Les auteurs antiques, enfin, font à César divers reproches d'ordre religieux. César, arriviste et sacrilège, comme nous
l'avons vu, aurait acheté la charge de Grand Pontife. En somme il aurait donc instrumentalisé la religion pour arriver à
des fin politiques. La preuve que César se sert de la religion, Plutarque la voit dans la façon dont le général se conduit
face aux Germains d'Arioviste, pendant la guerre des Gaules. L'ardeur des Germains au combat est émoussée, dit
Plutarque, par « les prédictions de leurs prêtresses, qui, prétendant connaître l'avenir par le bruit des eaux, par les
tourbillons que les courants font dans les rivières, leur défendaient de livrer la bataille avant la nouvelle lune. César,
averti de cette défense, et voyant les barbares se tenir en repos, crut qu'il aurait bien plus d'avantage à les attaquer dans
cet état de découragement, que de rester lui-même oisif et d'attendre le moment qui leur serait favorable. Il alla donc
escarmoucher contre eux jusque dans leurs retranchements, et sur les collines où ils étaient campés. Cette provocation
les irrita tellement que, n'écoutant plus que leur colère, ils descendirent dans la plaine pour combattre. Ils furent
complètement défaits. » (Plut., Caes., 21). César ne respecte rien, pas même les superstitions religieuses des
barbares, ce qui lui vaut la victoire militaire.
Les auteurs antiques s'accordent en général pour dire que César ne respecte nullement les présages et les multiples
signes que lui envoient pourtant régulièrement les dieux. Les exemples abondent. Ainsi, Suétone raconte qu'« Aucun
scrupule religieux ne lui fit même abandonner ou différer une seule de ses entreprises. Quoique la victime se fût enfuie
au moment où il allait l'immoler, il ne remit pas son expédition contre Scipion et Juba. Bien plus, ayant fait une chute en
débarquant, il tourna le présage dans un sens favorable et dit : « Afrique, je te tiens » (Suét., Caes., 59). Pire encore,
César « poussa même l'insolence jusqu'à dire, en entendant un jour l'haruspice annoncer que les présages étaient
funestes et que la victime n'avait pas de coeur : « Ils seront plus favorables, quand il me plaira, et l'on ne doit pas
regarder comme un prodige qu'une bête manque de coeur » (Suét., Caes., 77). Cette citation rapporte une plaisanterie
douteuse et sacrilège dans le plus pur style suétonien. Même si on peut douter de son authenticité, elle n'en exprime
pas moins une idée importante : César ne respectait pas les messages divins. Cette incroyance, cette cécité, provoque
même sa perte, d'après Valleius Paterculus : « Les dieux immortels lui avaient envoyé cependant bien des présages et
bien des indices du péril menaçant. Les haruspices l'avaient averti de se défier avec le plus grand soin des ides de mars.
Sa femme Calpurnia effrayée par une vision nocturne le suppliait de demeurer chez lui ce jour-là. Enfin on lui avait remis
des billets qui lui dénonçaient la conjuration, mais il ne les avait pas lus sur-le-champ. C'est qu'on ne saurait éviter la
force du destin qui fausse le jugement de celui dont il veut changer le sort. » (Vell. Pat., II, 57). Plutarque et Suétone ne
tiennent pas un discours différent : César est mort, mais ce n'est pas faute d'avoir été prévenu par les dieux (cf. Plut.
Caes., 69 et Suét., Caes., 81). Finalement, on peut avoir l'impression que César, grand stratège et grand politique, a
commis quelques grossières erreurs d'appréciation quant aux croyances religieuses de ses contemporains, ce qui a fini
par causer sa perte. Mais en affirmant ceci nous n'avons toujours pas répondu à la question : César a-t-il vraiment voulu
être considéré comme un dieu vivant ?
César, on l'a vu, a semé un certain trouble chez ses concitoyens, qui ont fini par le supprimer physiquement, puis par le
déifier. Les auteurs antiques reflètent ce trouble, et éventuellement leurs propres croyances; mais que sait-on au juste
des idées religieuses de César ? Salluste et Cicéron rapportent sa pensée, qui s'exprime devant le sénat lors du
jugement de la conjuration de Catilina (63 av. JC). Certains pensent qu'il faut exécuter les conjurés; César, quant à lui,
rejette la peine de mort car il est persuadé que « les dieux n'ont point voulu faire de la mort un châtiment ; mais qu'elle est
une loi de la nature, le terme des travaux et des misères. Aussi le sage ne la reçut jamais à regret, et l'homme courageux
alla souvent au-devant d'elle. Mais les fers, et les fers pour toujours, furent inventés, on n'en saurait douter, pour être le
châtiment spécial de quelque grand forfait » (Cicéron, Catilinaire, IV, 4). Mieux encore, Salluste cite directement le
discours prononcé par César devant le sénat contre la peine de mort. Il aurait déclaré ceci : « quant au châtiment, j'ai
bien, je pense, le droit de dire ce qui en est : dans le deuil et la misère la mort est la fin des maux, elle n'est pas un
supplice, elle met un terme à toutes les infortunes ; après elle, il n'y a place ni pour le souci ni pour la joie. » (Salluste,
Conjuration de Catilina, LI). Salluste et Cicéron rapportent donc la même pensée que l'on peut résumer ainsi : après la
vie, le néant. On conçoit déjà mieux, ainsi, à la fois les attitudes de César et le trouble de ses contemporains.
Pour approfondir la pensée césarienne, nous disposons en outre de ses propres écrits, La Guerre des Gaules, et la La
Guerre Civile. Certes, dans ces ouvrages César ne parle pas de ses opinions religieuses, qui ne sont pas son objet. Il
donne cependant, indirectement, des éléments de sa pensée. On peut observer un certain détachement de César en
ce qui concerne le fait religieux. Il décrit la religion des Gaulois ou des Germains comme le ferait un ethnographe, sans
parti-pris (BG, VI, 13-14, 16, 18, 21). Pour lui, les croyances religieuses ne constituent jamais une entrave à ses actions :
pas question de prêter foi aux présages ou aux augures, comme nous l'avons vu plus haut. Aux craintes
superstitieuses de ses hommes, il répond par des discours rationnels. Il démystifie autant qu'il peut (BG, I, 39-40).
Eventuellement, César, qui connaît « cette facilité des hommes à croire presque toujours ce qu'ils désirent » (BG, III, 18)
utilise les croyances à son avantage. En matière religieuse, il est sceptique a-priori. Ainsi, lorsque Dumnorix refuse de
s'embarquer avec César pour la Bretagne en alléguant des raisons religieuses, César bien sûr, n'en croit rien (BG, V,
6). César sceptique, distancié, cynique parfois, croit-il en dieu ou aux dieux du panthéon romain ? Il évoque rarement
les « dieux immortels ». Il le fait pour regonfler le moral de ses troupes après un revers, car les soldats, eux, croient pour
de bon à l'existence des dieux immortels (BG, V, 52). César, en ce qui le concerne, une fois de plus, instrumentalise la
religion. Les dieux immortels apparaissent aussi dans la description de la religion Gauloise (BG, VI, 14, 16), ou encore à
l'état de statue dans les Temples (BC, II, 5). César, semble-t-il, n'est pas polythéiste. Croit-il en dieu ? Il ne croit pas en
un dieu unique de type judéo-chrétien. Son dieu est une femme : c'est la Fortune, dont la présence est plus
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