Où en est l'Europe de l'Est? Éléments d'introduction: Divers noms: PECO, Europe orientale, Europe balkanique. L'Europe de l'Est regroupe sur 2,2 millions de Km² vingt Etats européens qui jusqu'en 1989-90 faisait partie soit directement de l'URSS soit avaient été intégrés à son glacis protecteur en 1945. Trois sous-ensembles régionaux forment l'Europe de l'Est: - Europe centrale: Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie - Europe orientale: Lettonie, Lituanie, Estonie, Biélorussie, Ukraine, Moldavie - Europe balkanique: Albanie, Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie, Kosovo, Monténégro, Macédoine. Grèce est balkanique géographiquement mais appartient à Europe méditerranéenne (du Sud). 37% du territoire européen, 31% de la population mais seulement 9% du PIB. Des constructions étatiques encore récentes et parfois conflictuelles. La chute du système soviétique a entrainé un nouveau tropisme occidental mais la transition économique se fait de manière inégale sur le territoire. 10 pays membres de l'UE: Slovénie, Slovaquie, Lituanie, Lettonie, Estonie, République Tchèque, Hongrie, Pologne, Roumanie et Bulgarie. PB: Vingt ans après l'éclatement de l'URSS, la fracture Est/Ouest existe-t-elle encore ou a-t-elle été remplacée par une fracture Est/Est? I- Des clivages qui s'accentuent d'ouest en est et qui font apparaître plusieurs Europe: A- Un traumatisme démographique sensible: - 80% de la région (particulièrement les régions rurales reculées en voie de marginalisation et régions d'industries traditionnelles en déclin) touché par traumatisme démographique: Déficit prononcé des naissances sur les décès, soldes migratoires faibles ou négatifs, poids de la surmortalité, vieillissement rapide, net décalage dans l'espérance de vie. → L'Europe centrale perd 2,2 millions d'habitants entre 1990 et 2009, l'Europe Orientale en perd 7 millions entre 1990 et 2008 (Ukraine perd 5 millions d'habitants en 15 ans!) → Mortalité infantile oscille entre 3,1 et 12 ‰ dans la région → Accroissement de la natalité négatif en Europe Centrale et Orientale, positif en Europe Balkanique. Plus fort taux en Albanie: 0,7% en Albanie. 1 → émigration: touche majoritairement l'Europe balkanique (un Albanais sur trois a émigré, deux sur trois cherchent à le faire) et l'Europe orientale. B- La crise de 2008 souligne l'inégale transition économique en Europe de l'Est: - Dépendance aux investissements étrangers et forte ouverture induisent fragilité structurelle (fuite accélérée des capitaux et forte dévaluation des monnaies face à l'Euro) mise en lumière par crise financière entre 2008 et 2010. Croissance totale très faible (voire négative), PIB/ habitant et niveau de vie bas ou moyens, explosion des inégalités sociales (entre ceux qui bénéficient de la transition et ceux qui en sont exclus), large sous-emploi, chômage qui touche massivement les jeunes (Pologne, Bulgarie, Roumanie), économie informelle croissante → septembre 2008: l'encours des prêts bancaires aux Etats d'Europe de l'Est représentait 75% du PIB régional → Intervention du FMI à la demande de Lettonie, Hongrie, Serbie, Roumanie, Pologne et Ukraine en 2008-2009. → Transition mieux réussie en Europe centrale: économie s'effondre de 20% entre 1989 et 1992, mais évolue de 43% entre 1989 et 2009 (65% de hausse dans la période 1992-2009). Pologne fait preuve du plus grand dynamisme. Elle passe de 38% à 45% de l'économie régionale alors que Roumanie et Bulgarie régresse. → Crise économique plus longue en Europe Orientale: économie chute de 50% entre 1989 et 1996. Remonte jusqu'en 2008 mais en deçà niveau initial. PIB/habitant baisse de 60% en Moldavie, 45% en Ukraine. PIB/habitant d'un Estonien (plus de deux fois inférieur à celui d'un Français) est dix fois supérieur à celui d'un moldave (17 300$ contre 1809$ en 2008). → PIB de l'Europe balkanique s'effondre de 44% entre 1989 et 1993, augmentation jusqu'en 2008 sans parvenir au niveau initial → Criminalisation de l'économie en Albanie, Monténégro C- Des inégalités territoriales patentes: - Inégalités entre capitales et provinces. Capitales profitent en premier de l'introduction de l'économie de marché. → salaires plus élevés, chômage plus faible. Budapest: 40% de la population urbaine du pays, 35% des salariés du secteur tertiaire mais 70% des IDE. 2 → Métropolisation inégale. Naissante en Roumanie, Bulgarie, Ukraine... Avancée en Tchéquie, Slovaquie, Hongrie. - Inégalités entre espaces industriels diversifiés et espaces mono-industriels (mines, sidérurgie) ou entre espaces agricoles modernisés et espaces bloqués. →Pologne, valeur ajoutée par habitant varie selon les districts de 37 à 197 (pour moyenne nationale de 100, différentiel de 5,3) - Entre régions occidentales et orientales. URSS: priorité donnée aux régions orientales. Après 1991: priorité aux régions occidentales. → Réapparition césure traditionnelle: Bratislava attirée par Vienne polarise les emplois, face à régions frontalières de l'Ukraine en difficulté avec la reconversion des industries lourdes (Emploi qui recule de 15 à 25% en quinze ans). - Entre régions frontalières ouvertes et fermées → Dynamisme du Sud-Est Bulgare et Roumain ouvert sur la mer noire et la Turquie par opposition au déclin de la zone frontalière avec Serbie et Macédoine. D- Des clivages géopolitiques majeurs au sein de la région: 1- Des ancrages politiques différents: Apparition ou réapparition d'un fort tropisme occidental → Pologne alignée sur Royaume-Uni, Grande-Bretagne. Pays qui se pose comme interface entre UE et Europe Orientale. → République Tchèque, Hongrie, Slovaquie entretiennent de forts liens économiques, diplomatiques et culturels avec l'Allemagne → La Roumanie fait valoir sa spécificité latine en se rapprochant de la France et de l'Italie → Bulgarie (pro-russe) mise sur coopération avec Turquie → Moldavie, Ukraine s'appuient sur Roumanie et Bulgarie afin d'entrer dans l'OTAN et l'UE → Ukraine cherche à se défaire de l'emprise russe (partagée entre pro-Russes à l'Est et prooccidentaux à l'Ouest) → Adhésion balte à l'OTAN en 2004. Etats-Unis vus comme rempart contre Russie 2- Une stabilité politique relative: 3 - Europe Orientale caractérisée par des gouvernement faibles ou autoritaires → Biélorussie: Alexandre Loukachenko réélu pour un quatrième mandat consécutif avec près de 80% des voix en décembre 2010. Résultats mis en doute par l'OSCE. Répression violente des manifestations par la police (arrestation de sept des neufs candidats de l'opposition). Ukraine félicite le « vainqueur » (de même que président Kazakh). → Gouvernement moldave qui utilise antagonisme avec Russie pour se maintenir au pouvoir → Grande fragilité des Etats balkaniques, danger des rhétoriques nationalistes 3- Revendications nationales et identitaires: - La question de l'identité nationale (apparue après 1918) et des minorités reste délicate → Minorités hongroises dans le sud de la Slovaquie (1,5 millions), en Voïvodine serbe, en Transylvanie roumaine, en Ukraine → Fortes minorités russes dans les pays baltes (tensions entre minorités russes et gouvernements baltes, particulièrement en Estonie) et en Ukraine (22% de la population, 60% en Crimée) → Relations étroites entre la Russie et la Biélorussie qui partagent la même langue, l'origine slave: volonté d'une union de type confédéral → L'Europe Balkanique est confrontée aux revendications des Albanais de Macédoine (insurrection depuis 2001), Serbes de Bosnie, Serbes du Kosovo. - Autodétermination réclamée. Velléités sécessionnistes clairement affichées dans les Balkans. 4- La problématique des Etats autoproclamés: - Les guerre balkaniques de 1992 à 1995 ont laissé un souvenir douloureux dans la région (300 000 victimes en quatre ans) mais avec l'exacerbation des nationalismes: apparition d'Etats indépendants autoproclamés. Occidentaux semblent soutenir ces mouvements indépendantistes. → Indépendance du Kosovo le 17 février 2008: reconnue par une quarantaine d'Etats. Espagne s'y oppose, de même que Russie (qui fait valoir son veto quant à adhésion du Kosovo à l'ONU), Roumanie, Slovaquie, Grèce et Serbie par peur d'un effet domino → Référendum non reconnu internationalement déclare Transnistrie indépendante de la Moldavie (65% de roumanophones) en décembre 1991. Majorité de slaves en Transnistrie (30,4% de Russes, 29% d'Ukrainien). Région qui représente 40% du potentiel industriel pour moins de 10% 4 de la population. → Proclamation d'indépendance de la République serbe de Bosnie en 1992 (les accords de Dayton en font une collectivité territoriale autonome et non une république). II- Après 1991, une nouvelle européanisation: A-Trois bouleversements en moins d'un siècle: 1- La création des Etats-nations: - Après 1918, création d'Etats-nations issus du Reich allemand, des empires austrohongrois, russe et ottoman. Configurations étatiques et nationales fragiles où les césures historiques du territoire ne sont pas effacées (résurgence après 1991). → Eclatement des fédérations yougoslave et tchécoslovaque en est bon exemple. - Présence de nombreuses minorités dans pays de la région - Révolution industrielle tardive et dominée par acteurs extérieurs - Modèle démocratie politique s'impose lentement 2- L'imposition de la domination soviétique: - Construction de sociétés et d'économies tournées vers l'Est → hausse des niveaux de vie, modernisation des infrastructures mais mise en place de blocages institutionnels, politiques et socio-économiques - Disqualification progressive tant démocratique qu'économique du système soviétique → Déséquilibre du développement par industrie lourde (hypertrophie du secteur industriel), services périproductifs (transport, négoce, commerce) supprimés, classe laborieuse glorifiée, cadres, ingénieurs et techniciens déconsidérés 3- Une réorientation vers l'Ouest à partir de 1989: - Effondrement système communiste entraine établissement systèmes démocratiques, passage à l'économie de marché (plus ou moins brutal: Pologne, Hongrie, Tchéquie), nouvel ancrage à l'Europe occidentale → De 1994 à 2010: adhésions ou demandes d'adhésions à l'UE et à l'OTAN → En 1988, ONU évalue à 15 ans la période d'alignement de la République Tchèque 5 sur l'UE. 34 à 36 ans pour Roumanie... B- Une modernisation par le capital étranger synonyme de dépendance et d'inégalités: - En 15 ans, l'UE passe de 30% à 70% du commerce extérieure de la région. Hypersélectivité sectorielle, fonctionnelle et spatiale des investissements occidentaux. L'Europe de l'Est est la région où les inégalités régionales se sont le plus vite développées. → Après éclatement URSS, firmes transnationales occidentales se développent en Europe de l'Est. En dix ans, région accueille 568 milliards USD d'IDE mais ne représente que 5% du stock mondial d'IDE de l'UE à 15. - Accentuation des déséquilibres régionaux, les deux tiers des IDE sont polarisés par quatre pays. → Pologne (28%), République Tchèque (20%), Roumanie (13%), Hongrie (11%) - Intégration fragmentée →Sur 53 régions de République Tchèque, Slovaquie, Pologne, et Hongrie, 14 présentent une mixité des activités économiques. Régions restantes sont caractérisées par hypertrophie du secteur industriel ou agricole (40% des revenus). Risques accrus de chocs structurels - Firmes occidentales dominent des pans entiers de l'économie de certains pays de la zone. → Banques étrangères contrôlent plus de 95% des banques locales en République Tchèque, en Lituanie, Estonie, Slovaquie et plus de 75% en Hongrie. → Rachat du groupe tchèque Skoda et du slovaque BAZ par Volkswagen (45% de ces marchés nationaux détenu par groupe allemand, constructeur français Renault détient 60% du marché roumain grâce à Dacia) - Spécialisation sectorielle sur activités de moyen ou de bas de gamme, faible ou moyenne valeur ajoutée, situation qui favorise bas salaires. → montage automobile: Fiat Panda produite en Pologne, montage Seat Ibiza transféré d'Espagne en Slovaquie → appareils électriques et électroniques, textile-habillement, chimie-pharmacie III- L'apparition d'un « Ouest » et d'un « Est » en Europe de l'Est: A- L'ancrage à l'ouest induit une dépendance dangereuse: 6 - L'Europe de l'Est se retrouve dans situation de dépendance financière, commerciale, industrielle et technologique quasi-totale → le solde commercial des nouveaux adhérents ne cesse de se dégrader. Echanges équivalent à 65% du PIB Vulnérabilité croissante de la région face à un retournement de la conjoncture internationale B- Une transition économique qui n'aboutit pas: - La « fin des paysanneries européennes » n'a pas eu lieu. Des campagnes qui n'ont pas été modernisées. Processus de « ré-ruralisation », retour à la ferme en Roumanie. → Les employés du secteur agricole passe de 10,3 millions à 6 millions mais restent considérables en Pologne et Roumanie: 5 millions d'actifs. - Les bassins industriels (région de Silésie, Ostrava en République Tchèque) conservent un poids économique et démographique conséquent. Effets de la crise de restructuration (ex: charbon polonais) se fait de plus en plus sentir Difficultés de ces bassins à se reconvertir. Europe de l'Est entre dans crise qu'Europe occidentale a connu de 1950 à 1980 - Economie illicite (trafic de drogues, d'armes, traite des femmes) de plus en plus importante. Rôle croissant des mafias dans les économies balkaniques → Monténégro: paradis pour mafias russes et italiennes après indépendance de 2006. Signature d'un accord de stabilité et d'association avec UE: fin du trafic de cigarettes mais remplacement discret par trafic de drogue C- L'unité entre les trois sous-ensembles régionaux n'existe pas: - Les trois systèmes régionaux ont des trajectoires différentes → Modernisation et intégration toujours plus grande de l'Europe centrale (six pays la constituant sont membres UE) → Retard persistant de l'Europe orientale. Les pays baltes se différencient par situation sociale et économique par rapport à Biélorussie, Ukraine et Moldavie (pour autant ils restent en dessous des moyennes communautaires) → Développement de l'Europe balkanique grevé par instabilité géopolitique 7 D- Vers un renforcement du clivage Europe/Russie? 1- L'avenir de l'Europe orientale dépend de Washington, Bruxelles et Moscou: L'Europe de l'Est est une caisse de résonance de la vieille opposition entre Europe occidentale et Russie. - l'opposition entre populations pro-occidentales et pro-russes fragilise les sociétés d'Europe de l'Est → Le souvenir de la domination russe (du XVIII siècle à 1991 entrecoupée d'une courte période d'indépendance de 1920 à 1940) empoisonne les relations entre pays baltes et Russie. L'intégration des minorités russes est très laborieuse. Estonie n'a pas réglé le litige frontalier l'opposant à son voisin. La Lituanie conteste l'existence de l'enclave de Kaliningrad (Allemagne et Pologne également) → L'amélioration des relations entre les Etats baltes et la Russie passe donc avant tout par une bonne entente entre l'UE et l'OTAN auxquels les premiers ont adhéré en 2004 - Pour les Russes, l'adhésion des Etats baltes à l'OTAN illustre la politique occidentale d'encerclement de la Russie - La division entre pro-occidentaux et pro-russes en Ukraine symbolise également les courants antagonistes traversant la région → Suite à « révolution orange » en Ukraine (2005) président pro-occidental soutenu par administration Bush voulait adhérer à l'organisation. Mais retour au pouvoir en février 2010 du président pro-russe Viktor Ianoukovitch a entrainé rapprochement avec Russie et abandon projet d'adhésion. Ukraine reste pays « non aligné », satisfaction russe → A la faveur nouveau changement politique, demande d'adhésion à OTAN et UE peut être relancée. Sécession de la Crimée (plus de 60% de russophones) si adhésion à l'OTAN? Russes veulent protéger leur flotte à Sébastopol « Guerre du gaz » possible? Essentiel gaz européen provient de Russie via l'Ukraine. Comme en 2008-2009, la Russie pourrait décider de couper les robinets. → Entente entre Bruxelles (UE moins dangereuse car union économique et non pas stratégique) et Washington conditionne rapports russo-ukrainiens - Quid de la Moldavie? Sécession de la Transnistrie est autre pierre d'achoppement entre 8 Europe et Russie. Propagande anti-russe et discours de victimisation des Moldaves contre sentiments anti-moldave de la Transnistrie. Russie n'a pas reconnu ouvertement Transnistrie comme Etat indépendant mais fournit passeport russe aux sécessionnistes → Moldavie incapable d'agir militairement face à la puissance russe et à l'immobilité européenne. Création système confédéral rattachant Transnistrie à Moldavie? Rattachement de la Moldavie à la Roumanie? (depuis 2002, gouvernement moldave permet à citoyens de prendre nationalité roumaine pour avoir passeport et circuler dans l'UE) → Situation dépend en grande partie de l'entente entre Moscou et l'occident 2- Une européanisation des Balkans? - Juin 2003, sommet européen de Thessalonique: « vocation de l'Europe balkanique à intégrer l'Union européenne ». Quel pays (Croatie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Kosovo, Macédoine, Albanie) et quand? → Croatie semble la mieux placée pour rejoindre l'UE. - Adhésion à l'UE des pays balkaniques permettrait d'apaiser revendications nationales et identitaires. Apaisement des sociétés permettant modernisation et développement économique - A l'inverse, crise économique pourrait attiser velléités sécessionnistes. Albanais de Macédoine, Serbes de Bosnie et du Kosovo revendiquent droit à l'autodétermination dont ont bénéficié les Kosovars. Perspective favorisant stagnation économique et tensions géopolitiques - Création d'une « Grande Albanie » est-elle possible? → fédération entre Albanie, Kosovo (90% d'albanophones), et Albanais de Macédoine (25% de la population). Peu probable. Albanie pays le plus pauvre d'Europe de l'Est avec Moldavie. Macédoine veut adhérer à OTAN mais Grèce bloque processus. Elle conteste appropriation de l'héritage hellénique par Macédoniens qui pourraient à la suite faire valoir leurs droits sur les provinces du Nord de la Grèce → L'indépendance autoproclamée du Kosovo est problématique. Crée un précédent. Risque de contagion à la Slovaquie, Grèce, Roumanie? L'européanisation se fera-t-elle ou assistera-t-on à une balkanisation du reste de la région? 9 10 11