemblée se rapportent aux affaires extérieures, le Président de la République aura le droit d’être
entendu. – Lorsque ces interpellations ou ces pétitions auront trait à la politique intérieure, les
ministres répondront seuls des actes qui les concernent. Néanmoins, si, par une délibération
spéciale, communiquée à l’Assemblée avant l’ouverture de la discussion par le vice-président du
Conseil des ministres, le Conseil déclare que les questions soulevées se rattachent à la politique
générale du Gouvernement et engagent ainsi la responsabilité du Président de la République, le
Président aura le droit d’être entendu dans les formes déterminées par l’article premier. – Après
avoir entendu le vice-président du Conseil, l’Assemblée fixe le jour de la discussion […] ».
Document n° 1d. Loi du 20 novembre 1873, ayant pour objet de confier le
pouvoir exécutif pour sept ans au Maréchal de Mac- Mahon, ibid., p. 73.
« Article premier. – Le pouvoir exécutif est confié pour sept ans au maréchal de Mac- Mahon, duc
de Magenta, à partir de la promulgation de la présente loi ; ce pouvoir continuera à être exercé avec
le titre de Président de la République et dans les conditions actuelles jusqu’aux modifications qui
pourraient y être apportées par les lois constitutionnelles.
Article 2. – Dans les trois jours qui suivront la promulgation de la présente loi, une commission de
trente membres sera nommée en séance publique et au scrutin de liste, pour l’examen des lois
constitutionnelles ».
Document n° 2. Loi du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat
(extraits).
Article premier. – Le Sénat se compose de trois cents membres : – Deux cent vingt-cinq élus par les
départements et les colonies, et soixante-quinze élus par l’Assemblée nationale
[…].
Article 3. – Nul ne peut être sénateur s’il n’est Français, âgé de quarante ans au moins et s’il ne jouit
de ses droits civils et politiques […].
Article 7. – Les sénateurs élus par l’Assemblée sont inamovibles. – En cas de vacance par décès,
démission ou autre cause, il sera, dans les deux mois, pourvu au remplacement par le Sénat luimême.
Article 8. – Le Sénat a, concurremment avec la Chambre des députés, l’initiative et la confection
des lois. – Toutefois, les lois de finances doivent être, en premier lieu, présentées à la Chambre des
députés et votées par elle.
Article 9. – Le Sénat peut être constitué en Cour de justice pour juger soit le président de la
République, soit les ministres, et pour connaître des attentats commis contre la sûreté de l’État.
Article 10. – Il sera procédé à l’élection du Sénat un mois avant l’époque fixée par l’Assemblée
nationale pour sa séparation. – Le Sénat entrera en fonction et se constituera le jour même où
l’Assemblée nationale se séparera.
Article 11. – La présente loi ne pourra être promulguée qu’après le vote définitif de la loi sur les
pouvoirs publics.
Document n° 3. Loi du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs
publics (extraits).
Article premier. – Le pouvoir législatif s’exerce par deux Assemblées : la Chambre des députés et le
Sénat. – La Chambre des députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditions
déterminées par la loi électorale. – La composition, le mode de nomination et les attributions du
Sénat seront réglés par une loi spéciale.
Article 2. – Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et
par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est
rééligible.
Article 3. – Le Président de la République a l’initiative des lois, concurremment avec les membres
des deux Chambres. Il promulgue les lois lorsqu’elles ont été votées par les deux chambres ; il en
surveille et en assure l’exécution. – Il a le droit de faire grâce ; les amnisties ne peuvent être
accordées que par une loi. – Il dispose de la force armée. – Il nomme à tous les emplois civils et
militaires. – Il préside aux solennités nationales ; les envoyés et les ambassadeurs des puissances
étrangères sont accrédités auprès de lui. – Chacun des actes du Président de la République doit être
contresigné par un ministre […].
Article 5. – Le président de la République peut, sur l’avis conforme du Sénat, dissoudre la chambre
des députés avant l’expiration légale de son mandat. – En ce cas, les collèges électoraux sont
convoqués pour de nouvelles élections dans le délai de trois mois.
Article 6. – Les ministres sont solidairement responsables devant les Chambres de la politique
générale du gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels. – Le Président de la
République n’est responsable que dans le cas de haute trahison.
Article 7. – En cas de vacance par décès ou pour toute autre cause, les deux Chambres réunies
procèdent immédiatement à l’élection d’un nouveau président. – Dans l’intervalle, le Conseil des
ministres est investi du pouvoir exécutif.
Article 8. – Les Chambres auront le droit, par délibérations séparées prises dans chacune à la
majorité absolue des voix, soit spontanément, soit sur la demande du président de la République, de
déclarer qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles. – Après que chacune des deux Chambres
aura pris cette résolution, elles se réuniront en Assemblée nationale pour procéder à la révision. –
Les délibérations portant révision des lois constitutionnelles, en tout ou en partie, devront être prises
à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. – Toutefois, pendant la durée
des pouvoirs conférés par la loi du 20 novembre 1873, à M. le Maréchal de Mac-Mahon, cette
révision ne peut avoir lieu que sur la proposition du président de la République.
Article 9. – Le siège du pouvoir exécutif et des deux chambres est à Versailles.
Document n° 4. Loi du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics
(extraits).
Article premier. – Le Sénat et la Chambre des députés se réunissent chaque année le second mardi
de janvier, à moins d’une convocation antérieure faite par le président de la République. – Les deux
chambres doivent être réunies en session de cinq mois au moins chaque année. La session de l’une
commence et finit en même temps que celle de l’autre. – Le dimanche qui suivra la rentrée, des
prières publiques seront adressées à Dieu dans les églises et dans les temples pour appeler son
secours sur les travaux de l’Assemblée.
Article 2. – Le président de la République prononce la clôture de la session. Il a le droit de
convoquer extraordinairement les Chambres. Il devra les convoquer si la demande en est faite, dans
l’intervalle des sessions, par la majorité absolue des membres composant chaque Chambre. – Le
président peut ajourner les Chambres. Toutefois, l’ajournement ne peut excéder le terme d’un mois
ni avoir lieu plus de deux fois dans la même session.
Article 3. – Un mois au moins avant le terme légal des pouvoirs du président de la République, les
Chambres devront être réunies en Assemblée nationale pour procéder à l’élection du nouveau
président. – A défaut de convocation, cette réunion aurait lieu de plein droit le quinzième jour avant
l’expiration de ces pouvoirs. – En cas de décès ou de démission du président de la République, les
deux Chambres se réunissent immédiatement et de plein droit. – Dans le cas où, par application de
l’article 5 de la loi du 25 février 1875, la Chambre des députés se trouverait dissoute au moment où
la présidence de la République deviendrait vacante, les collèges électoraux seraient aussitôt
convoqués, et le Sénat se réunirait de plein droit.
Article 4. – Toute Assemblée de l’une des deux Chambres qui serait tenue hors du temps de la
session commune et illicite est nulle de plein droit, sauf le cas prévu par l’article précédent et celui
où le Sénat est réuni comme Cour de justice ; et, dans ce dernier cas, il ne peut exercer que des
fonctions judiciaires […].
Article 6. – Le président de la République communique avec les Chambres par des messages qui
sont lus à la tribune par un ministre. – Les ministres ont leur entrée dans les deux Chambres et
doivent être entendus quand ils le demandent. Ils peuvent se faire assister par des commissaires
désignés, pour la discussion d’un projet de loi déterminé, par décret du président de la République.
Article 7. – Le président de la République promulgue les lois dans le mois qui suit la transmission
au gouvernement de la loi définitivement adoptée. Il doit promulguer dans les trois jours les lois
dont la promulgation, par un vote exprès de l’une et l’autre Chambre, aura été déclarée urgente. –
Dans le délai fixé pour la promulgation, le président de la République peut, par un message motivé,
demander aux deux Chambres une nouvelle délibération qui ne peut être refusée.
Article 8. – Le président de la République négocie et ratifie les traités. Il en donne connaissance aux
Chambres aussitôt que l’intérêt et la sûreté de l’Etat le permettent. – Les traités de paix, de
commerce, les traités qui engagent les finances de l’Etat, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes
et au droit de propriété des Français à l’étranger, ne sont définitifs qu’après avoir été votés par les
deux Chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu’en
vertu d’une loi.
Article 9. – Le Président de la République ne peut déclarer la guerre sans l’assentiment préalable
des deux Chambres […].
Article 12. – Le président de la République ne peut être mis en accusation que par la Chambre des
députés, et ne peut être jugé que par le Sénat. – Les ministres peuvent être mis en accusation par la
Chambre des députés pour crimes commis dans l’exercice de leurs fonctions. En ce cas, ils sont
jugés par le Sénat. – Le Sénat peut être constitué en Cour de justice par un décret du président de la
République, rendu en Conseil des ministres, pour juger toute personne prévenue d’attentat contre la
sûreté de l’État. – Si l’instruction est commencée par la justice ordinaire, le décret de convocation
du Sénat peut être rendu jusqu’à l’arrêt de renvoi. – Une loi déterminera le mode de procéder pour
l’accusation, l’instruction et le jugement.
Article 13. – Aucun membre de l’une ou de l’autre Chambre ne peut être poursuivi ou recherché à
l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.
Article 14. – Aucun membre de l’une ou de l’autre Chambre ne peut, pendant la durée de la session,
être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de la
Chambre dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit. – La détention ou la poursuite d’un membre
de l’une ou de l’autre Chambre est suspendue pendant la session, et pour toute sa durée, si la
Chambre le requiert.
Document n° 5a. Loi du 21 juin 1879, révisant l’article 9 de la loi
constitutionnelle du 25 février 1875.
Article unique. – L’article 9 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 est abrogé.
Document n° 5b. Loi du 14 août 1884, portant révision partielle
des lois constitutionnelles.
Article premier. – Le paragraphe 2 de l’article 5 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875,
relative à l’organisation des pouvoirs publics, est modifié ainsi qu’il suit : – « En ce cas, les collèges
électoraux sont réunis pour de nouvelles élections dans le délai de deux mois et la Chambre dans les
dix jours qui suivront la clôture des opérations électorales ».
Article 2. – Le paragraphe 3 de l’article 8 de la même loi du 25 février 1875 est complété ainsi qu’il
suit : – « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une proposition de
révision. – Les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la présidence de la
République ».
Article 3. – Les articles 1 à 7 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875, relatifs à l’organisation
du Sénat, n’auront plus le caractère constitutionnel.
Article 4. – Le paragraphe 3 de l’article premier de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875,
sur les rapports des pouvoirs publics, est abrogé.
Document n° 6a. Lettre du maréchal de Mac-Mahon à Jules Simon, le 16 mai
1877.
« Monsieur le Président du Conseil. Je viens de lire dans le Journal officiel le compte rendu de la
séance d’hier. J’ai vu avec surprise que ni vous, ni le Garde des Sceaux n’aviez fait valoir à la
tribune toutes les graves raisons qui auraient pu prévenir l’abrogation d’une loi sur la presse votée,
il y a moins de deux ans, sur la proposition de M. Dufaure et dont tout récemment vous demandiez
vous-même l’application aux tribunaux ; et cependant dans plusieurs délibérations du Conseil et
dans celle d’hier matin même, il avait été décidé que le Président du Conseil et le Garde des Sceaux
se chargeraient de la combattre. Déjà on avait pu s’étonner que la Chambre des députés, dans ses
dernières séances, eût discuté toute une loi municipale, adopté même une disposition dont au
Conseil des Ministres vous avez vous-même reconnu tout le danger, comme la publicité des
délibérations des conseils municipaux, sans que le ministre de l’Intérieur eût pris part à la
discussion. Cette attitude du Chef du cabinet fait demander s’il a conservé sur la Chambre
l’influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues. Une explication à cet égard est indispensable,
car si je ne suis pas responsable comme vous envers le parlement, j’ai une responsabilité envers la
France, dont aujourd’hui plus que jamais je dois me préoccuper.
Agréez, monsieur le Président du Conseil, l’assurance de ma plus haute considération » (le
Président de la République, Maréchal de Mac-Mahon).
Document n° 6b. Ordre du jour de la Chambre des députés, le 17 mai 1877.
« La Chambre. Considérant qu’il lui importe dans la crise actuelle et pour remplir le mandat qu’elle
a reçu du pays, de rappeler que la prépondérance du pouvoir parlementaire, s’exerçant par la
responsabilité ministérielle, est la première condition du gouvernement du pays par le pays, que les
lois constitutionnelles ont eu pour but d’établir ; Déclare que la confiance de la majorité ne saurait
être acquise qu’à un cabinet libre de son action et résolu à gouverner suivant les principes
républicains qui peuvent seuls garantir l’ordre et la prospérité au-dedans et la paix en-dehors, Et
passe à l’ordre du jour » […] (le scrutin est ouvert et les votes sont recueillis)
M. le Président, voici le résultat du scrutin. Nombre de votants : 496 ; majorité absolue :
249 ; pour l’adoption : 437 ; contre : 149.
Document n° 6c. Message de Jules Grévy au Sénat, le 6 février 1879.
« Messieurs les sénateurs,
L’Assemblée nationale, en m’élevant à la présidence de la République, m’a imposé de grands
devoirs. Je m’appliquerai sans relâche à les accomplir, heureux si je puis, avec le concours du Sénat
et de la Chambre des députés, ne pas rester en-dessous de ce que la France est en droit d’attendre de
mes efforts et de mon dévouement.
Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n’entrerai jamais en lutte contre la
volonté nationale, exprimée par ses organes constitutionnels.
Dans les projets de lois qu’il présentera au vote des chambres et dans les questions soulevées par
l’initiative parlementaire, le Gouvernement s’inspirera des besoins réels, des voeux certains du
pays, d’un esprit de progrès et d’apaisement ; il se préoccupera surtout du maintien de la
tranquillité, de la sécurité, de la confiance, le plus ardent des voeux de la France, le plus impérieux
de ses besoins.
Dans l’application des lois, qui donne à la politique générale son caractère et sa direction, il se
pénétrera de la pensée qui les a dictées ; il sera libéral, juste pour tous, protecteur de
tous les intérêts légitimes, défenseur résolu de ceux de l’État.
Dans sa sollicitude pour les grandes institutions qui sont les colonnes de l’édifice social, il fera une
large part à notre armée, dont l’honneur et les intérêts seront l’objet de ses plus chères
préoccupations.
Tout en tenant un juste compte des droits acquis et des services rendus, aujourd’hui que les deux
grands pouvoirs sont armés du même esprit, qui est celui de la France, il veillera à ce que la
République soit servie par des fonctionnaires qui ne soient ni ses ennemis, ni ses détracteurs.
Il continuera à entretenir et à développer les bons rapports qui existent entre la France et les
puissances étrangères, et à contribuer ainsi à l’affermissement de la paix générale.
C’est par cette politique libérale et vraiment conservatrice, que les grands pouvoirs de la
République, toujours unis, toujours animés du même esprit, marchant toujours avec sagesse, feront
porter ses fruits naturels au gouvernement que la France, instruite par ses malheurs, s’est donné
comme le seul qui puisse assurer son repos, et travailler utilement au développement de sa
prospérité, de sa force et de sa grandeur ».
Document n° 7. Projet de constitution du 19 avril 1946 (extraits).
Déclaration des droits de l’Homme
Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir
et de dégrader la personne humaine et viennent d’ensanglanter le monde entier, le peuple français,
fidèle aux principes de 1789 – charte de sa libération – proclame à nouveau que tout être humain
possède des droits inaliénables et sacrés, auxquels nulle loi ne saurait porter atteinte, et décide,
comme en 1793, 1795 et 1848, de les inscrire en tête de sa Constitution.
La République garantit à tous les hommes et à toutes les femmes vivant dans l’Union française
l’exercice individuel ou collectif des libertés et droits ci-après.
I. Des libertés
Article Premier. – Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux devant la loi. La loi
garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme.
Article 2. – Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans le peuple. Nul corps, nul
individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. La loi est l’expression de la
volonté nationale. Elle est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse, soit qu’elle
oblige.
Cette volonté s’exprime par les représentants élus du peuple.
Article 3. – La liberté est la faculté de faire tout ce qui ne porte pas atteinte aux droits d’autrui. Les
conditions d’exercice de cette liberté sont définies par la loi.
Nul ne peut être contraint de faire ce que la loi n’ordonne pas.
Article 4. – La loi garantit l’exercice légal pour tous des libertés et droits énoncés dans le présent
titre ; elle ne saurait y porter atteinte.
Article 5. – Tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer librement.
Article 6. – Tout homme persécuté en violation des libertés et droits garantis par la présente
déclaration a droit d’asile sur les territoires de la République.
Article 7. – Le domicile est inviolable. Nulle perquisition ne peut avoir lieu qu’en vertu de la
loi, sur un ordre écrit émanant de l’autorité judiciaire.
Article 8. – Le secret de toute correspondance est inviolable. Il ne peut y être porté atteinte
qu’en vertu de la loi sur une décision spéciale émanant de l’autorité judiciaire.
Article 9. – Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et
selon les formes qu’elle a prescrites […].
Article 10. – La loi ne peut avoir d’effet rétroactif. Nul ne peut être jugé et puni qu’en vertu d’une
loi promulguée et publiée antérieurement au fait punissable.
Tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable.
Nul ne peut être puni deux fois pour le même fait.
Les peines sont personnelles et proportionnées à la gravité de l’infraction. Les peines privatives ou
restrictives de liberté doivent tendre à la rééducation du coupable. Tout traitement qui aggrave la
peine légalement applicable engage la responsabilité personnelle de ses auteurs.
Article 11. – La loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice et l’insuffisance des
ressources ne saurait y faire obstacle.
Article 13. – Nul ne peut être inquiété en raison de ses origines, de ses opinions ou croyances en
matière religieuse, philosophique ou politique.
La liberté de conscience et des cultes est garantie par la neutralité de l’Etat à l’égard de toutes les
croyances et de tous les cultes. Elle est garantie notamment par la séparation des églises et de l’Etat,
ainsi que par la laïcité des pouvoirs et de l’enseignement public.
Article 14. – Tout homme est libre de parler, d’écrire, d’imprimer, de publier ; il peut, soit par la
voie de la presse, soit de toute autre manière, exprimer, diffuser et détendre toute opinion dans la
mesure où il n’abuse pas de ce droit, notamment pour violer les libertés garanties par la présente
déclaration ou porter atteinte à la réputation d’autrui.
Aucune manifestation d’opinion ne peut être imposée […].
Article 16. – Le droit de défiler librement sur la voie publique et le droit de réunion sont garantis à
tous.
Article 17. – Tous les hommes ont le droit de s’associer librement à moins que leur association ne
porte ou ne tende à porter atteinte aux libertés garanties par la présente déclaration.
Nul ne peut être contraint de s’affilier à une association.
Article 18. – L’accès aux fonctions publiques est, sans autres conditions que celles des capacités,
des aptitudes et des talents, ouvert à tout ressortissant de l’Union française jouissant des droits
politiques attachés par la présente Constitution à la qualité de citoyen […].
A égalité de travail, de fonction, de grade, de catégorie, de responsabilités, chacun a droit à égalité
de situation matérielle et morale.
Article 19. – L’exercice des droits garantis par la présente déclaration ne peut être suspendu.
Toutefois, lorsque, dans les conditions déterminées par la présente Constitution, la République est
proclamée en danger, les droits énoncés dans les articles 5, 8, 14 (alinéa 1 er) et 16 peuvent être
suspendus dans les limites et les formes déterminées par la loi.
Cette mesure ne saurait être prise pour une durée supérieure à six mois ; elle peut être renouvelée
dans les mêmes formes.
Quiconque en aura abusé pour porter arbitrairement préjudice aux droits matériels ou moraux
d’autrui engagera sa responsabilité personnelle […].
Article 20. – La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette
force, instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux à qui elle est
confiée, doit rester en permanence au service du peuple souverain.
Article 21. – Quand le gouvernement viole les libertés et les droits garantis par la Constitution, la
résistance sous toutes ses formes est le plus sacré des droits et le plus impérieux des devoirs.
II. Des droits sociaux et économiques
Article 22. – Tout être humain possède, à l’égard de la société, les droits qui garantissent, dans
l’intégrité et la dignité de sa personne, son plein développement physique, intellectuel et moral.
La loi organise l’exercice de ces droits.
Article 23. – La protection de la santé dès la conception, le bénéfice de toutes les mesures d’hygiène
et de tous les soins que permet la science sont garantis à tous et assurés par la Nation.
Article 24. – La Nation garantit à la famille les conditions nécessaires à son libre développement.
Elle protège également toutes les mères et tous les enfants par une législation et des institutions
sociales appropriées.
Elle garantit à la femme l’exercice de ses fonctions de citoyenne et de travailleuse dans des
conditions qui lui permettent de remplir son rôle de mère et sa mission sociale.
Article 25. – La culture la plus large doit être offerte à tous sans autre limitation que les aptitudes de
chacun. Tout enfant a droit à l’instruction et à l’éducation dans le respect de la liberté.
L’organisation de l’enseignement public à tous les degrés est un devoir de l’État. Cet enseignement
doit être gratuit et rendu accessible à tous par une aide matérielle à ceux qui, sans elle, ne pourraient
poursuivre leurs études.
Article 26. – Tout homme a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi.
Nul ne peut, dans son emploi, être lésé en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses
croyances.
Article 27. – La durée et les conditions du travail ne doivent porter atteinte ni à la santé, ni à la
dignité, ni à la vie familiale du travailleur […].
Article 28. – Hommes et femmes ont droit à une juste rémunération selon la qualité et la quantité de
leur travail, en tout cas, aux ressources nécessaires pour vivre dignement, eux et leur famille.
Article 29. – Chacun a droit au repos et aux loisirs.
Article 30. – Tout homme a le droit de défendre ses intérêts par l’action syndicale.
Chacun adhère au syndicat de son choix ou n’adhère à aucun.
Article 31. – Tout travailleur a le droit de participer par l’intermédiaire de ses délégués à la
détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises.
Article 32. – Le droit de grève est reconnu à tous dans le cadre des lois qui le réglementent.
Article 33. – Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la
situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité
des moyens convenables d’existence.
La garantie de ce droit est assurée par l’institution d’organismes publics de sécurité sociale.
Article 34. – Les dommages causés par les calamités nationales aux personnes et aux biens sont
supportés par la Nation. La République proclame l’égalité et la solidarité de tous devant les charges
qui en résultent.
Article 35. – La propriété est le droit inviolable d’user, de jouir et de disposer des biens garantis à
chacun par la loi. Tout homme a le pouvoir d’y accéder par le travail et par l’épargne.
Nul ne saurait en être privé si ce n’est pour cause d’utilité publique légalement constatée et sous la
condition d’une juste indemnité fixée conformément à la loi.
Article 36. – Le droit de propriété ne saurait être exercé contrairement à l’utilité sociale ou de
manière à porter préjudice à la sûreté, à la liberté, à l’existence ou à la propriété d’autrui.
Tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public
national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité.
Article 37. –
Des institutions de la République
Titre premier. De la souveraineté et de l’Assemblée nationale
Article 40. – La France est une République indivisible, démocratique et sociale […].
Article 43. – La souveraineté appartient au peuple. Elle s’exerce conformément à la Constitution
[…].
Article 47. – Le peuple français exerce sa souveraineté par ses députés à l’Assemblée nationale,
élus au suffrage universel, égal et secret.
La Constitution ne pourra être modifiée que par voie de référendum, conformément à l’article 123
[…].
Article 50. – Les députés à l’Assemblée nationale sont élus pour cinq ans. Les pouvoirs d’une
Assemblée cessent au moment de l’entrée en fonction de la nouvelle Assemblée […].
Les inéligibilités et incompatibilités sont fixées par la loi.
Article 51. – L’Assemblée nationale élit le président du Conseil des ministres, conformément aux
articles 76 et 94 ci-dessous.
Article 52. – La guerre ne peut être déclarée sans l’assentiment préalable de l’Assemblée nationale
et l’avis préalable du Conseil de l’Union française.
Article 53 – L’Assemblée nationale valide l’élection de ses membres. La procédure du contrôle de
la régularité des opérations électorales est déterminée par la loi.
Article 54. – L’Assemblée nationale se réunit de plein droit en session annuelle le second mardi de
janvier.
La durée totale des interruptions de la session ne peut excéder quatre mois. Sont considérés comme
interruptions de session les ajournements de séance supérieurs à dix jours […].
Article 58. – Aucun député ne peut, pendant la durée de son mandat, être poursuivi ou arrêté en
matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale, sauf le cas de
flagrant délit. La détention ou la poursuite d’un député est suspendue si l’Assemblée le requiert.
Article 60. – Les députés perçoivent une indemnité garantissant, avec leur indépendance, la dignité
de leur vie […].
Titre II. De l’élaboration des lois
Article 62. – Le président du Conseil des ministres et les députés ont l’initiative des lois.
Article 63. – L’Assemblée nationale étudie les projets et propositions de lois, dont elle est saisie,
dans ses commissions, dont elle fixe le nombre, la composition et la compétence […].
Article 64. – Le Conseil économique examine, pour avis, les projets et propositions de lois de sa
compétence. Ces projets lui sont soumis par l’Assemblée nationale avant qu’elle n’en délibère.
L’avis doit être donné dans les dix jours, faute de quoi il est passé outre. Ce délai est réduit à deux
jours francs au cas où l’Assemblée nationale en a ainsi décidé […].
Article 65. – Le Conseil économique est élu pour trois ans.
Une loi organique détermine la composition et la compétence du Conseil économique.
Titre III. De la discussion et du vote des lois
Article 66. – L’Assemblée nationale a seule le droit de légiférer. Elle ne peut déléguer ce droit à
quiconque en tout ou en partie.
Sauf disposition contraire, les lois de la République sont applicables dans les départements et
territoires d’outre-mer […].
Article 69. – L’Assemblée nationale vote le budget. Ses membres possèdent l’initiative des
dépenses.
Article 70. – L’amnistie ne peut être accordée que par une loi.
Article 71. – Le Conseil de l’Union française est formé de conseillers élus par les conseils
généraux des départements de la métropole et par les conseils généraux ou les assemblées
territoriales des départements et territoires d’outre-mer.
Article 72. – Le Conseil de l’Union française est élu pour quatre ans […].
Le Conseil de l’Union française siège en même temps que l’Assemblée nationale. Il ne peut
prolonger sa session au-delà du délai prévu pour la deuxième lecture des textes dont il est saisi.
Article 73. – Le Conseil de l’Union française examine, pour avis, les projets et propositions de lois
qui lui sont renvoyés, soit sur sa demande, soit par le Conseil des ministres ou par l’Assemblée
nationale.
Il donne son avis dans le mois qui suit la transmission par l’Assemblée nationale. Quand
l’Assemblée nationale a déclaré l’urgence, le Conseil de l’Union française donne son avis dans le
même délai que celui prévu pour les débats de l’Assemblée nationale par le règlement de celle-ci.
Si l’avis du Conseil de l’Union française est conforme ou s’il n’a pas été donné dans les délais
prévus à l’alinéa précédent, la loi est promulguée dans le texte voté par l’Assemblée
nationale.
Si l’avis n’est pas conforme, l’Assemblée nationale examine le projet ou la proposition de loi en
seconde lecture. Elle statue définitivement et souverainement sur les amendements proposés par le
Conseil de l’Union française.
Article 74. – […].
Les conseillers de l’Union française perçoivent une indemnité fixée par la loi.
Titre IV. Du Conseil des ministres
Article 76. – Le président du Conseil des ministres est élu au début de chaque législature par
l’Assemblée nationale, au scrutin public et à la majorité absolue des députés […].
Article 78. – Le président du Conseil des ministres assure l’exécution des lois […].
Article 80. – Les ministres sont collectivement responsables devant l’Assemblée nationale de la
politique générale du Cabinet et individuellement de leurs actes personnels […].
Titre V. De la responsabilité pénale des ministres
Article 89. – Les ministres sont pénalement responsables des crimes et délits commis dans
l’exercice de leurs fonctions.
Article 90. – Les ministres sont mis en accusation par l’Assemblée nationale, statuant au scrutin
secret et à la majorité absolue des membres la composant, et renvoyés devant la Haute Cour de
justice prévue à l’article 91 ci-dessous […].
Titre VI. Du président de la République
Article 93. – Le président de la République est élu par l’Assemblée nationale […].
Article 94. – Le président de la République, après les consultations d’usage, communique au
président de l’Assemblée nationale les noms des candidats à la présidence du Conseil des ministres
[…].
Article 97. – Le président de la République est tenu informé de la négociation des traités. Il
les signe et les ratifie […].
Document n° 8. Constitution du 27 octobre 1946 (extraits).
Préambule
Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir
et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain,
sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il
réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la
Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques,
économiques et sociaux ci-après :
La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme.
Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a le droit d’asile sur les
territoires de la République.
Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son
travail ou dans son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances.
Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de
son choix. Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.
Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des
conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises.
Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public
national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité.
La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.
Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la
santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son
état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le
droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence.
La Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des
calamités nationales.
La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation
professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les
degrés est un devoir de l’État.
La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public
international. Elle n’entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n’emploiera jamais
ses forces contre la liberté d’aucun peuple.
Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à
l’organisation et à la défense de la paix.
La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et des
devoirs, sans distinction de race ni de religion.
L’Union française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent
leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bienêtre et assurer leur sécurité.
Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à
la liberté de s’administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ; écartant
tout système de colonisation fondé sur l’arbitraire, elle garantit à tous l’égal accès aux fonctions
publiques et l’exercice individuel et collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés ci-dessus.
Des institutions de la République
Titre premier. De la souveraineté
Article 3. – La souveraineté nationale appartient au peuple français.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.
Le peuple l’exerce, en matière constitutionnelle, par le vote de ses représentants et par le
référendum.
En toutes autres matières, il l’exerce par ses députés à l’Assemblée nationale, élus au suffrage
universel, égal, direct et secret.
Titre II. Du Parlement
Article 5. – Le Parlement se compose de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République.
Article 6. – La durée des pouvoirs de chaque Assemblée, son mode d’élection, les conditions
d’éligibilité, le régime des inéligibilités et incompatibilités sont déterminés par la loi.
Toutefois, les deux Chambres sont élues sur une base territoriale, l’Assemblée nationale au suffrage
universel direct, le Conseil de la République par les collectivités communales et départementales,
au suffrage universel indirect. Le Conseil de la République est renouvelable par moitié.
Néanmoins, l’Assemblée nationale peut élire elle-même à la représentation proportionnelle
des conseillers dont le nombre ne doit pas excéder le sixième du nombre total des membres du
Conseil de la République.
Le nombre des membres du Conseil de la République ne peut être inférieur à deux cent cinquante ni
supérieur à trois cent vingt.
Article 7. – La guerre ne peut être déclarée sans un vote de l’Assemblée nationale et l’avis préalable
du Conseil de la République […].
Article 8. – Chacune des deux chambres est juge de l’éligibilité de ses membres et de la régularité
de leur élection ; elle peut seule recevoir leur démission […].
Article 11. – […].
Lorsque les deux Chambres se réunissent pour l’élection du président de la République, leur bureau
est celui de l’Assemblée nationale […].
Article 13. – L’Assemblée nationale vote seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit.
Article 14. – Le président du Conseil des ministres et les membres du Parlement ont l’initiative des
lois […].
Article 17. – Les députés à l’Assemblée nationale possèdent l’initiative des dépenses.
Article 18. – L’Assemblée nationale règle les comptes de la Nation.
Article 19. – L’amnistie ne peut être accordée que par une loi […].
Article 21. – Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à
l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions […].
Article 24. – Nul ne peut appartenir à la fois à l’Assemblée nationale et au Conseil de la République
[…].
Titre V. Du président de la République
Article 29. – Le président de la République est élu par le Parlement […].
Article 36. – Le président de la République promulgue les lois dans les dix jours qui suivent la
transmission au gouvernement de la loi définitivement adoptée. Ce délai est réduit à cinq jours en
cas d’urgence déclarée par l’Assemblée nationale […].
À défaut de promulgation par le président de la République dans les délais fixés par la présente
Constitution, il y sera pourvu par le président de l’Assemblée nationale.
Article 37. – Le président de la République communique avec le Parlement par des messages
adressés à l’Assemblée nationale […].
Titre VI. Du Conseil des ministres
Article 48. – Les ministres sont collectivement responsables devant l’Assemblée nationale de la
politique générale du Cabinet et individuellement de leurs actes personnels.
Ils ne sont pas responsables devant le Conseil de la République.
Article 49. – La question de confiance ne peut être posée qu’après délibération du Conseil des
ministres. Elle ne peut l’être que par le président du Conseil […].
Article 51. – Si, au cours d’une même période de dix-huit mois, deux crises ministérielles
surviennent dans les conditions prévues aux articles 49 et 50, la dissolution de l’Assemblée
nationale pourra être décidée en Conseil des ministres, après avis du président de l’Assemblée. La
dissolution sera prononcée, conformément à cette décision, par décret du président de la
République.
Les dispositions de l’alinéa précédent ne sont applicables qu’à l’expiration des dix-huit premiers
mois de la législature.
Titre VII. De la responsabilité pénale des ministres
Article 56. – Les ministres sont pénalement responsables des crimes et délits commis dans
l’exercice de leurs fonctions.
Article 57. – Les ministres peuvent être mis en accusation par l’Assemblée nationale et renvoyés
devant la Haute Cour de justice […].
Titre XI. De la révision de la Constitution
Article 90. – La révision a lieu dans les formes suivantes.
La révision doit être décidée par une résolution adoptée à la majorité absolue des membres
composant l’Assemblée nationale.
La résolution précise l’objet de la révision.
Elle est soumise, dans le délai minimum de trois mois, à une deuxième lecture à laquelle il
doit être procédé dans les mêmes conditions qu’à la première, à moins que le Conseil de la
République, saisi par l’Assemblée nationale, n’ait adopté à la majorité absolue la même résolution.
Après cette seconde lecture, l’Assemblée nationale élabore un projet de loi portant révision de la
Constitution. Ce projet est soumis au Parlement et voté à la majorité et dans les formes prévues pour
la loi ordinaire.
Il est soumis au référendum, sauf s’il a été adopté en seconde lecture par l’Assemblée nationale à la
majorité des deux tiers ou s’il a été voté à la majorité des trois cinquièmes par chacune des deux
Assemblées.
Le projet est promulgué comme loi constitutionnelle par le président de la République dans les huit
jours de son adoption.
Aucune révision constitutionnelle relative à l’existence du Conseil de la République ne pourra être
réalisée sans l’accord de ce Conseil ou le recours à la procédure de référendum
[…].
Document n° 9. Révision constitutionnelle du 7 décembre 1954 (extraits).
Article 14. – Les projets de loi sont déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale ou sur le bureau
du Conseil de la République. Toutefois, les projets de loi tendant à autoriser la ratification des
traités prévus à l’article 27, les projets de lois budgétaires ou de finances et
les projets comportant diminution de recettes ou création de dépenses doivent être déposés sur le
bureau de l’Assemblée nationale.
Les propositions de loi formulées par les membres du Parlement sont déposés sur le bureau de la
Chambre dont ils font partie, et transmises après adoption à l’autre Chambre. Les propositions de
loi formulées par les membres du Conseil de la République ne sont pas recevables lorsqu’elles
auraient pour conséquence une diminution des recettes ou une création de dépenses […].
Article 20. – Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux Chambres
du Parlement en vue de parvenir à l’adoption d’un texte identique.
À moins que le projet ou la proposition n’ait été examiné par lui en première lecture, le Conseil de
la République se prononce au plus tard dans les deux mois qui suivent la transmission du texte
adopté en première lecture par l’Assemblée nationale.
En ce qui concerne les textes budgétaires et la loi de finances, le délai imparti au Conseil de la
République ne doit pas excéder le temps précédemment utilisé par l’Assemblée nationale pour leur
examen et leur vote. En cas de procédure d’urgence déclarée par l’Assemblée nationale, le délai est
le double de celui prévu pour les débats de l’Assemblée nationale par le règlement de celle-ci.
Si le Conseil de la République ne s’est pas prononcé dans les délais prévus aux précédents alinéas,
la loi est en état d’être promulguée dans le texte voté par l’Assemblée nationale.
Si l’accord n’est pas intervenu, l’examen se poursuit devant chacune des deux Chambres. Après
deux lectures par le Conseil de la République, chaque Chambre dispose, à cet effet, du délai utilisé
par l’autre Chambre lors de la lecture précédente, sans que ce délai puisse être inférieur à sept jours
ou à un jour pour les textes visés au troisième alinéa.
A défaut d’accord dans un délai de cent jours à compter de la transmission du texte au Conseil de la
République pour deuxième lecture, ramené à un mois pour les textes budgétaires et la loi de
finances et à quinze jours en cas de procédure applicable aux affaires urgentes, l’Assemblée
nationale peut statuer définitivement en reprenant le dernier texte voté par elle ou en le modifiant
par l’adoption d’un ou plusieurs des amendements proposés à ce texte par le Conseil de la
République.
Si l’Assemblée nationale dépasse ou prolonge les délais d’examen dont elle dispose, le délai prévu
pour l’accord des deux Chambres est augmenté d’autant.
Les délais prévus au présent article sont suspendus pendant les interruptions de session. Ils peuvent
être prolongés par décision de l’Assemblée nationale […].
Article 49. – Le vote sur la question de confiance ne peut intervenir que vingt-quatre heures après
qu’elle a été posée devant l’Assemblée. Il a lieu au scrutin public.
La confiance est refusée au Cabinet à la majorité absolue des députés à l’Assemblée.
Document n° 10. Godechot, J., prés., Les constitutions de la France depuis 1789,
chapitre XIV, La constitution de la IVe République, Garnier-Flammarion, 1979,
pp. 357-369 (extraits).
« Le gouvernement de Vichy avait supprimé la Constitution de 1875 parce qu’il la trouvait trop
démocratique. Son projet de constitution était, en effet, nettement en retrait sur les lois de 1875.
Sans aller jusqu’à revenir au régime de ‘l’Empire autoritaire’, encore moins jusqu’à l’absolutisme
monarchique de Charles X, il s’était efforcé de codifier les pratiques constitutionnelles de ‘l’ordre
moral’.
Les organisations de la Résistance, qu’elles fussent implantées à l’intérieur du territoire
métropolitain, ou qu’elles se fussent développées à l’extérieur (Londres, Alger), reprochaient au
contraire à la Constitution de 1875 de n’être pas assez démocratique. Le général de Gaulle avait
proclamé, dès juin 1940, sa volonté de rétablir en France la légalité républicaine, mais non la
Constitution de 1875. Aussi, les organisations de Résistance réfléchirent-elles, dès leur fondation,
aux caractéristiques qu’il conviendrait de donner à la nouvelle Constitution. Ces organisations
étaient, en général, dominées par des hommes ‘de gauche’, et, à partir de 1942, les communistes y
acquièrent de plus en plus d’influence. Tous ces hommes ont, en commun, l’hostilité envers les
classes ‘riches’ où se sont recrutés beaucoup de ‘collaborateurs’, le désir de donner satisfaction aux
revendications anciennes et nouvelles du ‘peuple’ conçu, comme Michelet, de manière assez vague,
l’admiration pour la Convention et le gouvernement révolutionnaire de l’an II, qui dans des
circonstances peut-être aussi graves qu’en 1940, ont su provoquer un sursaut populaire et sauver la
patrie, qui était en danger. De manière plus concrète, au point de vue politique, la Résistance semble
désirer une Assemblée unique, munie de grands pouvoirs […].
Dès 1942, en accord avec les chefs de la Résistance intérieure, le général de Gaulle avait admis que
le peuple français libéré aurait à choisir un régime nouveau, en élisant une Assemblée constituante.
L’ordonnance d’Alger, du 21 avril 1944, précisa que le peuple français déciderait de ses institutions
futures en pleine liberté, et qu’à cet effet, une Assemblée nationale constituante serait convoquée,
dès que des élections libres seraient possibles.
Le général de Gaulle, par contre, inclinait personnellement vers un régime présidentiel, inspiré des
Etats-Unis, et dans lequel le Pouvoir exécutif serait prépondérant. Nommé président du «
gouvernement provisoire de la République française » à Alger le 3 juin 1944, entré à Paris dès la
libération de la capitale, le 25 août suivant, le général de Gaulle va essayer de faire prévaloir ses
conceptions. Mais il est soumis à la pression très forte de
certains chefs de la Résistance, et après la fin de la guerre et le retour des prisonniers, à celle des
hommes politiques de la troisième République, notamment d’Edouard Herriot, rentré en France en
mai 1945, et qui plaide pour le rétablissement de la Constitution de 1875 avec une telle chaleur que
de Gaulle en fut, paraît-il, ébranlé.
Dans une conférence de presse, le 3 juin 1945, le général expliqua qu’il y avait trois solutions
possibles au problème constitutionnel : « Ou bien revenir aux errements d’hier, faire élire
séparément une Chambre et un Sénat, puis les réunir à Versailles en une Assemblée nationale qui
modifierait, ou non, la Constitution de 1875. Ou bien considérer que cette Constitution est morte et
procéder à des élections pour une Assemblée constituante qui ferait ce qu’elle voudrait. Ou bien,
enfin, consulter le pays sur des termes qui serviraient de base à sa consultation et auxquels ses
représentants auraient à se conformer ».
De Gaulle était partisan de la troisième hypothèse, il n’avait, disait-il, aucun doute sur le résultat du
référendum, qui abolirait la Constitution de 1875. Mais il espérait que ce vote permettrait de
restreindre les pouvoirs de la Constituante. « Grâce au référendum, écrit-il dans ses Mémoires de
Guerre, on pourrait d’abord imposer quelque équilibre entre ses pouvoirs et ceux du gouvernement,
et, ensuite, faire en sorte que la constitution qu’elle aurait élaborée soit soumise à l’approbation du
suffrage universel ».
Le général de Gaulle se heurta à l’opposition des partis socialiste et communiste […]. Les partis
furent, bien entendu, divisés sur les réponses à apporter […]. Le projet de constitution fut soumis,
ainsi qu’il avait été prévu, au référendum, le 5 mai 1946. Seuls les socialistes et les communistes
firent campagne pour le « oui » […]. C’est la première fois, en France, qu’un référendum
aboutissait à un résultat négatif, ce qui prouvait la maturité politique des citoyens […]. Il faut
chercher les raisons profondes du refus dans la répugnance pour le « régime d’Assemblée » qu’on
identifiait, trop facilement peut-être, sinon avec le régime communiste, du moins avec la possibilité
donnée aux communistes de s’emparer facilement du pouvoir. Le résultat du référendum entraînait
en tout cas l’élection d’une deuxième constituante […].
Avant même que les discussions aient commencé, le général de Gaulle prononce, le 16 juin, à
Bayeux, un discours dans lequel il esquisse ce que devrait être, selon lui, la nouvelle constitution
française pour avoir des chances de durer : trois pouvoirs nettement séparés et équilibrés, mais
prépondérance de l’exécutif jouant le rôle d’un arbitrage national qui maintienne la continuité de
l’action politique. En conséquence, pour faire contrepoids à l’Assemblée nationale, il faudrait,
d’une part, que le chef de l’Etat joue un rôle important, d’autre part qu’il y ait une seconde chambre
qui fasse entendre « la voix des grandes activités du pays » […]. La Constituante ne tint guère
compte de ce schéma. Les communistes et les socialistes s’y montrèrent nettement hostiles, les
radicaux, d’ailleurs peu nombreux, firent de graves réserves, ils voyaient en germe, dans le projet, le
« pouvoir personnel ». Le MRP ne peut obtenir de ses associés que quelques concessions. Le projet
de constitution fut voté, par la Commission, après de laborieuses négociations […]. Le 22
septembre, le général de Gaulle faisait connaître, par le discours d’Epinal, à la presse que le projet
lui paraissait inacceptable, parce qu’il ne contenait pas le mot gouvernement et ignorait tout autant
la chose, parce qu’il ne fixait au chef de l’Etat que des attributions pratiquement « inopérantes »,
parce qu’il lui refusait les moyens d’assurer le fonctionnement « régulier » des institutions, de telle
sorte que le pays soit « toujours effectivement gouverné ».
Université Paris 8
Droit constitutionnel – Vème République
(Semestre 2)
Professeur : Jean-Louis Iten
Séance de travaux dirigés n° 3 : Les origines de la Vème République
Document n° 1. De Gaulle, Ch., Discours prononcé à Bayeux le 16 juin 1946
(extraits).
Document n° 2. Loi constitutionnelle du 3 juin 1958.
Document n° 3. Debré, M., Discours devant le Conseil d’État, le 27 août 1958,
dans D. Maus, prés., Les grands textes de la pratique institutionnelle de la Ve
République, La documentation française, 1995, pp. 2-8 (extraits).
Document n° 4. Duhamel, O., « Les logiques cachées de la Constitution de la Ve
République », dans O. Duhamel, J.-L. Parodi, dir., La Constitution de la
cinquième République, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques,
1988, pp. 11-23 (extraits).
Document n° 5. François, B., Naissance d’une Constitution. La Cinquième
République, 1958-1962, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques,
1996, pp. 17-19.
Document n° 6. Rouvillois, F., Les origines de la Ve République, PUF, coll.
« Que sais-je ? », 1998, pp. 3-5.
Dissertation : La Constitution de 1958 a-t-elle mis en place un régime
parlementaire ?
Document n° 1. De Gaulle, Ch., Discours prononcé à Bayeux le 16 juin 1946
(extraits).
« […] Au cours d’une période de temps qui ne dépasse pas deux fois la vie d’un homme, la France
fut envahie sept fois et a pratiqué treize régimes, car tout se tient dans le malheur d’un peuple. Tant
de secousses ont accumulé dans notre vie publique des poisons dont s’intoxique notre vieille
propension gauloise aux divisions et aux querelles. Les épreuves inouïes que nous venons de
traverser n’ont fait, naturellement, qu’aggraver cet état de choses. La situation actuelle du monde
où, derrière des idéologies opposées, se confrontent des puissances entre lesquelles nous sommes
placés, ne laisse pas d’introduire dans nos luttes politiques un facteur de trouble passionné. Bref, la
rivalité des partis revêt chez nous un caractère fondamental, qui met toujours tout en question et
sous lequel s’estompent trop souvent les intérêts supérieurs du pays. Il y a là un fait patent, qui tient
au tempérament national, aux péripéties de l’histoire et aux ébranlements du présent, mais dont il
est indispensable à l’avenir du pays et de la démocratie que nos institutions tiennent compte et se
gardent, afin de préserver le crédit des lois, la cohésion des gouvernements, l’efficience des
administrations, le prestige et l’autorité de l’État.
C’est qu’en effet, le trouble dans l’État a pour conséquence inéluctable la désaffection des citoyens
à l’égard des institutions. Il suffit alors d’une occasion pour faire apparaître la menace de la
dictature. D’autant plus que l’organisation en quelque sorte mécanique de la société moderne rend
chaque jour plus nécessaires et plus désirés le bon ordre dans la direction et le fonctionnement
régulier des rouages. Comment et pourquoi donc ont fini la Ière, la IIème, la IIIe République ?
Comment et pourquoi donc la démocratie italienne, la République allemande de Weimar, la
République espagnole firent-elles place aux régimes que l’on sait ? Et pourtant, qu’est la dictature,
sinon une grande aventure ? Sans doute, ses débuts semblent avantageux. Au milieu de
l’enthousiasme des uns et de la résignation des autres, dans la rigueur de l’ordre qu’elle impose, à la
faveur d’un décor éclatant et d’une propagande à sens unique, elle prend d’abord un tour de
dynamisme qui fait contraste avec l’anarchie qui l’avait précédée. Mais c’est le destin de la
dictature d’exagérer ses entreprises. À mesure que se font jour parmi les citoyens l’impatience des
contraintes et la nostalgie de la liberté, il lui faut à tout prix leur offrir en compensation des réussites
sans cesse plus étendues. La Nation devient une machine à laquelle le maître imprime une
accélération effrénée. Qu’il s’agisse de desseins intérieurs ou extérieurs, les buts, les risques, les
efforts dépassent peu à peu toute mesure. À chaque pas se dressent, au-dehors et au-dedans, des
obstacles multipliés. À la fin, le ressort se brise, l’édifice grandiose s’écroule dans le malheur et
dans le sang. La Nation se retrouve rompue, plus bas qu’elle n’était avant que l’aventure
commençât.
Il suffit d’évoquer cela pour comprendre à quel point il est nécessaire que nos institutions
démocratiques nouvelles compensent, par elles-mêmes, les effets de notre perpétuelle effervescence
politique. Il y a là, au surplus, pour nous une question de vie ou de mort, dans le monde et au siècle
où nous sommes, où la position, l’indépendance et jusqu’à l’existence de notre pays et de notre
Union française se trouvent bel et bien en jeu. Certes, il est de l’essence même de la démocratie que
les opinions s’expriment et qu’elles s’efforcent, par le suffrage, d’orienter suivant leurs conceptions
l’action publique et la législation. Mais aussi tous les principes et toutes les expériences exigent que
les pouvoirs publics : législatif, exécutif, judiciaire, soient nettement séparés et fortement équilibrés
et que, au-dessus des contingences politiques, soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la
continuité au milieu des combinaisons.
Il est clair et il est entendu que le vote définitif des lois et des budgets revient à une Assemblée élue
au suffrage universel et direct. Mais le premier mouvement d’une telle Assemblée ne comporte pas
nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième
Assemblée, élue et composée d’une autre manière, la fonction d’examiner publiquement ce que la
première a pris en considération, de formuler des amendements, de proposer des projets. Or, si les
grands courants de politique générale sont naturellement reproduits dans le sein de la Chambre des
députés, la vie locale, elle aussi, a ses tendances et ses droits. Elle les a dans la Métropole. Elle les
a, au premier chef, dans les territoires d’outre-mer, qui se rattachent à l’Union française par des
liens très divers. Elle les a dans cette Sarre à qui la nature des choses, découverte par notre victoire,
désigne une fois de plus sa place auprès de nous, les fils des Francs. L’avenir de 110 millions
d’hommes et de femmes qui vivent sous notre drapeau est dans une organisation de forme
fédérative, que le temps précisera peu à peu, mais dont notre Constitution nouvelle doit marquer le
début et ménager le développement.
Tout nous conduit donc à instituer une deuxième Chambre dont, pour l’essentiel, nos conseils
généraux et municipaux éliront les membres. Cette Chambre complètera la première en l’amenant,
s’il y a lieu, soit à réviser ses propres projets, soit à en examiner d’autres, et en faisant valoir dans la
confection des lois ce facteur administratif qu’un collège purement politique a forcément tendance à
négliger. Il sera normal d’y introduire, d’autre part, des représentants des organisations
économiques, familiales, intellectuelles, pour que se fasse entendre, au-dedans même de l’État, la
voix des grandes activités du pays. Réunis aux élus des assemblées locales des territoires d’outremer, les membres de cette Assemblée formeront le grand Conseil de l’Union française, qualifié pour
délibérer des lois et des problèmes intéressant l’Union, budgets, relations extérieures, rapports
intérieurs, défense nationale, économie, communications.
Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le
pouvoir exécutif ne saurait procéder, sous peine d’aboutir à cette confusion des pouvoirs dans
laquelle le Gouvernement ne serait bientôt plus rien qu’un assemblage de délégations. Sans doute
aura-t-il fallu, pendant la période transitoire où nous sommes, faire élire par l’Assemblée nationale
constituante le président du Gouvernement provisoire, puisque, sur la table rase, il n’y avait aucun
autre procédé acceptable de désignation. Mais il ne peut y avoir là qu’une disposition du moment.
En vérité, l’unité, la cohésion, la discipline intérieure du Gouvernement de la France doivent être
des choses sacrées, sous peine de voir rapidement la direction même du pays impuissante et
disqualifiée. Or, comment cette unité, cette cohésion, cette discipline seraient-elles maintenues à la
longue si le pouvoir exécutif émanait de l’autre pouvoir auquel il doit faire équilibre, et si chacun
des membres du Gouvernement, lequel est collectivement responsable devant la représentation
nationale tout entière, n’était, à son poste, que le mandataire d’un parti ?
C’est donc du Chef de l’État, placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement
mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le Président de l’Union française en
même temps que celui de la République, que doit procéder le pouvoir exécutif. Au chef de l’État la
charge d’accorder l’intérêt général quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du
Parlement. À lui la mission de nommer les ministres et, d’abord, bien entendu, le Premier, qui devra
diriger la politique et le travail du Gouvernement.
Au chef de l’État la fonction de promulguer les lois et de prendre les décrets, car c’est envers l’État
tout entier que ceux-ci et celles-là engagent les citoyens. À lui la tâche de présider les Conseils du
Gouvernement et d’y exercer cette influence de la continuité dont une nation ne se passe pas. À lui
l’attribution de servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le
conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des
élections sa décision souveraine. À lui, s’il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d’être le
garant de l’indépendance nationale et des traités conclus par la France […] ».
Document n° 2. Loi constitutionnelle du 3 juin 1958.
L’Assemblée nationale et le Conseil de la République ont délibéré, L’Assemblée nationale a adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Article unique. – Par dérogation aux dispositions de son article 90, la Constitution sera révisée par
le Gouvernement investi le 1er juin 1958 et ce, dans les formes suivantes :
Le Gouvernement de la République établit un projet de loi constitutionnelle mettant en œuvre les
principes ci-après :
1° Seul le suffrage universel est la source du pouvoir. C’est du suffrage universel ou des instances
élues par lui que dérivent le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ;
2° Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le
Gouvernement et le Parlement assument chacun pour sa part et sous sa responsabilité la plénitude
de leurs attributions ;
3° Le Gouvernement doit être responsable devant le Parlement ;
4° L’autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d’assurer le respect des
libertés essentielles telles qu’elles sont définies par le préambule de la Constitution de 1946 et par la
Déclaration des droits de l’homme à laquelle elle se réfère ;
5° La Constitution doit permettre d’organiser les rapports de la République avec les peuples qui lui
sont associés.
Pour établir le projet, le Gouvernement recueille l’avis d’un comité consultatif où siègent
notamment des membres du Parlement désignés par les commissions compétentes de l’Assemblée
et du Conseil de la République. Le nombre des membres du comité consultatif désignés par chacune
des commissions est au moins égal au tiers du nombre des membres de ces commissions ; le
nombre total des membres du comité consultatif désignés par les commissions est égal aux deux
tiers des membres du comité.
Le projet de loi arrêté en Conseil des ministres, après avis du Conseil d’État, est soumis au
référendum. La loi constitutionnelle portant révision de la Constitution est promulguée par le
Président de la République dans les huit jours de son adoption.
Document n° 3. Debré, M., discours devant le Conseil d’État, le 27 août 1958,
dans D. Maus, prés., Les grands textes de la pratique institutionnelle de la Ve
République, La documentation française, 1995, pp. 2-8 (extraits).
« Avec une rapidité inouïe, au cours des dernières années, l’unité et la force de la France se sont
dégradées, nos intérêts essentiels ont été gravement menacés, notre existence en tant que nation
indépendante et libre mise en cause. À cette crise politique majeure, bien des causes ont contribué.
La défaillance de nos institutions est, doublement, une de ces causes ; nos institutions n’étaient plus
adaptées, c’est le moins qu’on puisse dire, et leur inadaptation était aggravée par de mauvaises
moeurs politiques qu’elles n’arrivaient pas à corriger. L’objet de la réforme constitutionnelle est
donc clair. Il est d’abord, et avant tout, d’essayer de reconstruire un pouvoir sans lequel il n’est ni
État, ni démocratie, c’est-à-dire en ce qui nous concerne, ni France, ni République. Il est ensuite,
dans l’intérêt supérieur de notre sécurité et de l’équilibre du monde, de sauvegarder et de rénover
cet ensemble que nous appelons traditionnellement la France d’outre-mer. Ces deux objectifs, à elle
seule, la Constitution ne permet pas de les atteindre. Mais elle doit être construite de telle sorte
qu’elle ne soit pas un obstacle et qu’au contraire elle y aide puissamment.
Une première volonté a dominé ce projet : refaire le régime parlementaire de la République.
Une seconde volonté a conduit à préciser comment, autour de la France, on pouvait établir une
communauté.
Donner à la France un régime parlementaire
Le gouvernement a voulu rénover le régime parlementaire. Je serai même tenté de dire qu’il veut
l’établir, car pour de nombreuses raisons la République n’a jamais réussi à l’instaurer. La raison de
ce choix est simple. Le régime d’assemblée, le régime conventionnel, est impraticable et dangereux.
Le régime présidentiel est présentement hors d’État de fonctionner en France.
L’impossible régime d’assemblée
Le régime d’assemblée, ou conventionnel, est celui où la totalité du pouvoir, en droit et en fait,
appartient à un Parlement, et plus précisément, à une Assemblée. L’Assemblée n’est pas seulement
le pouvoir législatif et le contrôle budgétaire. Elle est la politique, et le Gouvernement qui tient
d’elle l’origine de son autorité et qui, dépendant de son arbitraire, n’est que son commis. Ses
décisions ne peuvent être critiquées par personne, fussent-elles contraires à la Constitution. Leur
domaine est illimité et l’ensemble des pouvoirs publics est à leur discrétion. Le fonctionnement de
l’Assemblée la met en mesure d’exercer cette tâche : sessions qui n’ont pratiquement pas de fin ;
commissions multiples et puissantes ; système de vote par délégation qui permet de multiplier les
séances et les scrutins.
Ai-je besoin de continuer la description ? Ce régime est celui que nous avons connu. On a tenté de
corriger ses défauts en corrigeant le règlement de l’Assemblée. Peine perdue ! Celles des
modifications du règlement contraires au fonctionnement du régime conventionnel ne sont pas
appliquées, ou elles sont impuissantes. On a tenté un nouveau remède en augmentant les pouvoirs
de la deuxième assemblée. Peine également perdue ! La division en deux chambres est une bonne
règle du régime parlementaire, car elle permet à un gouvernement indépendant de trouver, par la
deuxième assemblée, un secours utile contre la première : en régime conventionnel, on neutralise ou
plutôt on diminue l’arbitraire d’une assemblée par l’autre sans créer l’autorité. On a tenté enfin un
remède par des coalitions ou contrats entre partis. Peine toujours perdue ! L’entente entre factions
ne résiste pas au sentiment d’irresponsabilité que donne à chacune d’entre elles et à ses membres le
fonctionnement du régime d’assemblée.
Les difficultés majeures du régime présidentiel
Le régime présidentiel est la forme de régime démocratique qui est à l’opposé du régime
d’assemblée. Sa marque est faite de l’importance du pouvoir donné en droit et en fait à un chef de
l’État élu au suffrage universel.
Les pouvoirs, dans un tel régime, ne sont pas confondus. Ils sont au contraire rigoureusement
séparés. Les assemblées législatives sont dépourvues de toute influence gouvernementale : leur
domaine est celui de la loi, et c’est un domaine bien défini. Elles approuvent également le budget et,
normalement, les traités. En cas de conflit, le Président, pour le résoudre, dispose d’armes telles que
le veto ou la promulgation d’office. La justice occupe une place à part et d’ordinaire privilégiée afin
d’assurer la défense des individus contre ce chef très puissant et contre les conséquences d’une
entente entre ce chef et les assemblées.
Les qualités du régime présidentiel sont évidentes. L’État a un chef, la démocratie un pouvoir et la
tentation est grande, après avoir pâti de l’anarchie et de l’impuissance, résultats d’un régime
conventionnel, de chercher refuge dans l’ordre et l’autorité du régime présidentiel. Ni le Parlement
dans sa volonté de réforme manifestée par la loi du 3 juin, ni le Gouvernement lorsqu’il a présenté,
puis appliqué, cette loi, n’ont succombé à cette tentation, et c’est, je crois, sagesse. La démocratie
en France suppose un Parlement doté de pouvoirs politiques. On peut imaginer deux assemblées
législatives et budgétaires uniquement, c’est-à-dire subordonnées. Mais nous devons constater que
cette conception ne coïncide pas avec l’image traditionnelle, et, à bien des égards, légitime, de la
République.
À cette raison de droit, s’ajoutent deux raisons de fait qui sont, l’une et l’autre, décisives. Le
Président de la République a des responsabilités outre-mer ; il est également le président de la
Communauté. Envisage-t-on un corps électoral comprenant, universellement, tous les hommes,
toutes les femmes de la France métropolitaine, de l’Algérie, de l’Afrique noire, de Madagascar, des
îles du Pacifique ? Cela ne serait pas raisonnable et serait gravement de nature à nuire à l’unité de
l’ensemble comme à la considération que l’on doit au chef de l’État.
Regardons, d’autre part, la situation intérieure française et parlons politique. Nous voulons une forte
France. Est-il possible d’asseoir l’autorité sur un suffrage si profondément divisé ? Doit-on oublier
qu’une part importante de ce suffrage, saisie par les difficultés des années passées, adopte, à l’égard
de la souveraineté nationale, une attitude de révolte qu’un certain parti encadre avec force pour des
objectifs que des hommes de l’État et de gouvernement ne peuvent accepter ?
La cause me paraît entendue. Le régime présidentiel est actuellement dangereux à mettre en oeuvre.
Pas de régime conventionnel, pas de régime présidentiel : la voie devant nous est étroite, c’est celle
du régime parlementaire. À la confusion des pouvoirs dans une seule assemblée, à la stricte
séparation des pouvoirs avec priorité au chef de l’État, il convient de préférer la collaboration des
pouvoirs, un chef de l’État et un Parlement séparés, encadrant un gouvernement issu du premier et
responsable devant le second, entre eux un partage des attributions donnant à chacun une semblable
importance dans la marche de l’État et assurant les moyens de résoudre les conflits qui sont, dans
tout système démocratique, la rançon de la liberté […] ».
Document n° 4. Duhamel, O., « Les logiques cachées de la Constitution de la Ve
République », dans O. Duhamel, J.-L. Parodi, dir., La Constitution de la
cinquième République, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques,
1988, pp. 11-23 (extraits).
« […] Qu’est la cinquième République ? Question à démultiplier jusqu’à mettre en cause notre
intelligence des régimes politiques, la validité de nos classifications, la pertinence des causalités
repérées pour expliquer le pouvoir politique, et, finalement, une fois de plus, le moyen d’articuler ce
que le biologiste avait appelé hasard et nécessité, le sociologue acteur et système, le philosophe
rationalité et liberté. Qu’est la cinquième République devenue ? Pouvait-elle devenir autre ?
Comment ? À quelles conditions ? Pourrait-elle devenir autre ? Quand et comment est-elle devenue
ce qu’elle est aujourd’hui ? Qu’était-elle supposée être lorsqu’elle fut conçue ? Pourquoi a-t-elle été
pensée si différente de ce qu’elle s’est immédiatement avérée être ? Cet aveuglement initial a-t-il
servi une création si audacieuse qu’elle n’eût pu s’avouer telle ? À ces questions nous n’apportons
aucune réponse définitive, faite de croire à la possibilité d’une science totale du réel. Mais ces
questions, nous les construirons et déconstruirons, composerons, décomposerons, recomposerons,
ayant à cette fin, sur ceux de 1958, l’immense avantage d’un quart de siècle derrière nous.
L’homme explique le singe, disait Marx : nul doute que vingt-cinq années de Cinquième
République révèlent le code génétique de l’enfant né en 1958. ‘Tout est bien, sortant des mains de
l’auteur des choses : tout dégénère entre les mains de l’homme. Il force une terre à couvrir les
productions d’une autre ; un arbre à porter les fruits d’un autre. Il mêle et confond les climats, les
éléments, les saisons. Il mutile son chien, son cheval, son esclave. Il bouleverse tout, il défigure
tout : il aime la difformité, les monstres’. En écrivant les premières lignes de l’Émile, Rousseau
pensait-il à notre République ? Certes non, vu l’absence, en la matière, de l’auteur des choses. Mais
d’hommes, il y eut pléthore. Tant de pères, cousins ennemis associés dans l’accalmie d’un été,
pouvaient-ils engendrer autre chose qu’un monstre ? Et s’il grandit au-delà de toute espérance, n’est
pas précisément que les lois de la survie des systèmes institutionnels n’épousent pas celles de
l’espèce humaine ?
La cinquième n’est pas ce qu’elle devait être pour ses fondateurs
Les intentions des pères fondateurs méritent d’être explorées. Certes, pour fixer nos connaissances
aujourd’hui historiques, ou même pour l’intéressant contraste entre les desseins initiaux et l’objet
créé. Mais elles doivent aussi être reconsidérées parce que c’est de leur juxtaposition qu’est issue la
République nouvelle, à ce point nouvelle qu’aucun ne pouvait la reconnaître. Elles exigent, alors,
d’être reconstruites, pour obtenir un minimum d’intelligibilité : non seulement les hommes ne
soupçonnent pas l’histoire qu’ils font, mais ils vont jusqu’à ignorer, pour part, celle qu’ils veulent.
L’inconscience pèse particulièrement en matière institutionnelle, surchargée en France par deux
siècles de convulsions où la Première République a sauvé la France pour se perdre elle-même,
l’Empire triplé son territoire pour finalement le réduire, la Troisième gagné sans conteste en 1918
pour perdre sans combattre en 1940.
Malgré ses bilans contradictoires, l’esprit français demeure rebelle au scepticisme institutionnel et
le révisionnisme couve jusqu’à ce qu’au printemps 1958 le général de Gaulle et les circonstances
confirment que son retour au pouvoir prendra la forme d’un changement de Constitution. Il faut
donc schématiser les traits de l’enfant rêvé par chacun de ses principaux pères, au risque de subir
leur démenti, voire les sarcasmes des pragmatistes habitués à railler les typologies professorales.
Une fois admis que cette reconstruction n’a d’autre prétention qu’heuristique – ce qui est sans doute
déjà trop –, rien n’interdit d’espérer que les objections du lecteur se situeront sur le même plan. Que
veulent les trois grands géniteurs, Charles de Gaulle, Michel Debré, les ministres d’État ? Sur
l’espèce, ils s’entendent par leurs communs refus. Premier refus, fondateur, c’en est fait du
parlementarisme français, régime moniste dégénéré, où le gouvernement n’est que le hochet d’un
Parlement déconnecté du peuple et le chef de l’État, tantôt licorne, tantôt merle blanc. Deuxième
refus, suffisamment imposé par les circonstances pour qu’on hésite sur ses raisons, le régime
présidentiel ne saurait convenir. Michel Debré s’en est expliqué, surabondamment : le génie
français, la tradition républicaine, le compromis de mai-juin 1958, les peuples d’outre-mer et les
masses communisées se conjuguent pour empêcher de succomber à la « tentation » nordaméricaine.
Un régime parlementaire régénéré, telle est donc la variété qui recueille l’unanimité de la famille.
Les constitutionnalistes l’ont baptisé de longue date (même si, lors de l’enfantement, les politiques
n’ont cure d’un vocable qui altérerait l’inédit). Le nouveau régime sera dualiste – puisque
parlementaire toujours –, mais moniste, plus jamais. Selon les manuels, il s’agit d’un régime
d’équilibre des pouvoirs juridiquement caractérisé par la double responsabilité du gouvernement
devant le Parlement et devant le chef de l’État (ce dernier trait n’étant osé en 1958, il n’y a pas, à
lettre, dualisme). Au-delà du critère juridique, la logique du régime parlementaire dualiste veut que
deux organes figurent en vis-à-vis à la tête de l’État, son chef d’un côté, les représentants de la
Nation de l’autre, et entre les deux le gouvernement chargé de la liaison : ses membres sont issus du
second, mais choisis par le premier. Tout le système est conçu en fonction de cette idée d’équilibre
qui commande les armes des pouvoirs les uns sur les autres. Le chef de l’État peut dissoudre le
législatif, le Parlement peut censurer l’exécutif. L’esprit de révérence pour nos maîtres a perpétué la
notion de dualisme où l’on parlerait plus justement – mais au prix d’un néologisme – de
« trialisme » puisque le gouvernement ne saurait sérieusement être réduit à une courroie de
transmission. Que la nouvelle République formât un triptyque ne paraissait guère contestable : le
président accède à l’existence, promu qu’il est au titre II, élu d’un collège où les parlementaires ne
sont qu’autour de 1 %, doté enfin de pouvoirs propres ; le gouvernement accède au pouvoir, chargé
qu’il est de déterminer et conduire la politique de la nation ; l’Assemblée n’en meurt pas pour
autant, détentrice qu’elle demeure du monopole de la légitimité du suffrage universel direct.
Tous trois sont condamnés à s’entendre : le président ne peut rien sans un gouvernement qui ne peut
rien sans la confiance de l’Assemblée, laquelle peut toujours être dissoute. Le trièdre grossièrement
dessiné par les trois pères fondateurs, les préférences de chacun pouvaient prendre place et
privilégier la face qui leur ressemblait le plus. Monarchorépublicain d’esprit, militaire de carrière, le
Général veut que l’État ait un chef et n’en imagine pas d’autre que le président. Michel Debré, peutêtre moins capétien et sûrement plus britannique, serait davantage tenté par le trirème – s’il était
concevable que le Général ramât. Parlementaires, ministres, président, autant de rangs qui
superposent les galériens sous la conduite du triérarque, désormais baptisé Premier ministre. La
place du président est ambiguë, tant par la personne du Général que par les particularités de la
France. Nous ne pouvons mettre sur pied purement et simplement le système britannique à cause de
la présence communiste. D’où la nécessité, par compensation, d’un président de la République,
substitut au scrutin majoritaire à un tour, équivalent fonctionnel de l’impossible bipartisme. Le
président donnera au Premier ministre et à son gouvernement la force offerte outre-Manche par le
parti majoritaire.
Quant aux ministres d’État, ils conçoivent la structure à l’exact inverse du général de Gaulle.
Certes, c’est à leur initiative que le pouvoir législatif du Parlement est strictement délimité et la
motion de censure bien réglementée. Mais il reste que les trois éléments du pouvoir s’ordonnent
toujours selon la prééminence de la représentation nationale, organe par lequel coule la démocratie.
Le gouvernement gouverne bien, mais à la condition que l’Assemblée lui ait accordé et lui
maintienne sa confiance. Quant au pouvoir présidentiel, il ne saurait impliquer davantage qu’un
recours pour régler les conflits ou faire face à l’exceptionnel : nos habitués de la Quatrième ne
soupçonnent pas que celui qui est armé pour résoudre les crises détient ipso facto le pouvoir
suprême. Ainsi rationalisée à l’allemande, la démocratie parlementaire (l’expression passe encore
pour un pléonasme) fonctionnera enfin.
Trois pouvoirs, trois paternités, trois perceptions du nouveau régime, correspondant à trois types
d’articulation entre les autorités constitutionnelles, la Cinquième paraît, à tous égards, « trialiste ».
Elle ne l’est pourtant aucunement. La structure de notre République s’oppose doublement à ces
variantes du régime parlementaire dit dualiste. Elle s’en distingue par la hiérarchie des pouvoirs : la
suprématie présidentielle peut être encore, ici et là, secrètement regrettée ; elle ne peut plus être
niée. Pour maintenir quelque écho de la terminologie classique, on pourrait parler de régime
moniste inversé : le Parlement dominait le gouvernement qui dominait le Président de la République
(monisme classique de la Quatrième) ; le président domine le gouvernement qui domine le
Parlement (monisme inversé de la Cinquième). Mais il y a une seconde différence – dont
l’expression « monisme » rendrait également compte si l’on admettait que le parlementarisme
français n’y correspondait point –, à savoir l’unité majoritaire du pouvoir, l’union entre les pouvoirs
assurée par le principe et la pratique majoritaires. Les électeurs désignent directement les
gouvernants dont les alliances ne se font et défont que dans les urnes. Telle est la trinité constitutive
de la Cinquième : par le pouvoir du peuple, les trois organes distincts ne font qu’un État. Plus
encore que la suprématie présidentielle, voulue par de Gaulle, c’est en cette unité majoritaire du
pouvoir que réside le miracle de la Cinquième et l’impensable de 1958 – pour ses partisans comme
pour ses opposants. Innombrables apparaissent les motifs d’aveuglement, tant et si bien que l’on
hésite devant la cruauté de l’ironie rétrospective, avivée chez ceux d’entre nous qui ont grandi sous
le ciel présidentiel. Mais comment aurions-nous pu la prévoir telle, au crépuscule de la Quatrième ?
Une nouvelle République qui surgit tellement grâce aux circonstances qu’on n’y peut voir qu’un
régime de circonstance ; pas de monarque sans pouvoirs susceptible de laisser toute la place au chef
du gouvernement, mais un président qui le gêne ; pas d’élection directe du chef concevable ; un
Parti communiste – captant entre le cinquième et le quart des suffrages – tantôt ouvert aux
compromis unanimistes, tantôt crispé sur le combat de classe mais toujours hermétique au jeu
droite/gauche, majorité/opposition ; pas de partis à droite, des résidus au centre, des scissions à
gauche ; pas de partis mais onze groupes parlementaires, à l’Assemblée nationale… même les
constitutionnalistes à l’intelligence politologique la plus aiguisée ne pouvaient annoncer le miracle
majoritaire […] ».
Document n° 5. François, B., Naissance d’une Constitution. La Cinquième
République, 1958-1962, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques,
1996, pp. 17-19.
« Adoptée par référendum le 28 septembre à une très large majorité (82,6 % des suffrages
exprimés), la Constitution de la Cinquième République est promulguée le 4 octobre 1958. Pendant
l’été, alors qu’une crise sociale s’annonce (en particulier en matière agricole), que d’importantes
mesures de nature financière sont prises, que la situation insurrectionnelle en Algérie semble se
stabiliser même si la confusion reste grande, dans le secret des délibérations gouvernementales
quelques ‘experts’ – des professeurs de droit qui représentent les ministres d’État entourant le
nouveau président du Conseil et surtout une poignée de jeunes conseillers d’État regroupés autour
de Michel Debré – ont rédigé dans l’urgence un nouveau texte constitutionnel. Amorcé vers la mijuin, le travail de rédaction s’accélère à la fin du mois pour aboutir, le 29 juillet, à un avant-projet
déposé devant le Comité consultatif constitutionnel. Soumis au Conseil d’État fin août, après un
nouvel examen par le gouvernement destiné à examiner les suggestions du Comité consultatif, le
projet, de nouveau amendé, est présenté le 4 septembre, place de la République, à Paris, par le
général de Gaulle.
Ainsi naît la Cinquième République. Dans le silence ‘constitutionnel’ de cet été parisien, où seules
les prouesses suédoises de l’équipe de France de football, les mérites de la Dauphine, dernière née
des usines Renault, comme ceux de la toute nouvelle Fiat 500, ou les critiques de Mon oncle, film
de Jacques Tati qui obtient le prix spécial du jury au festival de Cannes, semblent pouvoir détourner
les regards et les pensées d’Alger. Car chacun le sait, ou le sent, l’essentiel est là. Et le travail
constituant a bien du mal à trouver sa place dans les rares interstices laissés par les commentaires
des voyages du général de Gaulle en Algérie, les interrogations que suscitent les rodomontades
inquiétantes du comité de salut public algérois comme l’exégèse minutieuse et répétée de tout ce
qui touche au ‘feuilleton’ algérien avec son cortège de colonels et de généraux, ses agents doubles,
ses vrais ou faux ‘gaullistes’ (que fait Soustelle ? que veut Salan ?), et ses partisans d’une Algérie
dont on ne sait déjà plus ce que ‘française’ veut bien dire.
La Constitution de la Cinquième République naît donc dans le silence. Silence sans doute relatif,
mais qui se laisse percevoir dans la prudence et les hésitations des commentateurs, dans l’étrange
retenue des spécialistes des questions constitutionnelles généralement plus prolixes en la matière.
C’est l’ensemble de la question constitutionnelle qui va rester ainsi relativement marginal tout au
long de l’été 1958. La perspective de l’avènement de nouvelles institutions pèse peu face à
l’obsession des ‘événements’ d’Afrique du Nord. À un point tel que la presse s’en étonne parfois.
En témoigne cette remarque d’un journaliste qui note qu’elle ‘tente un honorable effort pour
intéresser les Français à la préparation de leur Constitution, tandis que les plages et les montagnes
se peuplent d’évadés’.
Certains journaux essaient même de susciter des débats par la mise en oeuvre d’opérations
‘interactives’ alors peu courantes, qui voient par exemple Combat entamer sans grand succès une
enquête par questionnaire auprès de ses lecteurs. Plus rares encore, à l’exception de la presse
communiste, sont les commentaires qui font de cette ‘indifférence’ un enjeu politique. France
observateur titre sur ‘cette indifférence sur laquelle ils comptent…’, mais ce type d’inquiétude n’est
pas vraiment partagé dans les différentes rédactions parisiennes, et encore moins en province. Le
sondage réalisé par l’IFOP avant le référendum de septembre 1958, qui mériterait à lui seul bon
nombre de commentaires – ne serait-ce que pour analyser l’extraordinaire décalage entre l’ampleur
du vote en faveur de la nouvelle constitution et le faible intérêt que les Français accordent à la
question constitutionnelle –, indique d’ailleurs bien ‘l’état de l’opinion’ […] ».
Document n° 6. Rouvillois, F., Les origines de la Ve République, PUF, coll. « Que
sais-je ? », 1998, pp. 3-5.
« ‘Qu’est-ce que la France contemporaine ? Pour répondre à cette question, il faut savoir comment
cette France s’est faite’. Cette remarque de Taine justifie toute recherche sur les origines : connaître
les racines pour éclairer ce qui en est issu. En ce qui concerne la Ve République, les enjeux sont
clairs : c’est en voyant comment elle a été instituée, par qui, sur quelles bases et dans quel but, que
l’on pourra appréhender, derrière le laconisme du texte constitutionnel, son véritable esprit, ses
lignes de force et ses ambiguïtés. C’est aussi par ce biais que l’on pourra comprendre pourquoi elle
a évolué (dans telle direction et non dans telle autre) et comment elle pourrait encore le faire : un
système se transforme toujours en fonction de son point de départ…
Pourtant, cette ‘quête des origines’ n’en pose pas moins certaines questions préalables, et d’abord
celle-ci : que faut-il entendre par ‘Ve République’ ? Est-ce, de manière restrictive, l’événement
historique, le passage de la IVe à la Ve République ? À l’inverse, sur un mode extensif, est-ce le
régime politique tel qu’il fonctionne depuis 1958 – ensemble si complexe qu’il paraît échapper, par
nature, à toute recherche de ce type ? En définitive, c’est dans une voie intermédiaire que l’on
s’engagera, en s’intéressant aux origines de la Constitution de la Ve République : c’est-à-dire, au
corps de règles et de principes suprêmes qui détermine la structure institutionnelle du régime, et
dont l’établissement a justifié, au printemps 1958, la chute de la IVe République et le retour du
général de Gaulle.
Mais cette délimitation suscite à son tour une nouvelle interrogation : peut-on admettre que la
‘Constitution de la Ve République’ se ramène aux textes publiés le 4 octobre 1958 ? Le fait a été
contesté : certains auteurs affirment que c’est la révision du 6 novembre 1962, établissant l’élection
du président de la République au suffrage universel (et non le texte de 1958) qui constituerait l’acte
fondateur de la Ve République, régime ‘semi-présidentiel’. Pour d’autres, en revanche, la révision
de 1962 n’opère aucune rupture véritable avec le texte de 1958, et ne saurait donc être considérée
comme une fondation au sens propre. Pas de rupture, car la révision de 1962 (comme celle du 29
octobre 1974) avait été envisagée dès 1958 – et on y avait alors renoncé pour des raisons
d’opportunité. Réciproquement, ces révisions, conçues à l’origine comme des possibles futurs, ont
ensuite été décrites, lors de leur réalisation, comme l’accomplissement du texte initial. La réforme,
déclare ainsi de Gaulle le 22 septembre 1962, vise ‘simplement à renforcer et à maintenir les
institutions nouvelles’ ; et René Capitant note qu’elle donne enfin au régime ébauché en 1958 ‘sa
forme cohérente’. Pas de rupture, enfin, puisque ce régime ne change pas de nature en 1961 : il ne
fait que poursuivre son évolution dans le sens de la domination présidentielle, imposant
progressivement l’une des lectures possibles de la Constitution aux dépens des autres… Quelle que
soit son (indéniable) importance, la révision de 1962 paraît donc subordonnée à l’étape fondatrice
de 1958 qui, imposant les idées-forces du nouveau régime, marque la (seule) rupture effective, ainsi
que la véritable naissance de la Ve République. C’est par conséquent aux origines de ce texte que
l’on s’intéressera ici. Mais alors, que faut-il comprendre par ‘origines’ ? Jusqu’où les étendre et les
faire remonter ?
Une généalogie ‘intégrale’ s’avérant impraticable (sinon inconcevable), il s’agit de déterminer un
‘champ’ aussi pertinent que possible. Délimitation temporelle : puisqu’il n’est pas question
d’embrasser la totalité de l’Histoire de France, dont la Ve République se trouve l’héritière, le parti
pris sera de ne pas remonter au-delà des années 1930, l’époque de la formation ou de la maturation
de ses principaux artisans. Délimitation matérielle : parce qu’il s’agit d’une Constitution, c’est
principalement à ses origines intellectuelles (idéologiques, politiques et juridiques) que l’on se
cantonnera : choix d’autant plus justifié que les autres considérations (économiques par exemple)
n’ont joué en l’occurrence qu’un rôle mineur […] ».
Université Paris 8
Droit constitutionnel – Ve République
(Semestre 2)
Professeur : Jean-Louis Iten
Séance de travaux dirigés n° 4 : La fonction présidentielle
Document n° 1a. De Gaulle, Ch., Discours radiotélévisé du 23 avril 1961, dans D.
Maus, prés., Les grands textes de la pratique institutionnelle de la Ve République,
La documentation française, 1995, p. 111 ; 1 b. De Gaulle, Ch., Conférence de
presse du 31 janvier 1964 (extraits).
Document 2. F. Mitterrand, Le coup d’Etat permanent, coll.10/18, 1965, pp.108109. (extrait)
Document n° 3a. Gaudemet, Y., « Le président de la République est tenu de
signer », Le Monde, 18 avril 1986 ; 3 b. Robert, J., « M. Mitterrand peut refuser
de signer », Le Monde, 18 avril 1986 (extraits).
Document n° 4. Massot, J., L’arbitre et le capitaine. Essai sur la responsabilité
présidentielle, Flammarion, coll. « Champs-Flammarion », 1987, pp. 111-112.
Document n° 5. « Entretien avec François Mitterrand », Pouvoirs, n° 45, 1988,
pp. 131-139 (extraits).
Dissertation : Le pouvoir réglementaire du Président de la République
Document n° 1a. De Gaulle, Ch., Discours radiotélévisé du 23 avril 1961, dans D.
Maus, prés., Les grands textes de la pratique institutionnelle de la Ve République,
La documentation française, 1995, p. 111.
« Un pouvoir insurrectionnel s’est établi en Algérie par un pronunciamiento militaire. Les
coupables de l’usurpation ont exploité la passion des cadres de certaines unités spécialisées,
l’adhésion enflammée d’une partie de la population de souche européenne qu’égarent les craintes et
les mythes, l’impuissance des responsables submergés par la conjuration militaire.
Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite. Il a une réalité : un groupe
d’officiers, partisans, ambitieux et fanatiques. Ce groupe et ce quarteron possèdent un savoir-faire
expéditif et limité. Mais ils ne voient et ne comprennent la nation et le monde que déformés à
travers leur frénésie. Leur entreprise conduit tout droit à un désastre national. Car l’immense effort
de redressement de la France, entamé depuis le fond de l’abîme, le 18 juin 1940 ; mené ensuite
jusqu’à ce qu’en dépit de tout la victoire fût remportée, l’indépendance assurée, la République
restaurée ; repris depuis trois ans, afin de refaire l’État, de maintenir l’unité nationale, de
reconstituer notre puissance, de rétablir notre rang au-dehors, de poursuivre notre oeuvre outre-mer
à travers une nécessaire décolonisation, tout cela risque d’être rendu vain, à la veille même de la
réussite, par l’aventure odieuse et stupide des insurgés en Algérie. Voici l’État bafoué, la nation
défiée, notre puissance ébranlée, notre prestige international abaissé, notre place et notre rôle en
Afrique compromis. Et par qui ? Hélas ! hélas ! hélas ! par des hommes dont c’était le devoir,
l’honneur, la raison d’être de servir et d’obéir.
Au nom de la France, j’ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens, soient employés pour
barrer partout la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire. J’interdis à tout Français et,
d’abord, à tout soldat d’exécuter aucun de leurs ordres. L’argument suivant lequel il pourrait être
localement nécessaire d’accepter leur commandement, sous prétexte d’obligations opérationnelles
ou administratives, ne saurait tromper personne. Les seuls chefs, civils et militaires, qui aient le
droit d’assumer les responsabilités, sont ceux qui ont été régulièrement nommés pour cela et que,
précisément, les insurgés empêchent de le faire.
L’avenir des usurpateurs ne doit être que celui que leur destine la rigueur des lois. Devant le
malheur qui plane sur la patrie et la menace qui pèse sur la République, ayant pris l’avis officiel du
Conseil constitutionnel, du Premier Ministre, du Président du Sénat, du Président de l’Assemblée
Nationale, j’ai décidé de mettre en oeuvre l’article 16 de notre Constitution. À partir d’aujourd’hui,
je prendrai, au besoin directement, les mesures qui me paraîtront exigées par les circonstances. Par
là même, je m’affirme, pour aujourd’hui et pour demain, en la légitimité française et républicaine
que la nation m’a conférée, que je maintiendrai, quoi qu’il arrive jusqu’au terme de mon mandat ou
jusqu’à ce que me manquent, soit les forces, soit la vie, et dont je prendrai les moyens d’assurer
qu’elle demeure après moi.
Françaises, Français ! Voyez où risque d’aller la France par rapport à ce qu’elle était en train de
redevenir.
Françaises, Français ! Aidez-moi ! ».
Document n° 1b. De Gaulle, Ch., Conférence de presse du 31 janvier 1964
(extraits).
[...] Une Constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique. Pour ce qui est de la nôtre, son
esprit procède de la nécessité d'assurer aux pouvoirs publics l'efficacité, la stabilité et la
responsabilité, dont ils manquaient organiquement sous la Troisième et sous la Quatrième
République.
Sans doute, le déclenchement de la réforme, en 1958, a-t-il été déterminé par la secousse survenue à
Alger, étalant l'impuissance du régime d'alors à surmonter un drame où était en train de sombrer
notre unité nationale.
D'ailleurs, en 1940, dans des circonstances beaucoup plus tragiques encore, on avait déjà vu
abdiquer un régime semblable. Mais, même en dehors de ces brutales démonstrations, nul ne
doutait, et depuis longtemps, qu'un système, qui mettait le pouvoir à la discrétion des partis, végétait
dans les compromis, s'absorbait dans ses propres crises, était inapte à mener les affaires de notre
pays. C'est pourquoi l'esprit de la Constitution nouvelle consiste, tout en gardant un Parlement
législatif, à faire en sorte que le pouvoir ne soit plus la chose des partisans, mais qu'il procède
directement du peuple, ce qui implique que le chef de l'État, élu par la nation, en soit la source et le
détenteur. C'est ce qui fut réalisé au vu et au su de tout le monde quand je repris la direction des
affaires, puis quand j'assumai les fonctions de Président. C'est ce qui a été simplement précisé par le
dernier référendum. Il ne semble pas que, depuis qu'elle s'applique, cette conception ait été
méconnue par les responsables, ni rejetée par le peuple, ni infirmée par les événements.
Quant à la répartition des pouvoirs, elle a été observée suivant ce que prévoit notre Constitution.
Les rôles attribués respectivement : au Président, garant du destin de la France et de celui de la
République, chargé par conséquent de graves devoirs et disposant de droits étendus ; au
Gouvernement, nommé par le chef de l'État, siégeant autour de lui pour la détermination et la mise
en oeuvre de la politique et dirigeant l'administration ; au Parlement, exerçant le pouvoir législatif et
contrôlant l'action du ministère, ont été remplis ainsi que l'exigeaient la volonté du pays, les
conditions où nous nous trouvions, l'obligation de mener les affaires d'une manière active, ferme et
continue.
Il est vrai que, concurremment avec l'esprit et avec le texte, il y a eu la pratique. Celle-ci a
naturellement tenu pour une part aux hommes. Pour ce qui est du chef de l'État, il est bien évident
que son équation personnelle a compté et je doute que, dès l'origine, on ne s'y attendît pas. Quant
aux ministres et, d'abord, aux Premiers : successivement M. Michel Debré et M. Georges
Pompidou, ils ont agi avec une évidente efficacité, mais chacun à sa façon et qui n'était pas la
même. Enfin, le Parlement a imprimé à sa tâche et à son attitude un caractère différent, suivant que,
dans l'actuel régime, il ait vécu sa première ou sa deuxième législature. Il faut dire aussi que nos
institutions ont eu à jouer, depuis plus de cinq ans, dans des conditions très variables, y compris à
certains moments sous le coup de graves tentatives de subversion. Mais, justement, l'épreuve des
hommes et des circonstances a montré que l'instrument répond à son objet, non point seulement
pour ce qui concerne la marche ordinaire des affaires, mais encore en ce qui a trait aux situations
difficiles, auxquelles la Constitution actuelle offre, on l'a vu, les moyens de faire face : référendum,
article 16, dissolution de l'Assemblée nationale.
Sans doute, cette réussite tient-elle essentiellement à ceci que nos institutions nouvelles répondent
aux exigences de l'époque, autant qu'à la nature du peuple français et à ce qu'il souhaite réellement.
Cependant, certains, trouvant peut-être la mariée trop belle, suggèrent des changements qui, en fait,
bouleverseraient le système de fond en comble. C'est ainsi que quelques-uns préconisent un "
gouvernement de législature ". L'Assemblée nationale, quand elle aurait, une fois, donné sa
confiance au ministère, ne pourrait plus le renverser sans qu'il soit procédé à la dissolution
automatique. De cette façon, le chef de l'État - et c'est bien là, sans doute, le but essentiel du projet n'aurait pas à intervenir. Mais par là même, les partis auraient beau jeu de faire en sorte que la
désignation du Premier ministre et, au moment choisi par eux, son remplacement en souplesse, la
composition du cabinet, puis ses divisions provoquées du dehors ainsi que ses remaniements, la
politique adoptée en apparence, ensuite ses fluctuations, soient de nouveau les objets de leurs jeux
et de leurs combinaisons, tandis que leur savoir-faire éviterait à volonté qu'une crise en bonne et due
forme n'imposât la dissolution. Ainsi en reviendrait-on au régime d'assemblée.
D'autres, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, font profession d'accepter l'existence d'un chef
de l'État qui en soit un, mais à la condition que le Parlement soit, de son côté, érigé en citadelle
inexpugnable où les partis retrouveraient leur empire et leur sûreté. Ceux-là témoignent d’une
préférence, assez nouvelle de leur part, en faveur d'un régime qualifié de " présidentiel " et qui
serait analogue à celui des États-Unis. « Que le Président, disent-ils, soit élu par le peuple en même
temps que l'Assemblée nationale et assume en personne le pouvoir exécutif, mais que, d’autre part,
le Parlement exerce intégralement le pouvoir législatif. Surtout, que chacun des deux », strictement
enfermé dans son domaine, n’ait aucune prise sur l'autre : le Président ne pouvant dissoudre, ni le
Parlement renverser. " Ainsi, allèguent ces néophytes, le Gouvernement serait concentré entre les
mains d’un seul, ce qui obvierait aux inconvénients d'une autorité divisée entre un Président et un
Premier ministre, tandis que le Parlement, se trouvant intangible, voterait, ou non, les lois et le
budget comme il le jugerait bon.
On ne saurait méconnaître qu'une Constitution de cette sorte a pu, jusqu'à présent, fonctionner
cahin-caha aux États-Unis, c'est-à-dire dans un pays qui, en raison de sa composition ethnique, de
ses richesses économiques, de sa situation géographique, n'a connu aucune invasion, ni même,
depuis un siècle, aucune révolution ; dans un pays qui comprend deux partis politiques seulement,
lesquels ne sont opposés par rien d'essentiel dans aucun domaine : national, social, moral ou
international ; dans un pays fédéral, enfin, où le Gouvernement n'assume que les tâches générales :
défense, diplomatie, finances, tandis qu'il appartient aux cinquante États de l'Union de pourvoir à
tout le reste. Mais comment ce régime conviendrait-il à la nation française, très fortement
centralisée par le long effort des siècles, victime de toutes les secousses intérieures et extérieures
depuis sept générations, toujours exposée à en subir d'autres, et où les multiples partis politiques, à
l'exception de celui qui pousse au bouleversement, sont divisés et inconsistants ?
Tout d'abord, parce que la France est ce qu'elle est, il ne faut pas que le Président soit élu
simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérerait
le caractère et abrégerait la durée de sa fonction de chef de l'État. D'autre part, il est normal chez
nous que le Président de la République et le Premier ministre ne soient pas un seul et même homme.
Certes, on ne saurait accepter qu'une dyarchie existât au sommet.
Mais, justement, il n'en est rien. En effet, le Président, qui, suivant notre Constitution, est l'homme
de la nation, mis en place par elle-même pour répondre de son destin ; le Président, qui choisit le
Premier ministre, qui le nomme ainsi que les autres membres du Gouvernement, qui a la faculté de
le changer, soit parce que se trouve achevée la tâche qu'il lui destinait et qu'il veuille s'en faire une
réserve en vue d'une phase ultérieure, soit parce qu'il ne l'approuverait plus ; le Président, qui arrête
les décisions prises dans les Conseils, promulgue les lois, négocie et signe les traités, décrète ou non
les mesures qui lui sont proposées, est le chef des armées, nomme aux emplois publics ; le
Président, qui, en cas de péril, doit prendre sur lui de faire tout ce qu'il faut ; le Président est
évidemment seul à détenir et à déléguer l'autorité de l'État. Mais, précisément, la nature, l'étendue,
la durée de sa tâche impliquent qu'il ne soit pas absorbé, sans relâche et sans limite, par la
conjoncture, politique, parlementaire, économique et administrative. Au contraire, c'est là le lot,
aussi complexe et méritoire qu'essentiel, du Premier ministre français.
Certes, il ne saurait y avoir de séparation étanche entre les deux plans, dans lesquels, d'une part le
Président, d'autre part celui qui le seconde, exercent quotidiennement leurs attributions. D'ailleurs,
les Conseils et les entretiens sont là pour permettre au chef de l'État de définir à mesure l'orientation
de la politique nationale et aux membres du Gouvernement, à commencer par le Premier, de faire
connaître leurs points de vue, de préciser leur action, de rendre compte de l'exécution. Parfois, les
deux plans sont confondus quand il s'agit d'un sujet dont l'importance engage tout et, dans ce cas, le
Président procède à la répartition comme il le juge nécessaire. Mais, s'il doit être évidemment
entendu que l'autorité indivisible de l'État est confiée tout entière au Président par le peuple qui l'a
élu, qu'il n'en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire qui ne soit
conférée et maintenue par lui, enfin qu'il lui appartient d'ajuster le domaine suprême qui lui est
propre avec ceux dont il attribue la gestion à d'autres, tout commande, dans les temps ordinaires, de
maintenir la distinction entre la fonction et le champ d'action du chef de l'État et ceux du Premier
ministre.
Pourtant, objectent parfois ceux qui ne se sont pas encore défaits de la conception de jadis, le
Gouvernement, qui est celui du Président, est en même temps responsable devant le Parlement.
Comment concilier cela ? Répondons que le peuple souverain, en élisant le Président, l'investit de sa
confiance. C'est là, d'ailleurs, le fond des choses et l'essentiel du changement accompli. De ce fait,
le Gouvernement, nommé par le chef de l'État et dont au surplus les membres ne peuvent être des
parlementaires, n'est plus du tout, vis-à-vis des chambres, ce qu'il était à l'époque où il ne procédait
que de combinaisons de groupes. Aussi, les rapports entre le ministère et le Parlement, tels qu'ils
sont réglés par la Constitution, ne prévoient la censure que dans des conditions qui donnent à cette
rupture un caractère d'extraordinaire gravité. En ce cas extrême, le Président, qui a la charge
d'assurer la continuité de l'État, a aussi les moyens de le faire, puisqu'il peut recourir à la nation
pour la faire juge du litige par voie de nouvelles élections, ou par celle du référendum, ou par les
deux. Ainsi, y a-t-il toujours une issue démocratique. Au contraire, si nous adoptions le système
américain, il n'y en aurait aucune. Dans un pays comme le nôtre, le fait que le chef de l'État serait
aussi Premier ministre et l'impossibilité où il se trouverait, dans l'hypothèse d'une obstruction
législative et budgétaire, de s'en remettre aux électeurs, alors que le Parlement ne pourrait le
renverser lui-même, aboutirait fatalement à une opposition chronique entre deux pouvoirs
intangibles.
Il en résulterait, ou bien la paralysie générale, ou bien des situations qui ne seraient tranchées que
par des pronunciamientos, ou bien, enfin, la résignation d'un Président mal assuré qui, sous prétexte
d'éviter le pire, choisirait de s'y abandonner, en se pliant, comme autrefois, aux volontés des
partisans. On peut penser que c'est cette troisième hypothèse que caressent le plus volontiers les
champions imprévus du " régime présidentiel ".
Notre Constitution est bonne. Elle a fait ses preuves depuis plus de cinq années, aussi bien dans des
moments menaçants pour la République qu'en des périodes de tranquillité. Sans doute, d'autres
circonstances et d'autres hommes donneront-ils plus tard à son application un tour, un style, plus ou
moins différents. Sans doute, l'évolution de la société française nous amènera-t-elle, en notre temps
de progrès, de développement et de planification, à reconsidérer l'une de ses dispositions. Je veux
parler de celle qui concerne le rôle et la composition du Conseil économique et social. Mais, en
dehors de cette précision, qui ne bouleversera pas l'économie de la Constitution, gardons celle-ci
telle qu'elle est. Assurément, on s'explique que ne s'en accommodent volontiers ni les nostalgiques,
avoués ou non, de la confusion de naguère, ni cette entreprise qui vise au régime totalitaire et qui
voudrait créer chez nous un trouble politique d'où sa dictature sortirait. Mais le pays, lui, a choisi et
je crois, pour ma part, qu'il l'a fait définitivement. […]
Document n° 2. F. Mitterrand, Le coup d’Etat permanent, coll.10/18, 1965,
pp.108-109. (extrait)
[…] Nous sommes loin du patelin discours de M. Michel Debré au Conseil d’Etat, le 27 août 1958 :
«Le président de la République, comme il se doit (ah! ce comme il se doit!), n'a pas d'autre pouvoir
que de solliciter d'un autre pouvoir : il sollicite le Parlement, il sollicite le Conseil constitutionnel, il
sollicite le suffrage universel.» La mutation est complète. De Gaulle a cessé de solliciter. Il prend.
(…) Quand celui-ci proposa, par référendum, en dépit de l'article 89 qui détermine les modalités de
la révision constitutionnelle, l'élection du président de la République au suffrage universel, les
adversaires de cette réforme se trompèrent généralement de cible soit en s'attardant à une querelle
de procédure, soit en dénonçant le plébiscite, soit en redoutant l'instauration d'une démocratie
directe. Ils étaient loin de compte. En réalité de Gaulle préparait le virage décisif d'un régime qui
n'était déjà plus parlementaire mais qui n'était pas encore délivré des embarras propres à ce système.
J'admire la sûreté de la méthode qui a permis au chef de l'Etat, de retouche en retouche, et sans crise
grave, de construire son pouvoir absolu sur des institutions faites apparemment pour l'empêcher.
L'élection du président de la République au suffrage universel, acceptable en soi, n'avait pas d'autre
but que de parachever la lente dénaturation des institutions politiques qui régissent la France. Pour
l'édification des braves gens qui crurent sauver la République en plébiscitant de Gaulle je veux
dérouler le film du coup d’Etat permanent qui s'accomplit sous leurs yeux avec une incomparable
maîtrise et un parfait mépris des lois. [...]
Document n° 3a. Gaudemet, Y., « Le président de la République est tenu de
signer », Le Monde, 18 avril 1986.
« ‘Le Président de la République signe les décrets et ordonnances délibérés en conseil des ministres’
(article 13C). La question est aujourd’hui posée de savoir si ce texte fait obligation au président de
signer les ordonnances ou bien si, au contraire, celui-ci reste libre de sa signature et peut la refuser
pour des motifs qui tiennent au contenu du texte. Précisément parce que la question est difficile et
qu’elle est nouvelle, elle mérite mieux que l’affirmation et le fait accompli. C’est dans cet esprit
qu’on avance ici l’opinion que le président de la République est tenu de signer les ordonnances
délibérées en Conseil des ministres, quelle que soit son opinion propre, sur le contenu ou les vertus
du texte qui lui est présenté.
Quelles sont les considérations qui conduisent à se prononcer en ce sens ?
La plus déterminante n’est sans doute pas celle déjà mise en avant par certains : on a fait valoir que
l’article 13 de la Constitution était rédigé à l’indicatif présent et que, dans le langage juridique,
l’emploi de ce mode et de ce temps est équivalent à l’impératif. En disposant que le président signe
les ordonnances, le texte crée une compétence liée, une obligation de la fonction dont son titulaire
n’est pas libre de ne pas l’exercer. L’observation n’est pas négligeable, mais on concédera bien
volontiers que, dans un débat de ce type, les arguments de rédaction peuvent éclairer ou guider ; ils
sont rarement déterminants. Il faut donc ouvrir la discussion au fond. L’article 13 de la Constitution
indique que les ordonnances sont ‘délibérées’ en conseil des ministres avant de recevoir la signature
du président. Selon l’article 19, elles sont ensuite contresignées par le Premier ministre et les
ministres responsables. La signature présidentielle est précédée d’une délibération en conseil des
ministres et suivie de contreseings. Or on raisonne comme si dans cet ensemble, le seing
présidentiel constituait l’élément juridique et politique déterminant. Ce qui ne paraît pas exact.
Sur le plan juridique, l’adoption du texte résulte de la délibération du conseil des ministres. Jusqu’à
présent, délibération et signature ont été confondues dans l’analyse, alors qu’elles sont distinguées
dans le texte de l’article 13 ; c’est qu’aucun conflit ne pouvait naître entre elles. Dans un contexte
différent, il faut revenir à la lettre du texte et faire la distinction qu’il comporte. La ‘délibération’ du
conseil des ministres est d’ailleurs prévue également pour les projets de loi avant dépôt au
Parlement ; et on admet bien aujourd’hui qu’elle ne se réduit pas alors à une décision du président
de la République, président de ce conseil.
Sur le plan politique, ensuite, les contreseings du Premier ministre et des ministres responsables
transfèrent à ceux-ci la responsabilité de l’acte. Entre la perfection juridique de l’ordonnance par la
délibération du conseil et la sanction politique du contreseing, la signature présidentielle n’apparaît
que comme une forme d’authentification de l’acte par le président de la République qui préside le
conseil au sein duquel celui-ci a délibéré. On admet volontiers qu’en raisonnant ainsi, on ne fait pas
disparaître la difficulté, on la déplace. Si l’adoption d’une ordonnance résulte de la délibération du
conseil des ministres, non de sa signature, de quoi est faite cette délibération ? C’est ici, et non pas
dans la signature de l’acte, que les prérogatives présidentielles pourraient chercher à s’exercer :
dans la détermination de l’ordre du jour du conseil des ministres d’abord ; dans la conduite des
délibérations ensuite, puisque le président préside ce conseil. Ce qui pose la question d’une sorte de
‘règlement intérieur’ du conseil des ministres adapté à ces temps de cohabitation. L’argumentaire
pris du dispositif de l’article 13 doit être replacé dans un contexte institutionnel plus vaste. Il est
surprenant à cet égard que certains aient pu présenter le ‘veto’ présidentiel en matière d’ordonnance
comme justifié par le souci de sauvegarder les droits du Parlement auxquels la procédure des
ordonnances porterait atteinte. Faut-il rappeler que, contrairement aux décrets-lois de la IVe
République, les ordonnances ont désormais un statut constitutionnel ? Elles résultent d’une loi
d’habilitation votée par le Parlement, à qui elles sont ensuite soumises pour ratification.
Le titre V de la constitution comporte en matière législative une double habilitation : celle, normale
et permanente, de l’article 34 ; celle, spéciale et temporaire, de l’article 38. Dans l’un et l’autre cas,
il s’agit de faire la loi et, dans le cas de l’article 38, si celle-ci est faite temporairement par le
gouvernement (ce qui entraîne l’application du régime de l’acte réglementaire), c’est parce que le
Parlement l’a voulu par la loi d’habilitation et dans les limites de cette loi. En s’opposant aux
ordonnances, le président de la République ne s’opposerait pas tant au gouvernement, rédacteur de
ces textes, qu’à la volonté du Parlement, exprimée par la loi d’habilitation, de voir le gouvernement
intervenir, pour une période limitée, dans un domaine qui est celui de la loi. La procédure des
ordonnances est une affaire entre le Parlement et le gouvernement. Le président de la République
n’a d’autres pouvoirs à cet égard que ceux que lui confère sa qualité de président du conseil des
ministres, puisque les ordonnances y sont délibérées. Mais cette délibération ne peut être ramenée à
la seule décision du président ; et moins encore le seing présidentiel présenté comme comportant
une faculté d’empêcher ».
Document n° 3b. Robert, J., « M. Mitterrand peut refuser de signer », Le Monde,
18 avril 1986 (extraits).
« […] Le président de la République a-t-il, oui ou non, le droit de refuser de signer des ordonnances
prises en exécution d’une loi d’habilitation votée par le Parlement ?
À l’évidence, la réponse est oui. Aucun des arguments avancés par les tenants d’une réponse
négative ne peuvent être retenus.
En premier lieu, l’indicatif utilisé par l’article 13 de la Constitution […] ne vaut nullement
obligation. Le général de Gaulle, qui était orfèvre en la matière, en a fait naguère une spectaculaire
démonstration en refusant, en 1960, de réunir le Parlement en session extraordinaire sur des
problèmes agricoles, alors pourtant que la demande lui en avait été faite par la majorité des
membres composant l’Assemblée et que l’article 29 de la constitution emploie bien l’indicatif (‘Le
Parlement est réuni en session extraordinaire’). Par ailleurs, il n’y a nullement analogie de
procédure entre l’exercice du pouvoir réglementaire par le premier ministre, qui aux termes de
l’article 21 de notre Charte, est, lui, tenu d’assurer l’exécution des lois, et le pouvoir accordé par
l’article 13 au chef de l’État de signer des ordonnances. Les deux compétences sont totalement
distinctes et se déploient selon des modalités différentes. La compétence du premier ministre est
liée9 ; celle du président de la République est discrétionnaire.
Pas davantage n’y a-t-il contradiction dans l’attitude d’un président de la République qui, ayant
promulgué une loi d’habilitation, (il y est d’ailleurs obligé), refuserait de signer une ordonnance s’il
l’estimait contraire soit aux stipulations précises de la loi d’habilitation elle-même, soit aux droits et
libertés définis par la déclaration de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946 sur lesquels –
le président l’a rappelé dans son message au Parlement – la Constitution (article 5) lui fait un devoir
de veiller. On ajoutera enfin que l’absence de délai fixé pour la signature des ordonnances (à la
différence de ce qui se passe pour la loi) montre bien que le président a toute liberté pour signer
immédiatement, ou différer sa signature, ou ne point la donner du tout […].
Reste le problème politique. Et là, on comprend parfaitement que les Français ne comprennent
plus…
Certes, il est, dans un premier temps, aisé de saisir que ne serait guère adroit un premier ministre
qui viendrait à présenter à la signature du chef de l’État des ordonnances dont il saurait parfaitement
que ce dernier ne veut pas. Mais il peut y être acculé par la fidélité à un programme dont son
électorat attend à juste titre la réalisation. Le président ne signe pas ?
Qu’importe ! On tournera sa résistance par le dépôt d’un projet de loi ou, mieux, d’une proposition
de loi. M. Valéry Giscard d’Estaing l’a clairement dit à la tribune de l’Assemblée. Et il a sur ce
point raison. Mais la loi – on le sait – relève du Conseil constitutionnel. Or c’est précisément son
intervention que l’on veut éviter en allant même jusqu’à utiliser l’ordonnance dans des cas où il
faudrait une loi organique… Si tout ce détour par l’ordonnance doit finalement, devant l’hostilité ou
l’inertie présidentielle, aboutir à un retour obligé devant le Parlement, dans les pires conditions
politiques, à quoi bon ?
Faut-il que la majorité parlementaire soit jugée fragile ou versatile et le Conseil constitutionnel,
dissuasif, pour que, malgré les embûches et les incertitudes, on souhaite si ardemment éviter
d’éprouver trop la première et contourner, si malicieusement, le second !… ».
Document n° 4. Massot, J., L’arbitre et le capitaine. Essai sur la responsabilité
présidentielle, Flammarion, coll. « Champs-Flammarion », 1987, pp. 111-112.
Survivances historiques et honorifiques
« Il s’agit d’abord des honneurs au sens étroit du terme : c’est le président de la République qui
nomme par décret tous les membres des deux ordres nationaux, ordre national de la Légion
d’honneur et ordre national du Mérite, et qui signe les promotions aux divers grades.
C’est lui également qui peut autoriser le port de décorations étrangères. Cependant, ces ‘décisions’
ne sont pas dispensées du contreseing et le président suit en fait les propositions des divers
ministères à l’intérieur des contingents qu’il leur a attribués. Il n’exerce de choix véritable qu’à
l’intérieur du ‘contingent’ qu’il s’est réservé lors de la répartition qu’il effectue tous les trois ans
(article R 14 du code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire).
Mais ces décisions véritablement présidentielles n’apparaissent pas comme telles : elles sont, lors
des nominations , intégrées dans les ‘contingents’ relevant des divers ministères.
La réception dans l’ordre de la Légion d’honneur, comme dans celui du Mérite, se fait ‘au nom du
président de la République’.
Signalons également que le président de la République reste, comme le roi de l’Ancien Régime, le
protecteur de l’Académie française. Il en résulte simplement aujourd’hui qu’il lui appartient
d’approuver l’élection des nouveaux ‘immortels’. Cette approbation prend d’ailleurs une forme
assez exceptionnelle dans notre droit, traditionnellement écrit : elle résulte implicitement de
l’audience que le président accorde au nouvel élu.
Rappelons pour terminer par une note pittoresque que, si le président de la République n’exerce
plus sa prérogative de chanoine honoraire de l’église Saint-Germain-des-Prés, le président Giscard
d’Estaing a, le 26 octobre 1978, pris possession de sa charge de chanoine honoraire de la basilique
Saint-Jean-de-Latran de Rome dont les chefs d’État français sont titulaires depuis Henri IV. Avant
lui, le 28 juin 1959, le général de Gaulle avait sacrifié à cette tradition ».
Document n° 5. « Entretien avec François Mitterrand », Pouvoirs,n° 45, 1988,
pp. 131-139 (extraits).
[Le Président de la République a accepté de s’entretenir avant la fin de son septennat avec Olivier
Duhamel sur les problèmes institutionnels français. Ces entretiens se sont achevés le 7 mars 1988,
c’est-à-dire avant que le Président de la République fasse part de sa décision concernant sa
candidature à l’élection présidentielle de 1988].
Question. – Vous avez été élu Président de la République au terme de près d’un quart de siècle
d’opposition durant la Ve République. Ce que vous saviez et ce que vous imaginiez de la réalité du
pouvoir présidentiel a-t-il été confirmé ? Quelles ont-été vos surprises ?
François Mitterrand. – Non, je n’ai pas été surpris. Le Président de la République, qui ne faisait
pas tout, pouvait tout faire. Rien d’étonnant si le régime, demeuré parlementaire dans son principe,
ne trouvait pas son équilibre. Je savais en arrivant à l’Élysée que la recherche de cet équilibre serait
l’une de mes tâches principales. J’ai réduit peu à peu l’envahissement quotidien de dossiers qui
n’avaient pas à remonter à la présidence. Ce n’était que le début d’une remise en ordre qui continue
de me paraître nécessaire […].
Question. – Au lendemain de la victoire de la droite, vous avez appelé Jacques Chirac pour former
un nouveau gouvernement. Au regard des prérogatives présidentielles, le choix du président du
principal parti de la nouvelle majorité ne crée-t-il pas un précédent discutable ?
François Mitterrand. – Je me suis posé la question. Mais ce choix, c’était la sagesse, on le voit
aujourd’hui. Il eût mieux valu que M. Chirac se démît de ses fonctions de chef de parti. On fait avec
ce qu’on a.
Question. – Et la constitution d’un gouvernement composé des dirigeants des principaux partis
n’est-elle pas dans la tradition de la IVe République plus que dans celle de la Ve ?
François Mitterrand. – Vous avez raison. En rappelant dans son gouvernement des dirigeants de
formations politiques décidés à le rester, le Premier ministre est retourné aux plus fâcheuses
habitudes de la IVe République. Je l’avais pourtant, et avec insistance, alerté. Il lui était difficile,
sans doute, d’interdire aux autres ce qu’il se permettait à lui-même. Ce n’est pas à recommencer.
Question. – Quels ont-été les développements de la cohabitation les plus inattendus ?
François Mitterrand. – De mon point de vue, rien. Tout était prévisible. À la limite, me reportant à
votre précédente question, je dirai que je ne pensais pas que les dirigeants de la nouvelle majorité
répéteraient aussi vite les erreurs de la IVe République. C’était sans doute leur pente naturelle. Ce
n’est pas la mienne.
Question. – Depuis le 16 mars 1986, la pratique des institutions s’est-elle déroulée conformément à
vos voeux ? Sur quels points ne vous a-t-elle pas satisfait ?
François Mitterrand. – J’ai dû arrêter les tentatives de débordements que vous avez pu constater
dans les domaines de la politique extérieure et de la Défense. Cela s’est réglé assez vite et sur la
politique européenne, et sur la stratégie de dissuasion, et sur la politique à l’égard du Tiers Monde,
et sur l’Amérique centrale, et sur l’Apartheid, et sur le désarmement nucléaire, etc. Quant aux
relations entre le Gouvernement et le Parlement, je les aurais aimées plus respectueuses des droits
de ce dernier. Au moment où s’achève cette période, la fonction présidentielle reste intacte et
conforme à la Constitution.
Question. – Pourquoi avez-vous accepté en certains domaines un repli présidentiel vous cantonnant
parfois en deçà de vos prérogatives constitutionnelles ? Je pense par exemple aux nominations de
hauts fonctionnaires…
François Mitterrand. – En deçà, non. J’ai maintenu ce qui devait l’être. Mais j’ai laissé le
gouvernement gouverner, ce qui était aussi mon devoir.
Question. – La cohabitation s’est finalement déroulée sans crise. Le Premier ministre aurait
cependant pu la déclencher, par exemple en juillet 1986 lorsque vous avez refusé de signer les
ordonnances sur la privatisation. Qu’auriez-vous fait s’il avait démissionné ?
François Mitterrand. – Je l’aurais remplacé.
Question. – Comment auriez-vous pu assurer la survie d’un nouveau gouvernement ?
François Mitterrand. – Renverser un gouvernement exige la majorité absolue des députés. Ce
n’est jamais acquis d’avance. Mais si cela était arrivé, j’aurais remplacé le gouvernement censuré.
Et si celui-ci avait été à son tour battu, j’aurais dissous l’Assemblée nationale. En aucune
circonstance je n’aurais quitté mes fonctions.
Question. – Quelles seront les principales traces laissées par la cohabitation (ou, si vous préférez –
mais pourquoi préférez-vous ce terme ? –, la coexistence institutionnelle) ?
François Mitterrand. – Je préfère cette dernière expression parce qu’elle souligne que la situation
ainsi créée n’a pas résulté de ma volonté personnelle mais du seul souci que j’avais de respecter la
Constitution, c’est-à-dire la loi commune. La trace qu’elle laissera sera profonde. Chacun des
pouvoirs sait désormais qu’il existe et voudra exercer sa pleine compétence, y compris lorsque
majorité parlementaire et majorité présidentielle coïncideront de nouveau.
Question. – Lorsque vous parlez d’un nouvel équilibre des pouvoirs, qu’entendez-vous exactement
dans le partage du pouvoir entre le Président et le Premier Ministre ?
François Mitterrand. – Le Président de la République exerce à la fois une fonction d’autorité,
notamment dans les domaines désignés par l’article 5 de la Constitution, et une fonction d’arbitrage,
de conciliation, de conseil en de multiples circonstances. Sa fonction d’autorité ne peut se substituer
à celle du Gouvernement, et le Gouvernement, de son côté, doit se garder d’empiéter sur la fonction
présidentielle. Mais la Constitution est là-dessus rédigée de façon très confuse. Témoin l’ambiguïté
de l’article 5 et de l’article 20. La République aurait beaucoup à gagner à une répartition claire des
tâches, à une détermination plus précise des frontières au sein du pouvoir exécutif. Je trouverais
excellent que le peuple, consulté, en décidât.
Question. – Le Président doit-il pouvoir révoquer le Premier Ministre ?
François Mitterrand. – Le Premier Ministre, qui met en oeuvre la politique de la majorité
parlementaire, ne peut être révoqué que par elle.
Université Paris 8
Droit constitutionnel – Ve République
(Semestre 2)
Professeur : Jean-Louis Iten
Séance de travaux dirigés n° 5 : Le Premier Ministre et le Gouvernement
Document n° 1a. De Gaulle, Ch., Conférence de presse du 31 janvier 1964
(extraits) ; 1 b. Pompidou, G., Intervention à l’Assemblée Nationale, 24 avril
1964 (extraits).
Document n° 2. Duhamel, O., « Cinq innovations de l’alternance », Le Monde, 26
mars 1986 (extraits).
Document n° 3. Ardant, Ph., Le Premier Ministre en France, Montchrestien, coll.
« Clefs », 1991, pp. 109-112 (extraits).
Document n° 4. Claisse, A., « Membre du gouvernement », dans Y. Mény, O.
Duhamel, dir., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, pp. 629-632 (extraits).
Document n° 5. Documents relatifs à l’article 8 de la Constitution du 4 octobre
1958, prés. par D. Maus, Les grands textes de la pratique institutionnelle de la Ve
République, La documentation française, 1995, pp. 71-74 (extraits).
Document n° 6. Bonte, B., Dans le secret du Conseil des ministres : enquête sur les
coulisses du salon Murat, du général de Gaulle à Nicolas Sarkozy, Éditions du
moment, 2011, pp. 179-182 (extraits).
Dissertation : Les ministres sont-ils des justiciables comme les autres ?
Document n° 1a. De Gaulle, Ch., Conférence de presse du 31 janvier 1964
(extraits).
« […] Le Président est évidemment seul à détenir et à déléguer l’autorité de l’État. Mais
précisément, la nature, la durée de sa tâche, impliquent qu’il ne soit pas absorbé, sans relâche et
sans limite, par la conjoncture politique, parlementaire, économique et administrative. Au contraire,
c’est là le lot, aussi complexe et méritoire qu’essentiel, du Premier ministre français.
Certes, il ne saurait y avoir de séparation étanche entre les deux plans, dans lesquels, d’une part le
président, d’autre part celui qui le seconde, exercent quotidiennement leurs attributions. D’ailleurs,
les Conseils et les entretiens sont là pour permettre au chef de l’État de définir à mesure
l’orientation de la politique nationale et aux membres du gouvernement, à commencer par le
Premier, de faire connaître leurs points de vue, de préciser leur action, de rendre compte de
l’exécution. Parfois, les deux plans sont confondus quand il s’agit d’un sujet dont l’importance
engage tout et, dans ce cas, le président procède à la répartition comme il le juge nécessaire. Mais
[…] tout commande, dans les temps ordinaires, de maintenir la distinction entre la fonction et le
champ d’action du chef de l’État et ceux du Premier ministre […].
Document n° 1b. Pompidou, G., Intervention à l’Assemblée nationale, 24 avril
1964 (extraits).
« […] Assurément, il n’est pas dans mes habitudes d’étaler au grand jour les délibérations, les
discussions, voire les désaccords qui précèdent les décisions importantes du pouvoir exécutif. Mais
je puis vous assurer qu’aucune de ces décisions n’est prise sans qu’il en ait été délibéré longuement
entre le chef de l’État et le Premier ministre d’abord, avec les ministres compétents ensuite, et avec
le Gouvernement dans son ensemble, enfin. Et lorsque ces décisions interviennent, ces décisions
sont celles du pouvoir exécutif tout entier et, par conséquent, du gouvernement qui en prend
solidairement l’entière responsabilité ».
Document n° 2. Duhamel, O., « Cinq innovations de l’alternance », Le Monde, 26
mars 1986 (extraits).
« L’alternance parlementaire vient d’intervenir comme prévu. Elle a aussitôt donné lieu à la
fabrication du premier gouvernement de cohabitation. Cette toute première phase a d’ores et déjà
apporté cinq innovations à la pratique constitutionnelle de la Cinquième République.
1. LE CHOIX COMME PREMIER MINISTRE DU CHEF DU PARTI MAJORITAIRE
DANS LA NOUVELLE MAJORITÉ
Jusqu’à présent, les élections à l’Assemblée nationale avaient donné lieu à un changement du
gouvernement, mais non du Premier ministre. En 1962, le gouvernement Pompidou II succède au
gouvernement Pompidou I. En 1967, Pompidou IV à Pompidou III. En 1973, Messmer II à
Messmer I. En 1978, Barre III à Barre II. En 1981, Mauroy II à Mauroy I.
En ne changeant pas de Premier ministre, les présidents attestaient le caractère secondaire des
élections législatives – pourvu que la majorité présidentielle soit victorieuse. Et l’exception de 1968
venait précisément sanctionner l’importance trop grande prise par Georges Pompidou.
Pour le reste, l’arrivée d’un nouveau titulaire à Matignon se faisait précisément hors des
législatives, afin de bien marquer combien il devait être tenu pour une créature du Président.
L’alternance parlementaire impose évidemment le changement. Mais la courte victoire de
l’opposition d’hier et le fait qu’elle compte deux partis (ou plutôt un parti, le RPR, et une nébuleuse
à fractions variables, l’UDF) laissaient au Président une certaine liberté pour exercer son pouvoir
constitutionnel de nomination du Premier ministre. M. François Mitterrand a néanmoins choisi
M. Jacques Chirac comme en 1978 M. Valéry Giscard d’Estaing eût choisi François Mitterrand en
cas de victoire de la gauche. Ce faisant, le Président indique qu’il respecte scrupuleusement le
résultat du scrutin et désire une cohabitation un tant soit peu durable. Car elle a évidemment plus de
chances de durer si le parti structuré de la nouvelle majorité parlementaire voit son chef au pouvoir.
2. LA DÉSIGNATION DU PREMIER MINISTRE EN DEUX TEMPS
D’emblée, le Chef de l’État a voulu préserver ses prérogatives constitutionnelles. Pour ce faire, il a
imposé à M. Jacques Chirac un petit écart par rapport à la lettre de l’article 8. Celui-ci prévoit
d’abord, en son alinéa premier, la nomination du Premier ministre par le Président de la République,
puis, en son alinéa 2, la nomination des ministres par le président et sur proposition du Premier
ministre.
On aurait donc pu penser que, le mardi 18 mars, M. Mitterrand nommerait M. Chirac, le
gouvernement étant, lui, constitué un ou deux jours plus tard. Tel ne fut pas le cas. M. Jacques
Chirac n’a pas été nommé le 18 mars, mais ‘appelé pour procéder à un tour d’horizon au sujet de la
formation du gouvernement’. Cette formule sans précédent sous la Ve République permettait au
chef de l’État de subordonner la nomination effective de M. Chirac au caractère acceptable du
Gouvernement qu’il proposerait. Elle préservait une marge de négociation pour le président,
assortie de la menace de recours à un autre homme – ou à une femme – en cas d’exigences
chiraquiennes excessives.
3. L’INVERSION DE LA DYARCHIE DANS LA FABRICATION DU GOUVERNEMENT
Tous les gouvernements de la Ve République sont le produit d’une dyarchie puisque deux hommes
concourent à les former : le Président, qui choisit le Premier ministre et nomme les ministres ; le
Premier ministre, qui propose les ministres et contresigne leur nomination. Ces vingt-sept dernières
années, la dyarchie était inégalitaire au profit du Président, puisque la toute-puissance de la majorité
présidentielle faisait du Premier ministre l’obligé du Président.
L’hôte de Matignon ne disposait guère que d’une sorte de veto pour écarter quelques-uns de ses
ennemis, et de quelques postes concédés, pour placer ses meilleurs amis. L’alternance parlementaire
inverse la dyarchie. Le président ne fait plus le gouvernement. Il ne peut même pas y laisser
quelques proches. Ne lui reste qu’un veto sur les postes touchant des domaines dans lesquels la
Constitution lui confie des prérogatives – politique étrangère et défense, comme chacun sait,
libertés, y a ajouté M. François Mitterrand dans son allocution du 17 mars au soir, se souvenant
qu’il ‘assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics’ (article 5C) et qu’il ‘est garant de
l’indépendance de l’autorité judiciaire (article 64C). Ainsi récusera-t-il M. Lecanuet aux affaires
étrangères, M. Léotard à la défense, M. Dailly à la justice. Mais il acceptera M. Pasqua à l’intérieur,
malgré les risques d’affrontement sur les libertés. Parce qu’on sort ici du domaine privilégié du
président, et peut-être aussi parce que le président du groupe RPR au Sénat est plus proche du
nouveau Premier ministre que les UDF précédemment cités.
4. UNE TRANSPARENCE INHABITUELLE DANS LE CHOIX DES MINISTRES
Les quelque quinze millions de Françaises et de Français âgés de dix-huit à trente-quatre ans, et qui
n’ont donc connu la formation des gouvernements que sous la Ve République, ont dû, ne serait-ce
qu’un instant, se demander si nous ne changions pas de République en voyant le mardi 18 mars,
M. Chirac recevoir M. Jacques Chaban-Delmas, puis les élus RPR, puis négocier avec M. Jean
Lecanuet, président de l’UDF, M. François Léotard, président du PR, M. Jean-Claude Gaudin,
président du groupe UDF, M. Pierre Méhaignerie, président du CDS, M. André Rossinot, président
du Parti radical. Ils ont dû être confirmés dans leur impression en entendant M. Lecanuet, amer, dire
le 19 mars qu’il n’acceptait aucune consolation. Ont-ils suivi les détails jusqu’au bout pour
apprendre de M. François Léotard le 23 mars à ‘7 sur 7’ qu’il avait lui-même, en tant que chef de
parti, demandé que le ministère de la Culture soit élargi à la communication et lui soit attribué ? Ou,
quelques minutes plus tard, M. Chaban-Delmas confier au journal TF1 qu’il avait refusé les affaires
étrangères et la défense ?
Le nouveau n’est pas que ce genre de négociations ait lieu, mais qu’il s’affiche. Il fallut attendre le
colloque Pompidou, organisé en novembre 1983 par la Fondation nationale des Sciences politiques,
pour apprendre de M. Jacques Rigaud que M. Michel Debré avait dû, en 1969, renoncer aux affaires
étrangères, parce que M. Jacques Duhamel en avait fait un cas de non-participation des centristes au
gouvernement, ou de M. Pierre Messmer qu’au lendemain des législatives de 1973, il avait proposé
sans succès à M. Jean Lecanuet l’entrée des réformateurs dans le gouvernement. En mars 1986,
M. Jacques Chirac a laissé faire ces choses sous l’oeil de la caméra. La transparence y gagne, mais
l’image de chef décidé du nouveau Premier ministre y a peut-être perdu.
5. LE GOUVERNEMENT DÉTERMINE ET CONDUIT LA POLITIQUE DE LA NATION
La première déclaration du Premier ministre de la cohabitation invoque explicitement l’article 20 de
la Constitution, relégué au musée des textes inappliqués par vingt-sept ans de pratique
présidentialiste. Il lui associe un résumé très directorial de l’article 21 en parlant de ‘gouvernement
dirigé par le Premier ministre’, alors que la Constitution dit plus modestement qu’il ‘dirige l’action
du Gouvernement’. Et, pour que tous les nouveaux députés comprennent, il ajoute le recours
immédiat aux ordonnances. Bref, la fermeté du premier discours et des premières mesures vient
compenser les atermoiements (volontaires) de la fabrication du gouvernement.
Cette affirmation de la prééminence du Premier ministre et de son Gouvernement vise, à l’évidence,
la nouvelle majorité parlementaire, trop courte et trop divisée pour être sûre. Elle vise aussi le Chef
de l’État, trop grand stratège pour ne pas susciter la méfiance des nouveaux gouvernants.
Mais ici l’étonnant est que le président semble admettre parfaitement cette nouvelle répartition du
pouvoir. Mieux, qu’il tient à la souligner lui-même, aux antipodes du quinquennat socialiste. Qu’il
soit clair qu’il assumait la responsabilité de tout ce qui était fait entre mai 1981 et mars 1988. Qu’il
soit clair, hors les affaires étrangères, la défense et les libertés, il n’assume plus la responsabilité de
rien. Aussi accepte-t-il sans difficulté la tenue d’un conseil de cabinet à Matignon avant le conseil
des ministres. Aussi refuse-t-il qu’une photo officielle soit prise, puisque le nouveau gouvernement,
s’il est évidemment celui de la France, n’est plus du tout celui du président. Où la dyarchie se
désarticule… Dans un premier temps, la cohabitation en sera facilitée. En attendant le jour du
bilan ».
Document n° 3. Ardant, Ph., Le Premier Ministre en France, Montchrestien, coll.
« Clefs », 1991, pp. 109-112 (extraits).
« L’exécutif agit en posant les règles dont l’application passe par des hommes. Il lui faut élaborer
ces règles et choisir ces hommes. Dans l’exécutif bicéphale une division des tâches est
indispensable, que le constituant de 1958 s’est efforcé de tracer, remettant le pouvoir de prendre
certaines décisions au Président et d’autres au Premier ministre. Le partage était inégal et favorisait
le chef du Gouvernement en lui offrant le lot le plus vaste. Il y agissait en outre sans le contrôle du
chef de l’État, alors que celui-ci, bien que lui soient confiées des décisions parmi les plus
importantes, ne pouvait les prendre qu’avec le contreseing du Premier ministre, c’est-à-dire avec
son accord. Pourtant, dans la concurrence entre les deux hommes, sous l’arbitrage du Parlement, le
Président a réussi le plus souvent à élargir sa part bien au-delà des vues du Constituant.
Le pouvoir réglementaire du Premier ministre
Ici, a priori, les choses sont claires car les domaines sont bien définis : le Premier ministre est le
titulaire normal du pouvoir réglementaire, par exception le Président signe certaines mesures de
nature réglementaire qui doivent ensuite être contresignées par le Premier ministre. Le partage
résulte de la combinaison des articles 21 et 13 de la constitution. Article 21 : ‘Le Premier ministre
(…) assure l’exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l’article 13, il exerce le pouvoir
réglementaire » ; article 13 : ‘Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets
délibérés en Conseil des Ministres’. Dans la tradition française, l’autorité chargée de l’exécution des
lois est considérée comme titulaire du pouvoir réglementaire. Si, en 1958, le Constituant estime
nécessaire de le confirmer expressément, c’est pour faire entrer dans les attributions du Premier
ministre le pouvoir réglementaire autonome, c’est-à-dire non lié à l’existence de la loi, auquel
l’article 37 alinéa 1er de la Constitution donne, en apparence au moins, une extension nouvelle et
considérable.
Le principe : le Premier Ministre titulaire du pouvoir réglementaire
Etre titulaire du pouvoir réglementaire confère au Premier Ministre le rôle majeur dans l’activité
normative de l’État. Deux chiffres en rendent compte : alors que le Parlement vote environ 70 lois
par an (en dehors des lois de ratification des accords internationaux), le Premier Ministre dans le
même temps signe quelques 1500 décrets et 7 à 8000 arrêtés interministériels. Constatation qui
révèle la véritable portée de l’innovation de 1958 : là-dessus à peu près 1 % seulement relève du
pouvoir réglementaire autonome. Quoi qu’il en soit la très grande majorité des règles à portée
générale émane du Premier Ministre. Ce pouvoir réglementaire, le Premier Ministre ne l’exerce pas
en solitaire. D’une part, par obligation ou de son propre chef, il arrivera qu’il prenne l’avis
d’organes consultatifs : Conseil d’État, Conseil économique et social, et de bien d’autres, sans
cependant être lié par leurs conclusions. D’autre part, sa décision sera contresignée par les ministres
chargés de son exécution. La signature du ministre ne l’associe pas au pouvoir réglementaire, dont
le Premier ministre reste seul titulaire, mais symbolise la cohésion du Gouvernement et, plus
concrètement, assure l’information de ceux qui auront la charge de l’exécution du décret ou de
l’arrêté (alors même que ce sont leurs services qui ont préparé la première version du texte). Ces
formalités prennent du temps. Souvent les avis à recueillir sont multiples et les contreseings à
obtenir nombreux ; avec toutes ces étapes agir vite n’est pas toujours facile et cela complique
encore un peu plus la tâche écrasante du Premier Ministre.
L’exception : le pouvoir réglementaire du Président
Le Premier Ministre n’a pas le monopole du pouvoir réglementaire. Vers le bas, il se heurte aux
ministres qui, par arrêtés, organisent leurs services et exercent à l’occasion une compétence
réglementaire que leur confie le législateur. Mais au total, l’atteinte au principe de la compétence du
Premier Ministre est minime. En revanche, le pouvoir réglementaire du Président possède, lui, des
virtualités envahissantes. La Constitution réserve au chef de l’État, on l’a vu, la signature des
décrets délibérés en Conseil des ministres. Il n’y aurait pas là matière à controverse, si étaient
définis quelque part les décrets qui doivent venir en Conseil des ministres. Or ceux-ci n’ont fait
l’objet d’aucune disposition à portée générale, mais relèvent de textes ponctuels prévoyant que tel
type de décrets devra être délibéré en Conseil, dans le domaine de l’exercice des libertés publiques
ou de l’organisation de la défense par exemple. Rien n’oblige en outre à réserver à ces seuls décrets
l’examen en Conseil des ministres. Aussi, avant 1958, les Présidents du Conseil faisaient-ils venir
devant le Cabinet les textes qu’ils souhaitaient soumettre à la délibération collective du
gouvernement ; cette décision était éminemment politique, il était normal qu’elle soit prise par le
chef du Gouvernement. Sous la Vème République, le Président, dont le rôle politique est
contestable puisqu’en principe, il ne détermine ni ne conduit la politique de la Nation, mais qui est
maître de l’ordre du jour du Conseil, s’est arrogé le même pouvoir. Avec cette conséquence qu’il
choisit ainsi lui-même les décrets qui seront signés par lui, limitant du même coup l’étendue du
pouvoir réglementaire du Premier Ministre. Ceci à la condition, bien sûr, que le chef du
Gouvernement accepte que soit pris en Conseil un décret qu’il pourrait signer seul. Son
dessaisissement est consenti et cesse donc en même temps que disparaît la coïncidence des
majorités : François Mitterrand n’aurait pu l’imposer à Jacques Chirac de 1986 à 1988. Les
Présidents d’ailleurs ont fait de cette pratique un usage modéré : une cinquantaine de décrets
réglementaires viennent, par obligation ou par la volonté présidentielle, en Conseil chaque année.
Lorsqu’ils ont pu, les chefs de l’État ne s’en sont pas tenus là et ont élargi le champ de leurs
interventions dans le domaine réglementaire par la pratique de ‘l’évocation’. Celle-ci suppose, elle
aussi, un Premier ministre consentant. Lorsqu’une décision, relevant du décret, l’intéresse, le
Président peut, sans la faire passer par le Conseil des Ministres, la signer lui-même : il évoque le
décret. Cette pratique, à la différence de la précédente, est inconstitutionnelle, le Président n’ayant
aucun titre à se substituer au Premier Ministre normalement compétent. Pourtant, le Conseil d’État
l’a jugée régulière (27 avril 1962, Sicard) à partir du moment où le décret porte aussi la signature du
Premier Ministre. Le juge administratif retient que sa présence régularise l’acte ; le paraphe du chef
de l’État est considéré comme surabondant et ne peut vicier la procédure. Conséquence : bien que
portant la signature du Président, le décret peut être modifié par le Premier Ministre sous sa seule
autorité. Là encore, il ne faudrait pas surestimer la fréquence de ces empiétements : le Président
signe en moyenne dans l’année quelques dizaines de décrets sans qu’il soit passé en Conseil des
ministres, c’est assez négligeable par rapport à l’ensemble de l’activité réglementaire de l’exécutif.
Une question demeure : pourquoi le chef de l’État tient-il à signer lui-même ces décrets ? Ce n’est
pas pour imposer ses vues : puisque le Premier ministre accepte de s’effacer devant le Président, la
décision aurait tout aussi bien pu être prise en accord entre eux, sous la seule signature du premier.
En réalité, le Président n’agit pas ainsi pour pouvoir décider du contenu de la décision mais pour
sortir d’attributions jugées trop étroites, pour se manifester comme chef de l’exécutif, pour
imprimer sa marque à l’action du gouvernement. Dans la pratique, il se détermine à intervenir à
partir d’un seul critère : il signe lui-même les décrets importants. C’est une façon parmi d’autres
d’assurer sa primauté sur le Premier ministre. Bien entendu, lorsque le Premier ministre peut
s’appuyer sur l’Assemblée nationale, le Président doit se contenter des décrets pour lesquels sa
signature est nécessaire et de ceux que le chef du Gouvernement voudra bien lui soumettre. Comme
son contreseing est obligatoire, le Premier ministre contrôle en outre l’exercice par le Président de
son pouvoir réglementaire alors qu’il n’a pas besoin de son aval pour utiliser le sien ».
Document n° 4. Claisse, A., « Membre du gouvernement », dans Y. Mény, O.
Duhamel, dir., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, pp. 629-632 (extraits).
« Dans les formes les plus anciennes de gouvernement, on trouve auprès du prince des personnages
chargés de le seconder. Ils portent chez les Mérovingiens le nom de ‘ministériales’ (minister signifie
en latin serviteur) dont les fonctions sont à la fois domestiques et politiques, voire religieuses ou
militaires. Une relative spécialisation et une différenciation s’affirmera avec le temps. Au XVIe
siècle, en France, apparaissent des ‘notaires secrétaires d’État’ au service des conseillers du roi, de
même que se constitue une administration permanente. Dans un régime de concentration des
pouvoirs, les officiers de la Couronne sont chargés, à titre précaire, des affaires que le souverain
leur confie. Ils ne constituent pas encore un‘ministère’ au sens d’organisme collégial et
solidairement responsable de son action. Cette idée n’apparaîtra qu’au XVIIe siècle en Europe avec
l’avènement du parlementarisme et des régimes de collaboration des pouvoirs fondés sur le
gouvernement de cabinet. En revanche, le principe d’un ensemble de collaborateurs à la totale
discrétion du chef de l’État se retrouve dans les régimes contemporains de séparation des pouvoirs
notamment le régime présidentiel américain, où les ‘secrétaires d’État’, pour l’essentiel, dépendent
du Président.
1. Le statut. – Les ministres sont choisis discrétionnairement par le chef du gouvernement, nommés
et révoqués par lui (Angleterre) ou par le chef de l’État sur proposition du Premier ministre
(France). Diverses contraintes juridiques et politiques pèsent toutefois sur ce choix : il existe des
incompatibilités (le parlementaire nommé au gouvernement doit renoncer à son mandat sous la Ve
République) […]. En outre, le choix d’un ministre est le plus souvent lié à des considérations
d’équilibre politique au sein de l’équipe gouvernementale (nécessité d’assurer une représentation de
toutes les tendances politiques du ou des partis de la majorité).
2. La hiérarchie. – L’ordre de préséance des membres du Gouvernement est en France, comme dans
de nombreux pays, celui de la nomination du Journal officiel. Il dépend en partie des usages et
notamment de l’ancienneté, de l’apparition du ministère dans l’histoire du pays, mais aussi de
l’importance que l’on entend donner à telle ou telle personnalité en fonction. Depuis la IIIe
République, le titre de ministre d’État ou de ministre délégué est conféré à des personnalités dont on
veut marquer l’importance pour des motifs de représentation politique. Il s’agira des représentants
des partis de la coalition gouvernementale qui peuvent être ministres d’État sans portefeuille. Les
gouvernements de Raymond Barre, sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, comprennent un
ministre d’État représentant chacune des familles de la majorité présidentielle. La même pratique
est utilisée par François Mitterrand pour les gouvernements Mauroy (1981), Fabius (1984), Rocard
(1988) et Cresson (1991). Il peut s’agir aussi d’une personne proche du chef de l’État ou du
gouvernement (cas d’André Malraux, ministre d’État chargé des Affaires culturelles dans les
gouvernements du général de Gaulle). Il arrive enfin que l’importance des attributions ou leur
caractère politiquement sensible explique la constitution d’un ministère d’État (ministère d’État
chargé des Affaires algériennes en 1960, ministère d’État chargé de la Coopération en 1962,
ministère d’État chargé de la Ville en 1990).
Le titre de ministre d’État ne comporte pas de prérogative particulière, autre que de préséance, ainsi
que de légers avantages indemnitaires. Les ministres délégués existent depuis la IVe République.
Leur mission est de décharger le chef du Gouvernement de certaines tâches impliquant des
fonctions de coordination intergouvernementale. À la différence d’un secrétaire d’État, un ministre
délégué n’est pas un auxiliaire, mais un ministre bénéficiant théoriquement de l’autorité qui
s’attache aux fonctions de chef du gouvernement. Dans les premiers gouvernements de la Ve
République, les ministres délégués ont la préséance sur les ministres d’État, l’ordre sera ensuite
inversé, puis les ministres délégués finissent par figurer parmi les ministres ordinaires. Plus
récemment ont été créés des ministres délégués auprès d’autres ministres. Indépendamment des
questions de personne et de conjoncture, il semble qu’en France, la réelle position du ministre
délégué n’est pas définitivement établie, pas plus dans le rang, que dans le rôle ou le contenu de la
fonction. Des attributions aussi variées que l’aménagement du territoire, les relations avec le
Parlement, le Plan, les DOM-TOM, le tourisme, le budget, ont été confiées à des ministres
délégués. Les ministres ordinaires se classent dans l’ordre de préséance normalement en fonction de
l’ancienneté historique de leur apparition. Le garde des Sceaux, ministre de la Justice, les ministres
des Finances, des Affaires étrangères, de la Défense sont ainsi parmi les premiers. A côté de cette
hiérarchie formelle, il existe une hiérarchie de fait plus ou moins reconnue et acceptée par les autres
ministres. Il existe des grands et des petits ministères. La différence tient au prestige du poste qui
recouvre plus ou moins les fonctions de souveraineté de l’État (finances, justice, défense, intérieur)
mais aussi au budget et au personnel dont le ministre dispose (l’équipement, l’éducation nationale
sont, pour ces raisons, de grands ministères). Mais l’influence du ministre au sein de l’équipe
gouvernementale dépend aussi de son poids politique personnel, de ses relations avec le chef de
l’État ou avec le Premier ministre, de sa personnalité, etc.
3. Le nombre. – Le nombre des responsables de départements ministériels n’est généralement pas
limité par la loi. Le chef de l’exécutif est donc libre d’en déterminer le nombre et les attributions.
En France, le nombre de ministres et secrétaires d’État est très variable. Certains gouvernements de
la IVe République comprennent plus de 40 membres. En réaction contre cette tendance, le
gouvernement de Gaulle de 1958 ne comprend que 24 membres et le gouvernement Debré de 1959,
27. Leur nombre tend toutefois à augmenter sous la Ve République (39 pour le gouvernement
Chaban-Delmas, 48 pour le gouvernement Rocard) […] ».
Document n° 5. Documents relatifs à l’article 8 de la Constitution du 4 octobre
1958, prés. par D. Maus, Les grands textes de la pratique institutionnelle de la Ve
République, La documentation française, 1995, pp. 71-74 (extraits).
1. Lettres échangées à l’occasion du départ de Michel Debré le 14 avril 1962.
MICHEL DEBRÉ
« Mon général,
Quand vous m’avez, en janvier 1959, fait le grand honneur de me charger des fonctions de Premier
ministre, le nouveau Gouvernement devait poursuivre et développer, qu’il s’agisse de la politique,
de l’économique, du financier ou du social, l’oeuvre de restauration qu’à l’appel de la nation vous
aviez entrepris six mois auparavant. Il devait en même temps assurer le bon départ des institutions
nouvelles et instaurer un régime original de coopération avec les Républiques africaines et
malgache.
Depuis trois ans et trois mois, un grand effort, me semble-t-il, a été accompli. Tout inachevé qu’il
soit, le bilan, je le crois, est favorable. Chaque membre du Gouvernement en a sa bonne part : je
puis en porter témoignage. Mais cette tâche était dominée par le drame algérien. Il fallait, selon vos
directives, s’assurer de la maîtrise du terrain, puis orienter le destin de l’Algérie dans la voie que
vous avez tracée et qui a reçu l’approbation parlementaire, puis l’approbation populaire. À travers
difficultés et obstacles, pour ne pas dire plus, la solution est aujourd’hui en vue : le cessez-le-feu va
permettre l’autodétermination, et la nation, une nouvelle fois consultée, a apporté son soutien à la
politique suivie, en même temps qu’elle vous a délégué les pouvoirs nécessaires pour la conduire à
son terme. Comme il était convenu, et cette étape décisive étant franchie, j’ai l’honneur, mon
Général, de vous présenter la démission du Gouvernement.
Je ne puis terminer sans vous faire part de sentiments personnels dont le caractère public de cette
lettre limite seul l’expression. Vous les connaissez de longue date et il est difficile de la formuler
sans les déformer. Je dirai simplement : être, avoir été le premier collaborateur du général de Gaulle
est un titre inégalé.
Je vous prie, mon Général, d’agréer l’expression de mes sentiments respectueusement dévoués ».
CHARLES DE GAULLE
« Mon cher Ami,
En me demandant d’accepter votre retrait du poste de Premier ministre et de nommer un nouveau
Gouvernement, vous vous conformez entièrement, et de la manière la plus désintéressée, à ce dont
nous étions depuis longtemps convenus. Tout effort a sa limite. Or, pendant les trois ans et trois
mois où vous avez déployé le vôtre dans la charge extraordinairement lourde qui vous était
impartie, les résultats les plus valables et les plus étendus ont été réalisés, qu’il s’agisse des
domaines économique, social, administratif, scolaire, ou de la défense nationale, ou de l’action
extérieure ou de la transformation des rapports de la France avec les peuples placés naguère sous sa
dépendance, bref tout ce qui contribuait au redressement du pays et de l’État. Il est clair que la
collaboration sans réserve que vous m’avez constamment apportée, l’oeuvre législative accomplie
par le Parlement sur la base des projets présentés et soutenus par votre Gouvernement, l’ensemble
des mesures réglementaires prises sous votre impulsion, la conduite supérieure de l’administration
telle que vous l’avez exercée ont, avec le concours de vos collègues, efficacement et heureusement
servi le pays. Encore tout cela s’est-il fait en dépit de beaucoup de graves lacunes antérieures, ainsi
que des lourdes épreuves suscitées par le règlement progressif du grand problème de l’Algérie.
Après un pareil accomplissement, le pense, comme vous-même le pensez, qu’il est conforme à
l’intérêt du service public que vous preniez maintenant du champ afin de vous préparer à
entreprendre, le moment venu, et dans des circonstances nouvelles, une autre phase de votre action.
Quel qu’en puisse être mon regret, je crois donc devoir y consentir. Soyez assuré, mon cher Premier
Ministre, que ma confiance et mon amitié vous sont acquises autant que jamais.
J’ajoute qu’elles le sont, d’autre part, à chacun des ministres qui ont, à vos côtés, participé au
Gouvernement.
Bien cordialement à vous ».
2. Lettres échangées à l’occasion du départ de Pierre Mauroy le 17 juillet 1984.
PIERRE MAUROY
« Monsieur le Président,
Comme nous en avons constaté la nécessité lors des différentes conversations que nous avons eues
ces dernières semaines quant à l’avenir du Gouvernement, une phase nouvelle s’engage. La
décision que vous avez annoncée le 12 juillet de consulter le peuple français s’inscrit dans cette
perspective. J’estime, comme vous, que le moment est venu de changer le Gouvernement.
En conséquence, je vous demande de bien vouloir confirmer la fin de mes fonctions de Premier
ministre et celles du Gouvernement.
En cet instant, comme aux premiers jours de mai 1981, je garde la fierté et la joie qui ont été
miennes tout au long de ces trois années passées à vos côtés au service de la République et de nos
idéaux communs. Je forme des voeux ardents pour votre succès qui sera aussi celui de la France.
Veuillez recevoir, Monsieur le Président de la République, avec l’assurance de mon entier
dévouement, l’expression de ma haute considération et de mes sentiments respectueux ».
FRANÇOIS MITTERRAND
« Monsieur le Premier ministre,
Depuis le 21 mai 1981, vous êtes à la tête du Gouvernement de la France. Sous votre égide, une
oeuvre de réforme considérable, sans précédent depuis la Libération, a été accomplie dans tous les
domaines. Une action vigoureuse et persévérante a été menée pour assurer le redressement de notre
économie. La lutte a été engagée contre toutes les injustices.
Comme nous en sommes convenus au cours de nos récents entretiens, l’évolution de la situation
politique appelle maintenant la formation d’un nouveau Gouvernement. J’accède, en conséquence, à
la demande que vous m’avez présentée de mettre fin à vos fonctions.
Plus que tout autre, j’ai été en mesure, depuis trois ans, d’apprécier le courage, la détermination et
la loyauté avec lesquels vous avez rempli votre charge. La marque de votre action restera dans
l’histoire de notre temps. Elle précédera d’autres services que, j’en suis sûr, vous rendrez au pays.
Je vous prie de croire, Monsieur le Premier Ministre, à l’expression de mes remerciements et à mes
amicales pensées ».
Document n° 6. Bonte, B., Dans le secret du Conseil des ministres : enquête sur les
coulisses du salon Murat, du général de Gaulle à Nicolas Sarkozy, Éditions du
moment, 2011, pp. 179-182 (extraits).
Cohabiter. Ah, ce petit plaisir de remettre en place le président de la République en plein Conseil
des ministres ! Quatorze ans après, Jospin l'austère savoure encore son meilleur tacle du
quinquennat 1997-2002. Il n'a jamais rendu public ce texte envoyé comme un soufflet à la face de
Jacques Chirac, au tout début de leur cohabitation. Il accepte aujourd'hui de le transmettre, à la
condition qu'il soit transcrit dans son intégralité. « Je m'étonne de ne pas encore l'avoir fait », lancet-il en arpentant son appartement parisien de la rue du Regard, de bibliothèques en armoires. Il
retrouve finalement ses notes manuscrites du mercredi 16 juillet 1997, et demande à « Victo »
(Victoria Pérez, son assistante) de les dactylographier avant de les transmettre à l'auteure de ces
lignes.
Deux jours avant ce Conseil, lors de la « grand-messe » télévisée du 14 Juillet, Jacques Chirac,
toujours politiquement convalescent suite à la dissolution manquée, expose aux Français le mode
d'emploi de cette nouvelle cohabitation entamée six semaines plus tôt. Pour lui les choses sont
claires, le Président aura toujours « le dernier mot ». Devant sa télé, Lionel Jospin est à deux doigts
de défriser.
Le 16 au matin, il laisse éclater son courroux dans le salon doré de l'Élysée :
« Monsieur le Président, je ne peux laisser passer cette interprétation fantaisiste selon laquelle
vous auriez " le dernier mot ". Je ne trouve cette formule dans aucun article de la Constitution qui
est précise. Je vais être amené à faire une mise au point. Je préférerais la faire en Conseil des
ministres. Sinon, je la ferai publiquement. Donc je vous demande l'autorisation de la faire en début
de Conseil.
— Très bien, faites. Je vous répondrai. »
Les deux hommes descendent dans le salon Murat, s'installent face à face. La mine des mauvais
jours pour Chirac, qui donne la parole d'entrée au Premier ministre.
Jospin : Monsieur le Président, avec votre autorisation, j'ai souhaité m'exprimer de façon
solennelle devant le Conseil des ministres.
Lors de votre intervention télévisée du 14 Juillet, vous avez donné une interprétation particulière de
la Constitution et de vos prérogatives en période de cohabitation. Vous avez aussi porté jugement
sur plusieurs aspects importants de la politique du gouvernement.
Dans ces conditions, il m'apparaît courtois vis-à-vis de vous, utile pour les membres de mon
gouvernement, et avant toute expression devant les Français, de vous donner mon sentiment sur ces
questions en Conseil des ministres, c'est-à-dire dans l'institution même qui symbolise le travail
commun du Président et du gouvernement.
1 — En ce qui concerne la Constitution, il ne me semble pas qu'elle soit susceptible
d'interprétation. Ses dispositions sont claires. Et pour ce qui me concerne, je les appliquerai à la
lettre.
L'Article 5 dispose : "Le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure,
par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État.
Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. "
L'Article 64, alinéa 1, précise que " le président de la République est garant de l'indépendance de
l'autorité judiciaire ".
L'Article 20 dispose : " Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose
de l'administration et de la force armée. Il est responsable devant le Parlement. " L'Article 21
précise : " Le Premier ministre dirige l'action du gouvernement. Il est responsable de la Défense
nationale. Il assure l'exécution des lois. "
Je ne vois dans la Constitution aucune mention de " responsabilité du président de la République
pour ce qui concerne les aspects essentiels de la vie internationale et interne de la Nation ".
Je n'y vois aucune allusion à une " prééminence " ou à un " dernier mot " qui seraient ceux du
président de la République, rien qui ne l'instaure "gardien dans le domaine de la vigilance ". Or ce
sont des termes que vous avez publiquement employés.
Dès lors que ni le respect de la Constitution, ni le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, ni
la continuité de l'État ni l'indépendance nationale, ni l'intégrité du territoire, ni le respect des
traités ne sont en cause, le gouvernement, avec la confiance de sa majorité parlementaire, entend
déterminer et conduire librement sa politique, conformément au mandat qu'il a reçu du peuple
français, à l'occasion des élections législatives, et ceci dans l'intérêt du pays.
2 — Pour ce qui concerne les jugements que vous avez portés sur l'action du gouvernement à
l'occasion de votre intervention publique devant les Français, ils ne se situent pas dans l'ordre
constitutionnel. Ils relèvent naturellement de votre libre appréciation de responsable politique,
même s'ils sont pour la plupart ouvertement critiques.
Ces commentaires publics de votre part sur l'action du gouvernement appelleront nécessairement
de la part du gouvernement des répliques et des mises au point. Je voudrais dès aujourd'hui
évoquer deux points particuliers de votre intervention qui ont ému le gouvernement, parce qu'ils ne
relevaient pas seulement de la libre opinion politique ou de la légitime divergence de points de vue,
mais étaient inexacts sur le plan des faits :
— la politique du gouvernement ne vise pas — au contraire — à régulariser tous les sans-papiers,
— le gouvernement n'a pas à rechercher des ressources supplémentaires pour financer les mesures
nouvelles du décret d'avance puisqu'il les a déjà trouvées et que ce décret d'avance est présenté en
équilibre.
Voilà, Monsieur le président de la République, ce que je croyais nécessaire d'exprimer ce matin en
Conseil des ministres.
Jacques Chirac a promis une réponse. Elle est expéditive. « Chacun a son interprétation. »
Silence. « Il ne pouvait pas contester ce que je lui disais, argumente aujourd'hui Lionel Jospin,
osant même la métaphore artistique. C'est le respect des formes. Ces formes sont essentielles en
démocratie.
Parfois elles se détachent comme un dessin se détache d'une peinture. Mais le dessin existe...»
Depuis le début de la Ve République, trois couples exécutifs ont eu à tracer cet étrange dessin de la
cohabitation. Étrange dessein en effet que celui de faire vivre des institutions conçues pour un
contexte consensuel lorsque les deux principaux acteurs sont désormais adversaires par la volonté
du peuple. Le salon Murat en constitue, en tout cas, le principal théâtre.
La première expérience de cohabitation (1986-1988) démarre par un Conseil des ministres maintes
fois décrit. Samedi 22 mars 1986. Assis face à son Premier ministre Jacques Chirac, François
Mitterrand donne la température d'entrée : atmosphère glaciale, a-t-on dit. Pas un « bonjour », ni
même un regard.
Université Paris 8
Droit constitutionnel – Ve République
(Semestre 2)
Professeur : Jean-Louis Iten
Séance de travaux dirigés n° 6 : Le Parlement
Document n° 1. Conseil constitutionnel, n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, Loi
d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, JO n° 96 du 24 avril 2005,
p. 7173 (extraits).
Document n° 2. Ameller, M., L’Assemblée nationale, PUF, coll. « Que sais-je ? »,
1994, pp. 83-91 (extraits).
Document n° 3. Documents relatifs à l’article 12 de la Constitution du 4 octobre
1958, prés. par D. Maus, Les grands textes de la pratique institutionnelle de la Ve
République, La documentation française, 1995, pp. 106-108 (extraits).
Document n° 4. Baguenard, J., Le Sénat, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2e édition,
1997, pp. 119-121.
Document n° 5. Camby, J.-P., « Le droit parlementaire, droit de la minorité ? »,
dans Mélanges Pierre Avril. La République, Montchrestien, 2001, pp. 419-434
(extraits).
Document n° 6. Auby, J.-B., « L’avenir de la jurisprudence Blocage des prix et
des revenus », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 19, 2005, pp. 105-108.
Dissertation : Le domaine de la loi
Document n° 1. Conseil constitutionnel, n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, Loi
d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, JO n° 96 du 24 avril 2005,
p. 7173 (extraits).
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel ;
Vu la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, notamment son
article 67 portant abrogation de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 ;
Vu le code de l'éducation ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 5 avril 2005 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
[…]
Sur la présence dans la loi de dispositions réglementaires :
22. Considérant que les requérants soutiennent, de façon générale, que la loi déférée comporte « de
nombreuses dispositions sans aucune portée législative... en contradiction avec les articles 34 et 37
de la Constitution » ;
23. Considérant que les articles 19, 22, 33 et 34 de la loi déférée se bornent respectivement à
instituer dans chaque académie une commission sur l'enseignement des langues vivantes étrangères,
à modifier la terminologie relative à un organisme déjà existant, à prévoir la création et les
conditions d'attribution d'un label de « lycée des métiers », à définir le « projet d'école ou
d'établissement » et le règlement intérieur que doivent adopter les écoles et établissements
d'enseignement scolaire public ; qu'ils ne mettent en cause ni « les principes fondamentaux... de
l'enseignement », qui relèvent de la loi en vertu de l'article 34 de la Constitution, ni aucun autre
principe ou règle que la Constitution place dans le domaine de la loi ; que ces dispositions ont, à
l'évidence, le caractère réglementaire ;
24. Considérant qu'il n'y a lieu d'examiner d'office aucune question de constitutionnalité,
Décide :
Article 1
Sont déclarés contraires à la Constitution le II de l'article 7 ainsi que l'article 12 de la loi
d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école.
Article 2
Sont déclarés non contraires à la Constitution, sous les réserves énoncées aux considérants 19 et 21,
les articles 27, 29 et 31 de la même loi.
Article 3
Les articles 19, 22, 33 et 34 de la même loi ont le caractère réglementaire.
Article 4
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 avril 2005, où siégeaient : M. Pierre
Mazeaud, président, MM. Jean-Claude Colliard, Olivier Dutheillet de Lamothe, Mme Jacqueline de
Guillenchmidt, MM. Pierre Joxe et Jean-Louis Pezant, Mme Dominique Schnapper, M. Pierre
Steinmetz et Mme Simone Veil.
Document n° 2. Ameller, M., L’Assemblée nationale, PUF, coll. « Que sais-je ? »,
1994, pp. 83-91 (extraits).
« […] L’emploi de la motion de censure ne peut revêtir qu’une portée symbolique, sauf dans
l’hypothèse où il n’existerait pas de véritable majorité à l’Assemblée. Mais, même dans ce cas, les
conditions requises pour l’adoption sont si difficiles à réunir qu’une seule motion a pu être adoptée
durant toute l’histoire de la Ve République. La motion de censure permet cependant à l’opposition
de choisir librement son moment pour faire connaître publiquement son rejet de la politique
gouvernementale et ses propres options. Tel était, jadis, le rôle de l’interpellation, procédure
classique du régime parlementaire, et d’une efficacité redoutable. Après avoir fait les beaux jours de
la IVe République, elle ne figure plus aujourd’hui, dans le Règlement de l’Assemblée, qu’au titre de
vestige d’un temps révolu, car elle ne peut être utilisée qu’assortie du dépôt d’une motion de
censure. Devenue inutile en droit, elle a disparu en fait. Pour la remplacer et conserver la richesse
du débat parlementaire, qui suppose qu’une place importante soit accordée aux interventions de
l’opposition, il a fallu trouver d’autres formules d’information et de contrôle. La Constitution et le
Règlement en ont prévu quelques-unes et l’imagination des acteurs politiques en a rajouté d’autres.
Lorsque le gouvernement souhaite apporter des informations à l’Assemblée sans mettre en jeu sa
responsabilité, il procède par voie de déclarations, avec ou sans débat, et de communications.
Aucun vote ne peut avoir lieu, ce qui en réduit l’intérêt et les transforme quelquefois en exercices de
style. S’il y a débat, il est organisé par la Conférence des présidents. Le président Philippe Séguin a
estimé, dès sa prise de fonction, que le gouvernement se devait de rendre compte régulièrement de
son action plutôt que de voir évoquer les problèmes sensibles par des voies détournées. Il a obtenu
l’accord du Premier ministre pour que, chaque mardi après-midi, en début de séance, un membre du
gouvernement vienne faire une communication. Le thème en est dévoilé la veille. Chaque groupe
dispose de cinq minutes pour répliquer. Après une éventuelle réponse du ministre, le débat est clos
en moins d’une heure. Il permet ainsi à l’Assemblée de ne pas être tenue à l’écart des événements
nationaux ou internationaux en cours.
Ce système ingénieux, qui n’a pas encore donné toute sa mesure, complète la procédure
traditionnelle des questions, prérogative des députés consacrée par la Constitution de 1958, qui lui
réserve une séance par semaine. Ce moyen d’information classique a connu un enrichissement qui a
échappé à la vigilance du Conseil constitutionnel. Plusieurs avancées ont en effet été réalisées de
manière consensuelle, sans modification du Règlement. Les questions orales sans débat occupent
une matinée par semaine. Pour obtenir une meilleure présence des députés comme des ministres
compétents, la Conférence des présidents les a fait passer du vendredi matin au jeudi matin. Les
résultats de ce changement ne sont pas probants car trop de réponses sont encore fournies par le
ministre chargé des relations avec l’Assemblée, suppléant les ministres compétents absents […].
Les questions posées sont librement choisies par les groupes. Elles sont communiquées au
gouvernement deux jours avant leur passage en séance. Les questions orales avec débat figurent
dans le Règlement de l’Assemblée pour mémoire : aucune n’a été inscrite à l’ordre du jour depuis
1978. Les ‘questions d’actualité’ – une création décevante de 1969 – ont été remplacées en 1974 par
les questions au gouvernement. L’idée de cette procédure, lancée par le président Giscard d’Estaing,
a été mise en oeuvre de façon pragmatique par le président Edgar Faure et la Conférence des
présidents. Plusieurs fois remaniée, elle donne, tous les mercredis après-midi de session, grâce à la
télévision depuis 1981, une image controversée de l’Assemblée au travail. Elle a été relancée, dès le
début de la Xe législature, sous la férule du président Philippe Séguin, qui a voulu rendre aux
questions leur caractère spontané et a réussi à accélérer les échanges au point que le nombre des
questions a été multiplié par trois, à la satisfaction générale. La répartition du temps de parole
avantage l’opposition, ce qui devrait être toujours de règle en matière de contrôle […].
Les questions-crible, imaginées par le président Fabius pour soumettre à la question un ministre
pendant une heure, chaque jeudi de la session de printemps, n’ont pas été maintenues sous la Xe
législature. La communication du mardi, sur un thème précis, lui a été préférée.
Les questions écrites offrent également aux députés un moyen privilégié d’information. Plus de
10000 sont posées chaque année. Les réponses des ministres, qui se font souvent attendre,
contiennent une mine de renseignements incomparable que l’on peut trouver, chaque semaine de la
session, dans un fascicule spécial du Journal officiel.
L’information de l’Assemblée peut provenir également du travail des commissions permanentes, qui
procèdent à de nombreuses auditions de personnalités les plus diverses et organisent des missions
d’études, en France et à l’étranger. Une des innovations les plus intéressantes en ce domaine
consiste à associer plusieurs commissions sur un même thème de recherche. La dernière mission en
date, commune à l’ensemble des commissions, concerne l’aménagement du temps de travail. Leurs
conclusions sont publiées dans des rapports pouvant servir de base à une modification de la
législation. Au sein des commissions, les rapporteurs spéciaux de la commission des finances
tiennent un rôle particulier car ils sont dotés, d’une façon permanente, du pouvoir de contrôler, sur
pièces et sur place, l’emploi des crédits inscrits au budget. Le résultat de leurs investigations figure
dans les rapports publiés au nom de la commission.
Utilisée à bon escient, c’est sans nul doute la procédure de la commission d’enquête qui devrait être
la plus efficace en matière de contrôle. Encore faudrait-il qu’elle puisse être mise plus fréquemment
à la disposition de l’opposition. Tel n’est pas encore le cas mais de gros efforts ont été faits en ce
sens depuis l’origine ; en unifiant commission d’enquête et commission de contrôle ; en portant la
durée des travaux d’une commission de quatre à six mois ; en la composant à la représentation
proportionnelle plutôt qu’en employant la méthode légale du scrutin majoritaire, finalement
supprimée en 1991 ; en levant, sous certaines conditions, la règle du secret pour les auditions ; en
établissant le principe de la publication du rapport ; en accordant, de façon consensuelle, à chaque
groupe, un ‘droit de tirage’ lui permettant de faire inscrire à l’ordre du jour une proposition de
création d’une telle commission, au moins une fois par an. Cette voie, ouverte par le président
Fabius, mériterait d’être poursuivie jusqu’à la possibilité pour les groupes de l’opposition d’obtenir
directement la création d’une commission sur le sujet de leur choix. Encore convient-il de rappeler
que les commissions d’enquête sont prévues pour examiner des ‘faits’ déterminés en utilisant des
pouvoirs particuliers et non pour ouvrir des débats sur des thèmes d’étude. Cette dernière tâche
devrait être dévolue de préférence aux missions d’information des commissions, qui n’ont pas de
contrainte de délai, ni de secret à respecter, ni d’avis à demander au garde des Sceaux, ni de serment
à présenter. Une multiplication des commissions d’enquêtes aboutirait à un dévoiement de la
procédure et nuirait beaucoup à son efficacité.
Pour exercer un contrôle permanent dans certains secteurs, l’Assemblée, de concert avec le Sénat, a
eu recours à la création de délégations parlementaires. Ce sont des organes à effectif réduit,
composés à la représentation proportionnelle, qui sont chargés de suivre certaines affaires et
d’informer l’Assemblée par la publication de rapports. Une délégation a été instituée en 1979 pour
les problèmes démographiques, une autre pour la planification en 1982. Deux autres délégations ont
une très grande activité : la délégation pour les Communautés européennes et l’Office parlementaire
des choix scientifiques et technologiques […].
L’Assemblée est représentée dans une multitude d’organismes administratifs, économiques,
sociaux, culturels, qui couvrent l’ensemble de l’activité nationale. Les députés qui y sont délégués
sont censés faire rapport au moins une fois par an devant la commission compétente. Il n’est pas sûr
que cette disposition soit scrupuleusement respectée pour les 84 organismes extra-parlementaires en
cause qui vont du Comité consultatif du fond national des abattoirs à la Caisse des dépôts et
consignations.
Au titre du contrôle exercé par l’Assemblée sur l’Exécutif, figure enfin le pouvoir juridictionnel
attribué par la Constitution aux parlementaires, tant à l’égard du chef de l’État que des membres du
gouvernement. À la suite de la révision du19 juillet 1993 provoquée par l’affaire du sang
contaminé, l’Assemblée est appelée à nommer, comme le Sénat : 12 juges titulaires et 6 juges
suppléants pour la Haut Cour de justice chargée de juger le président de la République, en cas de
haute trahison ; 6 juges titulaires et 6 juges suppléants pour la Cour de Justice de la République
compétente à l’égard des membres du gouvernement ayant commis un crime ou un délit dans
l’exercice de leurs fonctions […] ».
Document n° 3. Documents relatifs à l’article 12 de la Constitution du 4 octobre
1958, prés. par D. Maus, Les grands textes de la pratique institutionnelle de la Ve
République, La documentation française, 1995, pp. 106-108 (extraits).
Communiqué publié par Jacques Chaban-Delmas, président de l’Assemblée nationale, le 22
mai 1981
M. Jacques Chaban-Delmas, président de l’Assemblée nationale, a été appelé par M. le Président de
la République à donner l’avis prévu par la Constitution sur la dissolution de l’Assemblée nationale
Le président de l’Assemblée nationale a fait observer qu’il eût été préférable que le nouveau
Gouvernement vînt exposer son programme devant la représentation nationale pour que celle-ci
puisse en discuter et, le cas échéant, le repousser par un vote délibéré. Ce débat parlementaire eût pu
avoir lieu dans les prochains jours.
Un conflit ouvert entre les deux pouvoirs, exécutif et législatif, eût justifié pleinement l’arbitrage du
Président de la République et appelé un avis favorable à la dissolution de l’Assemblée nationale de
la part de son président.
Pour ces motifs, le président de l’Assemblée nationale a donné un avis contraire à la dissolution
immédiate de l’Assemblée.
Décret du 22 mai 1981 portant dissolution de l’Assemblée nationale
Le Président de la République,
Vu l’article 12 de la Constitution ;
Après consultation du Premier ministre, du président du Sénat et du président de l’Assemblée
nationale,
Décrète :
Article 1er. – L’Assemblée nationale est dissoute.
Article 2. – Le présent décret sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 22 mai 1981.
Déclaration de M. Jacques Chaban-Delmas, président de l’Assemblée nationale, le 14 mai
1988
Le Président de l’Assemblée nationale a fait observer que l’esprit comme la lettre de la Constitution
seraient respectés, si le nouveau Gouvernement venait se présenter et était renversé par les députés.
Devant le refus de cette procédure, Jacques Chaban-Delmas a donné un avis défavorable à la
dissolution de l’Assemblée nationale.
Décret du 14 mai 1988 portant dissolution de l’Assemblée nationale
Le Président de la République,
Vu l’article 12 de la Constitution ;
Après consultation du Premier ministre, du président du Sénat et du président de l’Assemblée
nationale,
Décrète ;
Article 1er. – L’Assemblée nationale est dissoute.
Article 2. – Le présent décret sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 14 mai 1988.
Document n° 4. Baguenard, J., Le Sénat, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2e édition,
1997, pp. 119-121.
« Le Sénat fait partie du paysage institutionnel français. Dans un sondage publié le 15 juillet 1989,
Le Monde confirme ce constat puisqu’à la question : ‘Diriez-vous que le Sénat joue un rôle très
utile, assez utile, peu utile ou pas utile du tout ? », 62 % des personnes interrogées l’ont jugé utile,
18 % très utile, 44 % assez utile, alors que 25 % seulement affirmaient son inutilité (19 % peu utile,
6 % pas utile du tout), 13 % n’ayant pas d’opinion. Son insertion est la traduction d’une volonté car
la présence active d’une seconde chambre au sein du Parlement ne répond pas à la tradition
française. Son action a provoqué quelques crises de rejet qui ont failli lui coûter la vie.
Mais si, aujourd’hui encore, certains s’interrogent sur son utilité, la plupart des observateurs de la
vie politique française acceptent ou admettent son existence. Sa place est reconnue : il correspond à
une conception de la vie publique et doit demeurer la seconde chambre du Parlement dans le cadre
d’un système bicaméral.
Toutefois, son importance suppose d’urgentes réformes portant essentiellement sur sa
représentativité. Le diagnostic est aisé ; la thérapeutique demeure délicate car ce qui est en jeu ce
n’est pas seulement la modification d’un système électoral défectueux, c’est, plus structurellement,
le maillage territorial dans lequel s’insère la seconde chambre. La décentralisation réalisée, pour
l’essentiel, entre 1982 et 1983, n’a pu résoudre cette interrogation persistante portant aussi bien sur
l’émiettement communal que sur l’ambiguïté des rapports département-région. Le Sénat en est
victime, et non coupable. Quant aux velléités de réforme conduisant la seconde chambre à se muer,
peu ou prou, en chambre économique, elles traduisent un refus plus qu’un choix, le refus d’une
seconde chambre qui puisse, en toute légalité, faire entendre sa différence. Aussi ample soit-il, un
pouvoir consultatif, dépourvu de tout pouvoir normatif, est réducteur. Dans sa fonction législative,
le Sénat demeure un acteur influent ; réduit à une fonction consultative, il ne serait plus qu’un
spectateur écouté : serait-il entendu ? Peut-être au gré des circonstances et en fonction des majorités
politiques, c’est-à-dire dans un contexte qui ne gênerait personne ; or, c’est précisément quand il
s’agit de s’ériger en contre-pouvoir que sa place est essentielle. Pour qu’il puisse jouer ce rôle, il lui
faut disposer de moyens juridiques d’intervention que son statut juridique actuel lui permet de
mettre en oeuvre.
Ainsi est-il souhaitable que soit entreprise une rénovation fonctionnelle du Sénat. Celle-ci peut se
développer sur trois plans : les méthodes de travail, la communication et la mobilisation. La
transparence des travaux est une nécessité à une époque où la médiatisation est devenue de fait un
critère de légitimation ; l’ouverture européenne est une exigence au moment où l’Europe
communautaire impose sa normativité et il est souhaitable que le Sénat puisse créer une antenne
permanente auprès des institutions communautaires ; l’information comparative est une obligation
afin que les sénateurs puissent évaluer leur rôle par rapport aux pratiques de pays étrangers. Si de
tels impératifs impliquent une profonde révision des méthodes de travail dont s’est doté le Sénat,
encore faut-il qu’il soit admis que son rôle soit compris par l’opinion française. Le sondage du
Monde révèle que 13 % des personnes interrogées n’ont aucune opinion sur le rôle du Sénat : il faut
que soit entreprise une campagne de communication permettant de faire comprendre le rôle
irremplaçable du Sénat. La mobilisation interne en est une condition préalable nécessaire ; elle
passe par un réexamen de l’organisation des services et par une valorisation psychologique de la
fonction sénatoriale. Il est indispensable que les sénateurs, voire l’opinion publique, fassent leurs les
réflexions du sénateur Prélot dans un rapport du 11 décembre 1968 : ‘L’histoire de trois
Républiques françaises illustre ces considérations. Quand le Sénat est fort, la République est forte,
et c’est la leçon de la IIIe République. Quand le Sénat est faible, la République est fragile, et c’est la
leçon de la Ive République (que celle-ci avait au surplus admise en effectuant la révision de 1954).
Quand il n’y a pas de Sénat, il n’y a bientôt plus de République, et c’est la leçon de 1848’. Longue
vie au Sénat de la République ! ‘Il lui reste maintenant à prouver que sagesse et équilibre peuvent
faire bon ménage avec imagination et modernité’ (Raphaël Hadas-Lebel). Il en va de sa survie ou,
pour le moins, de sa raison d’être ».
Document n° 5. Camby, J.-P., « Le droit parlementaire, droit de la minorité ? »,
dans Mélanges Pierre Avril, La République, Montchrestien, 2001, pp. 419-434
(extraits).
« […] Si le droit parlementaire est de plus en plus un droit écrit, dont l’élaboration est contrôlée par
le Conseil constitutionnel, chacun sait l’importance de la source que représentent, s’agissant de la
conduite des débats, les précédents, règles non écrites, issues de la pratique. Chacun sait également
que nombre de règles relatives au fonctionnement des assemblées reposent sur un accord entre
majorité et opposition. Or, plus encore que les textes, parfois faiblement protecteurs de la minorité,
c’est à travers de telles règles que les pouvoirs dévolus, au sein du Parlement, à l’opposition, sont
aujourd’hui établis. Si, in fine, cette reconnaissance est toujours limitée par une logique majoritaire,
les textes, comme les pratiques, l’étendent plus qu’ils ne la restreignent. Faut-il voir dans certaines
des règles, qui garantissent à l’opposition des moyens d’action parlementaire, des ‘conventions’ de
la Constitution ?
LES TEXTES ORGANISENT LE DÉBAT EN LIMITANT LES MOYENS DE
L’OPPOSITION
C’est une évidence que d’affirmer que très peu de dispositions des règlements des assemblées
concernent spécifiquement l’opposition. Outre le dépôt des motions de censure, on ne trouve guère
que la possibilité de défendre des motions de procédure et la vérification de quorum, comme
moyens d’action à l’usage exclusif des opposants au texte. C’est bien peu comparativement aux
possibilités d’action qui s’adressent de manière indistincte à la majorité comme à l’opposition :
initiative législative, droit de parole dans la discussion générale ou sur les amendements,
participation au bureau, à la Conférence des Présidents, demandes de suspension de séance, rappels
aux règlements, possibilité de réclamer l’application de l’article 40, explications de vote, demande
de scrutin public… sont autant d’exemples de moyens d’action qui concernent aussi bien la majorité
que l’opposition. Cette égalité des armes trahit une inégalité en fait.
En effet, les restrictions au temps du débat, souvent, limitent davantage la capacité de l’opposition
que celle de soutien. Celui-ci, de la part de la majorité, est présumé acquis au Gouvernement, et son
expression peut alors se résumer au vote positif et à ses justifications, en particulier aux explications
de vote. Dans le débat, la situation de l’opposition est tout autre : elle doit au contraire disposer du
temps nécessaire au combat, dont, dans la plupart des cas, l’issue est prévisible […]. Mais même si
l’on tient compte de ce fait, le débat des amendements n’est jamais vain. Il permet à l’opposition de
faire entendre publiquement sa différence. Il n’est pas illogique de voir dans l’explosion du nombre
des amendements – on dépose aujourd’hui autant d’amendements en un an que pendant toute la
durée des premières législatures de la Ve République – l’arme privilégiée de l’opposition, qui trouve
là un moyen de récupérer un peu de ce dont la rigueur de la fixation de l’ordre du jour prioritaire la
prive.
En effet, l’opposition ne choisit, en matière législative, ni le thème du débat, ni son moment. Le
droit d’amendement permet de contrebalancer cette absence de ‘contre pouvoir’, et de choisir les
points forts du débat – un dépôt de l’amendement sur tel ou tel point obligera la majorité à se
défendre – et la durée de celui-ci. La participation des présidents des groupes de l’opposition à la
Conférence des Présidents leur permet d’être informés, rarement d’infléchir. Le droit
d’amendement, en revanche, confère, dans le cadre du débat, le moyen le plus commode de
combattre le gouvernement sur le terrain que celui-ci aura choisi, mais sans maîtriser les fronts sur
lesquels portera l’attaque, laquelle dépend de l’opposition. Il ne faut donc pas s’étonner du fait que
les restrictions du temps de parole touchent plutôt, dans les faits, l’opposition […]. Le droit de
l’opposition n’est pas pour autant ignoré […]. Ce droit connaît cependant une triple limite,
constitutionnelle, procédurale, et tenant à son exercice aux fins d’obstruction.
On soulignera tout d’abord que ce droit est réglementé, dans le temps mais aussi dans son contenu :
il ne peut que très difficilement sortir du contexte dans lequel il s’exerce, le Conseil constitutionnel
ayant attrait à lui, avec sa décision du 13 décembre 1985, les prohibitions posées par les règles
parlementaires prévoyant que les amendements doivent se rapporter au texte en discussion. En
outre, l’article 40 de la Constitution fait obstacle à la possibilité, en matière de charge publique, de
développer de véritables solutions alternatives, puisque la compensation est interdite. Frein en
matière de recettes publiques, il devient un véritable obstacle constitutionnel incontournable, surtout
à l’Assemblée nationale où le contrôle s’exerce au stade du dépôt, en matière de dépense.
On observera ensuite que ce droit peut être abrégé par la panoplie d’armes à la disposition du
Gouvernement : lui seul peut demander un vote bloqué, engager sa responsabilité sur un texte
devant l’Assemblée nationale, déclencher la procédure de l’article 41, s’opposer aux amendements
qui n’ont pas été auparavant soumis à la commission saisie au fond. Même si, depuis le début de la
XIe législature, ces armes sont restées au fourreau, il ne peut pas oublier qu’elles sont avant
destinées à contrôler l’opposition.
On notera enfin que ce droit d’opposition ne saurait, en toute hypothèse, être assimilé à un droit
d’obstruction manifeste. L’apparition, depuis la septième législature, des techniques de filibustering,
dans des débats comme le statut des universités ou celui des entreprises de presse en 1983, la loi
d’habilitation en matière de Sécurité sociale en 1995, le pacs en 1999 ont amené des répliques
procédurales diverses, toujours admises par le Conseil constitutionnel.
À première vue, ces restrictions paraissent […] très fortes. En réalité, la dynamique propre aux
assemblées garantit souvent ces droits.
LA PRATIQUE ÉTEND LES DROITS À L’OPPOSITION
[…] Le mécanisme de régulation interne aux assemblées fait du droit parlementaire un droit
d’évolution fatalement lente, puisque consensuelle, mais d’innovation fatalement permanente.
Évolution lente, car il requiert l’accord de l’opposition, donc fondamentalement son respect par la
majorité. Innovation permanente, car la dynamique propre aux assemblées parlementaires est plus
forte qu’on ne le croit généralement. Quelques exemples peuvent aisément en témoigner. Le
premier pourrait être intitulé ‘l’affaire des questions en séance’.
Il est trop connu pour faire l’objet de longs développements. À la suite de la décision du Conseil
constitutionnel qui, le 21 janvier 1964, a jugé que l’expression de l’article 48 de la Constitution :
‘une séance par semaine est réservée aux questions…’ signifiait une seule, les assemblées, en
prenant acte du caractère très insuffisant des solutions auxquelles le respect de cette restriction
conduisait, ont dû innover en expérimentant, en marge des règlements, des solutions nouvelles,
reposant sur l’accord des participants. Ce n’est qu’en 1995 que la lettre de la Constitution a entériné
vingt ans de pratiques permettant de tenir plusieurs séances de questions par semaine, dont les
règles ont été élaborées par accord entre les acteurs.
Un deuxième exemple de l’élaboration de ‘son’ droit par le Parlement, et de la place ainsi conférée
à l’opposition, est celui du contrôle budgétaire. La mission d’évaluation et de contrôle de
l’Assemblée nationale, créée en 1999, est co-présidée par un député de l’opposition. Les groupes de
l’opposition disposent d’un certain nombre de postes de rapporteurs spéciaux – actuellement 12 sur
44 à l’Assemblée nationale – qui représentent un incontestable moyen d’action, notamment parce
qu’ils confèrent à leur titulaire la possibilité de contrôler sur pièces et sur place les dépenses du
ministère en cause, donc l’action du ministre. Peu pratiqué, ce type de contrôle […] est souvent le
prélude, ou le dénouement, d’une crise plus qu’un moyen usuel de vérifier la régularité des
opérations de dépenses, il est vrai très fortement garanti par la règle de la séparation des
ordonnateurs et des comptables. Mais il s’agit d’un moyen d’action conféré par la pratique à des
membres de l’opposition dans le champ du rapport spécial dont ils ont la charge […].
En tout cas, si la situation faite à l’opposition n’est pas aussi satisfaisante qu’on peut l’imaginer,
notamment si on la compare aux cas de nombreuses démocraties voisines, elle n’est pas aussi
critiquable qu’on veut bien le dire. Au moins, faut-il se défier du jugement, souvent hâtif, selon
lequel les procédures écraseraient systématiquement l’opposition, et par là même le Parlement tout
entier. Il ne faut pas oublier que les procédures parlementaires sous la Ve République ont été
pensées pour des cas dans lesquels le débat ne serait pas bipolaire et où la majorité aurait du mal à
se dégager. Si le débat parlementaire est devenu souvent réducteur, le droit parlementaire, lui,
pourtant élaboré par des acteurs antagonistes, est resté plus soucieux de l’équilibre des forces en
présence.
Document n° 6. Auby, J.-B., « L’avenir de la jurisprudence Blocage des prix et
des revenus », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 19, 2005, pp. 105-108.
I. Dans sa décision 143-DC du 30 juillet 1982, Blocage des prix et des revenus, le Conseil
constitutionnel admettait qu'il ne lui était pas possible, dans le cadre de la procédure de contrôle de
constitutionnalité de l'article 61, de censurer l'empiétement du législateur sur le domaine du
règlement :
" Considérant... que, si les articles 34 et 37, alinéa 1er, de la Constitution établissent une séparation
entre le domaine de la loi et celui du règlement, la portée de ces dispositions doit être appréciée en
tenant compte de celles des articles 37, alinéa 2, et 41; que la procédure de l'article 41 permet au
Gouvernement de s'opposer au cours de la procédure parlementaire et par la voie d'une
irrecevabilité à l'insertion d'une disposition réglementaire dans une loi, tandis que celle de
l'article 37, alinéa 2, a pour effet, après la promulgation de la loi et par la voie d'un déclassement, de
restituer l'exercice de son pouvoir réglementaire au Gouvernement et de donner à celui-ci le droit de
modifier une telle disposition par décret; que l'une et l'autre de ces procédures ont un caractère
facultatif; qu'il apparaît ainsi que, par les articles 34 et 37, alinéa 1er, la Constitution n'a pas
entendu frapper d'inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une
loi, mais a voulu, à côté du domaine réservé à la loi, reconnaître à l'autorité réglementaire un
domaine propre et conférer au Gouvernement, par la mise en oeuvre des procédures spécifiques des
articles 37, alinéa 2, et 41, le pouvoir d'en assurer la protection contre d'éventuels empiétements de
la loi. "
Vingt-trois ans plus tard, sans renoncer à cette jurisprudence, le Conseil, dans sa décision Avenir de
l'École, n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, s'est néanmoins reconnu le droit de constater, dans le
cadre de la procédure de l'article 61, le caractère réglementaire de dispositions de la loi qui lui était
soumise:
" Considérant que les articles 19, 22, 33 et 34 de la loi déférée se bornent respectivement à instituer
dans chaque académie une commission sur l'enseignement des langues vivantes étrangères, à
modifier la terminologie relative à un organisme déjà existant, à prévoir la création et les conditions
d'attribution d'un label de "lycée des métiers", à définir le "projet d'école ou d'établissement" et le
règlement intérieur que doivent adopter les écoles et établissements d'enseignement scolaire public;
qu'ils ne mettent en cause ni "les principes fondamentaux... de l'enseignement", qui relèvent de la
loi en vertu de l'article 34 de la Constitution, ni aucun autre principe ou règle que la Constitution
place dans le domaine de la loi; que ces dispositions ont, à l'évidence, le caractère réglementaire ".
Voici donc qu'une inflexion jurisprudentielle de réelle importance est apportée à une jurisprudence
dont on connaissait les forts enjeux et le poids concret. Nous nous poserons deux questions. La
première est de savoir comment interpréter et évaluer la portée du résultat combiné des deux
décisions. On essaiera ensuite de déterminer si la survenance de la seconde ne risque pas, par effet
retour, de forcer le Conseil à revenir sur la première.
II. Comment en est-on arrivé à la situation actuelle ?
La décision Blocage des prix et des revenus était en soi quelque chose de d'autant plus surprenant
que, si l'on avait imaginé une fonction principale pour la procédure de l'article 61 aux origines de la
Constitution, c'était bien de faire respecter par le Parlement la frontière entre le domaine de la loi et
celui du règlement. Seulement on sait, au moins depuis un certain colloque tenu à Aix-en-Provence
en 1977, que le diagnostic d'enfermement du législateur dans un étroit domaine que l'on avait porté
à l'examen de la Constitution en 1958 était inexact. " La révolution n'a pas eu lieu ", comme il a été
dit alors: parce que le Conseil constitutionnel a donné une interprétation extensive des dispositions
des articles 34 et 37, parce qu'il a admis que d'autres normes que celles contenues dans ces articles
contribuaient à fonder la compétence du législateur, parce qu'il s'est avéré que la distinction entre le
champ de la loi et celui du règlement était davantage verticale qu'horizontale, et qu'au législateur,
était confié le domaine éminent de la mise en cause des règles et principes essentiels, etc.
La décision Blocage ajoutait sa pierre de liberté: si le Gouvernement le laisse faire - car, d'une part,
rien ne l'oblige à déposer des projets de loi contenant des dispositions relevant du domaine du
règlement, d'autre part, il dispose de la procédure de l'article 41 pour s'opposer aux propositions et
amendements parlementaires qui sortent du domaine de la loi -, le Parlement peut légiférer au-delà
du domaine de la loi. De toute façon, dit le Conseil, le Gouvernement peut à tout moment reprendre
le sujet dans son giron et modifier les dispositions que le Parlement a adoptées à l'extérieur du
domaine de la loi en usant de la procédure de délégalisation de l'article 37, alinéa 2, de la
Constitution.
Cette décision était aussi " discutable en droit ", comme l'a écrit Bruno Genevois, qu'elle était
baignée d'excellentes justifications pratiques. Elle était assurément discutable en droit en ce qu'elle
admettait que le gardien de la constitutionnalité n'avait pas à s'émouvoir de ce qui était pourtant,
apparemment, une incompétence: c'est-à-dire une forme d'irrégularité que notre droit public
considère habituellement comme à ce point grave qu'il lui confère un caractère d'ordre public. La
justification tirée par le Conseil du fait que les procédures parallèles de l'article 37, alinéa 2, et de
l'article 41 présentaient un caractère facultatif avait du mal à convaincre: aucune des deux n'ayant
l'immense portée avérée de celle de l'article 61 - contrôler la constitutionnalité de la loi -, leur
discrétionnarité ne projette aucune ombre sur l'attachement du système à l'État de droit.
La décision n'en était pas moins fondée sur d'excellents motifs pratiques. Du point de vue des
équilibres institutionnels, comme du point de vue de l'efficacité de la production normative, elle
était même impeccable. Si le Gouvernement veut éviter l'intrusion du Parlement dans son domaine,
il dispose de l'irrecevabilité de l'article 41. S'il veut laisser faire, ou s'il a laissé passer par mégarde
des dispositions de nature réglementaire, il peut rattraper les choses à tout moment par la procédure
de délégalisation, qui est une procédure simple, et rapide. Le Gouvernement peut l'employer à tout
moment, discrétionnairement, même si sa décision de ne pas en user est, sur le principe, susceptible
de recours, et, conformément aux dispositions de l'ordonnance du 7 novembre 1958, le Conseil se
prononce dans un délai d'un mois, de huit jours même quand le Gouvernement déclare l'urgence: on
peut difficilement faire plus commode! Le Gouvernement peut donc à tout instant, et facilement,
récupérer son pouvoir: les équilibres institutionnels sont saufs. Le pouvoir réglementaire peut à tout
instant, et facilement, modifier ce que le législateur a adopté dans son domaine: l'efficacité de la
production normative y trouve son compte.
Il y a des cas dans lesquels on se passe même de la délégalisation. Par exemple, lorsqu'on fait
adopter un code par le législateur, rien n'empêche de lui demander d'abroger au passage des
dispositions de forme législative et de nature réglementaire: la place est libre, dès lors, pour le
Gouvernement, qui peut reprendre les normes abrogées, en forme réglementaire, sans avoir à passer
par la procédure de l'article 37, alinéa 2.
S'il en était besoin, on pouvait trouver à la décision une autre justification pratique. C'est qu’il est
très certainement plus facile de faire respecter une limite de compétence « vers le haut » que « vers
le bas » : on conçoit mieux, intellectuellement, ce que c'est que de mettre en cause un principe
essentiel ou une règle essentielle, que ce que c'est que d'aller trop loin dans les détails, de
s'immiscer dans la mise en oeuvre. C'est pourtant bien l'objet de la procédure de délégalisation, qui
est d'usage courant, objectera-t-on. La prise en compte de la jurisprudence de contrôle de
constitutionnalité qui, parfois, impose au législateur de ne pas trop laisser la bride sur le cou au
pouvoir réglementaire, de lui donner des indications suffisantes sur la façon dont il doit mettre en
oeuvre la loi, indique bien que l'exercice de délimitation " vers le bas " n'est par essence pas aisé. Le
législateur qui rentre dans les détails continue sur son élan, le pouvoir réglementaire qui pénètre
dans le domaine de la loi s'est nécessairement montré très hardi à un moment ou à un autre.
III. Le problème est que la flexibilité qui avait ainsi été introduite dans les règles de délimitation du
champ législatif a apporté sa contribution à un phénomène que beaucoup ont interprété comme une
dérive de la loi. On a peine à croire que la crainte éprouvée généralement en 1958 était que la
Constitution ait enfermé le législateur dans les limites d'un terrible carcan. À l'heure actuelle, ce que
les observateurs relèvent plutôt, c'est une sorte d'inflation de la loi, qui déborde de détails
techniques, empiète fréquemment sur le domaine du règlement, se répand en dispositions qui sont
plus proclamatoires qu’autre chose, est animée d'une grande instabilité, etc.
Le Gouvernement contribue d’ailleurs au mouvement. Les dispositions « bavardes » de la loi ont
souvent leur origine dans ses projets. Le fait que des amendements ou propositions parlementaires
pénètrent clairement dans le domaine réglementaire ne le choque pas beaucoup : la preuve en est
administrée par la désuétude de fait de la procédure de l'article 41. Parfois, le Gouvernement
encourage même l'empiétement. Le président du Conseil constitutionnel s’était, lui, ému
publiquement de ce laisser-aller dans son discours de voeux du 3 janvier 2005. On s'attendait à un
virage jurisprudentiel.
IV. Le Conseil pouvait envisager d'abandonner purement et simplement la solution de l'arrêt
Blocage des prix et des revenus. Cela n'aurait scandalisé personne.
Il a préféré l'amender fortement, et ce dans une décision quasiment tout entière vouée à la censure
des dérives évoquées plus haut, puisqu'elle commence par déclarer certaines dispositions non
conformes à la Constitution parce que beaucoup trop vagues et violant par là le principe de clarté de
la loi ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle et d'accessibilité de la loi. C’est la nonnormativité qui est ici sanctionnée.
Dans un second temps, c'est à la « réglementarité » de diverses autres dispositions que le Conseil
s'en prend. Non pas pour déclarer ces dispositions non conformes à la Constitution: la solution de la
décision Blocage... n'est pas démentie. Mais tout simplement pour les déclarer de caractère
réglementaire, exactement comme il l’aurait fait si la loi, une fois promulguée, lui avait été soumise
dans le cadre de la procédure de l'article 37, alinéa 2.
Y avait-il quelque objection à ce que les deux procédures soient ainsi traitées comme alternatives ?
Le Conseil a considéré que les termes larges de l’article 37 – qui, en vérité, ne se réfère pas à une
procédure particulière, mais impose simplement l'intervention du juge constitutionnel lorsque le
texte de forme législative est postérieur à 1958 – permettaient une réponse négative.
On pourrait épiloguer en plaidant que la voie de l'article 37, alinéa 2, est bien organisée par un texte
spécial – les articles 24 et suivants de l'ordonnance du 7 novembre 1958 –, ou que la loi soumise au
Conseil dans le cadre de la procédure de l'article 61 n'est peut-être pas encore un « texte de forme
législative » – seul type d'acte pouvant faire l'objet d'une délégalisation en vertu de l'article 37. Mais
cela ne serait pas très utile, la voie de l’article 61 étant elle aussi organisée par un texte – la même
ordonnance du 7 novembre 1958, d'ailleurs –, cependant que les actes sur lesquels se penche le
Conseil dans la procédure de l’article 61, s’ils n'ont pas encore plein statut d’opposabilité, sont déjà
bien lois, et peuvent donc être dits « textes de forme législative » là où leur contenu est
matériellement réglementaire.
V. Nous voici donc dotés d'un mécanisme supplémentaire de délégalisation, à caractère préventif.
Sommes-nous sûrs de bien savoir comment il fonctionnera ?
Notons d'abord que son secret repose sur la conviction de ce que le Gouvernement saisira bien la
balle au bond, qu'il n'aura pas d'hésitation sur le fait que la déclaration de « réglementarité » émise
dans le cadre de la procédure de l'article 61 est bien l'équivalent de celles qui sont faites dans le
cadre de la procédure habituelle de délégalisation a posteriori: qu'il n'hésitera donc pas à modifier
par décret ce qui aura fait l'objet de cette déclaration. Le Gouvernement ne se lancera que s'il est sûr
de voir le Conseil d'État se trouver en communion d'idées, sur tout cela, avec le Conseil
constitutionnel.
Il ne devrait pas y avoir de grand mystère sur le statut intermédiaire des dispositions déclarées
réglementaires, avant leur modification. Très vraisemblablement, comme les dispositions déclarées
réglementaires dans le cadre de la procédure " classique " de délégalisation, elles conserveront le
caractère formel de la loi, et ne pourront donc faire l'objet d'aucun recours: elles ne seront
vulnérables, comme toute loi, qu'au contrôle de conventionnalité qui conduirait un juge à faire
prévaloir sur elles des normes internationales ou européennes.
Aux chapitres de l'initiative et de l'ampleur de la délégalisation, le commentaire que le site internet
du Conseil consacre à la décision Avenir de l'École verse la pièce suivante: le juge constitutionnel
devrait " se limiter (aux dispositions) qui sont expressément contestées ou, si le grief tiré des
empiétements est "transversal", aux plus caractéristiques des dispositions réglementaires du texte ".
Les auteurs de la saisine, faut-il préciser, avaient benoîtement plaidé que la loi comportait " de
nombreuses dispositions sans aucune portée législative ".
L'idée selon laquelle le tri faisant apparaître les dispositions de nature réglementaire pourrait ne pas
être exhaustif n'est pas très choquante: après tout, s'il pense que des dispositions autres que celles
épinglées par le Conseil sont de nature réglementaire, et s'il veut les modifier, le Gouvernement
pourra toujours user de la procédure " classique " de délégalisation. La jurisprudence viendra nous
indiquer si la déclaration de « réglementarité » peut intervenir d'office, ou si elle doit
nécessairement être demandée comme les commentaires autorisés le suggèrent. On sait en tous les
cas déjà qu'elle peut être demandée, et qu'elle peut l'être par d'autres que le Gouvernement.
VI. Au demeurant, on voit bien que la solution de la décision Avenir de l'École devrait – aussi,
surtout ? – avoir un effet dissuasif.
Comme la délégalisation a posteriori, la délégalisation préventive s’abstient d’être une déclaration
d’inconstitutionnalité. Elle n'en a pas moins un aspect stigmatisant, vexatoire : à travers elle, le
Parlement s'entend dire qu'il s'est mêlé de ce qui ne le regardait pas, qu'il a laissé aller sa plume, et
le Gouvernement qui a inspiré ou laissé faire en prend aussi pour son grade.
On peut donc prévoir une nouvelle inflexion dans les occupations respectives de l’espace normatif
par le législateur et le pouvoir réglementaire. Le balancier devrait aujourd'hui repartir vers un peu
plus de concision législative. Ce dont on pourra se réjouir, si le pouvoir réglementaire ne profite pas
de l'ouverture pour se laisser lui-même aller à la prolixité.
VII. On pardonnera au commentateur universitaire de dire que le dispositif juridique résultant des
décisions Blocage des prix et des revenus et Avenir de l'École le laisse cependant un peu sur sa faim
théorique, et ceci sur deux plans.
La définition juridique de la loi est-elle, dans notre système, formelle ou matérielle ? La loi se
reconnaît-elle à la façon dont elle est émise ou à ce sur quoi elle porte ? Notre tradition doctrinale
était plutôt dans le sens d'une définition formelle: le législateur pouvant intervenir sur ce qu'il veut,
on ne peut reconnaître la loi qu'à son auteur et à sa procédure. La lecture initiale que l'on a faite des
dispositions des articles 34 et 37 de la Constitution de 1958 a donné l'impression que l'élément
matériel s'introduisait fortement. À la découverte de la décision Blocage des prix et des revenus, on
a eu le sentiment que cet élément ne pesait pourtant pas lourd, puisque le législateur pouvait bel et
bien toujours intervenir dans tout domaine sans qu'il en résultât une inconstitutionnalité.
La décision Avenir de l'École réintroduit la considération matérielle. Le législateur peut bien
toujours émettre des règles en tout domaine – si le Gouvernement n'use pas de l'irrecevabilité de
l'article 41 –, mais celles qu'il émet hors du domaine de la loi pourront être marquées au fer rouge
de la « réglementarité ». Dans la loi victime de la délégalisation a priori, il y aura des dispositions
vraiment législatives, d’autres qui, de forme législative, auront dès l’origine été désignées comme
matériellement réglementaires. Le tout sera formellement loi, mais, matériellement, personne ne
sera dupe. La loi s'identifiera, certes, toujours par ses caractères formels, mais dans le sein de
certaines d'entre elles, des plages matériellement réglementaires seront repérées. Liée à celle qui
vient d'être évoquée, il y a une autre question théorique, qui est de savoir de quelle nature est la
règle de délimitation des choses de la loi et de celles du règlement, telle qu'elle résulte des
articles 34 et 37 - auquel on joindra l'article 41. Est-ce ou non une règle de compétence ?
La plus spontanée des réponses est qu’il s'agit bien d'une règle de répartition des compétences. Et
pourtant, la décision Avenir de l'École nous confirme que sa méconnaissance par le législateur ne
constitue pas une violation de la Constitution, alors que le franchissement de la frontière qu'elle
trace est une illégalité, de la nature d'une incompétence, et donc d'ordre public, lorsqu'elle est le fait
du pouvoir réglementaire. C'est à se demander si en vérité les règles combinées des articles 37
alinéa 2 et 41 n'ont pas, pour le législateur, la simple valeur de règles de procédure. Tout se passe en
effet comme si, à l'instar du Parlement anglais, le nôtre était compétent pour prendre des normes
dans tout secteur, y compris le domaine réglementaire. Cependant que le Gouvernement, également
compétent en matière réglementaire cela va de soi, peut faire prévaloir sa compétence, évincer le
Parlement voulant entrer ou étant entré dans le domaine du règlement, par trois voies :
préventivement en ne présentant pas de projets de loi sortant du domaine de la loi et/ou en utilisant
les moyens de l'article 41, après le vote de la loi et avant sa promulgation en demandant au Conseil
constitutionnel de procéder à des délégalisations a priori, ensuite, en usant de la délégation
classique, a posteriori.
On objectera qu’une même norme ne peut pas être règle de compétence pour l’un, règle de
procédure pour l’autre. Voire ! Dans les rapports normatifs hiérarchiques, il n’est pas impossible
qu'une même délimitation des rôles soit règle de compétence pour l’autorité inférieure, qui ne peut
aucunement décider en dehors du champ qui lui est dévolu, et règle de procédure pour l’autorité
supérieure qui peut en usant de certaines formalités, contourner la délimitation de son pouvoir : par
exemple, la délimitation des pouvoirs entre l’État et les territoires d’outre-mer est pleinement une
règle de compétence pour ces derniers, mais elle a essentiellement le sens d’une règle de procédure
pour l'État, qui peut toujours la modifier par les formalités de la loi organique.
On aimerait bien que le Conseil constitutionnel nous en dise plus, non seulement sur les données
techniques de la procédure dont il a admis l'existence dans la décision du 21 avril 2005, mais aussi
sur le sens général de ce qui résulte de la combinaison entre celle-ci et la décision Blocage des prix
et des revenus. L’avenir de celle-ci paraît assuré, ce dont on n’aurait pas juré il y a quelque temps,
mais elle ne nous a pas encore pleinement livré les clefs du temple normatif dont elle est l’un des
gardiens.
Université Paris 8
Droit constitutionnel – Ve République
(Semestre 2)
Professeur : Jean-Louis Iten
Séance de travaux dirigés n° 7 : Galop d'essai
Université Paris 8
Droit constitutionnel – Ve République
(Semestre 2)
Professeur : Jean-Louis Iten
Séance de travaux dirigés n° 8 : Le Conseil constitutionnel
Document n° 1 : Article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958.
Document n° 2 : Conseil constitutionnel, Décision n° 2010-605 DC du 12 mai
2010, Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des
jeux d'argent et de hasard en ligne (extrait).
Document n° 3 : CJUE, Arrêt du 22 juin 2010, Melki, aff. C-188/10 et 189/10
[extrait].
Document n° 4 : Conseil constitutionnel, Décision n°2010-79 QPC du
17 décembre 2010, M. Kamel D.
Document n° 5 : Conseil constitutionnel, Décision n°2010-45 QPC du 6 octobre
2010, Noms de domaine Internet, considérant 6.
Document n° 6 : Considérations et proposition du Comité dit « Balladur »
relatives à l’article 41 de la Constitution, 29 octobre 2007, pp. 42 et 43.
Document n° 7 : Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique,
Pour un renouveau démocratique, novembre 2012, p. 102.
Document n° 8, Haenel, H., Vers une Cour suprême ?, Université de Nancy,
21 octobre 2010.
Cas pratique :
Le Maire de votre Commune vous fait part de ses inquiétudes concernant
les mesures adoptées depuis la proclamation de l'état d'urgence. De nombreux
administrés s'en plaignent et, parmi eux, certains affirment qu'elles sont
contraires à la Constitution. En plein désarroi mais connaissant vos compétences
en Droit constitutionnel, il vous demande de lui expliquer de quoi il retourne.
Vous devez donc lui établir une note de quelques pages lui expliquant
clairement ce qu'il en est. Elle contiendra un exposé précis du déroulement de la
procédure (il sera sans doute nécessaire de préciser à votre Maire les raisons
pour lesquelles plusieurs juridictions interviennent), des arguments des
requérants à chacune des étapes en fonction des décisions qu'ils souhaitent
obtenir des juridictions qui sont amenées à se prononcer et les motifs avancés
par ces dernières.
Sans faire état de votre point de vue personnel (les municipales étant une
échéance encore lointaine, le Maire ne s'intéresse guère à vos opinions), vous
mettrez en évidence ce qui justifie ou non les décisions que vous aurez
identifiées. A cette fin, vos recherches dans les revues spécialisées devraient vous
être d'un grand secours.
Enfin, le Maire s'interroge sur les conséquences d'une éventuelle
déclaration d'inconstitutionnalité de la loi sur le fondement de laquelle les
mesures ont été adoptées. Vous lui présenterez les différentes hypothèses si le
Conseil devait (ou avait dû) déclarer cette loi contraire à la Constitution.
Document n° 1 : Article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958.
« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une
disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil
constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé.
« Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »
Document n° 2 : Conseil constitutionnel, Décision n° 2010-605 DC du 12 mai
2010, Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des
jeux d'argent et de hasard en ligne (extrait).
« […] En ce qui concerne les griefs relatifs au droit de l'Union européenne :
9. Considérant que les requérants soutiennent que « le droit communautaire n'impose nullement une
telle ouverture à la concurrence puisque la Cour de justice de l'Union européenne admet au
contraire le maintien des monopoles dès lors qu'ils sont justifiés par les objectifs de protection de
l'ordre public et de l'ordre social » ; qu'ils invitent le Conseil constitutionnel à vérifier que la loi «
n'est pas inconventionnelle » en se référant à l'arrêt de la Cour de cassation du 16 avril 2010 susvisé
qui indique que le Conseil constitutionnel pourrait exercer « un contrôle de conformité des lois aux
engagements internationaux de la France, en particulier au droit communautaire » ;
- Quant à la supériorité des engagements internationaux et européens sur les lois :
10. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 55 de la Constitution : « Les traités ou accords
régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois,
sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie » ; que, si ces
dispositions confèrent aux traités, dans les conditions qu'elles définissent, une autorité supérieure à
celle des lois, elles ne prescrivent ni n'impliquent que le respect de ce principe doive être assuré
dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution ;
11. Considérant, d'autre part, que, pour mettre en œuvre le droit reconnu par l'article 61-1 de la
Constitution à tout justiciable de voir examiner, à sa demande, le moyen tiré de ce qu'une
disposition législative méconnaît les droits et libertés que la Constitution garantit, le cinquième
alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée et le deuxième alinéa de son
article 23-5 précisent l'articulation entre le contrôle de conformité des lois à la Constitution, qui
incombe au Conseil constitutionnel, et le contrôle de leur compatibilité avec les engagements
internationaux ou européens de la France, qui incombe aux juridictions administratives et
judiciaires ; qu'ainsi, le moyen tiré du défaut de compatibilité d'une disposition législative aux
engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief
d'inconstitutionnalité ;
12. Considérant que l'examen d'un tel grief, fondé sur les traités ou le droit de l'Union européenne,
relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires ;
13. Considérant, en premier lieu, que l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil
constitutionnel en vertu de l'article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des
juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces engagements sur une disposition
législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la
Constitution ;
14. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des termes mêmes de l'article 23-3 de l'ordonnance
du 7 novembre 1958 susvisée que le juge qui transmet une question prioritaire de constitutionnalité,
dont la durée d'examen est strictement encadrée, peut, d'une part, statuer sans attendre la décision
relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'il statue
dans un délai déterminé ou en urgence et, d'autre part, prendre toutes les mesures provisoires ou
conservatoires nécessaires ; qu'il peut ainsi suspendre immédiatement tout éventuel effet de la loi
incompatible avec le droit de l'Union, assurer la préservation des droits que les justiciables tiennent
des engagements internationaux et européens de la France et garantir la pleine efficacité de la
décision juridictionnelle à intervenir ; que l'article 61-1 de la Constitution pas plus que les
articles 23 1 et suivants de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne font obstacle à ce que le
juge saisi d'un litige dans lequel est invoquée l'incompatibilité d'une loi avec le droit de l'Union
européenne fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions
législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l'Union soient appliquées dans
ce litige ;
15. Considérant, en dernier lieu, que l'article 61-1 de la Constitution et les articles 23-1 et suivants
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne privent pas davantage les juridictions
administratives et judiciaires, y compris lorsqu'elles transmettent une question prioritaire de
constitutionnalité, de la faculté ou, lorsque leurs décisions ne sont pas susceptibles d'un recours
juridictionnel de droit interne, de l'obligation de saisir la Cour de justice de l'Union européenne
d'une question préjudicielle en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne ;
16. Considérant que, dans ces conditions, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en
application de l'article 61 ou de l'article 61-1 de la Constitution, d'examiner la compatibilité d'une
loi avec les engagements internationaux et européens de la France ; qu'ainsi, nonobstant la mention
dans la Constitution du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, il ne lui revient pas de
contrôler la compatibilité d'une loi avec les stipulations de ce traité ; que, par suite, la demande
tendant à contrôler la compatibilité de la loi déférée avec les engagements internationaux et
européens de la France, en particulier avec le droit de l'Union européenne, doit être écartée ;
- Quant à l'exigence de transposition des directives européennes :
17. Considérant qu'aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe à
l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de
leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de
l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 » ; qu'ainsi,
la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence
constitutionnelle ;
18. Considérant qu'il appartient au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par
l'article 61 de la Constitution d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive
communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu'il exerce à cet
effet est soumis à une double limite ; qu'en premier lieu, la transposition d'une directive ne saurait
aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf
à ce que le constituant y ait consenti ; qu'en second lieu, devant statuer avant la promulgation de la
loi dans le délai prévu par l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la
Cour de justice de l'Union européenne sur le fondement de l'article 267 du traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne ; qu'en conséquence, il ne saurait déclarer non conforme à
l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement incompatible avec la
directive qu'elle a pour objet de transposer ; qu'en tout état de cause, il appartient aux juridictions
administratives et judiciaires d'exercer le contrôle de compatibilité de la loi au regard des
engagements européens de la France et, le cas échéant, de saisir la Cour de justice de l'Union
européenne à titre préjudiciel ;
19. Considérant, en revanche, que le respect de l'exigence constitutionnelle de transposition des
directives ne relève pas des « droits et libertés que la Constitution garantit » et ne saurait, par suite,
être invoqué dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité ;
20. Considérant qu'en l'espèce, la loi déférée n'a pas pour objet de transposer une directive ; que, dès
lors, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 88-1 de la Constitution doit être écarté ;
21. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance du droit de
l'Union européenne doivent être rejetés ; »
Document n° 3 : CJUE, Arrêt du 22 juin 2010, Melki, aff. C-188/10 et 189/10
[extrait].
« 57. [... ] l’article 267 TFUE s’oppose à une législation d’un État membre qui instaure une
procédure incidente de contrôle de constitutionnalité des lois nationales, pour autant que le caractère
prioritaire de cette procédure a pour conséquence d’empêcher, tant avant la transmission d’une
question de constitutionnalité à la juridiction nationale chargée d’exercer le contrôle de
constitutionnalité des lois que, le cas échéant, après la décision de cette juridiction sur ladite
question, toutes les autres juridictions nationales d’exercer leur faculté ou de satisfaire à leur
obligation de saisir la Cour de questions préjudicielles. En revanche, l’article 267 TFUE ne
s’oppose pas à une telle législation nationale, pour autant que les autres juridictions nationales
restent libres:
–
de saisir, à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié, et même à l’issue de la
procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de toute question préjudicielle
qu’elles jugent nécessaire,
–
d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des
droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, et
–
de laisser inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, la disposition législative
nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l’Union.
Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la législation nationale en cause au principal
peut être interprétée conformément à ces exigences du droit de l’Union. […] »
Document n° 4 : Conseil constitutionnel, Décision n° 2010-79 QPC du
17 décembre 2010, M. Kamel D.
« Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 octobre 2010 par le Conseil d'État (décision n° 338505
du 8 octobre 2010), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question
prioritaire de constitutionnalité posée par M. Kamel D., relative à la conformité aux droits et libertés
que la Constitution garantit de l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du
droit d'asile.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel ;
Vu la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives
aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir
prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection
internationale, et relatives au contenu de ces statuts ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les
questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à
la Cour de cassation, enregistrées les 2 et 17 novembre 2010 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 2 novembre 2010 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Spinosi pour le requérant et M. Thierry-Xavier Girardot, désigné par le Premier ministre, ayant
été entendus à l'audience publique du 7 décembre 2010 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du
droit d'asile : « La protection subsidiaire n'est pas accordée à une personne s'il existe des raisons
sérieuses de penser :
« a) Qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ;
« b) Qu'elle a commis un crime grave de droit commun ;
« c) Qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations
unies ;
« d) Que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité
publique ou la sûreté de l'État » ;
2. Considérant que, selon le requérant, ces dispositions méconnaissent le principe de la dignité
humaine et l'article 66-1 de la Constitution aux termes duquel : « Nul ne peut être condamné à la
peine de mort » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe à
l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de
leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de
l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 » ; qu'en
l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la
France, le Conseil constitutionnel n'est pas compétent pour contrôler la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les
conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive de l'Union
européenne ; qu'en ce cas, il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne, saisi le cas échéant à
titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette directive des droits fondamentaux garantis par
l'article 6 du Traité sur l'Union européenne ;
4. Considérant que les dispositions contestées se bornent à tirer les conséquences nécessaires de
dispositions inconditionnelles et précises de la directive du 29 avril 2004 qui ne mettent en cause
aucune règle ni aucun principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France ; que, par suite, il
n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, d'examiner la question prioritaire de constitutionnalité
susvisée,
DÉCIDE :
Article 1er.° Il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de statuer sur la question prioritaire de
constitutionnalité renvoyée par le Conseil d'État. [...] »
Document n° 5 : Conseil constitutionnel, Décision n°2010-45 QPC du 6 octobre
2010, Noms de domaine Internet, considérant 6.
« L'article L. 45 du code des postes et des communications électroniques confie à des organismes
désignés par le ministre chargé des communications électroniques l'attribution et la gestion des
noms de domaine " au sein des domaines de premier niveau du système d'adressage par domaines
de l'internet, correspondant au territoire national ". Il se borne à prévoir que l'attribution par ces
organismes d'un nom de domaine est assurée " dans l'intérêt général, selon des règles non
discriminatoires rendues publiques et qui veillent au respect, par le demandeur, des droits de la
propriété intellectuelle ". Pour le surplus, cet article renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de
préciser ses conditions d'application. Si le législateur a ainsi préservé les droits de la propriété
intellectuelle, il a entièrement délégué le pouvoir d'encadrer les conditions dans lesquelles les noms
de domaine sont attribués ou peuvent être renouvelés, refusés ou retirés. Aucune autre disposition
législative n'institue les garanties permettant qu'il ne soit pas porté atteinte à la liberté d'entreprendre
ainsi qu'à l'article 11 de la Déclaration de 1789. Par suite, le législateur a méconnu l'étendue de sa
compétence. Il en résulte que l'article L. 45 du code des postes et des communications électroniques
est contraire à la Constitution. »
Document n° 6 : Considérations et proposition du Comité dit « Balladur »
relatives à l’article 41 de la Constitution, 29 octobre 2007, pp. 42 et 43.
« […] l’irrecevabilité prévue à l’article 41 de la Constitution en cas de méconnaissance de la
répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir règlementaire reste sans grande
portée pratique. Il est vrai que la procédure correspondante est lourde, puisque, en cas de désaccord
entre le Gouvernement et le président de l’assemblée intéressée sur une question de recevabilité
pour empiètement sur le domaine règlementaire, c’est au Conseil constitutionnel de statuer sous huit
jours, ce qui a pour effet de suspendre le cours de la discussion. Cette possibilité a été peu utilisée
depuis 1958, seules onze décisions d’irrecevabilité ayant été prises dans ces conditions On pouvait
même craindre qu’elle ne fût tombée en désuétude, avant qu’elle ne soit de nouveau mise en œuvre,
en 2005, pour faire obstacle au dépôt de quelque 15 000 amendements à un projet de loi sur les
activités postales.
« […] À ce stade, le Comité recommande que la procédure d’irrecevabilité de l’article 41 soit
complétée : comme le Gouvernement, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat
disposeraient du pouvoir de constater l’irrecevabilité d’amendements qui ne respecteraient pas la
répartition entre les domaines législatif et réglementaire (Proposition n° 30). Dans le même esprit,
le président de la commission des lois de chacune des deux assemblées pourrait s’opposer à la
discussion d’un tel amendement, comme le fait, dans la pratique, le président de la commission des
finances en application de l’article 40 de la Constitution. »
Proposition n° 30
« Respect des articles 34 et 37 de la Constitution
Permettre au Président de chaque assemblée de déclarer irrecevables les amendements intervenant
dans le domaine réglementaire
Article 41
S'il apparaît au cours de la procédure législative qu'une proposition ou un amendement n'est pas du
domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38, le
Gouvernement ou le président de l’assemblée intéressée peut opposer l'irrecevabilité.
En cas de désaccord entre le Gouvernement et le Président de l'assemblée intéressée, le Conseil
Constitutionnel, à la demande de l'un ou de l'autre, statue dans un délai de huit jours. »
Document n° 8 : Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique,
Pour un renouveau démocratique, novembre 2012, p. 102.
« La Commission estime nécessaire, dans la perspective de rénovation de la vie publique et de
prévention des conflits d’intérêts dans laquelle elle a inscrit ses travaux, de proposer deux réformes
relatives aux membres du Conseil constitutionnel.
La première concerne la catégorie des membres de droit.
Il est souvent relevé que la présence, de droit et à vie, des anciens Présidents de la République
soulève des difficultés sérieuses pour l’exercice des missions juridictionnelles confiées à cette
institution, qui est tout à la fois juge électoral et juge de la constitutionnalité des lois. La réforme de
1974, et plus encore celle de 2008, qui a créé le mécanisme de la question prioritaire de
constitutionnalité, ont, à cet égard, mis en lumière des problèmes que le constituant de 1958 n’avait
pas anticipés.
Que la seule qualité d’ancien chef de l’État suffise pour être membre d’une institution à caractère
juridictionnel paraît à la Commission contraire à l’esprit qui a animé ses réflexions : l’appartenance,
de droit, au Conseil constitutionnel de ceux qui ont été les plus hauts responsables politiques du
pays introduit en effet, par elle-même, une forme de confusion entre fonctions juridictionnelles et
fonctions politiques qui ne lui paraît pas souhaitable.
Elle propose donc de supprimer la catégorie des membres de droit du Conseil constitutionnel et
d’abroger, à cette fin, le deuxième alinéa de l’article 56 de la Constitution. Une telle réforme devrait
prendre effet immédiatement.
Par ailleurs, la Commission considère que le régime des incompatibilités devrait être étendu pour
qu’il soit impossible à un membre de cette institution d’exercer des activités de conseil, même
réglementées. Elle estime en effet que l’exercice de telles activités crée, pour les membres d’une
telle institution à caractère juridictionnel, un risque élevé de conflit d’intérêts. »
Document n° 7 : Haenel, H., Vers une Cour suprême ?, Université de Nancy,
21 octobre 2010.
« Le Conseil constitutionnel a fêté, il y a deux ans, son cinquantième anniversaire. Cet événement a
permis de mesurer tout le chemin parcouru depuis sa création en 1958.
- Alors qu’il n’était à l’origine que juge des élections parlementaires et gardien des prérogatives du
pouvoir exécutif, le Conseil a d’abord, en 1971, élargi le champ de son contrôle en intégrant dans le
bloc de constitutionnalité la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le
Préambule de la Constitution de 1946. Le Conseil est ainsi devenu, non plus seulement le gardien
de la procédure constitutionnelle, mais le protecteur des droits fondamentaux.
- Ensuite, depuis la réforme constitutionnelle de 1974, le Conseil constitutionnel peut être saisi par
l’opposition parlementaire avant la promulgation d’une loi définitivement adoptée. Il s’agit là d’un
contrôle efficace puisque la loi qui porte atteinte aux droits fondamentaux disparaît avant d’être
appliquée.
Cette évolution a permis une constitutionnalisation croissante des droits et libertés des citoyens.
Aujourd’hui, la loi a cessé d’être toute puissante : elle n’est l’expression de la volonté générale que
dans priori, la saisine du Conseil constitutionnel reste facultative pour les lois ordinaires. Or il
arrive que, parfois pour des raisons d’opportunité politique, les acteurs politiques décident de ne pas
saisir le Conseil. Par ailleurs les lois antérieures à 1958 n’ont par définition jamais été soumises au
Conseil. Il se peut donc que subsistent, dans l’ordre juridique, des lois promulguées qui portent
atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution sans que les citoyens puissent trouver un
juge pour faire constater cette atteinte. La France était ainsi devenue un des derniers pays d’Europe
à ne pas permettre au justiciable de saisir, directement ou indirectement, le juge constitutionnel pour
faire respecter ses droits fondamentaux. C’est ce qui a conduit à la révision constitutionnelle du 23
juillet 2008 et à la création de la question prioritaire de constitutionnalité, la QPC. À la suite de
cette révision constitutionnelle, vous vous interrogez déjà sur l’évolution vers une Cour suprême. Je
voudrais cependant vous montrer que :
I – Le Conseil constitutionnel n’est pas une Cour suprême mais se rattache au modèle kelsenien des
Cours constitutionnelles.
II – Au sein des modèles kelseniens, le Conseil constitutionnel présente des originalités fortes qui
n’en font pas une Cour suprême au-dessus du Conseil d’État et de la Cour de cassation.
I – Le Conseil constitutionnel n’est pas une Cour suprême mais se rattache au modèle
kelsenien des Cours constitutionnelles.
Il existe deux grands systèmes d’organisation des cours constitutionnelles (A). L’autorité des
décisions de ces cours est très différente (B).
A - Deux grands systèmes.
- Le premier système est celui de la Cour suprême de type américain. La Cour suprême des ÉtatsUnis en est l’exemple le plus ancien puisqu’il remonte formellement à la Constitution de 1787 et
fonctionnellement à 1803 avec l’arrêt Madison v. Marbury. Cette cour a servi de modèle à de
nombreux pays, notamment l’Inde et Israël. Ce système se caractérise par deux traits : d’une part, le
pouvoir judiciaire apparaît comme une branche du pouvoir, autonome par rapport aux deux autres
branches, législative et exécutive ; d’autre part, la Cour suprême, placée au sommet d’un ordre de
juridiction unique, exerce son autorité sur toutes les autres juridictions.
- Le second système est celui conçu par Hans Kelsen. Il est apparu en 1920 avec la création de la
Cour constitutionnelle d’Autriche. Ce modèle européen de justice constitutionnelle se caractérise,
pour reprendre la définition du doyen Favoreu, par la création d’une Cour constitutionnelle qui est
« une juridiction créée pour connaître spécialement et exclusivement du contentieux constitutionnel,
située hors de l’appareil juridictionnel ordinaire et indépendante de celui-ci, comme des pouvoirs
publics ». Ce modèle kelsenien s’est développé en Europe en deux grandes vagues : d’une part,
après la seconde guerre mondiale avec la création des Cours constitutionnelles italienne et
allemande ; d’autre part, après la chute du mur de Berlin, avec l’apparition de Cours
constitutionnelles dans l’ensemble des pays d’Europe centrale et orientale et des pays de l’ancienne
URSS. Ce modèle kelsenien connaît lui-même deux variantes :
Le juge ordinaire peut avoir la possibilité de renvoyer, par une question préjudicielle, devant la
Cour constitutionnelle l’examen de la constitutionnalité d’une loi dont il doit faire application. Ce
système instaure un dialogue entre la Cour constitutionnelle et les juridictions ordinaires. Il existe
en Italie, en Espagne ou en Allemagne.
Les citoyens eux-mêmes peuvent, après épuisement des voies de recours ordinaires, avoir la
possibilité de se prévaloir devant la Cour constitutionnelle de la violation par l’administration, ou
même par une juridiction, de leurs droits et libertés fondamentales. C’est le système qui existe en
Allemagne (Verfassungsbeschwerde), et en Espagne (amparo). Cette variante tend à rapprocher la
Cour constitutionnelle d’une Cour suprême.
B - L’autorité de l’interprétation constitutionnelle vis-à-vis des autres juges est fonction de la
nature du contrôle de constitutionnalité.
L’autorité des décisions d’une Cour constitutionnelle dépend du point de savoir s’il existe ou non
une sanction de cette autorité vis-à-vis des autres juges, c’est-à-dire si la Cour constitutionnelle peut
ou non annuler les jugements des autres juridictions. De ce point de vue, la situation est
évidemment fondamentalement différente entre le modèle d’une Cour suprême et le modèle
kelsenien.
• Dans le modèle des Cours suprêmes, celles-ci sont placées au sommet du système juridictionnel
ordinaire. Les Cours suprêmes sont, selon la définition du doyen Favoreu, « des juridictions placées
au sommet d’un édifice juridictionnel et dont relèvent, par la voie de l’appel ou de la cassation,
l’ensemble des tribunaux et cours composant cet édifice ». La suprématie résulte du rapport
hiérarchique qui relie la Cour aux autres autorités juridictionnelles. La Cour suprême est, par
construction, en mesure d’imposer son point de vue aux autres juridictions par une sanction radicale
qui est l’annulation de leurs jugements. Ainsi, en tant que plus haute instance du pouvoir judiciaire
fédéral, la Cour suprême des États-Unis a la charge de garantir une application effective et une
interprétation uniforme du droit fédéral et notamment de la Constitution. Elle peut annuler, non
seulement les décisions des juridictions fédérales mais également les décisions des Cours suprêmes
des États qui méconnaîtraient le droit de l’Union.
• Dans le modèle kelsenien, les choses sont très différentes puisque la Cour constitutionnelle,
distincte de l’appareil juridictionnel ordinaire, n’est pas en mesure, comme l’est une Cour suprême,
de lui imposer ses décisions. En Italie, un juge judiciaire peut renvoyer à la Cour constitutionnelle,
par voie d’exception, la question de la constitutionnalité d’une loi dont il doit faire application dans
le litige dont il est saisi. La mise en place de ce contrôle de constitutionnalité a donné lieu à des
tensions dans les années 60-70 entre la Cour de cassation et la Cour constitutionnelle. Ces tensions
se sont apaisées avec les jurisprudences sur la théorie du droit vivant. En Espagne ou en Allemagne,
quiconque s’estime lésé par la puissance publique dans l’un de ses droits fondamentaux consacré
par la Constitution peut saisir la Cour constitutionnelle. Cette voie de recours permet aux Cours
constitutionnelles concernées d’annuler des jugements. En Allemagne, comme en Espagne, cette
voie de recours est très utilisée. Elle domine même l’activité de ces Cours et leur permet d’assurer
une application uniforme de la Constitution sur l’ensemble du territoire en imposant leurs décisions
aux juridictions inférieures.
En ce qui concerne le Conseil constitutionnel français, chacun connaît ses attributions dans le
domaine du contrôle de la conformité de la loi à la Constitution. Depuis 1958, ce contrôle s’exerce
de manière a priori, dans le cadre de l’article 61 de la Constitution. En outre, avec la révision
constitutionnelle du 23 juillet 2008, il s’exerce a posteriori dans le cadre de l’article 61-1 de la
Constitution : la question prioritaire de constitutionnalité est soulevée à l’occasion d’une instance
devant le juge a quo. Elle est, le cas échéant, transmise au Conseil d’État ou à la Cour de cassation
puis renvoyée au Conseil constitutionnel. Nous reviendrons sur le cas français très particulier. Mais
il est déjà intéressant de souligner sa différence avec les autres pays d’Europe où la Cour
constitutionnelle n’est jamais saisie par la Cour suprême d’un des deux ordres de juridiction.
II – Au sein des modèles kelseniens, le Conseil constitutionnel présente des originalités fortes
qui n’en font pas une Cour suprême au-dessus du Conseil d’État et de la Cour de cassation.
A – La création de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) renforce le Conseil
constitutionnel dans sa fonction de juge constitutionnel.
Le constituant a, par la révision du 23 juillet 2008, créé, avec l’article 61-1 de la Constitution, la
question prioritaire de constitutionnalité. Il a ainsi ouvert aux justiciables un droit nouveau, en
permettant que le Conseil constitutionnel puisse être saisi, à l’occasion des procès intentés devant
les juridictions administratives et judiciaires, s’ils estiment qu’une disposition législative
promulguée porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. La question de
constitutionnalité peut être soulevée au cours de toute instance, devant toute juridiction relevant du
Conseil d’État ou de la Cour de cassation, y compris pour la première fois en appel ou en cassation.
La juridiction saisie du litige procède à un premier examen, destiné à vérifier que l’argumentation
présente un minimum de consistance, avant de renvoyer la question de constitutionnalité à la
juridiction suprême dont elle relève. Si elle est saisie de moyens contestant la conformité de la
disposition à la Constitution et aux engagements internationaux de la France, elle doit examiner en
premier la question de constitutionnalité. Le Conseil d’État ou la Cour de cassation saisit le Conseil
constitutionnel de la question de constitutionnalité si la disposition contestée soulève une question
nouvelle ou présente une difficulté sérieuse. Si le Conseil constitutionnel juge que la disposition
législative porte effectivement atteinte aux droits et libertés, il prononce son abrogation et cette
disposition disparaît de l’ordonnancement juridique. La décision produit alors un effet erga omnes.
Pour sa mise en œuvre, l’article 61-1 de la Constitution est complété par une loi organique du 10
décembre 2008 ainsi que par deux décrets du 16 février dernier, l’un relatif à la procédure et l’autre
à l’aide juridictionnelle, ainsi que par le règlement de procédure du Conseil constitutionnel du 4
février 2010. La centralisation du contrôle de constitutionnalité, avec effet abrogatif erga omnes, est
un important gage de sécurité juridique et de cohérence dans la protection des droits fondamentaux.
Comme l’a voulu le constituant, il prime sur le contrôle diffus et relatif de conventionnalité réalisé
par les juges judiciaires et administratifs.
B – Le renforcement du Conseil constitutionnel n’en fait pas une Cour suprême au-dessus du
Conseil d’État et de la Cour de cassation.
La question prioritaire de constitutionnalité est le fruit tant de la hiérarchie des normes que du rôle
propre au Conseil constitutionnel, au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Dans l’ordre interne,
la Constitution est au sommet de la hiérarchie des normes. Cette primauté est reconnue tant par le
Conseil constitutionnel (décision no2004-505 DC du 19 novembre 2004) que par le Conseil d’État
(30 octobre 1998, Sarran) et par la Cour de cassation (2 juin 2000, Mlle Fraisse). Cette primauté du
droit constitutionnel s’exerce bien sûr à l’égard du droit communautaire. C’est même pour cela que
le Conseil constitutionnel a dégagé une jurisprudence sur l’«identité constitutionnelle de la
France ». La QPC se fonde sur deux principes d’organisation pour mettre en œuvre ce droit
nouveau reconnu aux justiciables : la préservation de notre organisation juridictionnelle et la
spécialisation des juges :
- D’abord la préservation de notre organisation juridictionnelle. Celle-ci est fondée sur deux ordres
de juridiction, administratif et judiciaire, ayant à leur sommet deux Cours suprêmes, le Conseil
d’État et la Cour de cassation. Cette organisation n’est pas modifiée. C’est le sens du double filtre
devant le juge a quo puis devant les Cours suprêmes. Le Conseil constitutionnel n’est pas une Cour
suprême au-dessus du Conseil d’État et de la Cour de cassation.
- Le deuxième principe est celui de la spécialisation des juges. Le Conseil constitutionnel est
l’unique juge de la constitutionnalité des lois. Il est renforcé dans ce rôle par la création du contrôle
a posteriori. Mais il n’est pas juge de la conventionnalité des lois. Le Conseil d’État et la Cour de
cassation, et leur ordre de juridiction, sont les juges de la conventionnalité de la loi mais le
constituant leur interdit d’être les juges de sa conformité à la Constitution. Cette spécialisation des
juges fonde la priorité de la « QPC ».
Ces deux principes sont confortés par les premiers mois de fonctionnement de la QPC. Ils ont été
confortés par les jurisprudences du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la Cour de
justice de l’Union européenne. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé dès sa décision n° 2009- 595
DC du 3 décembre 2009, sur la loi organique relative à la QPC, que la priorité d’examen de celle-ci
avait pour seul effet d’imposer l’ordre d’examen des moyens présentés par les parties. Elle ne
restreint en rien l’office ultérieur du juge de la conventionnalité. Le Conseil l’a confirmé dans sa
décision « Jeux en ligne » n°2010-605 12 DC du 12 mai 2010 et a rappelé que, depuis la décision
IVG de 1975, il n’est pas juge de la conventionnalité des lois. Conseil constitutionnel et Conseil
d’État ont retenu la même interprétation de l’articulation de la QPC avec le droit communautaire
dans leur décision respective des 12 et 14 mai 2010. La Cour de justice de l’Union européenne a
exactement repris ces conditions dans son arrêt Melki du 22 juin 2010.
**
*
Au total, la question prioritaire de constitutionnalité tire bien les conséquences de la hiérarchie des
normes et de la place, dans l’ordre interne, de la Constitution au sommet de cette hiérarchie. Dans
ce cadre, sont soulignées la spécialisation des juges et la différence entre contrôle de
constitutionnalité et contrôle de conventionnalité, y compris communautaire.
D’une part, le Conseil constitutionnel est renforcé par l’article 61-1 dans sa fonction de juge
constitutionnel mais il n’est pas juge de la conventionnalité Il est l’unique juge constitutionnel de la
loi mais il n’est que cela (no 2010-605 DC du12 mai 2010).
D’autre part, le Conseil d’État et la Cour de cassation sont et demeurent les plus hautes juridictions
chargées de juger de la conventionnalité de la loi. Mais le constituant a refusé qu’ils puissent écarter
une loi comme contraire à la Constitution. Ce système original ne peut fonctionner que si Conseil
constitutionnel, Conseil d’État et Cour de cassation « jouent le jeu ». C’est tout le pari de la révision
constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui n’a pas visé à la création d’une Cour suprême. »
Université Paris 8
Droit constitutionnel – Ve République
(Semestre 2)
Professeur : Jean-Louis Iten
Séance de travaux dirigés n° 9 : Le Conseil d'État
Document n° 1. Fonbaustier, L., « Le rôle préventif du Conseil d’État : les
origines de l’article 39 alinéa 2 de la Constitution de 1958 », dans D.
Chagnollaud, dir., Aux origines du contrôle de constitutionnalité : XVIIIe-XXe
siècle, Éditions Panthéon-Assas, diff. LGDJ, 2003, pp. 143-155.
Document n° 2. Conseil d’État, 27 novembre 1989, avis n° 346-893 relatif au
port de signes d’appartenance à une communauté religieuse au sein de l’école
publique (texte intégral).
Document n° 3a. Conseil d’État, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, req. n° 108243,
rec. 190 ; 3 b. CE, n° 4 b. Conseil d’État, Ass., 20 octobre 1989, Sitbon, req.
n° 10837652.
Document n° 4. Conseil d’État, 30 octobre 1998, Sarran, Levacher et autres, rec.
398.
Document n° 5. Conseil d’État, req. n° 282456, 19 juin 2006, Association Eau et
rivières de Bretagne.
Document n° 6. Conseil d’État, req. n° 287110, 8 février 2007, Société Arcelor
Atlantique et Lorraine (extraits).
Document n° 7. Rapport public 2006. Jurisprudence et avis de 2005, sécurité
juridique et complexité du droit, La Documentation française, Études &
Documents n° 57, 2006, pp. 233-234.
Dissertation : le Conseil d'Etat, juge constitutionnel
Document n° 1. Fonbaustier, L., « Le rôle préventif du Conseil d’État : les
origines de l’article 39 alinéa 2 de la Constitution de 1958 », dans D.
Chagnollaud, dir., Aux origines du contrôle de constitutionnalité : XVIIIe- XXe
siècle, Éditions Panthéon-Assas, diff. LGDJ, 2003, pp. 143-155.
Évoquons un double paradoxe tout d’abord : le Conseil d’État est certes connu sous ses deux
fonctions, administrative et contentieuse, mais si la première est la plus ancienne (la seconde
pouvant à certains égards être présentée comme une conquête de « haute lutte »), elle n’est pas pour
autant la plus familière au grand public. Le rôle consultatif du Conseil paraît couvert par la
confidentialité et enveloppé de mystère : les avis sont généralement marqués du sceau du secret,
alors qu’au contentieux, les décisions du juge administratif connaissent une ample diffusion. En
revanche et curieusement, la dimension constitutionnelle de l’activité contentieuse du juge
administratif est un acquis récent, alors que les fonctions consultative et administrative, plus
anciennes, furent directement élevées à ce rang par le texte de 1958, le Conseil d’État apparaissant à
ce titre aux articles 37, 38 et 39 de la Constitution. Pourtant, cette activité consultative au plus haut
niveau, si elle ne détonne pas dans l’histoire du droit public français, étonne fréquemment les
commentateurs étrangers qui y voient une bizarrerie quand ce n’est pas une atteinte adoucie au
principe de séparation des pouvoirs.
L’activité consultative du Conseil se développe certes selon plusieurs axes : avis sur les projets
d’ordonnances, sur certains projets de décrets ou en réponse à des questions de ministres et, depuis
1992, sur les propositions d’actes communautaires. Mais elle prend un relief particulier s’agissant
des avis qu’il émet sur les projets de loi et plus particulièrement de loi ordinaire. Cette participation
critique du Conseil à la fonction législative ou « paralégislative » saisit lorsqu’on sait l’attitude par
ailleurs déférente de la haute juridiction vis-à-vis de la loi dans l’exercice de ses compétences
contentieuses. Comment expliquer en effet que le Conseil d’État, gardien de la loi en aval comme
juge, puisse en amont participer à sa confection et contrôler la constitutionnalité du projet ? En
réalité, le rôle préventif du Conseil d’État n’a certainement pas, en 1958, la portée acquise depuis.
Certes, l’obligation de consultation du Conseil d’État est d’emblée conçue de manière très large,
s’étendant à tous les projets de loi sans distinction d’objet, de procédure ou de caractère (urgent ou
non). Les projets de lois ordinaires, référendaires, organiques et constitutionnelles sont ainsi soumis
à consultation. Mais l’avis émis à cette occasion est moins l’expression, à l’origine, d’une fonction
de contrôle de constitutionnalité au sens strict, que celle d’une association classique d’un organe
aidant le gouvernement dans le processus législatif. Ce n’est que progressivement que la procédure
des avis sur les projets de loi a pris toute son ampleur. En tant que norme stabilisatrice, l’article 39
alinéa 2 de la Constitution est le fruit d’une rencontre entre une tradition historique qui connut bien
des vicissitudes mais rendit familière cette procédure (I) et un climat plus conjoncturel qui permit sa
constitutionnalisation (II).
I. Les vicissitudes historiques d’une tradition de conseil législatif
Pour comprendre par le lointain l’actuelle fonction législative du Conseil d’État, un bref retour en
arrière s’impose, qui permettra d’évoquer son ancrage historique (A) mais également les aléas
politiques dont elle fut victime (B).
A) Une fonction législative ancrée dans la tradition
La participation du Conseil d’État à la fonction législative est en effet fort ancienne. Les textes la
consacrent de manière récurrente, et la doctrine a souvent cherché à la légitimer.
De sa création par la Constitution de l’an VIII à la Constitution de 1958, le Conseil d’État est
mentionné dans sa fonction consultative en une frappante continuité. Imaginé par Sieyès comme
exerçant un pouvoir gouvernemental, il est étroitement associé au processus législatif par les textes
constitutionnels du Premier comme du Second Empire et de la IIe République ; lorsqu’elle n’a pas
rang constitutionnel, la mission législative du Conseil est reconnue par des textes de moindre
importance, souvent des ordonnances, des lois ou des décrets, mais presque toujours avec
précision : c’est le cas sous la Restauration et sous la Monarchie de juillet ainsi que sous la IIIe
République, sans oublier, évidemment, certaines périodes transitoires. À aucun moment donc, et
bien que son activité soit parfois restée très modeste, cette fonction législative n’est entièrement
évincée par les textes. Elle bénéficia également, historiquement, du soutien de la doctrine et d’une
grande partie de l’opinion.
La fonction législative du Conseil d’État fut également encouragée par la doctrine. Dans les
périodes agitées où le Conseil d’État fit l’objet de critiques, celles-ci portèrent plus volontiers sur
ses attributions contentieuses que sur ses fonctions consultatives. Locré, secrétaire général du
Conseil d’État sous l’Empire, voyait déjà dans sa participation à la fonction législative sa plus
« brillante destination » et Cormenin dit qu’à la fin de cette période, il était devenu une « immense
fabrique d’avis ». Pendant la Restauration, le Chancelier Pasquier, dans un rapport au roi datant de
1817, se fit partisan d’un renouveau du Conseil auquel il attribuait des vertus particulières de
rigueur et de clairvoyance, impression partagée par un Rouher sous le Second Empire. Sous la
Monarchie parlementaire encore, les libéraux de tous bords attaquent la dualité juridictionnelle
héritée de l’Empire, mais la plupart d’entre eux admettent la fonction législative du Conseil d’État.
Dès que les avis se raréfient, que cette mission est menacée dans son existence, il est toujours des
voix pour en rappeler l’utilité, comme Vivien ou Duvergier. Même lorsque le régime politique
penche en faveur du pouvoir législatif, on note, en dépit d’un réel effacement de la fonction
consultative, une certaine continuité doublée d’un refus de la voir disparaître intégralement. À
l’aube de la IIe République, de solides débats opposent les partisans d’une suppression du Conseil à
ceux de son maintien : un Marrast et plus encore un Stourm insistent pour en faire un pouvoir dont
les droits soient fermement établis. Au début de la IIIe République, bien que la mission consultative
du Conseil soit vivement contestée, la doctrine s’applique majoritairement à justifier ce rôle. Le
Conseil lui-même, par la voix de nombreux vice-présidents, insistera sur la nécessité de son
maintien voire de son extension. Dans différentes allocutions, Laferrière, s’appuyant sur l’histoire et
sur les compétences techniques de l’institution, rappellera la « légitime ambition » du corps à
participer à l’oeuvre législative.
Par sédimentation, l’idée d’une participation à l’élaboration des projets de loi et d’un avis sur leurs
contenu et forme s’est installée dans les esprits. Mais ce rôle de conseil fut également victime des
aléas de l’histoire et de la politique.
B) Un rôle de conseil, victime des aléas de la politique
À la différence de la fonction consultative en matière réglementaire, la mission législative du
Conseil d’État fut souvent fluctuante, éclipsée par des considérations politiques qui la rendirent
incertaine et aléatoire. Les tentatives de rénovation, entre 1940 et 1945, laissèrent une impression
d’inachevé.
Le Conseil d’État fut fréquemment pris en étau entre les pouvoirs législatif et exécutif. En tant
qu’émetteur d’avis, il est en effet intrinsèquement lié au pouvoir exécutif : au XIXe siècle, le
Consulat et l’Empire en firent une institution certes prestigieuse, mais politiquement exposée. Sous
les gouvernements personnels, les modes de désignation des membres du Conseil permettaient d’y
faire entrer des hommes dévoués à la politique du gouvernement et peu enclins à la censure des
textes envisagés, même s’il est impossible d’affirmer que la haute instance fut toujours un servile
traducteur d’idées. Pendant le Second Empire, les conseillers d’État apparaissent tour à tour comme
des auxiliaires bien rémunérés de l’Empereur ou, au seuil de la République, comme très fragilisés
dans leur mission législative, ce rôle étant devenu inconciliable avec le droit d’initiative reconnu
aux chambres.
Dans les périodes de suprématie législative en effet, les assemblées acceptent mal l’association de
techniciens sans responsabilité politique et non élus à l’oeuvre législative. Souvent, le caractère, en
droit ou en fait, largement facultatif de la saisine et l’impression récurrente d’une concurrence
illégitime du pouvoir législatif engendrèrent la mise en sommeil de cette institution. L’affirmation
d’une souveraineté parlementaire était incompatible avec un rôle substantiel du Conseil en matière
législative. Sous la IIIe République, l’article 8 de la loi du 24 mai 1872 subordonne en définitive la
saisine du Conseil au bon vouloir du parlement et du gouvernement. Certaines commissions extraparlementaires court-circuitèrent alors la mission dévolue au Conseil. De surcroît, un nombre
important de ses membres étaient placés hors cadres pour occuper des postes politico-administratifs
variés, ce qui affaiblissait ponctuellement les compétences techniques du corps, explique également
qu’on le sollicita moins. Pour faire court, la fonction législative du Conseil d’État fut presque
systématiquement tributaire des conjonctures et des aléas politiques, devenant fréquemment un
« enjeu de pouvoir ». De manière cyclique dans l’histoire du Conseil, la fonction législative sera
mise en sourdine.
1940 marque, dans le contexte très particulier du régime de Vichy, une première rupture qui se
traduit par une réévaluation du rôle du Conseil dans le domaine législatif. Elle est concrétisée par la
loi du 18 décembre de la même année. En son article 19, elle dispose certes que le Conseil participe
à la confection des lois, mais dans les conditions fixées par la Constitution. En son absence, rien
n’imposait vraiment qu’il fût consulté sur ces projets. Les services rendus devaient donc rester très
limités. Il semble qu’il ne fut jamais consulté sur les lois d’exclusion comme les lois de déchéance
ou de révision de la nationalité, sur les deux statuts des juifs du 3 octobre 1940 et du 3 avril 1941,
pas plus que sur de nombreux autres textes importants édictés sous forme de lois.
Cette éviction du processus législatif et les drames que l’on sait marqueront certains esprits comme
René Cassin. Ils expliquent en partie le soin apporté à la rédaction de l’ordonnance du 31 juillet
1945. Celle-ci rend obligatoire la consultation du Conseil sur les projets de loi. Elle transfère en
réalité au Conseil d’État les attributions non contentieuses d’un Comité juridique, mis en place dès
août 1943 par les instances dirigeantes de la France Libre, et dont les travaux furent l’occasion de
prendre conscience, après le relatif mépris ressenti sous la IIIe République et le Régime de Vichy,
du profit qui pouvait être tiré d’un passage devant le Conseil d’État.
L’ordonnance de 1945 restaure ainsi le rôle législatif du Conseil d’État. La IVe République
confirmera cette résurrection, sans permettre toutefois, en pratique, d’assurer l’entier contrôle du
Conseil d’État sur les textes législatifs en cours d’élaboration. Par ailleurs, l’esprit de l’Assemblée
constituante, en 1946, n’ayant guère été propice à la consécration constitutionnelle de la fonction
législative du Conseil, elle devait conserver, sous la Ive république, un statut législatif.
1958 ne représente ainsi que le second temps de la réhabilitation d’une fonction souvent orientée
par les mœurs politiques, négligée sous la IIIe République. Devant la toile de fond culturelle qui
légitime ce rôle, le contexte des travaux préparatoires permit d’envisager un nouveau statut pour
cette fonction législative.
II. La signification plurielle d’une fonction de contrôle réhabilitée
L’article 39 ne constitue pas une rupture par rapport aux années qui précèdent. Il représente le
double point d’aboutissement et de départ d’un rôle amplifié dans l’élaboration et le contrôle des
projets de loi du gouvernement. Le constituant de 1958 a proposé de nouveaux fondements à cette
mission législative du Conseil d’État (A) dont la signification, qui est au coeur de notre sujet, fut
cependant très évolutive (B).
A) La constitutionnalisation d’une fonction législative
L’article 39 alinéa 2 n’est, à certains égards, que la simple constitutionnalisation d’une fonction
législative, phénomène dont les justifications sont multiples.
La constitution de 1958 donne en effet l’impression, sur la question précise du contrôle préventif,
d’un « faux moment » et ce doublement : du point de vue de l’obligation de consulter la haute
instance, nous avons vu que la métamorphose majeure a eu lieu avant 1958, en réaction à l’éclipse
de la IIIe République et aux faux-semblants du régime de Vichy : l’ordonnance de 1945 est, par
l’obligation qu’elle institue en amont de la Ve République, le temps fort, dans le principe, du
renouvellement de la fonction législative du Conseil. L’article 39 lui confère surtout un statut
constitutionnel stabilisateur et protecteur et contribue ainsi au rehaussement d’une fonction qui, de
source législative (l’ordonnance de 1945), devient constitutionnelle. Lors des travaux préparatoires
de la constitution de 1958, la compétence législative du Conseil d’État fut d’ailleurs peu discutée et
fit l’objet d’un large consensus. L’élément central sur lequel insistent les acteurs de 1958 est
simple : c’est la nécessaire « constitutionnalisation » de cette procédure : il est temps, explique
René Cassin lors des travaux préparatoires, de hisser au niveau constitutionnel ce qui n’est
actuellement qu’une obligation législative de surcroît limitée. Comment plus précisément justifier
ce deuxième temps de la réhabilitation du rôle législatif du Conseil ?
Lors des travaux préparatoires, l’on constate, au moment des discussions relatives au futur
article 39, un empilement de justifications anciennes et nouvelles. Plusieurs facteurs convergents
peuvent être évoqués. D’une part on le sait par tradition, lorsque le pouvoir exécutif est en position
de force, le Conseil d’État est fréquemment associé, bien que de manière variable et inégale 109, au
processus d’élaboration des lois.
L’importance de ses attributions consultatives est le corollaire de la prépondérance institutionnelle
du pouvoir exécutif qui est l’une des clés du texte de 1958. D’autre part, la participation du Conseil
d’État aux travaux préparatoires de la Constitution de 1958, ne pouvait qu’incliner à sa valorisation
au sein des institutions. Il n’allait pas lui-même critiquer une majoration de sa position que
beaucoup de conseillers d’État appelaient de leurs voeux depuis déjà longtemps. On n’oubliera pas,
ici, le rôle éminent joué par René Cassin qui, longtemps président du Comité juridique, fut parmi
les défenseurs aussi discrets qu’efficaces de l’ajout de l’incise à l’article 39 alinéa 2. Le consensus
qui se dégagea aisément lors des travaux préparatoires provient également de l’efficacité manifestée
par le Conseil d’État. Ses compétences juridiques et techniques ont toujours favorisé la clarté des
textes, leur cohérence, leur simplicité et leur harmonie. Cette valeur ajoutée, reconnue par tous, est
particulièrement précieuse au moment où prolifèrent les textes législatifs. À l’heure du
parlementarisme rationalisé, il y avait certainement une place pour une rationalisation interne de la
production des normes législatives. C’est par ailleurs au moment où sont dénoncés les abus du
Parlement qu’est assurée, par ce biais, une promotion certaine du règne des techniciens. Ce
mouvement d’ensemble fut conforté par la distinction entre les domaines de la loi et du règlement.
Elle imposait de nouveaux instruments et des compétences affinées destinés à éviter les
empiétements réciproques. Il convient enfin de s’interroger non plus sur l’obligation de consultation
du Conseil d’État sur les projets de loi, mais sur la valeur nouvelle acquise par cette obligation, qui
devient constitutionnelle : son élévation dans la hiérarchie des normes la met à l’abri d’une double
menace : d’une part celle inhérente à un statut qui, s’il était resté législatif, aurait permis au
Parlement, comme l’ont montré les régimes précédents, de réduire par la modification de la loi les
cas de consultation obligatoire ou de multiplier les exceptions possibles à cette consultation ;
d’autre part celle de faux prétextes de l’exécutif pour politiser son rôle en le sollicitant afin
d’asseoir une politique ou de légitimer un programme. Hisser une obligation de consultation au rang
constitutionnel et la faire porter sur l’ensemble des projets de loi, c’était ainsi consolider une
procédure en assortissant au passage son irrespect de sanctions.
Ces justifications étant rappelées, on ne saurait cacher que la mission « administrative » du Conseil
ne revêt pas, actuellement, la même signification qu’en 1958. L’évolution du rôle joué par le
Conseil d’État est en effet évidente, ce qui tient certainement au fait que les institutions, à la
différence des satellites, demeurent rarement sur l’orbite où leur créateur avait entendu les placer.
B) La signification de la constitutionnalisation du rôle législatif du Conseil d’État
L’importance de la disposition constitutionnelle la prévoyant s’est essentiellement révélée après
coup. Autrement dit, la mission du Conseil d’État ne fut pas, originellement, conçue à l’instar de
celle du Conseil constitutionnel, c’est-à-dire comme apparentée à une censure de l’acte émanant du
Parlement ; elle correspondait davantage à la tradition de conseil « critique » du pouvoir exécutif,
tradition où la participation à l’élaboration des textes joue un rôle plus grand que la fonction de
contrôle. L’évolution, en pratique, de l’article 39, est le miroir d’autres changements et confirme
certaines tendances : la fréquence des consultations révèle ainsi l’emprise du gouvernement sur
l’initiative législative, alors que parallèlement, l’approfondissement du contrôle illustre l’avènement
concret d’une nouvelle constitution et d’une hiérarchie des normes repensée. À la fonction
technique de donneur d’avis s’est ajoutée la dimension, plus apparente encore dans le sillage de la
jurisprudence enrichissante du Conseil constitutionnel, de contrôle préventif de constitutionnalité
des projets de loi facilité par l’ancrage de la procédure dans le texte constitutionnel.
Initialement, le rôle de la haute instance s’insère en effet dans un ensemble de mécanismes destinés
à assurer l’effectivité du nouveau découpage loi/règlement. Autrement dit, le Conseil critique les
normes contenues dans un projet de loi, qui empiéteraient sur le domaine du règlement. À toutes les
justifications les plus habituelles de l’avis du Conseil s’est donc ajoutée, dans un premier temps,
l’idée d’un contrôle de constitutionnalité prenant en compte les articles 34 et 37. La constitution de
1958, en raison des règles qu’elle impose à l’exercice du pouvoir législatif, a exercé une première
grande influence sur la nature de l’examen auquel doit se livrer le Conseil d’État. Ce dernier
manifestera d’ailleurs, à cette occasion, une plus grande fermeté que le Conseil constitutionnel.
Par la suite seulement, la participation du Conseil au contrôle de constitutionnalité des projets de loi
s’est affirmée, supposant plusieurs évolutions. L’émergence d’un contrôle au fond, substantiel, n’est
certes pas entièrement nouveau. D’une part en effet, les questions constitutionnelles sont familières
au Conseil d’État.
Entre 1945 et 1947 ou en 1958 par exemple, il eut à débattre de questions capitales concernant
l’exercice des pouvoirs publics pendant les périodes interconstitutionnelles. Plus généralement, les
problèmes d’interprétation constitutionnelle ne lui sont pas étrangers ; ensuite, l’on trouverait, avant
1958, quelques moments forts où le Conseil chercha à imposer aux propositions et projets de loi le
respect des libertés publiques ou de certains principes généraux. Lorsque le projet de constitution
fut discuté devant le Conseil en 1958, le conseiller d’État Deschamps, rapporteur général du projet,
définit ainsi la mission du Conseil :
« Notre rôle est, lorsque le pouvoir politique a dégagé les grandes tendances et choisi ses
orientations […], de les intégrer dans la vie de la nation dans la mesure où elles sont compatibles
avec son esprit et avec les ‘principes généraux’ qui gouvernent la République française […] ». Mais
en dépit d’une relative continuité, l’évolution de l’attitude du Conseil d’État doit être reliée à
d’autres phénomènes : elle a accompagné l’accroissement des pouvoirs du gouvernement ; elle a
également suivi la transformation de la hiérarchie des normes, donc de la position du Conseil
constitutionnel. La jurisprudence extensive de ce dernier a en effet permis, notamment depuis la
célèbre décision du 16 juillet 1971 (Liberté d’association), un resserrement du contrôle exercé
préventivement par le Conseil d’État. Ce phénomène fut accentué par l’extension de la saisine aux
parlementaires en 1974. Que le texte fasse l’objet d’un examen en Assemblée générale ou devant la
Commission permanente, la Haute Assemblée vérifie toujours que les dispositions législatives
envisagées ne sont pas contraires aux règles de valeur constitutionnelle.
La constitutionnalisation de la fonction législative du Conseil d’État s’est ainsi accompagnée d’une
modification progressive de son rôle même. À sa mission de « donneur d’avis » sur les projets de
loi, reposant sur une compétence technique ayant fait historiquement ses preuves, s’est ajoutée, en
amont autant que dans le sillage de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, un rôle de
« censeur » par lequel le Conseil se fait, au commencement du processus d’élaboration de la loi,
gardien de sa constitutionnalité. Il n’exerce plus seulement une mission législative, issue de
l’ordonnance de 1945 et portant sur des agencements horizontaux de lois. Il est également investi
d’une fonction plus profonde, verrouillée par son fondement constitutionnel, portant sur le respect
du bloc de constitutionnalité par les projets de loi. Mais l’avis émis ne constitue pas pour autant une
« assurance tous risques » pour le gouvernement. Le Conseil constitutionnel, quand il n'emprunte
pas un chemin déjà tracé par le Conseil d'État, peut en effet très bien apprécier différemment la
constitutionnalité d’une loi. Sans y être contraint, le gouvernement suit cependant très fréquemment
les avis, et l’on remarque que le risque d’annulation future par le juge constitutionnel renforce
puissamment leur autorité. La comparaison des avis du Conseil d’État en amont avec les décisions
du Conseil constitutionnel en aval est d’ailleurs fructueuse. Elle montre que leurs positions, en dépit
de quelques distorsions, sont largement superposables ou pour le moins compatibles. Le Conseil
d’État maîtrise la lettre comme l’esprit des décisions de son voisin de Palais qui, en retour, est au
fait de ses positions, jusqu’à y puiser éventuellement des éléments pour sa propre jurisprudence. Le
Conseil d’État se permet ainsi, dans l’antichambre du Parlement, un contrôle de constitutionnalité
auquel il a, pour l’instant, renoncé au contentieux, par déférence envers la loi entrée en vigueur. Sa
position, aux côtés du Conseil constitutionnel, invite à ne plus limiter sa place à celle d’un organe
conseillant le gouvernement, mais à le comprendre davantage comme un rouage essentiel d’un
contrôle dynamique de constitutionnalité. L’addition des différentes missions permet ainsi à la loi
d’obtenir, avant promulgation, un véritable « brevet de constitutionnalité ». Telle est, à grands traits,
l’évolution d’une mission législative, souvent ancrée dans des textes législatifs, et qui est également
devenue fonction constitutionnelle, inscrite dans le texte même de la constitution.
Document n° 2. Conseil d’État, 27 novembre 1989, avis n° 346-893 relatif au
port de signes d’appartenance à une communauté religieuse au sein de l’école
publique (texte intégral)
Assemblée générale (Section de l’intérieur) - n° 346.893 - 27 novembre 1989 Le Conseil d’État
saisi par le Ministre d’État, Ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports de la
question de savoir :
1 - si, compte tenu des principes posés par la Constitution et les lois de la République et eu égard à
l’ensemble des règles d’organisation et de fonctionnement de l’école publique, le port de signes
d’appartenance à une communauté religieuse est ou non compatible avec le principe de laïcité ;
2 - en cas de réponse affirmative, à quelles conditions des instructions du ministre, des dispositions
du règlement intérieur des écoles, collèges et lycées, des décisions des directeurs d’école et chefs
d’établissement pourraient l’admettre ;
3 - si l’inobservation d’une interdiction du port de tels signes ou des conditions prescrites pour
celui-ci justifieraient le refus d’accueil dans l’établissement d’un nouvel élève, le refus d’accès
opposé à un élève régulièrement inscrit, l’exclusion définitive de l’établissement ou du service
public de l’éducation, et quelles procédures et quelles garanties devraient alors être mises en
oeuvre ;
Vu la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
Vu le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 :
Vu la convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales du
4 novembre 1950 ;
Vu la convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement du
15 décembre 1960 ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ouvert à la signature à New York le 19
décembre 1966 ;
Vu le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ouvert à la signature à
New York le 19 décembre 1966 ;
Vu la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire ;
Vu la loi du 30 octobre 1886 sur l’organisation de l’enseignement primaire et notamment son
article 17 ;
Vu la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État ;
Vu l’ordonnance n° 59-45 du 6 janvier 1959 portant prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à
l’âge de seize ans ;
Vu la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’État et les établissements
d’enseignement privés ;
Vu la loi n° 75-620 du 11 juillet 1975 relative à l’éducation ;
Vu la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 portant répartition des compétences entre l’État et les
collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation ;
Vu la loi n° 89-548 du 2 août 1989 relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en
France ;
Vu le décret n° 76-1301 du 28 décembre 1976 modifié relatif à l’organisation de la formation dans
les écoles maternelles et élémentaires ;
Vu le décret n° 85-895 du 21 août 1985 relatif aux conseils de l’éducation nationale dans les
départements et les académies ;
Vu le décret n° 85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d’enseignement ;
Vu le décret n° 85-1284 du 28 novembre 1985 relatif aux conseils de l’éducation nationale dans les
régions et départements d’outre-mer ;
Vu le décret n° 85-1348 du 18 décembre 1985 relatif aux procédures disciplinaires dans les
collèges, les lycées et les établissements d’éducation spéciale ;
Vu le décret n° 86-164 du 31 janvier 1986 portant organisation administrative et financière des
établissements d’enseignement dont la responsabilité et la charge incombent entièrement à l’État et
portant dispositions diverses applicables aux établissements de second degré municipaux et
départementaux ;
Vu le décret n° 89-122 du 24 février 1989 relatif aux directeurs d’école ;
Est d’avis de répondre aux questions posées dans le sens des observations ci-après :
1 - Le principe de laïcité trouve l’une de ses premières expressions dans la loi du 28 mars 1882, qui
dispose que, dans l’enseignement primaire, l’instruction religieuse est donnée en dehors des édifices
et des programmes scolaires et dans l’article 17 de la loi du 30 octobre 1886 sur l’organisation de
l’enseignement primaire, aux termes duquel "dans les écoles publiques de tout ordre,
l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque".
Ce principe a été consacré par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui fait de
"l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés un devoir de l’État" et
par l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, qui proclame que "la France est une
république ... laïque" et qu’ "elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction
d’origine, de race ou de religion".
Comme l’indique ce dernier texte, le principe de laïcité implique nécessairement le respect de toutes
les croyances, déjà reconnu par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du
26 août 1789, aux termes duquel "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses,
pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi".
La loi du 9 décembre 1905, tout en procédant à la séparation des Églises et de l’État, a confirmé que
"la République assure la liberté de conscience".
Cette liberté, qui doit être regardée comme l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de
la République, s’exerce dans le domaine de l’éducation, dans le cadre des textes législatifs qui
définissent la mission du service public et les droits et obligations des élèves et de leurs familles
dans les termes suivants :
Article 1er de la loi du 31 décembre 1959 relative aux rapports entre l’État et les établissements de
l’enseignement privé :
"Suivant les principes définis dans la Constitution, l’État assure aux enfants et adolescents dans les
établissements publics d’enseignement la possibilité de recevoir un enseignement conforme à leurs
aptitudes dans un égal respect de toutes les croyances".
Article 1er de la loi du 11 juillet 1975 relative à l’éducation :
"Tout enfant a droit à une formation scolaire, qui, complétant l’action de sa famille, concourt à son
éducation.
Cette formation favorise l’épanouissement de l’enfant, lui permet d’acquérir une culture, le prépare
à la vie professionnelle et à l’exercice de ses responsabilités d’homme et de citoyen ... L’État
garantit le respect de la personnalité de l’enfant et de l’action éducative des familles".
Article 1er de la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 : "Le droit à l’éducation est
garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de
formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa
citoyenneté … Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur ...
contribuent à favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes. Ils dispensent une formation
adaptée dans ses contenus et ses méthodes aux évolutions technologiques, sociales et culturelles du
pays et de son environnement européen et international".
Article 1er de la même loi :
"Les obligations des élèves consistent dans l’accomplissement des tâches inhérentes à leurs études ;
elles incluent l’assiduité et le respect des règles de fonctionnement et de la vie collective des
établissements. Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et
du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces
libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement ...".
Article 1er deuxième alinéa de la loi du 2 août 1989 relative aux conditions de séjour et d’entrée des
étrangers en France :
"Les agissements discriminatoires des détenteurs de l’autorité publique, des groupements ou des
personnes privées, la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, la diffamation et
l’injure au motif de l’appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une nation ou une
religion sont interdits".
Article 2 de la même loi :
" ... L’école ... doit inculquer aux élèves le respect de l’individu, de ses origines et de ses
différences". Enfin, par les conventions internationales susvisées la République française s’est
engagée : à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire le droit d’accéder à
l’enseignement sans distinction aucune notamment de religion et à prendre les mesures propres à
donner effet à un tel droit ; à assurer la liberté de pensée, de conscience et de religion, et la liberté
de manifester sa religion ou ses convictions individuellement ou collectivement, en public ou en
privé, sous la seule réserve des restrictions prévues par la loi et nécessaires à la protection de la
sécurité, de l’ordre et de la santé publics, de la morale ou des libertés et des droits fondamentaux
d’autrui ; à respecter, dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, le droit des parents de
faire assurer cette éducation conformément à leurs convictions religieuses ; à prendre les mesures
nécessaires pour que l’éducation favorise la compréhension et la tolérance entre tous les groupes
raciaux et religieux.
Il résulte des textes constitutionnels et législatifs et des engagements internationaux de la France
sus-rappelés que le principe de la laïcité de l’enseignement public, qui est l’un des éléments de la
laïcité de l’État et de la neutralité de l’ensemble des services publics, impose que l’enseignement
soit dispensé dans le respect d’une part de cette neutralité par les programmes et par les enseignants
et d’autre part de la liberté de conscience des élèves.
Il interdit conformément aux principes rappelés par les mêmes textes et les engagements
internationaux de la France toute discrimination dans l’accès à l’enseignement qui serait fondée sur
les convictions ou croyances religieuses des élèves.
La liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d’exprimer et de manifester leurs
croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la
liberté d’autrui, et sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des
programmes et à l’obligation d’assiduité.
Son exercice peut-être limité, dans la mesure où il ferait obstacle à l’accomplissement des missions
dévolues par le législateur au service public de l’éducation, lequel doit notamment, outre permettre
l’acquisition par l’enfant d’une culture et sa préparation à la vie professionnelle et à ses
responsabilités d’homme et de citoyen, contribuer au développement de sa personnalité, lui
inculquer le respect de l’individu, de ses origines et de ses différences, garantir et favoriser l’égalité
entre les hommes et les femmes.
Il résulte de ce qui vient d’être dit que, dans les établissements scolaires, le port par les élèves de
signes par lesquels il entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même
incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté
d’expression et de manifestation de croyances religieuses, mais que cette liberté ne saurait permettre
aux élèves d’arborer des signes d’appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions
dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère
ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou
de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la
communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement
des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l’ordre dans
l’établissement ou le fonctionnement normal du service public.
2 - Le port de signes d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires peut, en cas de
besoin, faire l’objet d’une réglementation destinée à fixer les modalités d’application des principes
qui viennent d’être définis, compte tenu de la situation propre aux établissements et dans les
conditions énoncées ci-après :
La réglementation de la discipline dans les écoles et notamment des conditions dans lesquelles
pourrait être restreint ou interdit, le port par les élèves de signes d’appartenance à une religion,
relève, par application de l’article 14 du décret du 28 décembre 1976 et des articles 7 et 25 du décret
du 21 août 1985, de la compétence d’une part de l’inspecteur d’Académie, qui arrête le règlementtype du département après consultation du Conseil de l’éducation nationale et d’autre part du
conseil d’école, qui vote le règlement intérieur, compte tenu des dispositions du règlement-type du
département, conformément à l’article 17 bis du même décret du 28 décembre 1976.
Dans les lycées et collèges, cette réglementation est de la compétence du conseil d’administration
de l’établissement qui, en vertu de l’article 3 du décret du 30 août 1985 et de l’article 4 du décret du
31 janvier 1986, adopte, sous réserve du contrôle de légalité, le règlement intérieur de
l’établissement, lequel "définit les droits et les devoirs de chacun des membres de la communauté
scolaire" et "détermine notamment les modalités selon lesquelles sont mis en application :
le respect des principes de laïcité et de pluralisme ;
le devoir de tolérance et de respect d’autrui dans sa personnalité et dans ses convictions ; (...)
l’obligation pour chaque élève de participer à toutes les activités correspondant à sa scolarité
organisées par l’établissement et d’accomplir les tâches qui en découlent ;..."
Le ministre auquel il appartient, au titre de ses pouvoirs hiérarchiques ou de tutelle, de prendre les
mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous son autorité, peut, par
voie d’instructions, définir les orientations ou donner les indications susceptibles de guider les
autorités compétentes dans l’élaboration de la réglementation intérieure des établissements scolaires
et pour l’application de celle-ci.
3 - Il appartient aux autorités détentrices du pouvoir disciplinaire d’apprécier, sous le contrôle du
juge administratif, si le port par un élève, à l’intérieur d’un établissement scolaire public ou dans
tout autre lieu ou s’exerce l’enseignement, d’un signe d’appartenance religieuse qui méconnaîtrait
l’une des conditions énoncées au 1 du présent avis ou la réglementation intérieure de
l’établissement, constitue une faute de nature à justifier la mise en oeuvre de la procédure
disciplinaire et l’application, après respect des garanties instituées par cette procédure et des droits
de la défense, de l’une des sanctions prévues par les textes applicables, au nombre desquelles peut
figurer l’exclusion de l’établissement.
L’exclusion d’une école, d’un collège ou d’un lycée est possible, malgré le caractère obligatoire de
l’instruction, dès lors que l’instruction de l’enfant peut être donnée, conformément à l’article 3 de
l’ordonnance du 6 janvier 1959 portant prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de
seize ans "soit dans les établissements ou écoles publics ou libres, soit dans les familles par les
parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix", et que notamment l’élève peut être
inscrit au centre public d’enseignement par correspondance, comme le prévoit d’ailleurs
expressément le décret du 18 décembre 1985 relatif aux procédures disciplinaires dans les collèges,
les lycées ou les établissements d’éducation spéciale.
Le directeur d’école, conformément à l’article 20 du décret du 28 décembre 1976 et à l’article 2 du
décret du 24 février 1989, et le chef d’établissement, conformément aux articles 8 et 9 du décret du
30 août 1985, sont responsables de l’ordre dans l’établissement et de son bon fonctionnement. Ils
doivent notamment veiller à l’application du règlement intérieur. Ils peuvent dans la mesure et pour
la durée nécessaires au rétablissement du déroulement normal des enseignements et de l’ordre dans
l’établissement, refuser l’admission dans l’établissement ou à l’un des enseignements d’un élève
régulièrement inscrit dont comportement perturberait gravement le fonctionnement du service
public, ou dont l’attitude a entraîné le déclenchement de poursuites disciplinaires, dans l’attente de
la décision de l’autorité compétente. Un refus d’admission d’un élève mineur ne peut être exécuté
sans que ses parents ou ses représentants légaux en aient été préalablement avertis.
Un refus d’admission dans une école d’un élève nouvellement inscrit ou un refus d’inscription dans
un collège ou un lycée ne serait justifié que par le risque d’une menace pour l’ordre dans
l’établissement ou pour le fonctionnement normal du service de l’enseignement.
Document n° 3a. Conseil d’État, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, req. n° 108243,
rec. 190
Vu la requête, enregistrée le 27 juin 1989 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'État, présentée
par M. Raoul Georges Nicolo, demeurant 26, avenue de Joinville à Nogent-sur-Marne (94 130), et
tendant à l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées le 18 juin 1989 en vue de
l'élection des représentants au Parlement européen,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 55 ;
Vu le Traité en date du 25 mars 1957, instituant la communauté économique européenne ;
Vu la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 ;
Vu le code électoral ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi
n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. de Montgolfier, Auditeur,
- les observations de la S.C.P. de Chaisemartin, avocat de M. Hervé de Charette,
- les conclusions de M. Frydman, Commissaire du gouvernement ;
Sur les conclusions de la requête de M. Nicolo :
Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des
représentants à l'Assemblée des communautés européennes "le territoire de la République forme
une circonscription unique" pour l'élection des représentants français au Parlement européen ; qu'en
vertu de cette disposition législative, combinée avec celles des articles 2 et 72 de la Constitution du
4 octobre 1958, desquelles il résulte que les départements et territoires d'outre-mer font partie
intégrante de la République française, lesdits départements et territoires sont nécessairement inclus
dans la circonscription unique à l'intérieur de laquelle il est procédé à l'élection des représentants au
Parlement européen ;
Considérant qu'aux termes de l'article 227-1 du traité en date du 25 mars 1957 instituant la
Communauté économique européenne : "Le présent traité s'applique ... à la République française" ;
que les règles ci-dessus rappelées, définies par la loi du 7 juillet 1977, ne sont pas incompatibles
avec les stipulations claires de l'article 227-1 précité du traité de Rome ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les personnes ayant, en vertu des dispositions du
chapitre 1er du titre 1er du livre 1er du code électoral, la qualité d'électeur dans les départements et
territoires d'outre-mer ont aussi cette qualité pour l'élection des représentants au Parlement
européen ; qu'elles sont également éligibles, en vertu des dispositions de l'article L.O. 127 du code
électoral, rendu applicable à l'élection au Parlement européen par l'article 5 de la loi susvisée du 7
juillet 1977 ; que, par suite, M. Nicolo n'est fondé à soutenir ni que la participation des citoyens
français des départements et territoires d'outre-mer à l'élection des représentants au Parlement
européen, ni que la présence de certains d'entre eux sur des listes de candidats auraient vicié ladite
élection ; que, dès lors, sa requête doit être rejetée ;
Sur les conclusions du ministre des départements et territoires d'outre-mer tendant à ce que le
Conseil d'État inflige une amende pour recours abusif à M. Nicolo :
Considérant que des conclusions ayant un tel objet ne sont pas recevables ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. Nicolo et les conclusions du ministre des départements et des
territoires d'outremer tendant à ce qu'une amende pour recours abusif lui soit infligée sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Nicolo, à M. de Charette, mandataire de la liste
l'Union U.D.F.-R.P.R., aux mandataires de la liste de rassemblement présentée par le Parti
Communiste Français, de la liste du Centre pour l'Europe, de la liste Majorité de Progrès pour
l'Europe, de la liste Les Verts Europe-Ecologie et de la liste Europe et Patrie et au ministre de
l'intérieur.
Document n° 3b. Conseil d’État, Ass., 20 octobre 1989, Sitbon, req. n° 108376.
Vu la requête, enregistrée le 29 juin 1989 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'État, présentée
par M. Ange Sitbon, demeurant 25, rue Cail à Paris (75 010), et tendant à ce que le Conseil d'État
annule les opérations électorales qui se sont déroulées à Paris le 18 juin 1989 en vue de l'élection
des membres du Parlement européen, et, subsidiairement constate la situation d'incompatibilité dans
laquelle se trouve M. Giscard d'Estaing,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel, modifiée par l'ordonnance n° 59-223 du 4 février 1959 ;
Vu le code électoral ;
Vu la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants à l'Assemblée des
communautés européennes ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi
n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. de Montgolfier, Auditeur,
- les observations de la S.C.P. de Chaisemartin, avocat de M. Hervé de Charette,
- les conclusions de M. Frydman, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 56 de la Constitution du 4 octobre 1958 "le Conseil
Constitutionnel comprend neuf membres (...) En sus des neuf membres prévus ci-dessus, font de
droit partie à vie du Conseil Constitutionnel les anciens Présidents de la République" ; qu'aux
termes de l'article L.O. 152 du code électoral.
"Les fonctions de membre du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec celles (...) de membre
du Parlement" ; que les fonctions de membre du Conseil constitutionnel sont également
incompatibles avec celles de représentant au Parlement européen, dès lors qu'en vertu de l'article 6
de la loi du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants à l'Assemblée des communautés
européennes, l'article L.O. 152 du code électoral est applicable auxdits représentants ; que cette
incompatibilité s'applique aux membres de droit du Conseil constitutionnel comme aux autres
membres de ce Conseil ; qu'il suit de là que l'élection au Parlement européen d'un membre de droit
du Conseil constitutionnel fait obstacle à ce que celui-ci siège au sein de ce Conseil ; qu'en
revanche, la qualité de membre de droit du Conseil constitutionnel d'un ancien Président de la
République ne saurait, en l'absence de disposition expresse en ce sens, priver celui-ci du droit
reconnu à tout citoyen, dans les conditions et sous réserves prévues par la loi, d'être candidat à tout
mandat électif ; qu'ainsi le grief unique de la requête de M. Sitbon, tiré de ce que M. Giscard
d'Estaing, en sa qualité d'ancien Président de la République et de membre de droit du Conseil
constitutionnel, aurait été inéligible au Parlement européen, doit être écarté ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. Sitbon est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Sitbon, à M. de Charette, mandataire de la liste
l'Union U.D.F.-R.P.R., aux mandataires de la liste de rassemblement présentée par le Parti
Communiste Français, de la liste du Centre pour l'Europe, de la liste Majorité de Progrès pour
l'Europe, de la liste Les Verts Europe-Écologie et de la liste Europe et Patrie et au ministre de
l'intérieur.
Document n° 4. Conseil d’État, 30 octobre 1998, Sarran, Levacher et autres, rec.
398.
Vu 1°), sous le n° 200 286, la requête, enregistrée le 7 octobre 1998 au secrétariat du contentieux du
Conseil d'État, présentée par M. Claude Sarran, demeurant 12, rue Lamartine à Nouméa (98 800) ;
M. Sarran demande au Conseil d'État :
- d'annuler le décret en date du 20 août 1998 portant organisation de la consultation des populations
de la Nouvelle-Calédonie prévue par l'article 76 de la Constitution ;
- de décider qu'il sera sursis à l'exécution de ce décret ;
- d'enjoindre à l'État, sous astreinte de 1 000 000 F par jour de retard, de procéder à la rectification
de la liste électorale et à sa publication avant le 29 octobre 1998 ;
Vu 2°), sous le n° 200 287, la requête, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'État le
7 octobre 1998, présentée par M. François Levacher, demeurant 6, rue Pierre Bergès à Nouméa
(98 800), Mme Nadine AURIAC, demeurant 8 bis, route de l'Anse Vata à Nouméa (98 800), Mme
Jocelyne BURET, demeurant 18, lotissement Hagem, Plum à Mont Dore (98 810), M. Raymond
BUSTON, demeurant 9, rue Fragonard à Nouméa (98 800), Mme Sophie BUSTON, demeurant 6,
rue Gabriel Laroque à Nouméa (98 800), M. Yves CORMIER, demeurant 8, rue de Soissons à
Nouméa (98 800), M. Franck DELACHARLERY, demeurant 8, rue Revercé à Nouméa (98 800),
Mme Charline FABRE, demeurant 208, avenue Victor Hugo à Dumbéa (98 830), Mme MarieHélène GILLOT, demeurant 11, rue Roland Garros à Nouméa (98 800), Mme Jacqueline
LAMBINET, demeurant 8, rue Soissons à Nouméa (98 800), M. Philippe LOUBET, demeurant 50,
rue du Rhône à Nouméa (98 800), Mme Marie-Christine MARIDAS, demeurant 10, avenue
Gribeauval à Nouméa (98 800), Mme Colette MEILLAC, demeurant 6, rue Pierre Bergès à Nouméa
(98 800), M. Jean PHILIZOT, demeurant Lotissement Flamboyant lot 77, rue Chapuis à Nouméa
(98 800), M. Gilles SAROTTE, demeurant 12, rue Mijola à Nouméa (98 800), M. Thierry
SCHMIDT, demeurant 18, lotissement Hagen, Plum à Mont Dore (98 810) ; M. Levacher et les
autres requérants demandent au Conseil d'État :
- d'annuler le décret en date du 20 août 1998 portant organisation de la consultation des populations
de la Nouvelle-Calédonie prévue par l'article 76 de la Constitution ;
- de décider qu'il sera sursis à l'exécution de ce décret ;
- d'enjoindre à l'État, sous astreinte de 1 000 000 F par jour de retard, de procéder à la rectification
de la liste électorale et à sa publication avant le 29 octobre 1998 ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la Constitution modifiée notamment par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
ensemble le protocole additionnel n° 1 à cette convention ;
Vu le code civil ;
Vu le code électoral ;
Vu le nouveau code de procédure civile ;
Vu la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 ;
Vu la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 modifiée notamment par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi
n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Prada Bordenave, Maître des Requêtes,
- les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requête de M. Claude Sarran et celle de M. François Levacher et des autres
personnes dont il est le mandataire unique sont dirigées contre un même décret ; qu'il y a lieu de les
joindre pour qu'il soit statué par une même décision ;
Sur les interventions de l'Association de défense du droit de vote et de Mme Tastet et autres :
Considérant que l'Association de défense du droit de vote ainsi que Mme Tastet et les autres
personnes dont elle est le mandataire ont intérêt à l'annulation du décret attaqué ; qu'ainsi, leurs
interventions sont recevables ;
Sur les conclusions à fin d'annulation du décret attaqué :
Considérant que l'article 76 de la Constitution, dans la rédaction qui lui a été donnée par l'article 2
de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 énonce, dans son premier alinéa, que : "Les populations
de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les
dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel
de la République française" ; qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 76 : "Sont admises à
participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi n° 88-1028
du 9 novembre 1988" ; qu'enfin, aux termes du troisième alinéa de l'article 76 : "Les mesures
nécessaires à l'organisation du scrutin sont prises par décret en Conseil d'État délibéré en Conseil
des ministres" ; que le décret du 20 juillet 1998 a été pris sur le fondement de ces dernières
dispositions ;
En ce qui concerne les moyens de légalité externe :
Quant au défaut de consultation du Conseil constitutionnel :
Considérant que selon l'article 60 de la Constitution : "Le Conseil constitutionnel veille à la
régularité des opérations de référendum et en proclame les résultats" ; qu'à ce titre, il doit
notamment, comme le prescrit l'article 46 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi
organique, être "consulté par le gouvernement sur l'organisation des opérations de référendum" ;
qu'en vertu de l'article 3 de la Constitution, "la souveraineté nationale appartient au peuple qui
l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum" ;
Considérant qu'il ressort de ces dispositions que seuls les référendums par lesquels le peuple
français exerce sa souveraineté, soit en matière législative dans les cas prévus par l'article 11 de la
Constitution, soit en matière constitutionnelle comme le prévoit l'article 89, sont soumis au contrôle
du Conseil constitutionnel ;
Considérant qu'il suit de là que le décret attaqué, dont l'objet est limité à l'organisation d'une
consultation des populations intéressées de Nouvelle-Calédonie, n'avait pas à être précédé de
l'intervention du Conseil constitutionnel, alors même que ladite consultation trouve son fondement
dans des dispositions de valeur constitutionnelle ;
Quant au défaut de consultation du Congrès du territoire :
Considérant que, selon le deuxième alinéa de l'article 74 de la Constitution, dans sa rédaction issue
de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 : "Les statuts des territoires d'outre-mer sont fixés par des
lois organiques qui définissent, notamment, les compétences de leurs institutions propres et
modifiés, dans la même forme, après consultation de l'assemblée territoriale intéressée" ; que le
troisième alinéa du même article dispose que : "Les autres modalités de leur organisation
particulière sont définies et modifiées par la loi après consultation de l'assemblée territoriale
intéressée" ;
Considérant que la fixation par voie de décret en Conseil d'État délibéré en Conseil des ministres
des mesures de nature réglementaire nécessaires à l'organisation du scrutin prévu par l'article 76 de
la Constitution, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, n'entre pas dans
le champ des prévisions des dispositions susmentionnées de l'article 74 de la Constitution ; qu'en
conséquence, l'avis du Congrès du territoire de Nouvelle-Calédonie n'était pas requis préalablement
à l'intervention du décret attaqué ;
En ce qui concerne les moyens de légalité interne :
Quant aux moyens dirigés contre les articles 3 et 8 du décret attaqué :
Considérant que l'article 3 du décret du 20 août 1998 dispose que : "Conformément à l'article 76 de
la Constitution et à l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988 (...) sont admis à participer à la
consultation du 8 novembre 1998 les électeurs inscrits à cette date sur les listes électorales du
territoire et qui ont leur domicile en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988" ; qu'il est
spécifié que : "Sont réputées avoir leur domicile en Nouvelle-Calédonie alors même qu'elles
accomplissent le service national ou poursuivent un cycle d'études ou de formation continue hors du
territoire, les personnes qui avaient antérieurement leur domicile dans le territoire" ; que l'article 8
du décret précise dans son premier alinéa, que la commission administrative chargée de
l'établissement de la liste des personnes admises à participer à la consultation, inscrit sur cette liste
les électeurs remplissant à la date de la consultation la condition de domicile exigée par l'article 2 de
la loi du 9 novembre 1988 ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le deuxième alinéa de l'article 76 de la Constitution
dispose que :
"Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de
la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988" ; que ce dernier article exige que les intéressés soient
domiciliés en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988, sous réserve des exceptions qu'il
énumère dans son second alinéa et qui sont reprises par l'article 3 du décret attaqué ; qu'ainsi, les
articles 3 et 8 dudit décret, loin de méconnaître l'article 76 de la Constitution en ont fait une exacte
application ;
Considérant que l'article 76 de la Constitution ayant entendu déroger aux autres normes de valeur
constitutionnelle relatives au droit de suffrage, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées du
décret attaqué seraient contraires aux articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen, à laquelle renvoie le préambule de la Constitution ou à l'article 3 de la Constitution ne peut
qu'être écarté ;
Considérant que si l'article 55 de la Constitution dispose que "les traités ou accords régulièrement
ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve,
pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie", la suprématie ainsi conférée aux
engagements internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature
constitutionnelle ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le décret attaqué, en ce qu'il méconnaîtrait les
stipulations d'engagements internationaux régulièrement introduits dans l'ordre interne, serait par là
même contraire à l'article 55 de la Constitution, ne peut lui aussi qu'être écarté ;
Considérant que si les requérants invitent le Conseil d'État à faire prévaloir les stipulations des
articles 2, 25 et 26 du pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques, de l'article 14 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de
l'article 3 du protocole additionnel n° 1 à cette convention, sur les dispositions de l'article 2 de la loi
du 9 novembre 1988, un tel moyen ne peut qu'être écarté dès lors que par l'effet du renvoi opéré par
l'article 76 de la Constitution aux dispositions dudit article 2, ces dernières ont elles-mêmes valeur
constitutionnelle ;
Considérant enfin que, dans la mesure où les articles 3 et 8 du décret attaqué ont fait une exacte
application des dispositions constitutionnelles qu'il incombait à l'auteur de ce décret de mettre en
oeuvre, ne sauraient être utilement invoquées à leur encontre ni une méconnaissance des
dispositions du code civil relatives aux effets de l'acquisition de la nationalité française et de la
majorité civile ni une violation des dispositions du code électoral relatives aux conditions
d'inscription d'un électeur sur une liste électorale dans une commune déterminée ;
Quant aux moyens dirigés contre l'article 13 du décret attaqué :
Considérant que l'article 13 du décret attaqué rend applicables à la contestation de l'établissement de
la liste des personnes habilitées à participer au scrutin du 8 novembre 1998, les dispositions du code
électoral relatives aux voies de recours ouvertes en cas de révision annuelle des listes électorales,
moyennant un agencement particulier des délais ;
Considérant qu'il résulte du rapprochement des dispositions de l'article 13 du décret attaqué et des
autres dispositions de ce décret que la commission administrative d'inscription créée auprès de
chaque bureau de vote et présidée par un magistrat de l'ordre judiciaire ne peut refuser d'inscrire un
électeur sur la liste des personnes admises à participer à la consultation sans avoir mis l'intéressé à
même de présenter ses observations ; qu'il y a lieu de relever également que la consultation des
populations intéressées vise un corps électoral défini dans son principe par l'article 2 de la loi du 9
novembre 1988 ; que, comme le prévoit l'article R. 15-2 du code électoral dont l'application est
prescrite par le décret attaqué, le pourvoi en cassation contre le jugement du tribunal de première
instance peut être formé par une déclaration orale ou écrite que la partie ou tout mandataire a la
faculté d'adresser au secrétariat-greffe de ce tribunal ; qu'enfin, le décret attaqué ne fait pas obstacle
à ce que puissent recevoir application les dispositions du deuxième alinéa de l'article 47 de
l'ordonnance du 31 juillet 1945 sur le Conseil d'État qui permettent, en l'espèce, de présenter la
requête d'appel au secrétariat-greffe du tribunal administratif ;
Considérant qu'eu égard à ces divers éléments et compte tenu de la nature des contestations
susceptibles d'être portées devant les juridictions compétentes, les délais de saisine de ces
juridictions fixées par le décret attaqué n'ont pas, nonobstant leur brièveté, porté atteinte au droit des
personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction conformément aux
principes généraux du droit ;
Considérant qu'en raison de la nature des questions soumises au tribunal de première instance, le
délai de cinq jours qui lui est imparti pour statuer ne contrevient pas, par lui-même, au principe du
caractère contradictoire de la procédure ;
Considérant que les contestations des requérants, relatives à l'inscription sur la liste des personnes
admises à participer au scrutin, portent sur l'exercice de droits politiques et non sur des droits et
obligations de caractère civil au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations
de l'article 6 1 de cette convention ne peut qu'être écarté ;
Considérant que les règles fixées par le décret attaqué sont distinctes des règles applicables à
l'inscription sur la liste électorale d'une commune en dehors des périodes de révision ; que, dès lors,
le moyen tiré de la violation des dispositions du code électoral applicables à cette dernière
procédure et notamment de celles de son article L. 35 sur le délai du recours en cassation, est
inopérant à l'encontre du décret attaqué ;
Considérant que l'institution en matière de procédure d'un délai de distance pour saisir une
juridiction applicable aux requérants domiciliés en dehors de la France métropolitaine, ne procède
pas d'un principe général du droit dont le respect s'imposerait au pouvoir réglementaire, même en
l'absence de texte ; que si l'article 643 du nouveau code de procédure civile annexé au décret en
Conseil d'État du 5 décembre 1975 a institué un semblable délai, son application est, en tout état de
cause, exclue en matière d'élections, en vertu de l'article 645 du code, sauf disposition expresse le
prévoyant ; que, dans ces conditions, le décret attaqué, en s'abstenant de prévoir un tel délai, n'est
pas entaché d'illégalité ;
Considérant que de l'ensemble de ce qui précède, il résulte que les conclusions tendant à
l'annulation du décret doivent être rejetées ;
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
Considérant qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins de sursis à exécution ;
Sur les conclusions tendant à ce que le Conseil d'État prononce une injonction assortie d'une
astreinte :
Considérant que ces conclusions doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet des
conclusions aux fins d'annulation ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 font obstacle
à que l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser aux
requérants les sommes qu'ils réclament au titre des frais exposés par eux et non compris dans les
dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les interventions de l'Association de défense du droit de vote et de Mme Tastet et
autres sont admises.
Article 2 : Les requêtes de M. Sarran et de M. Levacher et autres sont rejetées.
Document n° 5. Conseil d’État, 6e et 1ère sous-sections réunies, req. n° 282456,
19 juin 2006, Association Eau et rivières de Bretagne
Vu la requête, enregistrée le 15 juillet 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État,
présentée pour l’Association Eau et Rivières de Bretagne, dont le siège est 9, rue Pierre Philippe à
Lorient (56 100) ;
l’Association Eau et Rivières de Bretagne demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler, à titre principal, l'arrêté du 7 février 2005 du ministre de l'Écologie et du
Développement durable fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages de
bovins, de volailles ou de gibier à plumes et de porcs soumis à autorisation au titre du livre V du
code de l'environnement, à titre subsidiaire, son article 16 en ce qu'il fixe les distances minimales
entre les parcelles d'épandage et toute habitation, stades, terrains de camping à 15 mètres pour les
lisiers et purins, lorsqu'un dispositif permettant l'injection directe dans le sol est utilisé ainsi que
l'article 18-4° en ce qu'il réduit à 10 mètres la distance d'épandage par rapport au cours d'eau si une
bande de 10 mètres enherbée ou boisée est implantée de façon permanente en bordure des cours
d'eau,
2°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L.
761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Stéphane Hoynck, Auditeur,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Sur l'intervention de l'association de défense des eaux et des vallées et de l'association sources et
rivières du Limousin :
Considérant que ces associations ont intérêt à l'annulation de l'arrêté attaqué ; que leur intervention
est par suite recevable ;
Sur la légalité externe :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 512-5 du code de l'environnement, « Pour la protection des
intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, le ministre chargé des installations classées peut fixer par
arrêté, après consultation des ministres intéressés et du Conseil supérieur des installations classées,
les règles générales et prescriptions techniques applicables aux installations soumises aux
dispositions de la présente section. Ces règles et prescriptions déterminent les mesures propres à
prévenir et à réduire les risques d'accident ou de pollution de toute nature susceptibles d'intervenir
ainsi que les conditions d'insertion dans l'environnement de l'installation et de remise en état du site
après arrêt de l'exploitation. Ces arrêtés s'imposent de plein droit aux installations nouvelles. Ils
précisent, après avis des organisations professionnelles intéressées, les délais et les conditions dans
lesquels ils s'appliquent aux installations existantes. ( ) » ; qu'aux termes de l'article L. 511-1, sont
soumises « aux dispositions du présent titre ( ) les installations ( ) qui peuvent présenter des dangers
ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité
publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature et de l'environnement, soit pour
la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. »
Considérant que les organisations professionnelles intéressées, mentionnées au second alinéa de
l'article L. 512-5, sont celles dont les membres exploitent des installations au sens de l'article L.
511-1, auxquelles l'arrêté ministériel en cause impose des prescriptions ; que l'arrêté attaqué fixe des
règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages de bovins, de volailles ou de gibier à
plumes et de porcs soumis à autorisation au titre de la réglementation des installations classées ; que
l'union nationale pour la pêche et la protection du milieu aquatique, le comité national des pêches et
des élevages marins, le comité national de la conchyliculture, le syndicat des eaux de source,
l'assemblée permanente des chambres de commerce et d'industrie, l'assemblée permanente des
chambres des métiers, la fédération nationale de l'hôtellerie de plein air, le conseil national du
tourisme et la fédération nationale des gîtes de France, ne sont pas, contrairement à ce que soutient
la requérante, des organisations professionnelles intéressées au sens de l'article L. 512-5, et
n'avaient donc pas à être saisis pour avis du projet d'arrêté ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le ministre chargé de la santé et le ministre
chargé de l'agriculture ont été consultés sur le projet d'arrêté ; qu'en revanche les ministres chargés
du tourisme, des sports, des loisirs et de la sécurité ne sont pas des ministres intéressés au sens de
l'article L. 512-5 et n'avaient donc pas à être consultés sur ce projet ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que lors de sa séance du 16 novembre 2004, le
Conseil supérieur des installations classées s'est prononcé sur le projet d'arrêté, notamment sur la
question de la distance minimale entre les habitations et les zones d'épandage à l'aide de dispositifs
d'injection directe dans le sol ; qu'au surplus, les réserves du conseil ont été prises en compte par
l'arrêté attaqué, qui retient une distance de 15 mètres au lieu des 10 mètres du projet initial ; que
l'association requérante n'est par suite pas fondée à soutenir que le Conseil supérieur des
installations classées n'a pas été mis à même de délibérer sur cette question, en violation de l'article
L. 512-5 du code de l'environnement ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à soutenir
que l'arrêté attaqué serait intervenu au terme d'une procédure irrégulière ;
Sur la légalité interne :
Considérant que, lorsque des dispositions législatives ont été prises pour assurer la mise en oeuvre
des principes énoncés aux articles 1, 2 et 6 de la Charte de l'environnement de 2004, à laquelle le
Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er
mars 2005, la légalité des décisions administratives s'apprécie par rapport à ces dispositions, sous
réserve, s'agissant de dispositions législatives antérieures à l'entrée en vigueur de la charte de
l'environnement, quelles ne soient pas incompatibles avec les exigences qui découlent de cette
charte ; qu'ainsi la légalité de l'arrêté attaqué doit être appréciée au regard des dispositions du
code de l'environnement qui imposent aux installations classées des sujétions destinées notamment
à la protection de l'eau ;
Considérant que l'arrêté attaqué fixe des règles techniques communes auxquelles doivent satisfaire
les élevages de bovins, de volailles ou de gibier à plumes et de porcs soumis à autorisation au titre
de la réglementation des installations classées, et qui faisaient auparavant l'objet de trois arrêtés
différents ; que l'article 16 de l'arrêté attaqué prévoit notamment que la distance d'isolement
minimale entre habitations et zones d'épandage par injection directe dans le sol, est fixée à 15
mètres, alors que la réglementation antérieure ne prévoyait pas une telle modalité d'épandage ; que
le 4°) de l'article 18 de l'arrêté attaqué maintient la distance d'isolement des berges des cours d'eau à
35 mètres, et porte cette distance à 10 mètres si une bande de 10 mètres enherbée ou boisée et ne
recevant aucun intrant est implantée de façon permanente, ce qui constitue également un nouveau
cas de figure et non une réduction de la distance d'isolement par rapport au droit antérieurement
applicable ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en relevant ces distances pour la technique
d'épandage par injection directe dans le sol ou lors de la mise en place de bandes enherbés ou
boisées, l'arrêté ministériel attaqué ait commis une erreur manifeste d'appréciation ; que l'article L.
211-1 du code de l'environnement, applicable aux installations classées, pose un principe de gestion
équilibrée de l'eau, qui doit permettre de concilier différentes exigences, dont celle de l'agriculture ;
qu'ainsi la disposition critiquée de l'arrêté n'est pas contraire à cet article ;
que les obligations posées par la directive 2000/60 CE, du Parlement européen et du Conseil du 23
octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire de protection des eaux, ne
trouvent pas à s'appliquer dans la matière régie par l'arrêté attaqué et ne peuvent donc être utilement
invoquée à son encontre ;
Considérant que le 4°) de l'article 18 de l'arrêté attaqué maintient une distance de 200 mètres en ce
qui concerne la distance d'isolement avec les lieux de baignade, et confie au préfet la possibilité de
réduire cette distance à 50 mètres pour l'épandage de composts réalisés conformément aux
prescriptions de l'article 17 ; que cette disposition a été légalement édictée sur le fondement de
l'article L. 512-5 du code de l'environnement, en vertu duquel les arrêtés du ministre fixent
également les conditions dans lesquelles certaines de ces règles peuvent être adaptées aux
circonstances locales par l'arrêté préfectoral d'autorisation ;
Considérant, en revanche, que les articles 4 et 18 de l'arrêté attaqué fixent à 500 mètres, sauf
dérogation liée à la topographie et prévue par l'arrêté d'autorisation, les distances d'implantation des
bâtiments d'élevage et d'isolement des épandages, en amont des piscicultures mentionnées à la
rubrique 2130 de la nomenclature des installations classées ; que ces dispositions ont pour effet de
supprimer les distances en cause dans le cas des piscicultures qui ne sont pas soumises à la
réglementation des installations classées, ou de les porter de 500 mètres à 35 voire 10 mètres,
lorsqu'elles sont assimilables aux berges de cours d'eau, qui bénéficient de distances d'isolement
particulières ainsi qu'il a été dit plus haut ; qu'en supprimant toute distance particulière
d'implantation des bâtiments d'élevage et d'isolement des épandages dans le cas des piscicultures ne
relevant pas de la nomenclature des installations classées, l'arrêté attaqué n'assure pas la protection
des intérêts mentionnés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement ; que les requérants sont
ainsi fondés à demander l'annulation de l'arrêté dans cette mesure ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association requérante et les associations
intervenantes ne sont fondées à demander l'annulation de l'arrêté attaqué qu'en tant qu'il exclut au
4ème alinéa du 1. de son article 4 et au 3ème alinéa du 4. de son article 18 les piscicultures qui ne
sont pas concernées par la rubrique 2130 de la nomenclature des installations classées ;
Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'État la somme
de 1 500 euros que demande l'association EAU ET RIVIÈRES DE BRETAGNE au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de l'association de défense des eaux et des vallées et de l'association
Sources et rivières du Limousin est admise.
Article 2 : Le 4ème alinéa du 1. de l'article 4 et le 3ème alinéa du 4. de l'article 18 de l'arrêté du 7
février 2005 du ministre de l'écologie et du développement durable sont annulés en ce qu'ils
comportent les mots « soumises à autorisation ou déclaration sous la rubrique 2130 de la
nomenclature des installations classées ».
Article 3 : L'État versera à l’Association Eau et Rivières de Bretagne la somme de 1 500 euros au
titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l’Association Eau et Rivières de Bretagne est
rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’Association Eau et Rivières de Bretagne, au
ministre de l'écologie et du développement durable, à l'association de défense des eaux et des
vallées et à l'association Sources et rivières du Limousin.
Document n° 6. Conseil d’État, req. n° 287110, 8 février 2007, Société Arcelor
Atlantique et Lorraine (extraits)
[…] Considérant, en troisième lieu, que les sociétés requérantes soutiennent que l'article 1er du
décret méconnaîtrait plusieurs principes à valeur constitutionnelle ;
Considérant que si, aux termes de l'article 55 de la Constitution, « les traités ou accords
régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois,
sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie », la suprématie ainsi
conférée aux engagements internationaux ne saurait s'imposer, dans l'ordre interne, aux principes et
dispositions à valeur constitutionnelle ; qu'eu égard aux dispositions de l'article 88-1 de la
Constitution, selon lesquelles « la République participe aux Communautés européennes et à l'Union
européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées,
d'exercer en commun certaines de leurs compétences », dont découle une obligation
constitutionnelle de transposition des directives, le contrôle de constitutionnalité des actes
réglementaires assurant directement cette transposition est appelé à s'exercer selon des modalités
particulières dans le cas où sont transposées des dispositions précises et inconditionnelles ; qu'alors,
si le contrôle des règles de compétence et de procédure ne se trouve pas affecté, il appartient au juge
administratif, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance d'une disposition ou d'un principe de
valeur constitutionnelle, de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit
communautaire qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la
jurisprudence du juge communautaire, garantit par son application l'effectivité du respect de la
disposition ou du principe constitutionnel invoqué ; que, dans l'affirmative, il y a lieu pour le juge
administratif, afin de s'assurer de la constitutionnalité du décret, de rechercher si la directive que ce
décret transpose est conforme à cette règle ou à ce principe général du droit communautaire ; qu'il
lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse, d'écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas contraire,
de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle, dans les
conditions prévues par l'article 234 du Traité instituant la Communauté européenne ; qu'en
revanche, s'il n'existe pas de règle ou de principe général du droit communautaire garantissant
l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué, il revient au juge
administratif d'examiner directement la constitutionnalité des dispositions réglementaires
contestées ;
Considérant que les sociétés requérantes soutiennent que seraient méconnus le droit de propriété et
la liberté d'entreprendre, dès lors que l'inclusion des entreprises du secteur sidérurgique dans le
système les placerait dans une situation où elles seraient contraintes d'acquérir des quotas
d'émission de gaz à effet de serre ; qu'en effet, le taux de réduction des émissions de gaz à effet de
serre qui leur est imposé serait supérieur aux possibilités de réduction effective des émissions de
gaz à effet de serre dont elles disposent en l'état des contraintes techniques et économiques ;
Considérant que le droit de propriété et la liberté d'entreprendre constituent des principes généraux
du droit communautaire ; qu'ils ont, au regard du moyen invoqué, une portée garantissant
l'effectivité du respect des principes et dispositions de valeur constitutionnelle dont la
méconnaissance est alléguée ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'État, de rechercher si la
directive du 13 octobre 2003, en tant qu'elle inclut dans son champ d'application les entreprises du
secteur sidérurgique, ne contrevient pas elle-même à ces principes généraux du droit
communautaire ;
Considérant que la seule circonstance que les entreprises du secteur sidérurgique soient incluses
dans le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre ne saurait être regardée
comme portant atteinte aux principes généraux du droit communautaire qui garantissent le droit de
propriété et la liberté d'entreprendre, dès lors qu'une telle atteinte ne pourrait résulter, le cas échéant,
que du niveau de réduction des émissions de gaz à effet de serre assigné à ce secteur dans le cadre
du plan national d'allocation des quotas prévu par l'article 8 de la directive et approuvé par un décret
distinct du décret contesté ;
Considérant que les sociétés requérantes mettent en cause également la méconnaissance du principe
à valeur constitutionnelle d'égalité ;
Considérant qu'elles font valoir, tout d'abord, que les entreprises du secteur sidérurgique se
trouveraient placées dans une situation différente de celles des autres entreprises soumises au
système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre et ne pourraient, dès lors, faire l'objet
du même traitement ; que, cependant, le principe constitutionnel d'égalité n'implique pas que des
personnes se trouvant dans des situations différentes doivent être soumises à des régimes différents ;
qu'il suit de là que le moyen ne saurait être utilement invoqué ;
Considérant, toutefois, que les sociétés requérantes soutiennent en outre que l'article 1er du décret
attaqué méconnaît le principe d'égalité au motif que les entreprises relevant de secteurs concurrents,
notamment du plastique et de l'aluminium, et émettant des quantités équivalentes de gaz à effet de
serre, ne sont pas assujetties au système d'échange de quotas ;
Considérant que le principe d'égalité, dont l'application revêt à cet égard valeur constitutionnelle,
constitue un principe général du droit communautaire ; qu'il ressort de l'état actuel de la
jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes que la méconnaissance de ce
principe peut notamment résulter de ce que des situations comparables sont traitées de manière
différente, à moins qu'une telle différence de traitement soit objectivement justifiée ; que la portée
du principe général du droit communautaire garantit, au regard du moyen invoqué, l'effectivité du
respect du principe constitutionnel en cause ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'État, de
rechercher si la directive du 13 octobre 2003, en tant qu'elle inclut dans son champ d'application les
entreprises du secteur sidérurgique, ne contrevient pas à cet égard au principe général du droit
communautaire qui s'impose à elle ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les industries du plastique et de l'aluminium
émettent des gaz à effet de serre identiques à ceux dont la directive du 13 octobre 2003 a entendu
limiter l'émission ; que ces industries produisent des matériaux qui sont partiellement substituables
à ceux produits par l'industrie sidérurgique et se trouvent donc placées en situation de concurrence
avec celle-ci ; qu'elles ne sont cependant pas couvertes, en tant que telles, par le système d'échange
de quotas de gaz à effet de serre, et ne lui sont indirectement soumises qu'en tant qu'elles
comportent des installations de combustion d'une puissance calorifique supérieure à 20 mégawatts ;
que si la décision de ne pas inclure immédiatement, en tant que telles, les industries du plastique et
de l'aluminium dans le système a été prise en considération de leur part relative dans les émissions
totales de gaz à effet de serre et de la nécessité d'assurer la mise en place progressive d'un dispositif
d'ensemble, la question de savoir si la différence de traitement instituée par la directive est
objectivement justifiée soulève une difficulté sérieuse ; que, par suite, il y a lieu pour le Conseil
d'État de surseoir à statuer sur les conclusions de la requête dirigées contre le refus d'abroger
l'article 1er du décret contesté jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se
soit prononcée sur la question préjudicielle de la validité de la directive du 13 octobre 2003 au
regard du principe d'égalité en tant qu'elle rend applicable le système d'échange de quotas
d'émission de gaz à effet de serre aux installations du secteur sidérurgique, sans y inclure les
industries de l'aluminium et du plastique ;
Sur les conclusions dirigées contre le refus d'abroger les I et II de l'article 4 et l'article 5 du décret :
Considérant qu'il résulte du sursis à statuer sur les conclusions principales des sociétés requérantes
prononcé par la présente décision qu'il y a lieu pour le Conseil d'État, dans l'attente de la réponse de
la Cour de justice des Communautés européennes à la question préjudicielle qui lui est posée, de
différer son examen des conclusions de la requête dirigées contre le refus d'abroger les I et II de
l'article 4 et l'article 5 du décret du 19 août 2004 ;
DÉCIDE :
-------------Article 1er : Il est donné acte du désistement de la requête de la Société Ugitech.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête… jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés
européennes se soit prononcée sur la question de la validité de la directive du 13 octobre 2003 au
regard du principe d'égalité en tant qu'elle rend applicable le système d'échange de quotas
d'émission de gaz à effet de serre aux installations du secteur sidérurgique sans y inclure les
industries de l'aluminium et du plastique. Cette question est renvoyée à la Cour de justice des
Communautés européennes siégeant à Luxembourg.
Article 3 : La présente décision sera notifiée… aux requérantes, au Premier ministre, au ministre de
l'Écologie et du Développement durable, au ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie
ainsi qu'au président de la Cour de justice des Communautés européennes.
Document n° 8. Rapport public 2006. Jurisprudence et avis de 2005, sécurité
juridique et complexité du droit, La Documentation française, Études &
Documents n° 57, 2006, pp. 233-234.
Première partie : la complexité croissante des normes menace l’État de droit
[…] L’élaboration des normes juridiques est, pour la France comme pour les autres pays
développés, à la fois tributaire de contraintes objectives et plus ou moins inéluctables, et de
fonctionnements ou de comportements pathogènes.
Certaines des contraintes objectives sont externes et liées aux engagements internationaux de la
France résultant d’une volonté politique continue depuis la fin de la dernière guerre mondiale : la
construction européenne et le droit communautaire, d’une part, la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et les conventions négociées au sein du Conseil de l’Europe,
d’autre part. S’y ajoute le maillage de conventions internationales bilatérales et multilatérales, qui
relie notre pays au reste du monde.
L’apparition de nouveaux domaines de législation parfois complexes et difficiles comme le droit de
la concurrence, le droit monétaire et financier dans un contexte ouvert, les biotechnologies,
l’économie numérique, les nouvelles approches de la propriété intellectuelle, la protection de
l’environnement, contribue également à la multiplication et à la révision fréquente des normes.
Dans le domaine économique, la libéralisation de secteurs entiers tels que les transports, les
télécommunications, ou bientôt l’énergie, appelle la fixation de règles de conduite des opérateurs
dans des domaines par nature techniques et évolutifs, et justifie l’apparition d’un nouveau type de
régulation caractérisé par de constantes adaptations.
D’autres contraintes résultent de choix du constituant ou du législateur : ainsi en est-il des transferts
successifs de pouvoirs et de compétences en faveur des collectivités territoriales, du choix d’un
statut spécifique pour chaque collectivité d’outre-mer, ou encore de la création d’autorités
administratives indépendantes.
Les caractéristiques propres aux sociétés démocratiques, et notamment la nécessité de communiquer
autour de la loi, la portée symbolique qu’elle revêt, les remises en cause dont elle est fréquemment
l’objet à l’occasion de changements de majorité, contribuent enfin, tantôt légitimement, tantôt de
façon pathologique, à l’instabilité de la norme.
Ces dernières contraintes peuvent en effet, quand elles ne sont pas maîtrisées, conduire à des
dérives, et à un dévoiement de l’usage de l’instrument normatif, soit qu’une préséance excessive
soit donnée au souhait de communication, soit qu’en vue de satisfaire des groupes de pression ou
l’opinion en général, on fasse voter des réformes avant de les avoir suffisamment pensées, ou bien
encore qu’on se propose de faire jouer à la loi un rôle qui n’est pas le sien dans une société sensible
aux symboles. De cette situation, le législateur est la première victime. Ses marges de liberté, pour
décider des sujets qu’il convient de traiter se révèlent de plus en plus restreintes. Et il en vient à ne
plus exercer sa mission dans des conditions lui permettant d’élaborer des textes de qualité. Cela
conduit en outre à sa dépossession. Mais c’est surtout la société qui en pâtit. Le droit, au lieu d’être
un facteur de sécurité, devient un facteur d’inquiétude et d’incertitude. La démarche de
simplification court après ses objectifs. Les juges ne sont eux-mêmes pas toujours en état d’y
remédier, et sont parfois conduits à prendre leur part de l’aggravation de la complexité […].
Université Paris 8
Droit constitutionnel – Ve République
(Semestre 2)
Professeur : Jean-Louis Iten
Séance de travaux dirigés n° 10 : Les révisions constitutionnelles
Document n° 1a. Loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 modifiant le
titre XV de la Constitution, JO n° 51 du 2 mars 2005, p. 3696 ; 1 b. Loi
constitutionnelle n° 2007-237 du 23 février 2007 modifiant l’article 77 de la
Constitution ; 1c. Loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 portant
modification du titre IX de la Constitution ; 1d. Loi constitutionnelle n° 2007239 du 23 février 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort
Document n° 2a. Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la
Charte de l’environnement, JO n° 51 du 2 mars 2005, p. 3697 ; 2 b. Loi
constitutionnelle n° 2005-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des
institutions de la Ve République, JO du 24 juillet 2008, texte 2/149
Document n° 3. Conseil constitutionnel, n° 62-20 DC, 6 novembre 1962, Loi
relative à l’élection du président de la République au suffrage universel, rec. 195
Document n° 4. Conseil constitutionnel, n° 92-312 DC, 2 septembre 1992,
Maastricht II, rec. 76 (extraits)
Document n° 5. Conseil constitutionnel, n° 92-313 DC, 23 septembre 1992,
Maastricht III, rec. 94 (extraits)
Document n° 6. Conseil constitutionnel, n° 2003-469 DC, 26 mars 2003, Révision
constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République, rec. 293
Document n° 7. Conseil constitutionnel, n° 2003-478 DC, 30 juillet 2003, Loi
organique relative à l’expérimentation par les collectivités locales, rec. 406
Document n° 8. Jan, P., « Les illusions constitutionnelles : brèves réflexions sur
les révisions constitutionnelles », Les petites affiches, 27 février 2007, n° 42, pp. 49 (extraits)
Document n° 9. Cohendet, M-A., Huten, N., « La Charte de l’environnement
deux ans après : chronique d’une anesthésie au Palais Royal », Revue Juridique
de l’environnement, 2007, n°3, pp. 279-282 (extraits)
Document n° 10. Verpeaux, M., « Le faux impeachment à la française ou la
nouvelle combinaison du pénal et du politique. À propos de la révision du titre
IX de la Constitution », JCP édition générale, n° 15, 11 avril 2007, pp. 14-19
(extraits)
Document n° 11. Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le
rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par Édouard
Balladur, Rapport remis au Président de la République le 29 octobre 2007, « Une
Ve République plus démocratique », introduction (extraits)
Dissertation : Quelles sont les limites au pouvoir de révision ?
Document n° 1a. Loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 modifiant le
titre XV de la Constitution, JO n° 51 du 2 mars 2005, p. 3696
Le Congrès a adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Article 1
L'article 88-1 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Elle peut participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une
Constitution pour l'Europe signé le 29 octobre 2004. »
Article 2
I. - Le titre XV de la Constitution est complété par un article 88-5 ainsi rédigé :
« Art. 88-5. - Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à
l'Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de
la République. »
II. - À l'article 60 de la Constitution, les mots : « et en proclame les résultats » sont remplacés par
les mots : « et au titre XV. Il en proclame les résultats ».
Article 3
À compter de l'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe, le titre XV de
la Constitution est ainsi rédigé :
« TITRE XV
« DE L'UNION EUROPÉENNE
« Art. 88-1. - Dans les conditions fixées par le traité établissant une Constitution pour l'Europe signé
le 29 octobre 2004, la République française participe à l'Union européenne, constituée d'États qui
ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences.
« Art. 88-2. - La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris
par les institutions de l'Union européenne.
« Art. 88-3. - Le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux
citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou
d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi
organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions
d'application du présent article.
« Art. 88-4. - Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission
au Conseil de l'Union européenne, les projets d'actes législatifs européens ainsi que les autres
projets ou propositions d'actes de l'Union européenne comportant des dispositions qui sont du
domaine de la loi. Il peut également leur soumettre les autres projets ou propositions d'actes ainsi
que tout document émanant d'une institution européenne.
« Selon les modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions peuvent être
votées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets, propositions ou documents mentionnés
à l'alinéa précédent.
« Art. 88-5. - L'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité
d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. L'avis est adressé par le président
de l'assemblée concernée aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission de
l'Union européenne. Le Gouvernement en est informé.
« Chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre
un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Ce recours est transmis à la
Cour de justice de l'Union européenne par le Gouvernement.
« À ces fins, des résolutions peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, selon des
modalités d'initiative et de discussion fixées par le règlement de chaque assemblée.
« Art. 88-6. - Par le vote d'une motion adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le
Sénat, le Parlement peut s'opposer à une modification des règles d'adoption d'actes de l'Union
européenne selon la procédure de révision simplifiée du traité établissant une Constitution pour
l'Europe.
« Art. 88-7. - Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à
l'Union européenne est soumis au référendum par le Président de la République. »
Article 4
L'article 88-5, dans sa rédaction en vigueur jusqu'à l'entrée en vigueur du traité établissant une
Constitution pour l'Europe, et l'article 88-7 de la Constitution ne sont pas applicables aux adhésions
faisant suite à une conférence intergouvernementale dont la convocation a été décidée par le Conseil
européen avant le 1er juillet 2004.
La présente loi sera exécutée comme loi de l'État.
Fait à Paris, le 1er mars 2005.
Par le Président de la République : Jacques Chirac
Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin
Le garde des sceaux, ministre de la Justice, Dominique Perben
Le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier
Le ministre délégué aux relations avec le Parlement, Henri Cuq
La ministre déléguée aux affaires européennes, Claudie Haigneré
Document n° 1b. Loi constitutionnelle n° 2007-237 du 23 février 2007 modifiant
l’article 77 de la Constitution
Le Congrès a adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Article unique :
L’article 77 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Dans le troisième alinéa, après le mot « délibérante », sont insérés les mots : « de la NouvelleCalédonie » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la
Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l’accord mentionné à l’article 76
et les articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la NouvelleCalédonie est le tableau dressé à l’occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les
personnes non admises à y participer. »
La présente loi sera exécutée comme loi de l’État.
Fait à Paris, le 23 février 2007.
Par le Président de la République, Jacques Chirac
Le Premier ministre, Dominique de Villepin
Le garde des sceaux, ministre de la Justice, Pascal Clément
Le ministre de l’Outre-mer, François Baroin
Document n° 1c. Loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 portant
modification du titre IX de la Constitution
Le Congrès a adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Article unique.
Le titre IX de la Constitution est remplacé par les dispositions suivantes :
« Titre IX. La Haute Cour
Article 67. – Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette
qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.
Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être
requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction
ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.
Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées
contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions.
Article 68. – Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses
devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée
par le Parlement constitué en Haute Cour.
La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est
aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours.
La Haute Cour est présidée par le président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un
mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat.
Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des
membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite.
Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la
destitution.
Une loi organique fixe les conditions d’application du présent article. »
La présente loi sera exécutée comme loi de l’État.
Document n° 1d. Loi constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007 relative à
l’interdiction de la peine de mort
Le Congrès a adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Article unique :
Il est ajouté au titre VIII de la Constitution un article 66-1 ainsi rédigé :
« Article 66-1. – Nul ne peut être condamné à la peine de mort. » »
La présente loi sera exécutée comme loi de l’État.
Fait à Paris, le 23 février 2007.
Par le Président de la République, Jacques Chirac
Le Premier ministre, Dominique de Villepin
Le garde des sceaux, ministre de la Justice, Pascal Clément
Document n° 2a. Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la
Charte de l’environnement, JO n° 51 du 2 mars 2005, p. 3697
Le Congrès a adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Article 1
Le premier alinéa du Préambule de la Constitution est complété par les mots : « , ainsi qu'aux droits
et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004 ».
Article 2
La Charte de l'environnement de 2004 est ainsi rédigée :
« Le peuple français,
« Considérant,
« Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité ;
« Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ;
« Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;
« Que l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre
évolution ;
« Que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines
sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive
des ressources naturelles ;
« Que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts
fondamentaux de la Nation ;
« Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent
ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire
leurs propres besoins,
« Proclame :
« Art. 1er. - Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
« Art. 2. - Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de
l'environnement.
« Art. 3. - Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle
est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.
« Art. 4. - Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à
l'environnement, dans les conditions définies par la loi.
« Art. 5. - Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances
scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités
publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à
la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et
proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.
« Art. 6. - Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles
concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le
progrès social.
« Art. 7. - Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder
aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à
l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.
« Art. 8. - L'éducation et la formation à l'environnement doivent contribuer à l'exercice des droits et
devoirs définis par la présente Charte.
« Art. 9. - La recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise
en valeur de l'environnement.
« Art. 10. - La présente Charte inspire l'action européenne et internationale de la France. »
Article 3
Après le quinzième alinéa de l'article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« - de la préservation de l'environnement ; ».
La présente loi sera exécutée comme loi de l'État.
Fait à Paris, le 1er mars 2005.
Par le Président de la République, Jacques Chirac
Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin
Le garde des sceaux, ministre de la Justice, Dominique Perben
Le ministre de l'Écologie et du Développement durable, Serge Lepeltier
Document n° 2b. Loi constitutionnelle n° 2005-724 du 23 juillet 2008, de
modernisation des institutions de la Ve République, JO du 24 juillet 2008, texte
2/149
Le Congrès a adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Article 1er
I. – L’article 1er de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions
électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »
II. – Le dernier alinéa de l’article 3 de la Constitution est supprimé.
Article 2
L’article 4 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Dans le second alinéa, les mots : « au dernier alinéa de l’article 3 » sont remplacés par les mots :
« au second alinéa de l’article 1er » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et
groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. »
Article 3
Après le premier alinéa de l’article 6 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « Nul ne
peut exercer plus de deux mandats consécutifs. »
Article 4
L’article 11 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Dans le premier alinéa, les mots : « ou sociale » sont remplacés par les mots : « , sociale ou
environnementale » ;
2° Après le deuxième alinéa, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :
« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative
d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les
listes électorales.
Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation
d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.
« Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le
respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.
« Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi
organique, le Président de la République la soumet au référendum.
« Lorsque la proposition de loi n’est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition
de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l’expiration d’un délai de deux
ans suivant la date du scrutin. » ;
3° Dans le dernier alinéa, après le mot : « projet », sont insérés les mots : « ou de la proposition ».
Article 5
L’article 13 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième
alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie
économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République
s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le
Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs
dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des
deux commissions. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois
ou fonctions concernés. »
Article 6
L’article 16 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi
par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante
sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se
prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et
se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs
exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée. »
Article 7
L’article 17 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 17. − Le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel. »
Article 8
L’article 18 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Il peut prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Sa déclaration peut
donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fait l’objet d’aucun vote. » ;
2° Dans le dernier alinéa, les mots : « le Parlement est réuni » sont remplacés par les mots : « les
assemblées parlementaires sont réunies ».
Article 9
L’article 24 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 24. − Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques
publiques.
« Il comprend l’Assemblée nationale et le Sénat.
« Les députés à l’Assemblée nationale, dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept,
sont élus au suffrage direct.
« Le Sénat, dont le nombre de membres ne peut excéder trois cent quarante-huit, est élu au suffrage
indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République.
« Les Français établis hors de France sont représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat. »
Article 10
L’article 25 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa est complété par les mots : « ou leur remplacement temporaire en cas
d’acceptation par eux de fonctions gouvernementales » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé : « Une commission indépendante, dont la loi fixe la
composition et les règles d’organisation et de fonctionnement, se prononce par un avis public sur les
projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou
modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs. »
Article 11
L’article 34 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est supprimé ;
2° Dans le troisième alinéa, après les mots : « libertés publiques ; », sont insérés les mots : « la
liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ; »
3° Après les mots : « assemblées parlementaires », la fin du huitième alinéa est ainsi rédigée : « ,
des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que
les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des
assemblées délibérantes des collectivités territoriales ; »
4° L’avant-dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État.
« Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de
programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations
publiques. »
Article 12
Après l’article 34 de la Constitution, il est inséré un article 34-1 ainsi rédigé :
« Art. 34-1. − Les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi
organique.
« Sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l’ordre du jour les propositions de résolution dont
le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa
responsabilité ou qu’elles contiennent des injonctions à son égard. »
Article 13
L’article 35 de la Constitution est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à
l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis.
Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote.
« Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à
l’autorisation du Parlement. Il peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort.
« Si le Parlement n’est pas en session à l’expiration du délai de quatre mois, il se prononce à
l’ouverture de la session suivante. »
Article 14
Le deuxième alinéa de l’article 38 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse. »
Article 15
L’article 39 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Dans la dernière phrase du dernier alinéa, les mots : « et les projets de loi relatifs aux instances
représentatives des Français établis hors de France » sont supprimés ;
2° Sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
« La présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux
conditions fixées par une loi organique.
« Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la
première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas
de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l’assemblée
intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de
huit jours.
« Dans les conditions prévues par la loi, le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au
Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des
membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose. »
Article 16
Dans le premier alinéa de l’article 41 de la Constitution, après les mots : « le Gouvernement », sont
insérés les mots : « ou le président de l’assemblée saisie ».
Article 17
L’article 42 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 42. − La discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté
par la commission saisie en application de l’article 43 ou, à défaut, sur le texte dont l’assemblée a
été saisie.
« Toutefois, la discussion en séance des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de
finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale porte, en première lecture devant
la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement et, pour les autres lectures,
sur le texte transmis par l’autre assemblée.
« La discussion en séance, en première lecture, d’un projet ou d’une proposition de loi ne peut
intervenir, devant la première assemblée saisie, qu’à l’expiration d’un délai de six semaines après
son dépôt. Elle ne peut intervenir, devant la seconde assemblée saisie, qu’à l’expiration d’un délai
de quatre semaines à compter de sa transmission.
« L’alinéa précédent ne s’applique pas si la procédure accélérée a été engagée dans les conditions
prévues à l’article 45. Il ne s’applique pas non plus aux projets de loi de finances, aux projets de loi
de financement de la sécurité sociale et aux projets relatifs aux états de crise. »
Article 18
L’article 43 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 43. − Les projets et propositions de loi sont envoyés pour examen à l’une des commissions
permanentes dont le nombre est limité à huit dans chaque assemblée.
« À la demande du Gouvernement ou de l’assemblée qui en est saisie, les projets ou propositions de
loi sont envoyés pour examen à une commission spécialement désignée à cet effet. »
Article 19
Le premier alinéa de l’article 44 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des
assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique. »
Article 20
L’article 45 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première
lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « déclaré l’urgence » sont remplacés par les mots : « décidé d’engager la procédure
accélérée sans que les Conférences des présidents s’y soient conjointement opposées » ;
b) Après le mot : « ministre », le mot : « a » est remplacé par les mots : « ou, pour une proposition
de loi, les présidents des deux assemblées agissant conjointement, ont ».
Article 21
Le deuxième alinéa de l’article 46 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Le projet ou la proposition ne peut, en première lecture, être soumis à la délibération et au vote
des assemblées qu’à l’expiration des délais fixés au troisième alinéa de l’article 42. Toutefois, si la
procédure accélérée a été engagée dans les conditions prévues à l’article 45, le projet ou la
proposition ne peut être soumis à la délibération de la première assemblée saisie avant l’expiration
d’un délai de quinze jours après son dépôt. »
Article 22
I. – Le dernier alinéa des articles 47 et 47-1 de la Constitution est supprimé.
II. – Après l’article 47-1 de la Constitution, il est inséré un article 47-2 ainsi rédigé :
« Art. 47-2. − La Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du
Gouvernement. Elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois
de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans
l’évaluation des politiques publiques. Par ses rapports publics, elle contribue à l’information des
citoyens.
« Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle
du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. »
Article 23
L’article 48 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 48. − Sans préjudice de l’application des trois derniers alinéas de l’article 28, l’ordre du jour
est fixé par chaque assemblée.
« Deux semaines de séance sur quatre sont réservées par priorité, et dans l’ordre que le
Gouvernement a fixé, à l’examen des textes et aux débats dont il demande l’inscription à l’ordre du
jour.
« En outre, l’examen des projets de loi de finances, des projets de loi de financement de la sécurité
sociale et, sous réserve des dispositions de l’alinéa suivant, des textes transmis par l’autre assemblée
depuis six semaines au moins, des projets relatifs aux états de crise et des demandes d’autorisation
visées à l’article 35 est, à la demande du Gouvernement, inscrit à l’ordre du jour par priorité.
« Une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité et dans l’ordre fixé par chaque
assemblée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques.
« Un jour de séance par mois est réservé à un ordre du jour arrêté par chaque assemblée à
l’initiative des groupes d’opposition de l’assemblée intéressée ainsi qu’à celle des groupes
minoritaires.
« Une séance par semaine au moins, y compris pendant les sessions extraordinaires prévues à
l’article 29, est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du
Gouvernement. »
Article 24
Le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Dans la première phrase, le mot : « texte » est remplacé par les mots : « projet de loi de finances
ou de financement de la sécurité sociale » ;
2° Dans la deuxième phrase, le mot : « texte » est remplacé par le mot : « projet » ;
3° Il est ajouté une phrase ainsi rédigée :
« Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une
proposition de loi par session. »
Article 25
Après l’article 50 de la Constitution, il est inséré un article 50-1 ainsi rédigé :
« Art. 50-1. − Devant l’une ou l’autre des assemblées, le Gouvernement peut, de sa propre initiative
ou à la demande d’un groupe parlementaire au sens de l’article 51-1, faire, sur un sujet déterminé,
une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s’il le décide, faire l’objet d’un vote sans engager sa
responsabilité. »
Article 26
Après l’article 51 de la Constitution, il est inséré deux articles 51-1 et 51-2 ainsi rédigés :
« Art. 51-1. − Le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires
constitués en son sein. Il reconnaît des droits spécifiques aux groupes d’opposition de l’assemblée
intéressée ainsi qu’aux groupes minoritaires.
« Art. 51-2. − Pour l’exercice des missions de contrôle et d’évaluation définies au premier alinéa de
l’article 24, des commissions d’enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour
recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d’information.
« La loi détermine leurs règles d’organisation et de fonctionnement. Leurs conditions de création
sont fixées par le règlement de chaque assemblée. »
Article 27
Le premier alinéa de l’article 56 de la Constitution est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« La procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13 est applicable à ces nominations. Les
nominations effectuées par le président de chaque assemblée sont soumises au seul avis de la
commission permanente compétente de l’assemblée concernée. »
Article 28
Dans le premier alinéa de l’article 61 de la Constitution, après le mot : « promulgation, », sont
insérés les mots :
« les propositions de loi mentionnées à l’article 11 avant qu’elles ne soient soumises au
référendum ».
Article 29
Après l’article 61 de la Constitution, il est inséré un article 61-1 ainsi rédigé :
« Art. 61-1. − Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu
qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le
Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour
de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.
« Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article. »
Article 30
Le premier alinéa de l’article 62 de la Constitution est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61 ne peut être
promulguée ni mise en application.
« Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à
compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée
par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause. »
Article 31
L’article 65 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 65. − Le Conseil supérieur de la magistrature comprend une formation compétente à l’égard
des magistrats du siège et une formation compétente à l’égard des magistrats du parquet.
« La formation compétente à l’égard des magistrats du siège est présidée par le premier président de
la Cour de cassation. Elle comprend, en outre, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet,
un conseiller d’État désigné par le Conseil d’État, un avocat ainsi que six personnalités qualifiées
qui n’appartiennent ni au Parlement, ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif. Le Président
de la République, le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat désignent chacun
deux personnalités qualifiées. La procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13 est applicable
aux nominations des personnalités qualifiées. Les nominations effectuées par le président de chaque
assemblée du Parlement sont soumises au seul avis de la commission permanente compétente de
l’assemblée intéressée.
« La formation compétente à l’égard des magistrats du parquet est présidée par le procureur général
près la Cour de cassation. Elle comprend, en outre, cinq magistrats du parquet et un magistrat du
siège, ainsi que le conseiller d’État, l’avocat et les six personnalités qualifiées mentionnés au
deuxième alinéa.
« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège
fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles
de premier président de cour d’appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les
autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme.
« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du
parquet donne son avis sur les nominations qui concernent les magistrats du parquet.
« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège
statue comme conseil de discipline des magistrats du siège. Elle comprend alors, outre les membres
visés au deuxième alinéa, le magistrat du siège appartenant à la formation compétente à l’égard des
magistrats du parquet.
« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du
parquet donne son avis sur les sanctions disciplinaires qui les concernent. Elle comprend alors,
outre les membres visés au troisième alinéa, le magistrat du parquet appartenant à la formation
compétente à l’égard des magistrats du siège.
« Le Conseil supérieur de la magistrature se réunit en formation plénière pour répondre aux
demandes d’avis formulées par le Président de la République au titre de l’article 64. Il se prononce,
dans la même formation, sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur
toute question relative au fonctionnement de la justice dont le saisit le ministre de la justice. La
formation plénière comprend trois des cinq magistrats du siège mentionnés au deuxième alinéa,
trois des cinq magistrats du parquet mentionnés au troisième alinéa, ainsi que le conseiller d’État,
l’avocat et les six personnalités qualifiées mentionnés au deuxième alinéa. Elle est présidée par le
premier président de la Cour de cassation, que peut suppléer le procureur général près cette cour.
« Sauf en matière disciplinaire, le ministre de la justice peut participer aux séances des formations
du Conseil supérieur de la magistrature.
« Le Conseil supérieur de la magistrature peut être saisi par un justiciable dans les conditions fixées
par une loi organique.
« La loi organique détermine les conditions d’application du présent article. »
Article 32
L’intitulé du titre XI de la Constitution est ainsi rédigé : « Le Conseil économique, social et
environnemental ».
Article 33
L’article 69 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Dans les premier et deuxième alinéas, les mots : « Conseil économique et social » sont remplacés
par les mots : « Conseil économique, social et environnemental » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le Conseil économique, social et environnemental peut être saisi par voie de pétition dans les
conditions fixées par une loi organique. Après examen de la pétition, il fait connaître au
Gouvernement et au Parlement les suites qu’il propose d’y donner. »
Article 34
L’article 70 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 70. − Le Conseil économique, social et environnemental peut être consulté par le
Gouvernement et le Parlement sur tout problème de caractère économique, social ou
environnemental. Le Gouvernement peut également le consulter sur les projets de loi de
programmation définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques. Tout plan ou tout
projet de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental lui est soumis
pour avis. »
Article 35
Dans l’article 71 de la Constitution, les mots : « Conseil économique et social » sont remplacés par
les mots :
« Conseil économique, social et environnemental ».
Article 36
Dans l’article 71 de la Constitution, après le mot : « social », sont insérés les mots : « , dont le
nombre de membres ne peut excéder deux cent trente-trois, ».
Article 37
L’article 72-3 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Dans le deuxième alinéa, après le mot : « Mayotte, », sont insérés les mots : « Saint-Barthélemy,
Saint-Martin, » ;
2° Le dernier alinéa est complété par les mots : « et de Clipperton ».
Article 38
L’article 73 de la Constitution est ainsi modifié :
1° À la fin du deuxième alinéa, les mots : « par la loi » sont remplacés par les mots : « , selon le cas,
par la loi ou par le règlement » ;
2° Dans le troisième alinéa, les mots : « par la loi » sont remplacés par les mots : « , selon le cas, par
la loi ou par le règlement, » et, après les mots : « de la loi », sont ajoutés les mots : « ou du
règlement ».
Article 39
Le premier alinéa de l’article 74-1 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Dans les collectivités d’outre-mer visées à l’article 74 et en Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement
peut, par ordonnances, dans les matières qui demeurent de la compétence de l’État, étendre, avec les
adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur en métropole ou adapter les
dispositions de nature législative en vigueur à l’organisation particulière de la collectivité
concernée, sous réserve que la loi n’ait pas expressément exclu, pour les dispositions en cause, le
recours à cette procédure. »
Article 40
Après l’article 75 de la Constitution, il est inséré un article 75-1 ainsi rédigé :
« Art. 75-1. − Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »
Article 41
Après le titre XI de la Constitution, il est inséré un titre XI bis ainsi rédigé :
« TITRE XI BIS
« LE DÉFENSEUR DES DROITS
« Art. 71-1. − Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations
de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme
investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des
compétences.
« Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s’estimant
lésée par le fonctionnement d’un service public ou d’un organisme visé au premier alinéa. Il peut se
saisir d’office.
« La loi organique définit les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur des droits.
Elle détermine les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l’exercice de
certaines de ses attributions.
« Le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans
non renouvelable, après application de la procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13. Ses
fonctions sont incompatibles avec celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement.
Les autres incompatibilités sont fixées par la loi organique.
« Le Défenseur des droits rend compte de son activité au Président de la République et au
Parlement. »
Article 42
I. – Dans le titre XIV de la Constitution, il est rétabli un article 87 ainsi rédigé :
« Art. 87. − La République participe au développement de la solidarité et de la coopération entre les
États et les peuples ayant le français en partage. »
II. – L’intitulé du titre XIV de la Constitution est ainsi rédigé : « De la francophonie et des accords
d’association ».
Article 43
L’article 88-4 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 88-4. − Le Gouvernement soumet à l’Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission
au Conseil de l’Union européenne, les projets ou propositions d’actes des Communautés
européennes et de l’Union européenne.
« Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions européennes
peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets ou propositions
mentionnés au premier alinéa, ainsi que sur tout document émanant d’une institution de l’Union
européenne.
« Au sein de chaque assemblée parlementaire est instituée une commission chargée des affaires
européennes. »
Article 44
L’article 88-5 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 88-5. − Tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à
l’Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de
la République.
« Toutefois, par le vote d’une motion adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la
majorité des trois cinquièmes, le Parlement peut autoriser l’adoption du projet de loi selon la
procédure prévue au troisième alinéa de l’article 89. »
Article 45
Dans la première phrase du deuxième alinéa de l’article 89 de la Constitution, après le mot :
« être », sont insérés les mots : « examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de
l’article 42 et ».
Article 46
I. – Les articles 11, 13, le dernier alinéa de l’article 25, les articles 34-1, 39, 44, 56, 61-1, 65, 69, 711 et 73 de la Constitution, dans leur rédaction résultant de la présente loi constitutionnelle, entrent
en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur application.
II. – Les articles 41, 42, 43, 45, 46, 48, 49, 50-1, 51-1 et 51-2 de la Constitution, dans leur rédaction
résultant de la présente loi constitutionnelle, entrent en vigueur le 1er mars 2009.
III. – Les dispositions de l’article 25 de la Constitution relatives au caractère temporaire du
remplacement des députés et sénateurs acceptant des fonctions gouvernementales, dans leur
rédaction résultant de la présente loi constitutionnelle, s’appliquent aux députés et sénateurs ayant
accepté de telles fonctions antérieurement à la date d’entrée en vigueur de la loi organique prévue à
cet article si, à cette même date, ils exercent encore ces fonctions et que le mandat parlementaire
pour lequel ils avaient été élus n’est pas encore expiré.
Article 47
I. – À compter de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union
européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007, le titre
XV de la Constitution est ainsi modifié :
1° Dans le premier alinéa de l’article 88-4, les mots : « les projets ou propositions d’actes des
Communautés européennes et de l’Union européenne » sont remplacés par les mots : « les projets
d’actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d’actes de l’Union européenne » ;
2° Dans l’article 88-5, les mots : « et aux Communautés européennes » sont supprimés ;
3° Les deux derniers alinéas de l’article 88-6 sont ainsi rédigés :
« Chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne contre
un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Ce recours est transmis à la
Cour de justice de l’Union européenne par le Gouvernement.
« À cette fin, des résolutions peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, selon des
modalités d’initiative et de discussion fixées par le règlement de chaque assemblée. À la demande
de soixante députés ou de soixante sénateurs, le recours est de droit. »
II. – Sont abrogés l’article 4 de la loi constitutionnelle no 2005-204 du 1er mars 2005 modifiant le
titre XV de la Constitution ainsi que les 3 o et 4 o de l’article 2 de la loi constitutionnelle no 2008103 du 4 février 2008 modifiant le titre XV de la Constitution.
III. – L’article 88-5 de la Constitution, dans sa rédaction résultant tant de l’article 44 de la présente
loi constitutionnelle que du 2 o du I du présent article, n’est pas applicable aux adhésions faisant
suite à une conférence intergouvernementale dont la convocation a été décidée par le Conseil
européen avant le 1er juillet 2004.
La présente loi sera exécutée comme loi de l’État.
Fait à Paris, le 23 juillet 2008.
Document n° 3. Conseil constitutionnel, n° 62-20 DC, 6 novembre 1962, Loi
relative à l’élection du président de la République au suffrage universel, rec. 195.
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
1. Considérant que la compétence du Conseil constitutionnel est strictement délimitée par la
Constitution ainsi que par les dispositions de la loi organique du 7 novembre 1958 sur le Conseil
constitutionnel prise pour l'application du titre VII de celle-ci ; que le Conseil ne saurait donc être
appelé à se prononcer sur d'autres cas que ceux qui sont limitativement prévus par ces textes ;
2. Considérant que, si l'article 61 de la Constitution donne au Conseil constitutionnel mission
d'apprécier la conformité à la Constitution des lois organiques et des lois ordinaires qui,
respectivement, doivent ou peuvent être soumises à son examen, sans préciser si cette compétence
s'étend à l'ensemble des textes de caractère législatif, qu'ils aient été adoptés par le peuple à la suite
d'un référendum ou qu'ils aient été votés par le Parlement, ou si, au contraire, elle est limitée
seulement à cette dernière catégorie, il résulte de l'esprit de la Constitution qui a fait du Conseil
constitutionnel un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics que les lois que la
Constitution a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois votées par le Parlement et
non point celles qui, adoptées par le Peuple à la suite d'un référendum, constituent l'expression
directe de la souveraineté nationale ;
3. Considérant que cette interprétation résulte également des dispositions expresses de la
Constitution et notamment de son article 60 qui détermine le rôle du Conseil constitutionnel en
matière de référendum et de l'article 11 qui ne prévoit aucune formalité entre l'adoption d'un projet
de loi par le peuple et sa promulgation par le Président de la République ;
4. Considérant, enfin, que cette même interprétation est encore expressément confirmée par les
dispositions de l'article 17 de la loi organique susmentionnée du 7 novembre 1958 qui ne fait état
que des "lois adoptées par le Parlement" ainsi que par celles de l'article 23 de ladite loi qui prévoit
que "dans le cas où le Conseil constitutionnel déclare que la loi dont il est saisi contient une
disposition contraire à la Constitution sans constater en même temps qu'elle est inséparable de
l'ensemble de la loi, le Président de la République peut promulguer la loi à l'exception de cette
disposition, soit demander aux Chambres une nouvelle lecture" ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'aucune des dispositions de la Constitution ni de la
loi organique précitée prise en vue de son application ne donne compétence au Conseil
constitutionnel pour se prononcer sur la demande susvisée par laquelle le Président du Sénat lui a
déféré aux fins d'appréciation de sa conformité à la Constitution le projet de loi adopté par le Peuple
français par voie de référendum le 28 octobre 1962 ;
Décide :
ARTICLE PREMIER - Le Conseil constitutionnel n'a pas compétence pour se prononcer sur
la demande susvisée du Président du Sénat.
ARTICLE 2 - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Document n° 4. Conseil constitutionnel, n° 92-312 DC, 2 septembre 1992,
Maastricht II, rec. 76 (extraits)
Sur les stipulations du traité relatives au droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales
14. Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 8 B ajouté au traité instituant la
Communauté européenne par l'article G du traité sur l'Union européenne, "tout citoyen de l'Union
résidant dans un État membre dont il n'est pas ressortissant a le droit de vote et d'éligibilité aux
élections municipales dans l'État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les
ressortissants de cet État. Ce droit sera exercé sous réserve des modalités à arrêter avant le 31
décembre 1994 par le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après
consultation du Parlement européen ; ces modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires
lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient" ;
15. Considérant que par sa décision du 9 avril 1992 le Conseil constitutionnel a jugé que le
quatrième alinéa de l'article 3 de la Constitution, rapproché tant du troisième alinéa du même article
que des articles 24 et 72 de la Constitution, implique que seuls les "nationaux français" ont le droit
de vote et d'éligibilité aux élections en vue de la désignation de l'organe délibérant d'une collectivité
territoriale de la République et notamment de celle des conseillers municipaux ou des membres du
Conseil de Paris ; qu'en l'état, l'article 8 B, § 1, ajouté au traité instituant la Communauté
européenne a été déclaré contraire à la Constitution ;
16. Considérant que l'article 5 de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 a ajouté à la Constitution
un article 88-3 ainsi rédigé : "Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité
sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections
municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne
peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs
sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les
deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article" ;
17. Considérant qu'il est soutenu par les auteurs de la saisine qu'en dépit de l'adjonction de l'article
88-3 à la Constitution, le traité sur l'Union européenne demeure contraire à celle-ci, faute pour le
pouvoir constituant d'avoir modifié les articles 3 de la Constitution et de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen qui affirment le principe de la souveraineté nationale ainsi que l'exercice
exclusif par les nationaux français du droit de vote et d'éligibilité à une élection exprimant la
souveraineté nationale ; qu'il est affirmé également que le traité reste contraire à l'article 24 de la
Constitution relatif à la représentation des collectivités territoriales au Sénat ; qu'il y aurait enfin
incompatibilité entre l'article 8 B du traité et l'article 88-3 de la Constitution dans la mesure où ce
dernier prévoit à titre facultatif le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants communautaires ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la Déclaration de 1789 :
18. Considérant que dans sa décision du 9 avril 1992 le Conseil constitutionnel a jugé qu'il n'y avait
pas de contrariété entre l'article 8 B, paragraphe 1, précédemment cité et les dispositions de
l'article 3 de la Déclaration de 1789 ; que l'argumentation invoquée par les auteurs de la saisine se
heurte à la chose jugée par le Conseil constitutionnel ;
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que le traité n'est pas conforme à l'article 3 de la
Constitution :
19. Considérant que sous réserve, d'une part, des limitations touchant aux périodes au cours
desquelles une révision de la Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent des
articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du
cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles "la forme républicaine du gouvernement ne peut
faire l'objet d'une révision", le pouvoir constituant est souverain ; qu'il lui est loisible d'abroger, de
modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime
appropriée ; qu'ainsi rien ne s'oppose à ce qu'il introduise dans le texte de la Constitution des
dispositions nouvelles qui, dans le cas qu'elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de
valeur constitutionnelle ; que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu'implicite ;
20. Considérant qu'aux termes de la première phrase de l'article 88-3 de la Constitution, "sous
réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7
février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls
citoyens de l'Union résidant en France" ; qu'il ne saurait par suite être valablement soutenu que
l'article 8 B, paragraphe 1, ajouté au traité instituant la Communauté européenne par l'article G du
traité sur l'Union européenne serait contraire à l'article 3 de la Constitution […]
Document n° 5. Conseil constitutionnel, n° 92-313 DC, 23 septembre 1992,
Maastricht III, rec. 94 (extraits)
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel, modifiée par l'ordonnance n° 59-223 du 4 février 1959 et par les lois organiques
n° 74-1101 du 26 décembre 1974 et n° 90-383 du 10 mai 1990 ;
Vu le code électoral, notamment ses articles L.O. 136, L.O. 136-1, L.O. 150, L.O. 151, L.O. 296 et
L.O. 297 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que la compétence du Conseil constitutionnel est strictement délimitée par la
Constitution ; qu'elle n'est susceptible d'être précisée et complétée par voie de loi organique que
dans le respect des principes posés par le texte constitutionnel ; que le Conseil constitutionnel ne
saurait être appelé à se prononcer au titre d'autres chefs de compétence que ceux qui sont
expressément prévus par la Constitution ou la loi organique ;
2. Considérant que l'article 61 de la Constitution donne au Conseil constitutionnel mission
d'apprécier la conformité à la Constitution des lois organiques et des lois ordinaires qui,
respectivement, doivent ou peuvent être soumises à son examen, sans préciser si cette compétence
s'étend à l'ensemble des textes de caractère législatif, qu'ils aient été adoptés par le peuple à la suite
d'un référendum ou qu'ils aient été votés par le Parlement, ou si, au contraire, elle est limitée
seulement à cette dernière catégorie ; que, toutefois, au regard de l'équilibre des pouvoirs établi par
la Constitution, les lois que celle-ci a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois
votées par le Parlement et non point celles qui, adoptées par le Peuple français à la suite d'un
référendum contrôlé par le Conseil constitutionnel au titre de l'article 60, constituent l'expression
directe de la souveraineté nationale ;
3. Considérant, au demeurant, que ni l'article 60 de la Constitution, qui détermine le rôle du Conseil
constitutionnel en matière de référendum, ni l'article 11 ne prévoient de formalité entre l'adoption
d'un projet de loi par le peuple et sa promulgation par le Président de la République ;
4. Considérant, au surplus, que les dispositions de l'article 17 de l'ordonnance portant loi organique
susmentionnée du 7 novembre 1958 ne font état que des "lois adoptées par le Parlement" ; que
l'article 23 de la même ordonnance dispose que : "Dans le cas où le Conseil constitutionnel déclare
que la loi dont il est saisi contient une disposition contraire à la Constitution sans constater en même
temps qu'elle est inséparable de l'ensemble de la loi, le Président de la République peut soit
promulguer la loi à l'exception de cette disposition, soit demander aux chambres une nouvelle
lecture" ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'aucune disposition de la Constitution, non plus
d'ailleurs que d'une loi organique prise sur son fondement, ne donne compétence au Conseil
constitutionnel pour se prononcer sur la demande susvisée concernant la loi adoptée par le Peuple
français par voie de référendum le 20 septembre 1992 ;
DECIDE:
Article premier.- Le Conseil constitutionnel n'a pas compétence pour se prononcer sur la demande
susvisée.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 septembre 1992.
Document n° 6. Conseil constitutionnel, n° 2003-469 DC, 26 mars 2003, Révision
constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République, rec. 293.
Vu la Constitution, notamment ses articles 61 et 89 ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 24 mars 2003 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que la compétence du Conseil constitutionnel est strictement délimitée par la
Constitution ; qu'elle n'est susceptible d'être précisée et complétée par voie de loi organique que
dans le respect des principes posés par le texte constitutionnel ; que le Conseil constitutionnel ne
saurait être appelé à se prononcer dans d'autres cas que ceux qui sont expressément prévus par ces
textes ;
2. Considérant que l'article 61 de la Constitution donne au Conseil constitutionnel mission
d'apprécier la conformité à la Constitution des lois organiques et, lorsqu'elles lui sont déférées dans
les conditions fixées par cet article, des lois ordinaires ; que le Conseil constitutionnel ne tient ni de
l'article 61, ni de l'article 89, ni d'aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer
sur une révision constitutionnelle ;
3. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le Conseil constitutionnel n'a pas compétence
pour statuer sur la demande susvisée, par laquelle les sénateurs requérants lui défèrent, aux fins
d'appréciation de sa conformité à la Constitution, la révision de la Constitution relative à
l'organisation décentralisée de la République approuvée par le Congrès le 17 mars 2003,
DÉCIDE:
Article premier.- Le Conseil constitutionnel n'a pas compétence pour se prononcer sur la demande
susvisée.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Document n° 7. Conseil constitutionnel, n° 2003-478 DC, 30 juillet 2003, Loi
organique relative à l’expérimentation par les collectivités locales, rec. 406.
Vu la Constitution, dans sa rédaction résultant de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars
2003 relative à l'organisation décentralisée de la République ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que la loi organique soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a été adoptée sur
le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution, aux termes duquel : « Dans les
conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles
d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, les collectivités
territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu,
déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou
réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences » ;
2. Considérant que la loi organique prise en application des dispositions précitées a été adoptée dans
le respect des règles de procédure fixées par l'article 46 de la Constitution ; qu'en raison de sa
nature, le projet de loi dont elle est issue n'avait pas à être soumis pour avis aux assemblées des
collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution ; que, du fait de son objet, qui est
d'expérimenter localement des normes nouvelles dans la perspective de leur éventuelle intégration
dans la législation nationale, ce projet de loi ne relevait pas davantage des prescriptions du
deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution aux termes desquelles : « ... les projets de loi ayant
pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales... sont soumis en premier lieu au
Sénat » ; que, dans ces conditions, la loi organique a été adoptée à l'issue d'une procédure conforme
aux règles constitutionnelles ;
3. Considérant que rien ne s'oppose, sous réserve des prescriptions des articles 7, 16 et 89 de la
Constitution, à ce que le pouvoir constituant introduise dans le texte de la Constitution des
dispositions nouvelles qui, dans les cas qu'elles visent, dérogent à des règles ou principes de valeur
constitutionnelle ; que tel est le cas des dispositions précitées du quatrième alinéa de l'article 72 de
la Constitution issues de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 susvisée, qui, par exception à
l'article 34 de la Constitution et au principe d'égalité devant la loi, permettent, dans certains cas, au
Parlement d'autoriser temporairement, dans un but expérimental, les collectivités territoriales à
mettre en oeuvre, dans leur ressort, des mesures dérogeant à des dispositions législatives et
susceptibles d'être ultérieurement généralisées ;
4. Considérant que la loi organique soumise à l'examen du Conseil constitutionnel comporte deux
articles ; que l'article 1er introduit dans le titre unique du livre Ier du code général des collectivités
territoriales un chapitre III intitulé « Expérimentation » et comportant les articles L.O. 1113-1 à
L.O. 1113-7, applicables aux collectivités territoriales mentionnées au premier alinéa de l'article 72
de la Constitution ou créées par la loi en vertu de celui-ci ; que l'article 2 insère dans le même code
un article L.O. 5111-5 qui étend l'application de ces dispositions aux établissements publics
regroupant exclusivement des collectivités territoriales ;
5. Considérant qu'en vertu de l'article L.O. 1113-1 du code général des collectivités territoriales, la
loi d'habilitation préalable à une expérimentation en fixe l'objet, la durée, qui ne peut excéder cinq
ans, ainsi que les conditions à remplir par les collectivités territoriales admises à y participer ; que,
selon l'article L.O. 1113-2, ces collectivités, dont la liste est établie par décret, sont celles qui,
répondant aux conditions posées par la loi d'habilitation, ont fait connaître au représentant de l'état,
après délibération motivée, leur décision de participer à l'expérimentation ; que l'article L.O. 1113-3
prévoit que « les actes à caractère général et impersonnel d'une collectivité territoriale portant
dérogation aux dispositions législatives mentionnent leur durée de validité » ; que le même article
subordonne l'entrée en vigueur de tels actes à leur publication au Journal officiel de la République
française ; que l'article L.O. 1113-4 soumet aux règles du droit commun le recours du représentant
de l'État contre les actes d'une collectivité territoriale pris dans le cadre d'une expérimentation et
organise un régime de suspension de ces actes ; que l'article L.O. 1113-5 est relatif à l'information
du Parlement sur les expérimentations ; qu'en vertu de l'article L.O. 1113-6, le législateur peut
décider, au vu de l'évaluation de l'expérimentation, soit de mettre fin à celle-ci, soit de la prolonger
en en modifiant, le cas échéant, les modalités, soit de généraliser les mesures prises à titre
expérimental ; que le dépôt d'une proposition ou d'un projet de loi ayant l'un de ces objets proroge
l'expérimentation pour une durée maximale d'un an ; qu'enfin, l'article L.O. 1113-7 transpose
l'application des dispositions précédentes aux actes qui ressortissent à la compétence du pouvoir
réglementaire national ;
6. Considérant qu'en retenant de telles modalités et, notamment, en liant la compétence du pouvoir
réglementaire pour dresser la liste des collectivités territoriales admises à participer à une
expérimentation, ainsi qu'en prévoyant, le cas échéant, la généralisation des mesures prises à titre
expérimental, le législateur organique n'est pas resté en deçà de l'habilitation qui lui était conférée et
n'en a pas davantage excédé les limites ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la loi organique relative à l'expérimentation
par les collectivités territoriales doit être déclarée conforme à la Constitution ; que les dispositions
qu'elle comporte ont toutes le caractère organique,
DÉCIDE:
Article premier.- La loi organique relative à l'expérimentation par les collectivités territoriales est
déclarée conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Document n° 8. Jan, P., « Les illusions constitutionnelles : brèves réflexions sur
les révisions constitutionnelles », Les petites affiches, 27 février 2007, n° 42, pp. 49 (extraits)
[…] Suffit-il de réviser la Constitution pour la changer ?
Aujourd’hui, la France traverse une crise politique profonde davantage qu’une crise des institutions.
Ce sont les responsables politiques qui jouent avec le texte constitutionnel, qui le dénaturent. Ainsi,
un président qui initie une dissolution et la perd se maintient au pouvoir ; un président qui initie un
référendum et le perd s’accroche à ses fonctions ; un gouvernement qui est contredit par sa majorité
sur un point d’un projet de loi semble une situation extraordinaire ; une commission d’enquête
parlementaire qui ouvre ses portes au public est une révolution… Bref, tout est dans l’excès, les
attitudes comme les jugements sur celles-ci.
Mais ce n’est pas nouveau.
Notre histoire politique et constitutionnelle regorge malheureusement d’exemples où les révisions
partielles ou totales de Constitution ont accouché d’un régime différent de celui projeté ou d’effets
imprévus. La révision constitutionnelle, quelle que soit son ampleur, n’est jamais un expédient
neutre, encore moins un acte bénin. Modifier le texte constitutionnel suppose que l’on y regarde à
deux fois plutôt qu’une. Surtout lorsque les intentions initiales exprimées par les rédacteurs d’un
projet constitutionnel conduisent à bouleverser le fonctionnement du système politique et
institutionnel. C’est bien connu, mieux vaut prévenir que guérir. Cet adage s’applique aussi à
l’activité constituante. Mais la prudence nécessaire ne doit pas paralyser les énergies et empêcher
les réformes. Celles-ci sont devenues nécessaires, dès lors que l’on émet un diagnostic réservé voire
franchement négatif sur notre organisation constitutionnelle.
Les moyens d’y parvenir sont malgré tout nombreux et la révision constitutionnelle est l’un de ces
moyens. En presque cinquante ans d’existence, notre loi fondamentale a été amendée à 21 reprises
sans qu’elle ne « change » véritablement. En effet, ces modifications n’étaient que des adaptations à
des exigences conjoncturelles, elles ne s’inscrivaient dans aucun projet constitutionnel global. Les
trois quarts d’entre elles se situent d’ailleurs dans le dernier quart du régime, c’est dire l’intensité de
l’activité constituante ces dernières années au château de Versailles essentiellement (hormis le
projet de réduction de la durée du mandat présidentiel).
Ainsi, depuis 1990, il ne se passe plus deux ans sans amendement constitutionnel. Rappelons
quelques-uns de ces changements : 1992 pour permettre la ratification du Traité de Maastricht, 1993
sur la justice et le droit d’asile, 1995 sur la clarification du statut des parlementaires et l’extension
des compétences du Parlement sans oublier l’élargissement de l’objet des référendums législatifs,
1997 pour autoriser le chef de l’État à ratifier le Traité d’Amsterdam, 1999 sur la parité hommesfemmes, 2000 sur le quinquennat, 2003 sur la décentralisation, 2005 sur l’adaptation
constitutionnelle nécessitée par le Traité constitutionnel européen, 2007 sur l’interdiction de la
peine de mort, le statut pénal du chef de l’État et le gel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie.
En bonne logique, la suivante devrait intervenir soit immédiatement après les élections de 2007 soit
l’année suivante ! Mais cette fois-ci, il sera question peut-être d’une révision fondamentale dont la
portée se fera ressentir sur le fonctionnement des institutions et la pratique du pouvoir. Car, il faut
bien l’admettre, l’énumération faite à l’instant montre combien les révisions constitutionnelles n’ont
pas pour effet de changer fondamentalement la Constitution, c’est-à-dire n’induisent pas une
nouvelle donne des relations institutionnelles. La raison en est simple : ces modifications
constitutionnelles sont principalement commandées par la conjoncture politique ou juridique
(décisions du Conseil constitutionnel). Hormis le quinquennat – et encore –, aucune avancée
constitutionnelle n’exprime une vision constitutionnelle cohérente et pensée. Ces révisions sont des
à-coups constitutionnels qui ne s’inscrivent pas dans un projet mûrement réfléchi sur le devenir
constitutionnel français […]
Ces révisions constitutionnelles ont un point commun : constituer la condition du changement.
Changer fondamentalement l’esprit et la pratique des institutions suppose par conséquent un
minimum d’intervention sur la Charte fondamentale. Toute la question est de savoir s’il convient
d’en modifier quelques dispositions fondamentales ou de procéder à une refonte complète de la
copie modifiée du texte de 1958. Faut-il changer la République ou de République ? Faut-il changer
de régime politique ou le régime politique ? Il est bon de rappeler dès à présent que les changements
constitutionnels n’aboutissent pas toujours au résultat souhaité et que par le jeu de conventions, une
Constitution peut changer fondamentalement. En effet, modifier la Constitution peut constituer une
étape mais non l’aboutissement d’une réforme. Celle-ci doit souvent sa réussite à la réunion de
circonstances favorables. Reprenons l’exemple de la réforme de 1962 accusée de beaucoup de maux
aujourd’hui. Lorsque l’on y regarde de plus près, on identifie rapidement la cause des effets induits
de cette révision : la concordance des majorités parlementaire et présidentielle.
Retirons au chef de l’État son soutien parlementaire et il se retrouve dans une situation peu
enviable, si ce n’est celle de troubler négativement le jeu politique. Les cohabitations en ont fait la
démonstration. Mais, en posant un regard positif sur ces périodes difficiles, on relève que les
procédures tant dénoncées du parlementarisme rationalisé sont mises en oeuvre avec responsabilité.
Le « 49.3 » est resté au placard des armes gouvernementales lorsque Lionel Jospin dirigeait le
gouvernement. Autre exemple : la parité hommes/femmes pour l’exercice des mandats électoraux et
des fonctions électives. Cette prescription constitutionnelle dont l’objectif est tout à la fois légitime
et ambitieux dépend beaucoup du comportement des formations politiques lorsque leurs candidats
affrontent le suffrage universel direct dans un scrutin uninominal, voire le suffrage universel
indirect dans un scrutin de liste (voir les dernières sénatoriales). De tout cela, il résulte que les
institutions politiques taillées pour de Gaulle mais si bien portées par ses successeurs ressemblent à
leurs devancières : elles dépendent très largement des interprétations qu’en donnent leurs
destinataires et leurs utilisateurs (gouvernement, Parlement et juges suprêmes) […].
Document n° 9. Cohendet, M-A., Huten, N., « La Charte de l’environnement
deux ans après : chronique d’une anesthésie au Palais Royal », Revue Juridique
de l’environnement, 2007, n°3, pp. 279-282 (extraits).
[…] Voulue par le Président de la République avec le consentement du Premier ministre, la Charte
de l’environnement n’aurait jamais vu le jour sans son obstination. Ses discours, les nombreuses
allocutions ministérielles, les communiqués de presse qui s’en sont fait l’écho, les arbitrages qui ont
conduit à la version définitive du texte, ou l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle sont
autant de sources qui révèlent l’intention de ceux qui ont réellement dirigé la rédaction de la Charte.
Dès son premier discours sur la Charte, il déclare : « (…) L’ écologie, le droit à un environnement
protégé et préservé doivent être considérés à l'égal des libertés publiques. Il revient à l'État d'en
affirmer le principe et d'en assurer la garantie. Et je souhaite que cet engagement public et solennel
soit inscrit par le Parlement dans une Charte de l'Environnement adossée à la Constitution et qui
consacrerait les principes fondamentaux, cinq principes fondamentaux afin qu'ils soient admis au
nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, et à ce titre bien
entendu s'imposant à toutes les juridictions y compris le Conseil constitutionnel comme ce fut le cas
pour le préambule de la Constitution ou la Déclaration des droits de l'Homme » […].
Le décalage entre « la Charte ambitieuse » annoncée par le Président de la République et le
Gouvernement jusqu’en juin 2003 et la faible portée bien souvent reconnue à la Charte au cours des
débats parlementaires est assez frappante. Alors que jusqu’à son dépôt au Parlement, la Charte était
présentée comme « la troisième étape du Pacte Républicain » supposée initier une « véritable
révolution » en faisant pénétrer la protection de l’environnement à tous les niveaux de la hiérarchie
des normes, dans certains documents parlementaires, la Charte est réduite à une simple incitation à
légiférer: « C’est pourquoi la Charte, loin d’apporter une solution définitive, intégrale et
préfabriquée, inaugure un vaste mouvement politique et lance un défi juridique. De cette nouvelle
étape, le législateur sera le maître d’oeuvre. La Charte, en fixant des objectifs constitutionnels aussi
nouveaux, appelle le Parlement à décliner dans la loi cette ambition ».
Ce « tour de passe-passe » a été principalement opéré dans le rapport de la commission des lois à
l’Assemblée présenté par Mme Kosciusko-Morizet. Dès les premières pages de son rapport diffusé
en mai 2004, elle assimile les dispositions de la Charte à des objectifs de valeur constitutionnelle.
Plus loin, elle précise également : « La Charte assigne à la loi des objectifs de valeur
constitutionnelle, en tous ses articles, sauf l’article 5 relatif au principe de précaution ». […] aucun
motif valable n’explique pourquoi l’article 5, relatif au principe de précaution, serait le seul à être
d’applicabilité directe. On peut concevoir que le juge constitutionnel estime utile de recourir à la
notion d’objectifs de valeur constitutionnelle pour imposer au législateur le respect de principes qui
s’imposent à lui en vertu du droit communautaire ou international (spécialement de la C.E.D.H.).
Mais on ne saurait admettre que la doctrine, les parlementaires ou les juges prétendent s’arroger le
pouvoir de reléguer des droits expressément reconnus par le texte constitutionnel au rang de simples
objectifs qui s’imposeraient au seul législateur et ne seraient pas directement invocables devant tous
les juges. […].
« Les travaux préparatoires (rapports parlementaires et débats en séance publique) pourront être
utilisés par le juge pour éclairer cette intention [du constituant]. En effet, alors qu’en 1958, le
peuple français s’est prononcé par référendum sans connaître la teneur des débats qui, au sein du
Comité consultatif constitutionnel, ont conduit au texte soumis au vote, les travaux du Parlement sur
la présente révision sont publics (…). À la différence de 1958, il y aura donc bien des "travaux
préparatoires" au sens que les juridictions donnent à ce terme ».
Si l’on suit ce raisonnement de Mme Kosciusko-Morizet, la Charte n’a pas été constitutionnalisée
en elle-même : les membres du Congrès ayant eu connaissance des « travaux préparatoires », elle
aurait été constitutionnalisée telle qu’elle a été interprétée par ces travaux préparatoires. Bien
entendu, ce raisonnement souffre de nombreux défauts.
En premier lieu, rien n’indique que les parlementaires unanimes ont souhaité valider le
raisonnement de Mme Kosciusko-Morizet. Ce problème n’est pas spécifique à la Charte, il est
toujours difficile d’identifier clairement l’intention des parlementaires, et c’est bien pour cela que
l’on ne s’y réfère que quand le texte est obscur, que l’exposé des motifs ne permet pas de l’éclaircir,
et que cette volonté est claire et unanime. En second lieu, la rapporteure raisonne ici comme si le
pouvoir constituant appartenait tout entier au Parlement. Or, contrairement au pouvoir législatif, qui
peut être exercé exclusivement par les parlementaires, le pouvoir de réviser la Constitution prévu
par l’article 89 est conçu tout entier pour ne pouvoir être exercé que s’il y a accord entre au moins
deux des trois volontés que sont celle du législatif, de l’exécutif et/ou du Peuple. On ne saurait donc
réduire l’intention du constituant à la seule volonté des parlementaires, quand bien même elle serait
claire et unanime (ce qui n’est pas établi). En l’espèce, l’intention du constituant doit être
recherchée aussi bien dans les travaux parlementaires que dans les travaux préparatoires de
l’exécutif. Or nous avons vu que cette volonté est claire et contraire à celle qui est proposée ici. En
pratique, le texte de la Charte, qui n’a quasiment pas été modifié, a été rédigé au printemps 2003, on
voit donc mal comment des débats qui ont eu lieu en mai-juin 2004 auraient pu éclairer ce texte. Si
les parlementaires n’étaient pas d’accord avec les intentions du Président et donc avec la lettre du
texte, ils auraient pu faire prévaloir leur volonté contraire en modifiant le projet de révision
constitutionnelle. […].
Cette tentative de reconstruction d’une intention du constituant est également choquante en ce
qu’elle revient à trahir les engagements pris par l’exécutif et par le législatif à l’égard du peuple en
attribuant aux articles de la Charte une portée différente de celle qui leur revient en vertu de leur
énoncé. […].
Document n° 10. Verpeaux, M., « Le faux impeachment à la française ou la
nouvelle combinaison du pénal et du politique. À propos de la révision du titre
IX de la Constitution », JCP édition générale, n° 15, 11 avril 2007, pp. 14-19
(extraits)
Les révisions constitutionnelles ne connaissent pas de saison et les périodes de fin de mandat
présidentiel ne sont plus des obstacles à la volonté de modifier le texte constitutionnel sur les sujets
les plus divers. La loi n° 2007-238 du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la
Constitution et qui intéresse, derrière le caractère anodin de son intitulé, le nouveau statut pénal et
politique du chef de l’État, vient de modifier assez profondément l’état du droit sur ce sujet… Réélu
président de la République en mai 2002, M. Chirac avait pris l’engagement de réunir une
commission, chargée de mener une réflexion sur le statut pénal du Président de la République et de
lui faire, le cas échéant, les propositions qui paraîtraient nécessaires. La présidence de cette
commission a été confiée au professeur Pierre Avril et ses travaux se sont tenus au cours du second
trimestre de l’année 2002. De manière évidente, la loi constitutionnelle du 23 février 2007 est, sous
réserve de quelques modifications, la transcription exacte des propositions formulées par la
Commission. À la suite de ces derniers, fut déposé un projet de loi constitutionnelle le 3 juillet
2003. Les parlementaires n’ont pas manqué de s’étonner de la longueur du délai séparant ce dépôt
de celui de l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale, sauf à se demander si elle n’est pas le
fruit de la volonté présidentielle de « vider les tiroirs » des différentes promesses faites aux divers
moments de ses mandats. Peuvent s’expliquer aussi de cette manière la discussion et l’adoption à
marche forcée des deux autres projets de loi promulgués, eux aussi, le 23 février 2007. S’agissant
de la loi révisant le titre IX de la Constitution, elle a été adoptée par l’Assemblée nationale le 16
janvier 2007 et par le Sénat le 7 février 2007 puis par le Congrès du Parlement le 19 février.
Au-delà de la paternité intellectuelle de la Commission, la réforme de 2007 est la conjonction de
deux phénomènes sans rapport direct entre eux. Le premier est l’existence de procédures pénales en
cours qui pourraient concerner le président de la République Jacques Chirac, mais pour des faits
antérieurs à sa fonction, en ses qualités de maire de Paris et de président du RPR. Le second est la
conséquence d’un conflit de jurisprudences entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation
quant à l’interprétation de l’article 68 de la Constitution. C’est pour tenter de résoudre ce conflit et
de formuler des solutions nouvelles que la Commission et la loi constitutionnelle du 23 février 2007
ont, d’une part, rappelé le principe d’inviolabilité, clarifié pour les actes antérieurs (et extérieurs) à
la fonction. Sur ce point, la loi du 23 février 2007 constitutionnalise la jurisprudence de la Cour de
cassation. Le président de la République ne peut pas être un citoyen ordinaire et il doit être protégé.
Mais, pour éviter l’arbitraire, des aménagements sont inscrits dans la Constitution. Cette
irresponsabilité connaît, d’autre part, une exception, car la loi constitutionnelle remplace un système
archaïque et imprécis qui était à mi-chemin du politique et du pénal par un mécanisme purement
politique…
Document n° 11. Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le
rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par Édouard
Balladur, Rapport remis au Président de la République le 29 octobre 2007, « Une
Ve République plus démocratique », La Documentation française, 2008
(introduction, extraits).
Le présent rapport obéit à une logique qui s’est affirmée dès l’origine des travaux du Comité, tant il
est vrai que les réformes institutionnelles à mettre en oeuvre se sont imposées à lui avec force. On
les examinera dans l’ordre où la Constitution leur donne place.
• La première d’entre elles consiste à tenter de mieux définir le partage des rôles entre les
gouvernants et, surtout, à encadrer davantage l’exercice des attributions que le Président de la
République tient de la Constitution elle-même ou de la pratique politique et institutionnelle. C’est
pourquoi le Comité s’est attaché à définir les règles qui, à la lumière de l’expérience, pourraient
régir les liens qui unissent le Chef de l’État et le Gouvernement dirigé par le Premier ministre. Afin
de clarifier et d’actualiser le texte constitutionnel et d’éviter qu’une dyarchie n’introduise la
division au sein du pouvoir exécutif, il suggère de modifier les articles 5, 20 et 21 de la
Constitution. Mais surtout, il propose, à titre principal, que l’exercice des attributions présidentielles
soit mieux encadré et que les prérogatives du chef de l’État soient précisées. Au passage, le Comité
s’est efforcé de formuler des propositions relatives à l’élection présidentielle qui soient de nature à
renforcer le caractère démocratique du choix offert aux citoyens.
• Deuxième réforme : renforcer le Parlement. Le Comité a unanimement estimé que cet aspect de sa
mission revêtait un caractère fondamental. Améliorer la fonction législative, desserrer l’étau du
parlementarisme rationalisé, revaloriser la fonction parlementaire, doter l’opposition de droits
garantis, renforcer le pouvoir et les moyens de contrôle du Parlement : tels sont, aux yeux du
Comité, les grandes lignes du nécessaire rééquilibrage de nos institutions, et ce quelles que puissent
être, en fonction de la personnalité des acteurs de la vie publique, l’interprétation et la pratique de la
Constitution. Encore faut-il ajouter que le Comité a estimé que, sans préjudice des modifications
éventuelles apportées aux modes de scrutin – et il a souhaité faire part de ses réflexions en ce
domaine – l’interdiction du cumul des mandats était nécessaire au succès de la réforme
institutionnelle ambitieuse qu’il appelle de ses voeux.
• Troisième réforme : mieux assurer et garantir les droits des citoyens. Le Comité s’est persuadé
sans peine que l’État de droit est une exigence que partagent tous nos concitoyens. Il s’est attaché à
proposer un ensemble de mesures, qui ne sont pas toutes de nature constitutionnelle, permettant
d’atteindre cet objectif. C’est ainsi qu’il a porté sa réflexion sur les droits nouveaux qui seraient
susceptibles d’être consacrés par le Préambule de la Constitution, sur la mise en place, à l’instar de
ce qui existe dans nombre de démocraties anciennes ou plus récentes, d’une autorité propre à mieux
assurer la défense des droits individuels, sur la nécessaire d’améliore les procédures de la
démocratie directe. C’est ainsi, également, qu’il a souhaité que le respect du pluralisme fût assuré
grâce au concours d’une institution nouvelle dont l’existence serait prévue par la Constitution et que
la diversité de la société française fut mieux prise en compte, au sein du Conseil économique et
social. C’est ainsi, enfin, qu’après avoir formulé des propositions, à ses yeux essentielles, tendant à
améliorer les garanties d’indépendance et d’efficacité de l’autorité judiciaire, il a consacré une large
part de ses efforts à la mise en place d’un contrôle de constitutionnalité des lois qui réponde à la fois
aux aspirations trop longtemps méconnues des citoyens et aux impératifs de la sécurité juridique à
laquelle ils aspirent non moins légitimement.
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