des raisons différentes : confort de la représentation, une certaine idéologisation, une certaine
représentation de l'homme dans la nature, mais aussi pour des raisons de coût, un siècle plus tard, malgré
des centaines de fossiles découverts et un progrès des connaissances absolument hallucinant, cette image
existe toujours. Et il est très clair que l'on conserve toute sa vie des images véhiculées à travers ces
documentaires conçu par des adultes. Ces derniers peuvent imposer une image, une représentation aux
jeunes à travers les documentaires. Il est très rare que la réalisation vienne des jeunes.
Il est très difficile de bousculer les images que nous avons de la préhistoire. Au sens strict, la préhistoire
est l'évolution des cultures, les productions des hommes dont les plus anciennes sont datées de 2,5
millions d'années en Afrique. Or, aujourd'hui encore, dès que l'on parle de préhistoire, on reste figé sur un
certain nombre de clichés : Cro-Magnon, Néandertal, les premiers utilisateurs du feu, ou les modes
d'utilisation des grottes. Quand les Cro-Magnons sont arrivés en Europe ils avaient la peau bien sombre.
Nous sommes africains. Ceux qui avaient la peau blanche, les vrais européens, les hommes de Néandertal,
ont peu à peu disparu après une cohabitation pendant 3000 ans. La vision de la grotte est aussi un héritage
de nos représentations. On a commencé à fouiller dans les grottes car ces sites ont été occupés pendant des
milliers d'années. Mais les grottes n'existent pas partout. Pendant que certains les occupaient, d'autres
vivaient en plaine dans le Bassin parisien, en Afrique ou en Australie. Or c'est la grotte qui est représentée
le plus souvent dans les documentaires pour la jeunesse. Je suis moi-même tombé dans ce travers en
représentant dans "Lucy et son temps", la démarche d'une femme blonde à côté de Lucy. Ce qui montre
que même en essayant d'être critique, on peut tomber dans les pièges de ses représentations.
J'aime beaucoup "A la rencontre des hommes préhistoriques" chez Nathan, car il commence par une
fiction. C'est le premier livre de cette collection Mégascope, et la structure n'est pas très homogène car les
approches comme les auteurs sont différents. Il est heureux que la partie fiction n'ait pas été éliminée, car
à partir du moment où elle n'est pas en contradiction avec les données scientifiques, elle possède un
pouvoir d'évocation qui va largement au delà d'un texte explicatif ou descriptif de l'état des connaissances.
J'ai également collaboré avec Yves Coppens à la réalisation d'un cédérom en 1994, "Aux origines de
l'homme" (Microfolie's). La préhistoire se prête bien à cette écriture multi-médiatique car elle se place au
carrefour de presque toutes les disciplines : génétique, éthologie, écologie comportementale,
anthropologie, conscience et langage de l'homme, physique atomique, géologie, sédimentologie... Et ce
n'est pas un hasard si les livres de chez Mango sont apparus au moment où il y avait une réflexion sur ce
type d'écriture. Le multimédia a influencé l'écriture du livre documentaire, à partir duquel il est possible de
faire travailler les enfants en groupe, par thème et par double page. Le livre a bénéficié d'un nouvel apport
et a pu ensuite contribuer à des réalisations sur de nouveaux supports comme cela s'est passé pour
"Lucy..." et les émissions de "C'est pas sorcier".
Cet afflux de documents de toute nature a pour conséquence que les jeunes refusent les convictions
classiques de l'hominisation que l'on retrouve dans les programmes avec notamment l'association type
d'homme / type d'outils. La polémique a été tellement vive dans les années 1996-97 autour des origines de
l'homme que les inspecteurs ont demandé des documents et des données sur l'évolution des connaissances
scientifiques. Un site web appelé Phylogène créé à l'INRP par des enseignants, a été alimenté en grande
partie par des documents fournis par les documentaires jeunesse ou le cédérom.
L'enseignement d'une discipline a ici pu évoluer parce que l'on avait créé assez de documentaires, et que
ces documentaires, qui ne sont pas considérés comme très sérieux, y compris par les chercheurs,
reflétaient l'évolution de la recherche. Les chercheurs sont des gens qui s'interrogent en suivant une
démarche scientifique parfaitement claire, parfaitement calée. Ils ne doutent pas de la démarche mais
obtiennent de nouvelles données qui amènent constamment à changer ou à transformer les hypothèses.
La création de documentaires jeunesse demande un effort extrêmement formateur car ils obligent à
rechercher la clarté du propos, utiliser l'image ou le schéma, l'analogie, le décalage, l'humour.
Les enjeux de la documentation scientifique en préhistoire :