La logique dans la science : Place et statut de la logique dans la

M XAVIER SABATIER
La logique dans la science : Place et statut de la logique dans la
philosophie de Jean Cavaillès/Logic in science: The place and
status of logic in the philosophy of Jean Cavaillès
In: Revue d'histoire des sciences. 1999, Tome 52 n°1. pp. 81-106.
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SABATIER XAVIER. La logique dans la science : Place et statut de la logique dans la philosophie de Jean Cavaillès/Logic in
science: The place and status of logic in the philosophy of Jean Cavaillès. In: Revue d'histoire des sciences. 1999, Tome 52
n°1. pp. 81-106.
doi : 10.3406/rhs.1999.1344
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_1999_num_52_1_1344
Abstract
SUMMARY. No historical examples of logic can give the complete precise forms of scientific
reasoning. Philosophies which try to found logic upon subjectivity cannot translate exhaustively scientific
demonstrations into their a priori categories. Moreover, logics of transcendental subjectivity are always
determinated artificially. Their formulated propositions refer to impure, empiric elements. On the other
hand, logic conceived as an independent science of scientific reasoning only isolates the form of
scientific demonstration at a given time of the history of science. Logicism mistakes those forms for the
totality of scientific reasoning. . The mistakes of all these theories are based upon a misconception of
the essence of science. Through its development, science creates new objects, which subsequently
produce new forms of reasoning. The principle of the evolution of science is to be found in science itself
and gives it an autonomy which philosophies of subjectivity have overlooked. Science is both autonomic
and unpredictable. But those characteristics don't contradict its necessity, whose only principle is
demonstration. As a demonstration, science is logical throughout. But « the logical » must not be
mistaken for logic, a historical science, which is only a part of « the logical », cut from its origin and
defined as an independent science by logicism.
Résumé
RÉSUMÉ. — Aucun exemple historique de logique ne peut donner exhaustivement les formes précises
du raisonnement scientifique. Les philosophies qui fondent la logique sur le sujet connaissant ne
parviennent pas à retrouver la richesse de la démonstration scientifique dans leurs catégories a priori.
De plus, les catégories et les logiques du sujet transcendantal sont toujours établies artificiellement.
Leurs énoncés font toujours référence à des éléments impurs, empiriques. De son côté, une logique
conçue comme science indépendante des raisonnements scientifiques ne fait qu'isoler les formes des
démonstrations scientifiques à un moment de la science et prétend ensuite que ces formes recouvrent
la totalité du raisonnement scientifique. L'erreur de ces théories repose sur une mauvaise
compréhension de l'essence de la science. Celle-ci crée dans son développement de nouveaux objets,
qui engendrent à leur tour de nouvelles formes de raisonnement. Le principe de l'évolution de la science
réside en elle-même et lui confère une autonomie que nient les philosophies du sujet. Ainsi, la science
est à la fois autonome et imprévisible. Mais ces deux caractéristiques n'altèrent pas une nécessité dont
le principe unique est la démonstration. Démonstrative, la science est de part en part logique. Mais « le
logique », produit de la démonstration ne doit pas se confondre avec la logique, science historique qui
correspond seulement à une partie du logique, coupée de son origine et élevée au rang de science
indépendante des enchaînements déductifs par les logicistes.
La
logique
dans
la
science
:
Place
et
statut
de
la
logique
dans
la
philosophie
de
Jean
Cavaillès
Xavier
Sabatier (*)
RÉSUMÉ.
Aucun
exemple
historique
de
logique
ne
peut
donner
exhaustive
ment
les
formes
précises
du
raisonnement
scientifique.
Les
philosophies
qui
fondent
la
logique
sur
le
sujet
connaissant
ne
parviennent
pas
à
retrouver
la
richesse
de
la
démonstration
scientifique
dans
leurs
catégories
a
priori.
De
plus,
les
catégories
et
les
logiques
du
sujet
transcendantal
sont
toujours
établies
artificiellement.
Leurs
énoncés
font
toujours
référence
à
des
éléments
impurs,
empiriques.
De
son
côté,
une
logique
conçue
comme
science
indépendante
des
raisonne
ments
scientifiques
ne
fait
qu'isoler
les
formes
des
démonstrations
scientifiques
à
un
moment
de
la
science
et
prétend
ensuite
que
ces
formes
recouvrent
la
totalité
du
raisonnement
scientifique.
L'erreur
de
ces
théories
repose
sur
une
mauvaise
compréhension
de
l'essence
de
la
science.
Celle-ci
crée
dans
son
développement
de
nouveaux
objets,
qui
engendrent
à
leur
tour
de
nouvelles
formes
de
raisonne
ment.
Le
principe
de
l'évolution
de
la
science
réside
en
elle-même
et
lui
confère
une
autonomie
que
nient
les
philosophies
du
sujet.
Ainsi,
la
science
est
à
la
fois
autonome
et
imprévisible.
Mais
ces
deux
caractéristiques
n'altèrent
pas
une
nécess
ité
dont
le
principe
unique
est
la
démonstration.
Démonstrative,
la
science
est
de
part
en
part
logique.
Mais
«
le
logique
»,
produit
de
la
démonstration
ne
doit
pas
se
confondre
avec
la
logique,
science
historique
qui
correspond
seulement
à
une
partie
du
logique,
coupée
de
son
origine
et
élevée
au
rang
de
science
indépendante
des
enchaînements
déductifs
par
les
logicistes.
MOTS-CLÉS.
Autonomie
de
la
science;
nécessité
de
la
science;
imprévisib
ilité
du
raisonnement
scientifique;
démonstration;
la
logique;
le
logique.
SUMMARY.
No
historical
examples
of
logic
can
give
the
complete
precise
forms
of
scientific
reasoning.
Philosophies
which
try
to
found
logic
upon
subjecti
vity
cannot
translate
exhaustively
scientific
demonstrations
into
their
a
priori
cate
gories.
Moreover,
logics
of
transcendental
subjectivity
are
always
determinated
artificially.
Their
formulated
propositions
refer
to
impure,
empiric
elements.
(*)
Xavier
Sabatier,
c/
L.
Filippi,
24,
rue
des
Fossés-Saint-Jacques,
75005
Paris.
L'auteur
voudrait
remercier
Mme
Hourya
Sinaceur,
M.
Julien
Dufour,
M.
Christian
Maurin,
M.
Nicolas
Schont.
Rev.
Hist.
ScL,
1999,
52/1,
81-106
82
Xavier
Sabotier
On
the
other
hand,
logic
conceived
as
an
indépendant
science
of
scientific
reasoning
only
isolates
the
form
of
scientific
demonstration
at
a
given
time
of
the
history
of
science.
Logicism
mistakes
those
forms
for
the
totality
of
scientific
reaso
ning.
.
The
mistakes
of
all
these
theories
are
based
upon
a
misconception
of
the
essence
of
science.
Through
its
development,
science
creates
new
objects,
which
subsequently
produce
new
forms
of
reasoning.
The
principle
of
the
evolution
of
science
is
to
be
found
in
science
itself
and
gives
it
an
autonomy
which
philosophies
of
subjectivity
have
overlooked.
Science
is
both
autonomie
and
unpredictable.
But
those
characteristics
don
't
contradict
its
necessity,
whose
only
principle
is
demonst
ration.
As
a
demonstration,
science
is
logical
throughout.
But
«
the
logical
»
must
not
be
mistaken
for
logic,
a
historical
science,
which
is
only
a
part
of
«
the
logical
»,
cut
from
its
origin
and
defined
as
an
indépendant
science
by
logicism.
KEYWORDS.
Autonomy
of
science;
necessity
of
science;
unpredictability
of
the
scientific
reasoning;
demonstration;
logic;
the
logical.
Le
présent article
est
le
résumé
d'un
travail
portant
uniquement
sur
la
signification
du
mot
«
logique
»
dans
la
philosophie
de
Jean
Cavaillès.
Cette
orientation
initiale
explique
le
privilège
accordé au
dernier
ouvrage
de
Cavaillès
ainsi
qu'à
un
nombre
restreint
de
pas
sages
dispersés
dans
le
corpus
de
l'épistémologue
le
terme
«
logique
»
est
utilisé.
Cette
orientation
explique aussi
que
l'auteur
ait
préféré
se
confronter
directement
aux
écrits
de
Cavaillès
plutôt
que
de
citer
les
travaux
d'Hourya
Sinaceur
et
Jan
Sebestik
qui
ne
traitent
pas
du
même
sujet.
Ces
ouvrages
lui
ont
été
cependant
une
aide
constante
dans
la
compréhension
globale
de
l'œuvre
de
Cavaillès,
nécessaire
à
l'entreprise
plus
limitée
qui
le
préoccupait.
Lors
de
ses
années
de
formation,
Jean
Cavaillès
a
été
confronté
au
développement
considérable
de
la
logique
mathématique.
Inté
ressé
initialement
par
la
théorie
des
ensembles
et
la
crise
des
fon
dements,
Cavaillès
rencontre
sur
son
chemin
de
réflexion
les
tentatives
d'axiomatisation
et
de
formalisation
de
l'arithmétique
él
émentaire
que
les logiciens
et
les
mathématiciens
formalistes
avaient
faites
durant
les
années
vingt.
Dès
1935,
il
publie
un
article
dans
la
Revue
de métaphysique
et
de
morale
(1)
il
présente
aux
phi
losophes
français
les
conceptions
de
Wittgenstein
et
de
Carnap
sur
le
rôle
et
l'importance
de
la logique.
Deux
ans
plus
tard,
il
publie
un
article
dans
la
Revue
philosophique
de
la
France
et
de
(1)
Jean
Cavaillès,
L'école
de
Vienne
au
congrès
de
Prague,
Revue
de
métaphysique
et
de
morale,
42
(janv.
1935),
137-149.
La
logique
dans
la
science
83
V
étranger
{2)
il
met
en
parallèle
la
logique
mathématique
et
la
logique
traditionnelle
pour les
distinguer
sur
leur
approche
du
syl
logisme.
Ces
articles
sont
cependant
les
seuls
textes
expressément
consacrés
à
la
logique
mathématique
que
Cavaillès
ait
écrits.
Quand
la
logique
réapparaît
dans
la
réflexion
de
Cavaillès,
il
ne
s'agit
plus
seulement de
la
discipline
historique,
mais
de
la
capacité
d'une
théorie
du
discours
rationnel
à
penser
une
activité
rationnelle
comme
la
science.
Le
terme
«
logique
»
cesse
alors
d'être
univoque
et
Cavaillès
s'engage
dans
une
discussion
des
définitions
et
des
rôles
que
d'illustres
prédécesseurs
ont
assignés
à
la
logique
dans
son
rapport
aux sciences,
surtout
aux
mathématiques.
Le
dernier
ouvrage
de
Cavaillès,
Sur
la
logique
et
la
théorie
de
la
science,
est
le condensé
ainsi
que
le
dernier
état
de
cette
discus
sion
Cavaillès
essaie,
en
critiquant
Kant,
Bolzano,
Carnap
et
Husserl, de
déterminer
si
la
logique
peut constituer
la
doctrine
des
sciences.
A
vrai
dire,
Cavaillès
est
avant
tout
préoccupé,
conformé
ment
à
l'optique
qui
dirige
ses
ouvrages,
par
la
formulation
d'une
epistemologie,
d'une
doctrine
de
la
science.
Mais
l'ambition
de
la
logique
chez
Bolzano
(représenter
et
réaliser
cette
doctrine
de
la
science)
contraint
Cavaillès
à
traiter
de
la
science
du
logos. En
effet,
la
logique,
contrairement
à
Г
epistemologie,
n'est
pas
une
réflexion
philosophique
sur
la
science,
mais
une
science
positive
dont
les
lois
et
les
théories
possèdent,
avec
les
théorèmes
mathé
matiques,
le
plus
haut
degré
de
précision
et
de
nécessité.
Dès
lors,
la
définition
de
la
logique
comme
doctrine
de
la
science
devient
problématique.
Au
cours
du
passage
sur
Bolzano,
Cavaillès
énonce
la
difficulté
centrale
de
sa
dernière
œuvre
:
«
La
doctrine
de
la
science
est
aussi
prétention
à
la
validité
et
à l'intelligibilité
:
elle
serait
science
de
la
science,
donc
partie
d'elle-même
(3).
»
II
devient
urgent
de
situer
la
doctrine
de
la
science
par
rapport
à
la
logique
:
peut-on
assimiler
les
deux
en
courant
le
risque de
créer
une
science
législatrice
a
priori
(de
par
sa
définition)
des
autres
sciences
ou
doit-on distinguer
nettement
les
deux
disciplines
?
Dans
le
dernier
cas, quelle
place
reste-il
à
la
logique?
(2)
Jean
Cavaillès,
Logique
mathématique
et
syllogisme,
Revue
philosophique
de
la
France
et
de
l'étranger,
123
(mars-avril
1937),
163-175.
(3)
J.
Cavaillès,
Sur
la
logique
et
la
théorie
de
la
science
(cité
dorénavant
LTS)
(Paris
:
Vrin,
1997),
39.
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