Questions pour un champion en réanimation 351
TRAITEMENT D’UNE ACIDOSE METABOLIQUE
J. Levraut, P. Garcia, K. Giunti, D. Grimaud, Département d’Anesthésie-Réanimation
Hôpital Saint-Roch - 5 rue Pierre Dévoluy 06006 - NICE Cedex 01.
INTRODUCTION
La survenue d’une acidose métabolique traduit le plus souvent l’existence d’un
déséquilibre métabolique grave et doit en être considérée comme la conséquence. Le
traitement d’une acidose métabolique est donc avant tout étiologique et doit reposer sur
celui de la pathologie causale, attitude de principe qui sera parfois à nuancer en fonction
du type d’acidose métabolique (organique ou minéral) et de son intensité.
1. RAPPELS PHYSIOLOGIQUES ET PHYSIOPATHOLOGIQUES[1]
1.1. NOTIONS DE pH ET DE SYSTEME TAMPON
Le pH sanguin artériel est normalement finement régulé dans une fourchette étroite
de valeurs comprises entre 7,37 et 7,43. Le pH correspond à la concentration d’ions H+
libres. Pour un pH = 7,40, cette concentration est proche de 40 nmoL-1, ce qui est
négligeable, comparé par exemple à la concentration sanguine de bicarbonates qui est
normalement de 25 mmoL-1, soit un facteur multiplicateur de plus de 600 000 entre les
deux ! Cette régulation du pH sanguin est permise grâce à la présence de systèmes tampons,
c’est à dire de molécules capables d’accepter ou de libérer des ions H+ en fonction du pH
ambiant et de leur constante de dissociation. On distingue deux types de système tampon
dans le sang : les systèmes fermés et le système ouvert.
Les systèmes fermés sont ceux dont la concentration totale, c’est à dire la somme des
formes dissociées et non dissociées est fixe dans un compartiment donné. Dans le sang,
c’est le cas des systèmes protéines/protéinates (albumine et hémoglobine principalement)
et du système phosphate monosodique/phospate disodique. A l’inverse, un système tampon
est dit ouvert si une des deux formes est capable de se distribuer en dehors du compartiment
d’origine. Ainsi, le système bicarbonate-CO2 , principal système tampon plasmatique, est
un système ouvert. En cas de surcharge acide, le bicarbonate (HCO3-) se combine aux
ions H+ pour donner CO2 et H2O. Le CO2 produit est alors éliminé par voie pulmonaire,
ce qui aboutit in fine à une baisse isolée des bicarbonates circulants. Ce système aboutit
donc à la transformation d’ions H+ métaboliques en ions H+ volatils, éliminés par voie
pulmonaire. Ainsi, la caractéristique de ce système tampon est qu’il ne se limite pas à un
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tamponnement de protons au sens strict du terme, mais à une véritable élimination de la
charge acide, au prix d’une diminution des bicarbonates circulants.
A l’équilibre, le pH sanguin est déterminé par l’action de chaque système tampon T1
à Tn. Selon la loi d’action de masse, on peut donc écrire :
pH = pK + log ( T
TH
) = pK + log ( T
TH
) = pK + log ( T
TH
) = ... pK + log ( T
TH
)
11
1
22
2
33
3
nn
n
Pour le système ouvert, HCO3-/CO2, on peut ainsi écrire :
pH = 6,10 + log ( [HCO
0,03 x PaCO
3
2
])
6,10 étant la constante de dissociation de ce système à 37°C et 0,03 la constante de
solubilité du CO2 dans le sang (40 mmHg de PaCO2 correspondent donc à 1,2 mmoL/l de
CO2 dissous). Cette équation s’appelle l’équation d’Henderson-Hasselbalch. C’est avec
elle qu’est calculé le taux de bicarbonates sanguins, puisque seuls pH et PaCO2 sont
mesurés par les appareils à gazométrie. Le CO2 total, qui lui, est mesuré, correspond à la
somme du bicarbonate, de l’acide carbonique et du CO2 dissous. Quand on réalise une
gazométrie, il est recommandé de comparer le taux de bicarbonate calculé au CO2T mesuré
et de s’assurer qu’ils ne diffèrent pas de plus de 2 mmol.L-1. Dans le cas contraire, il est
recommandé de renouveler la mesure, une faute de prélèvement artériel étant probablement
à l’origine de cette différence [2].
1.2. CONCEPTS GENERAUX SUR L’ACIDOSE METABOLIQUE
1.2.1. GENERALITES
L’acidose métabolique est le processus physiopathologique tendant à abaisser le pH
du sang artériel par perte de tampon bicarbonate. Elle aboutit généralement à un
pH artériel inférieur à 7,35 associé à un taux de bicarbonates plasmatique inférieur à
22 mmol.L-1. L’acidémie (c’est à dire l’intensité de la baisse du pH) qui résulte de la
baisse des bicarbonates circulants est fonction de la réponse ventilatoire. Celle-ci est
normalement prévisible en fonction du taux de bicarbonates artériels chez le patient en
ventilation spontanée. En effet, le système bicarbonate-CO2 est un système tampon ouvert
et régulé. En cas de surcharge acide, les centres respiratoires sont stimulés, ce qui permet,
certes d’éliminer le CO2 produit à partir du tamponnement des ions H+, mais surtout
d’abaisser la PaCO2 de façon à limiter encore plus les variations de pH induites. Cette
baisse de la PaCO2 est prévisible selon des nomogrammes préalablement établis chez des
patients en ventilation spontanée présentant une acidose métabolique pure [3].
Si la PaCO2 observée est égale (à 2 mmHg près) à la PaCO2 prévisible, l’acidose
métabolique est pure.
Si la PaCO2 observée est supérieure à la PaCO2 prévisible, il existe une acidose
respiratoire associée (acidose mixte).
Si au contraire, la PaCO2 observée est inférieure à la PaCO2 prévisible, il existe une
alcalose respiratoire associée (trouble complexe).
Chez le patient en ventilation contrôlée, la PaCO2 n’est évidemment que le reflet du
réglage du respirateur qui va déterminer le niveau de ventilation alvéolaire.
1.2.2. ACIDOSES METABOLIQUES ORGANIQUE ET MINERALE (TABLEAU I)
Classiquement, on distingue l’acidose métabolique organique, normochlorémique, à
trou anionique élevé de l’acidose minérale, hyperchlorémique, à trou anionique normal.
Cette distinction n’a pas qu’un intérêt théorique, tant sur le plan des conséquences que
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sur celui du traitement. Des quantités importantes d’acides organiques sont produits
physiologiquement, mais le bilan net en terme de pH est nul car le métabolisme des sels
de l’acide correspondant aboutit à l’équivalent d’une production équimolaire de
bicarbonate. Ainsi, nous produisons physiologiquement 1 500 mmol d’acide lactique
chaque jour, ce qui est considérable comparé par exemple aux 150 mmol d’ions H+
quotidiens provenant des déchets azotés.
Tableau I
Principales causes des acidoses métaboliques
ELARENIMEUQILOBATEMESODICA
)eimérolhcrepyh,lamroneuqinoinauort(
*elanérecnasiffusnI
enilaclaeéhrraiD
eriailibelutsiF
selanérserialubutsesodicA
emsinorétsodlaopyH
HNedsfissecxestroppA
4
lCHsyL,lCHgrA,lCH
euqinobracesardyhnaledsruetibihniselrapnoitacixotnI
EUQINAGROEUQILOBATEMESODICA
)eimérolhcomron,éveléeuqinoinauort(
:esodicaotéC
etèbaiD
)++euqiloocla(égnolorpenûeJ
:euqitcalesodicA
erialussiteixopyhenucevatropparne,AepyT
cohcedstatE
seriotaripsersessertéD
seuqigolohtapsenibolgoméh,semêrtxeseiménA
emêrtxetneloiveuqisyhpecicrexe,fisluvnoclamedtatE
etnedivéeixopyhsnas,BepyT
elanimreteuqitapéhecnasiffusnI
ednoforpruemuT
elarécsivitlumecnalliaféd,sispeS
seuqilobatémseidalaM
:snoitacixotnI
locylg-enèlyhtE
lonahtéM
eniripsA
évelétnemmeuqérftseeuqinoinauortel,euqinorhcelanérecnasiffusniledsruocua*
siam,setaflusseltesetahpsohpseleuqsletxuarénimsnoinadnoitnetéraledtiafud
snovalsuonleuqelsnadsnesuaeuqinagroeuqilobatémesodicaenudsaptigasenli
.etxetelsnadiniféd
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Le bilan acidobasique est cependant nul car chaque bicarbonate consommé par un ion
H+ est régénéré par le métabolisme (principalement hépatique) du lactate. Par contre, en
cas de surproduction d’acide lactique (hypoxie) ou de défaut d’utilisation du lactate
(insuffisance hépatique sévère), il apparaît un déséquilibre aboutissant à une augmentation
du lactate circulant accompagnée d’une diminution parallèle des bicarbonates (d’où une
variation du trou anionique égale à celle des bicarbonates).
Ainsi, l’acidose organique est la conséquence d’un déséquilibre entre le flux de
production d’un acide organique et le flux d’utilisation du sel de cet acide [2]. La
conséquence directe est que le traitement de ce type d’acidose reposera principalement
sur le traitement de la cause du déséquilibre entre production et utilisation métabolique
du sel de l’acide organique, de façon à régénérer le taux de bicarbonate (par exemple
traitement de l’hypoxie tissulaire en cas d’acidose lactique secondaire à un choc). Au
contraire, l’acidose métabolique minérale est secondaire à une perte vraie de bicarbonate
avec diminution du pool global bicarbonaté. Celle ci peut-être secondaire à une perte
rénale ou digestive de bicarbonate ou à une rétention des déchets acides du métabolisme
azoté. Dans ce cas, la restauration du pool bicarbonaté pourra se faire par synthèse
endogène de bicarbonate si l’acidose minérale est modérée et peu durable, ou nécessitera
la correction de la perte en bicarbonate par un apport exogène de base tampon.
2. CONSEQUENCES D’UNE ACIDOSE METABOLIQUE AIGUE
Il est très difficile d’individualiser les conséquences propres de l’acidose métabolique
de celles de la pathologie qui en a été à l’origine. Au cours d’un état de choc par exemple,
il est clair que l’hypoperfusion tissulaire induit de multiples conséquences, sans que l’on
puisse savoir si l’acidose qui l’accompagne est réellement un facteur aggravant ou
simplement un stigmate de la gravité de l’hypoxie. Il semble bien cependant que l’acidose
métabolique per se soit capable de déprimer l’inotropisme cadiaque [4], de diminuer
l’effet des catécholamines et de géner l’efficacité d’une cardioversion [5]. Il est probable
que les effets délétères de l’acidose soient la conséquence d’une acidification du pH
intracellulaire. Celle-ci est responsable d’une modification de la charge des protéines
puisque ces dernières jouent leur role de tampon non-bicarbonate. Cette positivation de
la charge des protéines intracellulaires pourrait être à l’origine de modifications de la
structure et de la fonction des protéines contractiles et de certains systèmes enzymatiques.
On sait par exemple que la phosphofructokinase, enzyme clé de la glycolyse anaérobie,
est inhibée par l’acidose intracellulaire. Cette inhibition est protectrice vis à vis de l’acidose
intracellulaire puisque la production d’acide lactique est alors diminuée, mais elle est
délétère en terme de production énergétique puisque la glycolyse anaérobie est la seule
source d’énergie en cas d’acidose secondaire à une hypoxie.
Cependant, des travaux expérimentaux retrouvent un effet protecteur de l’acidose
contre les effets propres de l’hypoxie [6-8]. Il semble en effet qu’une diminution du pH
intracellulaire agisse comme un signal induisant une mise au repos du métabolisme
énergétique cellulaire, cette diminution des besoins énergétiques ayant un effet protecteur,
un peu comme le ferait une hypothermie. Il est donc bien difficile de répondre
objectivement à la réponse des conséquences propres de l’acidose métabolique sur la
morbidité et la mortalité.
Questions pour un champion en réanimation 355
Il est probable que les effets de l’acidose minérale et de l’acidose organique sur le pH
intracellulaire soient différents. En effet, en cas d’acidose minérale, c’est la surcharge
acide plasmatique qui retentit sur le pH intracellulaire alors qu’en cas d’acidose organique,
c’est l’inverse qui se produit, puisque c’est l’excès de production cellulaire acide qui
entraîne l’acidose plasmatique. Ainsi, en cas d’acidose minérale c’est la surcharge acide
extracellulaire qui tend à abaisser le pH intracellulaire, alors qu’en cas d’acidose organique,
c’est la surcharge acide provenant du secteur cellulaire qui acidifie le sang. Or, la plupart
des cellules sont bien protégées contre les variations du pH extracellulaire. Par exemple,
une variation du pH extracellulaire de 7,40 à 6,80 (à PCO2 constante) entraîne sur un
hépatocyte humain une variation du pH intracellulaire inférieure à 0,10 U pH (données
personnelles). Si cette même cellule est soumise à une hypoxie, induite par du cyanure
par exemple, il apparaît alors une acidose intracellulaire sévère, quel que soit le pH
extracellulaire (à PCO2 constante). Il semble donc que les cellules soient bien protégées
contre les acidoses minérales alors qu’elles le seraient peu contre les acidoses organiques.
3. TRAITEMENT DE L’ACIDOSE METABOLIQUE
3.1. TRAITEMENT ETIOLOGIQUE
La distinction entre acidose minérale et acidose organique est fondamentale, puisque
dans le premier cas il existe une perte vraie de base tampon alors qu’au cours de l’acidose
organique, la diminution des bicarbonates est la conséquence d’un défaut de transformation
des sels d’acide organique en bicarbonates. La conséquence directe est que le traitement
de l’acidose minérale ne pourra qu’être symptomatique, basé sur l’apport exogène de
base tampon, alors que le traitement de l’acidose organique sera étiologique, permettant
le métabolisme des sels d’acide en bicarbonate.
Ainsi, au cours de l’acidose lactique secondaire à une hypoxie tissulaire, il faudra
essayer de traiter la cause de l’hypoxie en augmentant les apports tissulaires d’O2
(augmentation du débit cardiaque, correction d’une anémie et d’une hypoxémie, traitement
d’une hémoglobine pathologique si besoin (intoxication au CO, méthémoglobinémie …)),
en diminuant les besoins en O2 (sédation si nécessaire, ventilation artificielle…), voire en
améliorant l’extraction tissulaire d’O2[2]. La restauration du débit hépato-splanchnique
au cours du traitement des états de choc cardiogéniques est un des facteurs essentiels à la
diminution de l’acidose lactique car elle permet une reprise du métabolisme hépatique du
lactate. Lorsque les thérapeutiques visant à améliorer l’oxygénation tissulaire sont
inefficaces et que l’acidose lactique est majeure, on pourra alors discuter les traitements
symptomatiques.
Au cours de la cétoacidose diabétique, l’acidose organique est rarement pure car la
cétonurie élevée chez ces patients polyuriques est à l’origine d’une perte importante de
tampons dans les urines. En effet, contrairement au lactate, les corps cétoniques ne sont
pas réabsorbés dans le tubule rénal. Ceci est à l’origine d’une perte nette de tampons
potentiels et explique la part minérale fréquemment observée de l’acidose métabolique [9].
En pratique, il est conseillé de démarrer le traitement de la cétoacidose en cherchant
seulement à corriger la part organique de l’acidose métabolique (insuline, réhydratation
et potassium). S’il persiste une acidose notable (CO2T < 15 mmoL.-1 et pH < 7,20) malgré
une normalisation du trou anionique et une disparition de la cétonurie, on est alors en
droit de perfuser des solutés tampons pour corriger la part minérale de l’acidose qui
correspond à la perte urinaire de corps cétoniques.
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