Musée de la Résistance et de la Déportation du Cher, Bourges.
15 avril 2014, conférence de Thomas Fontaine, historien :
« Déporter, politiques de déportation et répression en France occupée, 1940-1944. »
Ou encore : les déportations au départ de la France occupée.
En 2004, Thomas Fontaine a travaillé sur le Livre Mémorial de la déportation.
80 000 déportés de répression ont été recensés.
I. En réalité, l’histoire de la déportation de répression est très tardive.
Pourquoi ?
- En 1945, ce qui marque les esprits, ce sont les images de la découverte et de la libération des camps :
images terribles, auxquelles les troupes alliées ne sont pas préparées : charniers, cadavres, malades
A tel point que ces images marquent un tournant dans l’histoire de la mort dans les sociétés occidentales.
Pour la 1
ère
fois, on montre une mort de masse de civils .
Cela marque le commandement allié : Eisenhower veut que cela soit filmé, qu’on montre aux soldats ce contre
quoi ils se sont battus.
- Ce qui fait qu’ensuite, on va étudier la déportation par ce point d’arrivée : la barbarie…
- On ne cherche pas à comprendre la complexité de la déportation, alors que 65 000 personnes et 15 000
autres, cas particuliers, soit 80 000 personnes ont été déportées.
Le travail sur le livre-mémorial en 2004 a permis un travail différent.
II. Nouvelles approches :
L’image de la déportation est celle de grands convois de 1000 à 2000 personnes, partant de Compiègne. C’est
effectivement la majorité des cas.
Mais il y a aussi des départs de 10-15 personnes en voiture voyageurs, depuis la gare du Nord ou de l’Est, à Paris.
A l’intérieur des mêmes groupes de Résistance, il existe des différences de traitement énormes.
Pourquoi les Allemands déportent-ils, alors que par ailleurs, ils fusillent ?
D’où la nécessité de parler DES déportations.
Avec pour point de départ l’histoire du maintien de l’ordre dans la France occupée. Ce travail n’était pas fait,
l’étude de la déportation étant jusque là l’étude du système concentrationnaire.
C’est une histoire plus complexe que celle de la déportation des Juifs (Déportation de persécution) : globalement,
les Juifs partent de Drancy, le but est l’extermination.
Les déportations de répression concernent 74 000 déportés, par convois de 1000 à 2000 personnes.
La chronologie tient un grand rôle : 1940 n’est pas 1944.
Ainsi que les acteurs, qui sont divers : la Gestapo, l’Abwehr, les militaires sous les ordres du MBH, mais aussi les
tribunaux particuliers de la Luftwaffe ou de la Kriegsmarine.
Le MBH : Militärbefehlshaber in Frankreich. Autorités militaires.
La Gestapo : en fait, il s’agit des « services de police et de sécurité du Reich », « Sicherheitspolizei und
Sicherheistsdienst ». Autorités policières.
Ventilation des déportés , 1940-1944 :
- Les plus nombreux : 67,5 % : déportés (« Schutzftlinge »), dans des convois massifs depuis Compiègne, vers
des camps de concentration, de janvier 1943 à mi-août 1944.
- Ensuite : 14,9 % : déportés (« Schutzftlinge »), depuis les grandes villes de France, transports massifs, vers
des camps de concentration, de fin juin 1944 à début octobre 1944.
- 7,8 % sont des déportés sans jugement, dans le cadre de la procédure Nacht und Nebel (NN), vers différents
camps de concentration ou les camps de Hinzert ou Sarrebrück-Neue Bremme.
- 7,3 % sont des condamnés par les tribunaux militaires allemands en France, entre 1940 et 1944, ils sont déportés
vers les prisons du Reich.
- 1,9 % sont des déportés « otages de représailles » : vers le camp d’Auschwitz le 6 juillet 1942.
- 0,6 % sont des « personnalités-otages », envoyés préventivement dans des camps spécifiques du Reich, dans des
conditions spécifiques.
En fait, les politiques de déportation sont complexes. Mais elles vont être guidées par 2 principes :
- maintenir l’ordre : arrêter les ennemis, les opposants, punir la Résistance.
- A partir de 1942-43, apporter de la main d’oeuvre au Reich.
Tout en tenant compte de l’évolution de la guerre, et de la concurrence des services allemands.
D’où, différentes formes et des situations différentes. Etre déporté en 1940 est différent de 1944, être déporté dans
le cadre d’un programme n’est pas identique à un autre programme…
III. Temporalité.
1. 1940-42, la zone Nord, occupée. La 1
ère
répression allemande.
- Elle est administrée par le MBF, qui est un militaire.
Les services du MBF sont aussi chargés de la répression.
- La Gestapo est, elle, chargée de s’occuper du sort des Juifs, des Francs-Maçons, des communistes ou des
Eglises.
- Fonctionnement : pour le MBH : le territoire occupé est maillé par des Kommandanturs.
Dans chaque FeldKommandantur, il y a un tribunal militaire. A Bourges, c’est le 589.
La police militaire arrête.
Un juge d’instruction allemand instruit l’affaire.
Le tribunal militaire juge.
Exemples :
jugement de d’Estienne d’Orves en 1941.
A Bourges : Robert Lanotte. Le 4-1-42, il a aidé au passage de la ligne de Démarcation à Vierzon.
Condamnation : 6 ans de prison : transféré à Fresnes, puis à Berlin, via la gare de l’Est. Menotté sur son
siège dans une voiture cellulaire, dernier wagon du train. Il est donc envoyé en Allemagne dans diverses
prisons pour purger sa peine.
Le but est de maximiser l’effet dissuasif. Il est libéré en avril 1945 par les Alliés.
Même cas de figure pour les époux Caron de Vierzon, arrêtés pour une affaire d’espionnage et jugés par la
Luftwaffe. Jeanne Caron, libérée en 1942, rentre en France. Fernand Caron est libéré en 1945.
Bref, jusqu’en 1942, cette démarche est la norme : cela entre dans la « 1
ère
répression allemande » et concerne
moins de 10 % des déportés.
Toutefois, depuis 1941, la guerre est en train d’évoluer : militairement et idéologiquement avec l’attaque de
l’URSS. De plus, en France, des groupes armés communistes sont entrés en action.
Hitler considère donc que cette répression est peu efficace, et pas dissuasive.
Juger prend du temps, alors qu’il faut agir vite et dissuader.
- Les services allemands inventent donc le dispositif « Nacht und Nebel ».
Les services judiciaires font leur travail, mais si le tribunal n’est pas assez rapide, l’enquête stoppe. Les prévenus
disparaissent dans des prisons ou des camps allemands.
Les 1ers détenus NN partent en convois cellulaires de 30 à 40 personnes. (Ce sera encore le cas pour Stéphane
Hessel le 8-8-44 ou pour le groupe de Caluire, en 1944).
2. A partir du 1
er
juin 1942, la répression change.
Le pouvoir n’appartient plus au MBF, mais à la Gestapo.
La Gestapo va donner priorité aux formes extra-judiciaires.
Attention, dès 1941, les services du MBF étaient déjà devenus davantage répressifs ! Et la justice du MBF va
persister : le nazisme est une polycratie, les différentes formes du pouvoir coexistent.
La Gestapo impose tout de même sa marque :
- Cadre : la Schutzhaft, détention de sécurité, extra-judiciaire, pas de procès obligatoire. Donc, procédure
qui peut être rapide.
- Puis Nacht und Nebel, « de 2
ème
génération ». : sans jugement.
- Et convois massifs. Pas forcément pour tous.
Avec 2 objectifs : lutter contre la Résistance, et donner de la main d’œuvre au Reich.
A partir de juin 1942, la Gestapo fait des choix, et punit :
Selon la gravité des faits commis
Selon sa lecture de la Résistance
Selon les besoins en main d’œuvre.
Exemple : ceux de Caluire arrêtés le 21 juin 1943 : ils ne sont pas entassés avec d’autres détenus à plus de 50 par
wagon… De peur qu’ils ne s’évadent .
En fait, les détenus sont classés en 3 catégories :
- Catégorie 3 : profil défini comme les plus dangereux. Ne sont pas mis dans les grands convois.
« Privilégiés pour le transport » : les nazis veulent 0 décès…et 0 évasions.
Qui ? Les résistants armés, les chefs de réseaux, les chefs du renseignement militaire.
- La 2 : moyenne.
- La 1 : les autres.
Dans l’ensemble, la Gestapo arrête de plus en plus de monde. Et applique des procédures arbitraires, les
procédures judiciaires prenant trop de temps.
Qui est déporté ?
Les résistants. Les victimes de rafles de représailles. Les communistes livrés par Vichy. Les personnalités-otages,
qui pourraient servir de cadres à la Résistance ou au moment de la Libération.
Pourquoi ?
Car le Reich a besoin de main d’œuvre.
- A partir de 1943, la majorité des partants sont mis dans de grands convois qui partent vers les camps de
concentration.
- Himmler a proposé à Hitler et à Speer les détenus des camps, pour le travail desquels la SS va toucher une
redevance versée par l’Etat.
Le 14 décembre 1942, Himmler demande 35 000 détenus, à prélever en Europe. Il les veut avant le 31
janvier 1943.
A Paris, la Gestapo de France est soucieuse de répondre à ces besoins : le 24 janvier 1943, 1
er
grand convoi
massif. 2
ème
convoi le 8 avril. 3
ème
convoi le 8 mai. 4
ème
le 26 juin. 5
ème
et 6
ème
ensuite, 7000 déportés.
Le programme a été prolongé, mais en juin, les objectifs sont atteints.
La déportation marque donc une pause pendant l’été 1943.
Nouvelle directive en septembre 1943 : Himmler a proposé la création du camp de Dora, le centre de
production des armes secrètes sur la Baltique étant bombardé.
De septembre 1943 à Janvier 1944, Dora est aménagé dans le massif du Harz, en Thuringe, dans des conditions
terribles (gros travaux d’œuvre, peu d’outils, violence, faim…) Plus de 10 000 déportés de France partent donc
pour Buchenwald, puis Dora. A Dora, le taux de décès est de 80 %.
Nouveau programme et nouveaux convois en janvier 1944. 4 convois, 6000 personnes.
Puis au printemps 1944.
- Mais, à côté de ces grands convois, il existe d’autres transports. Certains détenus voyagent dans des conditions
de sécurité extrêmes. Ou bien ne doivent pas être mis au travail.
3. L’après 6 juin 1944.
Cette période tient une part énorme.
Mais le 6 juin ne constitue pas une césure.
Même si le débarquement est une réussite, pour les Allemands, la guerre n’est pas finie… Les convois de déportés
partent tous les 15 jours, comme avant.
Le tournant est le 31 juillet. La percée d’Avranches. Hitler se sent menacé.
Les services allemands évacuent Paris.
Mais ils prévoient les déportations : les camps de transit sont vidés. Les Allemands évacuent hommes et femmes,
non-Juifs et Juifs.
Et malgré combats et bombardements, les convois arrivent en Allemagne ! Dans des conditions catastrophiques.
Ex : le convoi du 15 août, arrive le 21 août.
Le train parti de Bordeaux le 9 août est un véritable train-fantôme . Il est stoppé à Angoulême, il repart vers la
Provence, remonte la vallée du Rhône, on change de train, il arrive à Dachau le 28 août ! Avec de nombreux décès
et des évasions.
Idem à Paris.
Les Allemands sont jusqu’au-boutistes !
Les Allemands déportent encore dans les régions qu’ils gardent : plus de 2500 personnes entre fin septembre et
novembre 1944.
IV. Questions .
Question : les Allemands ont-ils détruit les preuves ?
Réponse : globalement, oui.
Ont été détruites : une grande partie des archives policières, les archives sur les FTP.
Restent une minorité de procès et le registre du camp de Romainville, qui mentionne 7000 personnes.
Des dossiers de résistants subsistent . Ex : le réseau Alliance. Marie-Madeleine Fourcade.
Quand on reconstitue le parcours des personnes, on parvient à retrouver les directives allemandes, on voit la
lecture de la Résistance par les Allemands.
Et le sort différent qui leur est réservé, selon la « catégorie de sécurité ».
Les plus dangereux : Sachsenhausen.
La catégorie la plus commune : Mauthausen.
Ce qui donne des destins de vie différents.
Problème : en 1944-45, les conditions de vie sont devenues les mêmes. La situation est brouillée.
Les Allemands ont une certaine lecture de la Résistance : pour eux, la Résistance de propagande est assez peu
importante, alors qu’elle a joué un grand rôle !
Question : et les STO ?
Réponse : ce sont des requis du travail. Pas dans la même logique. Réquisition selon une loi française. Départ et
arrivée dans des conditions différentes. Pas le même vécu sur place.
Les STO ont utilisés le mot « Déportés du travail », puis la loi leur a retiré cette dénomination, après une bataille
juridique (Loi de 1948).
IV. Compléments : travaux de Thomas Fontaine
Une courte mise au point de Thomas Fontaine sur ses travaux.
http://fondationshoah.org/FMS/IMG/pdf/5-_Thomas_Fontaine.pdf
Un article détaillé (42 pages) sur le site « Online Encyclopédia of Mass Violence » / Sciences Po.
6 pages de synthèse, puis une chronologie très détaillée des déportations de persécution et de répression en
France occupée, et enfin, une bibliographie détaillée.
http://www.massviolence.org/IMG/article_PDF/Chronologie-Repression-et-persecution-en-France-occupee.pdf
6 pages sur le fort de Romainville.
http://www.fondationresistance.org/documents/dossier_them/Doc00049.pdf
Une intervention sur la répression de la Résistance, dans le cadre du CNRD 2011, sur le site de Canopé-
Créteil : soit sous forme d’une vidéo de 7 minutes, avec diaporama ; soit transcrite.
http://www.cndp.fr/crdp-creteil/resistance/354-intervention-de-thomas-fontaine-rencontre-la-repression-de-la-
resistance-en-france
Pour le musée de la Résistance et de la Déportation du Cher, Bourges.
Catherine Poncelet, professeur relais.
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