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résiste aux déchirements. Les solutions cherchées dans les illusions, la fuite en avant ou le refus
de la réalité sont le contraire de la santé psychique. La santé comme résistance aux chocs ne
consiste pas à se maintenir dans l’assistance ou la dépendance, dans une sécurité surprotégée ;
mais à trouver soi-même sa voie, à s’ouvrir à l’avenir. Dolto va jusqu’à faire un parallèle entre
le surmontement des crises et la résurrection au sens religieux et spirituel : « cet ‘éveil’ ou cette
résurrection de l'être vivant après la séparation de son placenta est une image de ce qu'est après
la mort d'un mode de vie connu la résurrection de l'être de désir que je suis, que nous sommes
tous. Après la perte de qui nous paraît indispensable pour vivre et qui est laissé à la corruption,
nous naissons à une nouvelle connaissance d’un vivre, impensable auparavant.
».
L’autre expérience de la résilience « appliquée », si l’on ose dire, est la pédagogie. Là encore, il
faut éviter l’erreur de croire que la réussite consiste à éviter l’échec, et il vaut mieux
promouvoir une éthique de la résilience qui consiste à surmonter l’échec. Le danger
compassionnaliste est d’offrir à un élève en difficulté une exclusion en version douce, portée
par une bienveillance qui le cantonne, parce qu’il est malchanceux, dans le camp des
marginaux qui sont, certes, reconnus et respectés, mais, pour ainsi dire, institutionnellement
installés dans un déclassement définitif en tant que victimes prévisibles d’un échec scolaire
anticipé. A cette égalisation dans la marginalité, l’élève préfèrera sûrement une égalité de
participation à des projets de sens dont la tâche de l’école est de lui en donner la force. Force
contre violence : voilà la résilience. Même si cela paraît paradoxal et choquant, il est salutaire
qu’un élève en difficulté puisse faire de sa difficulté même une force, quand on ne l’incite pas à
en faire sa faiblesse. Telle serait l’éthique de la résilience : fais de ton malheur une force,
transforme la malchance en chance. N’est-ce pas un peu la leçon de Machiavel, pour qui
provoquer la fortune, changer la fortune à son avantage est la marque de la virtú, ce qui peut
s’appliquer à la compétence d’un chef militaire aussi bien qu’à la sagesse d’un chef d’Etat ?
Une certaine philosophie de la vie
Ces deux exemples montrent que la résilience suppose une certaine philosophie de la vie. Que
la vraie vie n’est pas celle qui se préserve de la souffrance et du négatif, mais celle qui la
surmonte. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il faille faire l’apologie de la souffrance au
nom d’une quelconque idéologie barbare ; il s’agit de prendre en compte l’inévitabilité de la
souffrance, parce que la séparation, la maladie et la mort restent la marquent de notre finitude.
Mais la résilience suppose que l’on choisisse entre deux philosophies de la vie. Nous cultivons
Françoise Dolto, G. Sévérin, L’évangile au risque de la psychanalyse, Points, 1977, tome II, p. 165.