Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Philosophie du Droit 1. Cours du 20 septembre 2012 ATF 129 I 217 Ce cas concerne l’autonomie décisionnelle d’une commune en matière de naturalisation (cas de naturalisation par les urnes). Les citoyens de la commune d’Emmen votaient pour décider si oui ou non les requérants étaient naturalisés. On se demande donc si ces décisions peuvent être prises démocratiquement, garantissant une certaine liberté de vote. La démocratie s’oppose au droit (État de droit, principe d’interdiction de l’arbitraire). La question est donc de savoir si le peuple communal est lié par le droit ou s’il est complètement libre de ses choix. L’art. 35 Cst. précise ainsi que « quiconque assume une tâche de l’État est tenu de respecter les droits fondamentaux et de contribuer à leur réalisation ». Les habitants de la commune assument-ils une tâche de l’État ? Même s’il n’existe aucun droit subjectif à la naturalisation, cette inexistence ne justifie pas un traitement arbitraire ou discriminatoire. Il s’agit à présent de présenter les deux positions concernant ce cas. Le premier point de vue défendait l’autonomie communale et la décision prise par les habitants. Il s’agissait ainsi d’une décision démocratique. Ce point de vue se basait sur la souveraineté du peuple opposée aux interventions étatiques. Le Conseil d’État a suivi cet avis, défendant l’autonomie décisionnelle de la commune d’Emmen. En effet, il estimait qu’il n’y avait pas véritablement de discrimination, les citoyens étant libres de décider intelligemment et cela malgré des tracts invitant à refuser les demandes de naturalisation émanant des citoyens de l’ex-Yougoslavie. En argumentant ainsi, le Conseil d’État mettait le TF en difficulté : certes le droit est supérieur, encore faut-il en constater l’application. Or, pour quelles raisons le TF (ou n’importe quel autre tribunal) serait-il mieux en mesure de décider que le peuple communal ? Ce genre de débat migre ainsi vers une opposition entre le peuple et les tribunaux. Le Conseil d’État affirme donc qu’il faut faire confiance au peuple, jugé apte à décider de manière objective et raisonnable. IUR III 2012-2013 1 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Au contraire, le deuxième point de vue (celui du TF au final) affirme que même le souverain populaire est lié par le droit. Il n’existe donc aucun souverain absolu (sans lien) qui ne serait pas lié et pourrait décider selon son arbitraire propre. Les décisions doivent être objectives (non arbitraires), motivées et non discriminatoires, même lorsqu’un vote populaire est mis en place, notamment pour la naturalisation. En somme, la Suisse est un État de droit, duquel nul ne peut se dérober et s’affranchir. Les principes généraux du droit l’emportent en encadrent toutes les décisions (souveraineté du droit, principe formulé par Aristote : selon lui, si on veut un régime constitutionnel, il faut admettre que c’est le droit qui dirige tout, et non pas un Homme ou des Hommes). Cela rappelle le principe de la légalité, fixant la prépondérance des lois dans un État de droit. Le TF affirme ainsi que le droit de vote et d’élection ne peut servir à fonder un droit à la reconnaissance du résultat d’un scrutin contraire au droit (ce droit sert à assurer qu’aucun résultat d’une votation ou d’une élection ne soit reconnu dans le cas où il n’exprime pas de manière fiable et inaltérée la libre volonté des citoyens). Ainsi, il est possible d’annuler un acte communal ou cantonal si celui-ci viole le droit supérieur, même s’il a abouti avec le concours de la majorité des citoyens (vote démocratique). Cette décision du TF a rendu furieux le canton et la commune, qui ont décidé de retenir et d’identifier les juges impliqués afin de ne pas les réélire. Se pose alors la question de l’indépendance des juges et de la constitution de l’ordre hiérarchique dans lequel on vit. Le rapport entre liberté de vote et droit se transforme donc en un rapport entre peuple, pouvoir et tribunal. Dans ce contexte, une initiative a été lancée afin de proposer que les décisions du corps électoral sur l’octroi du droit de cité deviennent définitives (inscription dans la Constitution, en créant un art. 38 al. 4, du caractère définitif de ce type de décisions). Le peuple a rejeté l’initiative et a donc donné raison au TF. La naturalisation est un domaine particulier du droit, affectant directement des personnes précises. De ce fait, les réactions sont souvent plus vives que lorsqu’on traite d’une législation abstraite. Or, se pose alors la question du contrôle de constitutionnalité de ce type de législations (en référence à l’immunité du droit fédéral). Autrement dit, serait-il bon d’introduire un contrôle abstrait ou concret de la constitutionnalité des lois fédérales ? Dans la logique IUR III 2012-2013 2 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit de la décision prise en matière de naturalisation, il faudrait aboutir à l’idée qu’à l’occasion d’un cas concret (au moins), le TF ne soit pas obligé d’appliquer une loi fédérale. Actuellement, le contrôle s’effectue sur la base de la CEDH (et de certains autres traités), vis-à-vis des droits fondamentaux. De ce fait, il ne semblait pas essentiel de modifier l’article de la Constitution instituant l’immunité du droit fédéral. En outre, un second instrument permet de garantir le bien-fondé des lois fédérales, avec une acuité certaine. En effet, le TF a précisé qu’il avait certes l’obligation d’appliquer les LF, sans toutefois se priver, si cela est nécessaire, de les commenter et de les critiquer. En outre, les procédures d’adoption des LF sont passablement longues en Suisse. De même, la population dispose de droits pour contester ce genre de décisions. En outre, ce sont des personnes directement élues par le peuple qui sont chargées de créer et de développer ces lois. Ainsi, elles sont l’expression, certes indirecte, de la volonté populaire. Le principe de la séparation des pouvoirs (démocratie) s’oppose ainsi à un contrôle constant des lois fédérales par le tribunal fédéral. Cela fait écho à la philosophie de Thomas Hobbes. A son avis, rien ne peut être au-dessus du souverain. De ce fait, il ne faut pas qu’il soit lié par les droits fondamentaux ou par d’autres principes. En effet, s’il est lié par le droit, il lui est soumis, ce qui est dans sa logique incompatible. La philosophie de Hobbes s’est installée lorsque le pouvoir a été pris par le parlement (et non pas au temps de la royauté). Dans le cadre de ce raisonnement, on se demande si le tribunal doit être au-dessus ou au service du pouvoir (comme le pense Hobbes). Le tribunal peut en effet se tromper, de la même manière que le peuple. Hobbes dit qu’il « n’existe pas chez les hommes de raison universelle sur laquelle aucune nation se soit mise d’accord, sinon la raison de celui qui possède le pouvoir souverain ». De ce fait, le souverain a raison parce qu’il est souverain (réadaptation du principe « la raison du plus fort est toujours la meilleure »). Hobbes ajoute que « la loi est le commandement de celui ou de ceux qui ont le pouvoir souverain, commandement adressé à ceux qui sont ses ou leurs sujets, et déclarant publiquement et clairement ce que chacun d’eux peut faire, et ce qu’il doit s’abstenir de faire ». IUR III 2012-2013 3 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit 2. Cours du 27 septembre 2012 Philosophie de Hobbes C’est à la suite de ses travaux que l’Angleterre est devenue une monarchie parlementaire. Il est précepteur du roi, même s’il ne fait pas partie directement de la noblesse anglaise. Son principal souci est de défendre l’absolutisme du roi. Ses pensées seront ensuite reprises pour défendre d’autres souverains. Il est également scientifique et a des contacts avec Descartes et Galilée. Il est passionné par la physique et la chimie. Il veut reconstituer tout le savoir humain en partant d’une base solide, c’est-à-dire en partant de la physique et la chimie. Il écrira d’ailleurs un traité, « De Corpore », sur la physique, la chimie et la biologie, ainsi qu’un autre traité, « De Homine », sur l’anthropologie. Il a aussi écrit divers autres traités : De Cive (du citoyen) ; Léviathan ; De Corpore politico. Il a ensuite établi un ordre entre ses traités suivant la matière qu’ils traitent : De Corpore, De Homine et les trois autres De par la situation urgente de l’époque, il a écrit en premier les traités sur l’organisation politique en société. Il a d’abord écrit « De corpore politico » (1640), puis « De Cive » (1647), et enfin « Léviathan » (1651). Rousseau reprendra toutes les idées de Hobbes dans ses propres travaux. Tout est basé sur le fait que, en dehors du domaine scientifique qui est objectif, tout est subjectif. Cette conception a abouti à un souverain absolu (cela rejoint notamment l’opinion de Freysinger). A l’état naturel, la liberté est individuelle et absolue ; il n’y a pas de limite et pas de morale objective. Par exemple, le fait de tuer fait également partie de cette liberté. Selon Hobbes (au contraire de la réflexion de Grotius), l’homme est un individu asocial qui n’est pas fait pour vivre parmi les autres. Il estime que l’on est en constante fuite de la mort ainsi qu’en constante recherche de ce qui peut garantir ou améliorer notre survie. L’homme est horrifié par la mort et ne peut pas prendre de distance par rapport à cette inconnu. C’est également pourquoi il recherche à tout prix le pouvoir. Ce pouvoir se divise en quatre points : la force corporelle, l’expérience, la raison et la passion. IUR III 2012-2013 4 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Le but est de dépasser l’autre par rapport à ces pouvoirs ; la survie est donc assurée par rapport à cet autre individu. Ce qui compte véritablement est l’excès de pouvoir sur l’autre. Il y a donc une compétition entre les hommes, et ce bien avant la création d’une société. Pour Hobbes, cette lutte pour dépasser le pouvoir des autres est scientifique et donc objective ; l’homme ne peut rien y faire, il se battra de toute façon. Selon lui, ça a toujours été comme ça et ce sera toujours comme ça ; actuellement l’exemple le plus flagrant et le plus transparent est la guerre de pouvoir entre états. A ce stade, nous sommes tous égaux, car même l’homme le plus puissant du monde qui a réussi à asservir une armée entière de laquais est aussi fragile qu’un bébé lorsqu’il va dormir (il peut se faire assassiner par son valet). Dans cette optique, il faut toujours frapper le premier et le plus fort possible. Pour résumé, le droit de nature est unique et sans entraves : le droit à la liberté absolue. Il n’y a pas d’injustice possible. La liberté des autres n’est dès lors pas une limite ; elle le deviendra avec le premier pacte : le pacte de renonciation. Ce pacte de renonciation sera justifié ensuite par le pacte de soumission au pouvoir absolu qui définira en quoi la liberté absolue sera restreinte. Ces deux pactes forment le pacte social. Le pacte de renonciation : premier contrat social La première étape, le premier contrat social, est le pacte de renonciation : la liberté des individus est limitée à leur propre sphère absolue ; elle ne peut ainsi pas s’étendre aux sphères personnelles des autres. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance des mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. L’idée de Hobbes de partir de l’infinité de la liberté de l’homme à l’état de nature est de montrer la nécessité d’un pouvoir absolu. Il le fait intelligemment en deux étapes : IUR III 2012-2013 5 Jérémy Stauffacher - Philosophie du Droit Il affirme tout d’abord que les hommes souhaitent garder une certaine liberté individuelle en se soumettant à certains devoirs indispensables aux biens de tous. Hobbes dit qu’il n’y a d’obligations que contractuelles, c’est-à-dire celles auxquelles on a consenti. Ces obligations ne suppriment pas notre liberté absolue, mais ne font que la restreindre. Cette première étape se concrétise justement par le pacte qui veut que les individus ne touchent pas à la liberté des autres. A ce stade, on ne fait que renoncer dans le principe, car on ne peut définir ce qui nuit et ce qui ne nuit pas (ce sera au souverain de définir cela ; il le fera plutôt bien et plutôt mal selon les résultats qu’il amènera, mais on ne peut pas le juger car il est le pouvoir absolu et ses décisions sont objectives). - Hobbes disait que le pouvoir absolu est essentiel ; c’est le point central de sa théorie. Il était lui-même pour une monarchie, mais admettait qu’une autre forme de pouvoir absolu pouvait également marcher, tel un conseil. Il le compare d’ailleurs à un Léviathan, nom qu’il a d’ailleurs donné à l’un de ses traités. Pour lui, il ne faut pas de régime constitutionnel ; il faut, au contraire, un pouvoir décisionnel en ultime recours qui peut prendre n’importe quelle décision. Aujourd’hui, le législateur le fait par le biais des lois auxquelles tout le peuple est contraint de se soumettre. Les tribunaux n’ont pas à juger des lois qu’il édicte : ils ne s’attacheront qu’à leur bonne application par l’exécutif. Les USA ont été plus loin et ont permis petit à petit à une Cour suprême de contrôler les décisions du législateur. Il n’y a plus de pouvoir absolu dans aucune démocratie constitutionnelle, la constitution empêchant tout absolutisme. On parle, dans ce deuxième contrat social, de pacte de soumission. Une autre façon de formuler la théorie de Hobbes est de partir du concept de la théorie des jeux, théorie sociologique fortement inspirée par Hobbes. Cette théorie veut que les hommes coopèrent entre eux uniquement s’ils sont soumis à un pouvoir de contrainte. Encore une fois, on considère que la situation de base est un paradigme de non-coopération entre êtres humains. IUR III 2012-2013 6 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Vu que la liberté est sans limite dans la théorie de Hobbes, tout un chacun serait libre de se plaindre de sa propre vie (par exemple parce qu’on est né trisomique) auprès de l’État et le suicide serait ouvert à tous sans contrainte vu que cela ne touche pas à la liberté des autres. 3. Cours du 4 octobre 2012 Philosophie de Hobbes La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance des mêmes droits. Ces limites ne peuvent être déterminées que par la loi. L’État de nature intéresse Hobbes car il estime qu’il faut partir de cette situation où la liberté est sans limite pour parvenir à comprendre la phrase cidessus. Toute l’idée de Hobbes est de montrer comment un pouvoir absolu est nécessaire pour remplacer le chaos de l’État de nature. Plutôt que de raisonner en prétendant qu’un pouvoir est nécessaire pour mettre de l’ordre, Hobbes va procéder en deux phases. Premièrement, il va montrer que les hommes souhaitent garder une certaine liberté tout en consentant à respecter certains devoirs. Pour lui, il n’existe que des obligations consenties. Ainsi, les hommes accepteraient de renoncer aux libertés qui ne servent qu’à nuire à autrui. La description de l’État de nature permet donc à Hobbes de forger sa théorie : il n’existe aucune obligation non-contractuelle. De ce fait, les obligations auxquelles on a consenti ne supprime pas la liberté mais la restreigne (volontairement). Par conséquent, au terme du pacte de renonciation, chacun peut faire tout ce qui ne nuit pas à autrui (la liberté de chacun de poursuivre son intérêt est infinie (libre arbitre et indépendance). Deuxièmement, après avoir démontré la nécessité et le souhait de liberté, Hobbes explique comment l’assurer. Pour Hobbes, tout est subjectif. Mais alors comment déterminer objectivement ce qui nuit à autrui ? C’est la loi qui déterminera les limites de la liberté de chacun (pacte). Ainsi, un souverain IUR III 2012-2013 7 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit absolu doit édicter une loi absolue chargée de fixer ces limites. La seule solution pour sortir de l’État de nature est donc d’accepter un pacte de renonciation dont le contenu est défini par un souverain absolu (pacte de soumission). Au final, trois éléments sont nécessaires : un ensemble de règles absolues, un législateur souverain et une structure de contrôle chargée de faire respecter les règles (et donc également la souveraineté du législateur). De ce fait, Hobbes nommera l’État « le Léviathan » en lien avec l’énorme monstre mythologique : un pouvoir absolu et terrifiant chargé de faire respecter absolument les règles édictées. Ainsi, premièrement, on verra que Hobbes conçoit qu’il existe des droits naturels, antérieurs au pacte de soumission (au souverain et aux lois édictées). Deuxièmement, on montrera que Hobbes cherche à analyser ce qui amène les gens s’entretuant dans un État de nature à conclure ces pactes. Troisièmement, on verra comment Hobbes décrit le contenu des pactes. Quatrièmement, il s’agira de voir quelle est la conception de Hobbes des lois, une fois le Léviathan créé. Enfin cinquièmement, il sera intéressant de voir l’influence des théories de Hobbes, notamment en matière de sociologie (théorie des jeux et conceptions sociologiques : omniprésence des conceptions de Hobbes ailleurs que dans un contexte juridique). Les droits naturels antérieurs aux pactes Le droit de nature est la liberté sans limite : la liberté est assimilée au droit. Le droit sans limite à la liberté serait ainsi propre à l’humanité. Dans l’État de nature, chacun peut faire tout ce qu’il veut à qui il veut. La liberté est sans limite, sans aucune considération liée au fait de nuire ou non à autrui. Pour Hobbes, l’être humain recherche ce qui lui est utile. Sa raison fonctionne en calculant ce qui est le plus profitable. Cette raison se rend dès lors compte que l’État de nature n’est pas optimal. Ce raisonnement peut être fait même par la plus puissante personne de l’État de nature : il est impossible d’être toujours sur ses gardes. Le but de la recherche de l’intérêt maximum paraît ainsi conduire à penser que la paix est plus favorable que la guerre, à IUR III 2012-2013 8 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit condition bien sûr que cette paix soit acceptée par tous (réciprocité). Ce raisonnement fait par Hobbes constitue la première loi de nature : il s’agit d’un conseil que chacun se donne lorsqu’il examine ce qui lui est le plus utile. La deuxième loi de nature affirme que sans accord de maintien de la paix (coopération) les avantages de la guerre sont indéniables. Il s’agit donc d’une logique militaire élémentaire : si la paix convient à tous, elle sera maintenue, dans le cas contraire, la guerre doit éclater. Naturellement, ces lois ne peuvent être respectées que moyennant renonciation. La deuxième loi conduit en effet à conclure un pacte de renonciation pour assurer le respect des ces lois. Ainsi, le principe pacta sunt servanda est très important pour Hobbes : les conventions doivent être respectées (troisième loi de nature). 4. Cours du 11 octobre 2012 On distingue entre droit de nature et la loi de nature ; le premier étant la liberté absolue et sans limite. La loi de nature vient après et part de l’idée que l’homme recherche ce qui lui est utile à sa propre survie. Ce qu’il fait est raisonnable et n’est pas forcément en bonne symbiose avec le droit de nature. En effet, la paix est peut-être plus favorable au développement de la raison humaine que la guerre ; à condition bien sûr que les autres acceptent cet état de paix. La loi de nature est ce conseil que l’homme se donne en définissant ce qui lui est le plus utile, le plus favorable ; ce n’est donc pas une loi à caractère obligatoire La première et fondamentale loi de nature est de chercher la paix. La deuxième est de continuer la guerre, de se servir de ce moyen qu’est la guerre tant qu’il restera des êtres humains baignant dans l’hostilité. Ce n’est qu’une fois que ces deux lois de nature sont respectées que les hommes peuvent coopérer entre eux et peuvent agir (plus) conformément à leur raison. Toutes les autres lois de nature qui suivent la première loi définissant l’utilité de parvenir à la paix n’en sont que des moyens pour la concrétiser. Cette première loi ne peut être respectée qu’au moyen du pacte de renonciation, c’est-à-dire en instaurant une situation de réciprocité entre les IUR III 2012-2013 9 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit être humains dans laquelle chacun promet de ne pas atteindre à la liberté de l’autre (idée tirée de l’Évangile : « tout ce que tu réclames que les autres te fassent, fais-le leur »). C’est la première étape pour sortir de l’état de nature. Pour Hobbes, le souverain ou le pouvoir absolu est resté à l’état de nature, il n’a conclu aucun pacte de renonciation avec quiconque. La troisième loi est le fait de respecter les pactes (pacta sunt servanda). Quelqu’un qui signe le pacte sans vraiment le vouloir (par la force) ne rend pas nul ledit pacte ; par contre, s’il ne le respecte pas par la suite, il le rend obsolète. Personne ne veut la paix parce que c’est moralement beau ; c’est la recherche de la concrétisation de notre propre intérêt et la peur qu’il soit lésé si on n’entre pas dans la machine. Il existe d’autres lois de nature selon Hobbes, mais ces trois premières sont fondamentales. Maintenant que l’on a conclu un pacte et que celui est respecté, il reste des choses injustes : tout ce qui est contraire au pacte. Au contraire, à l’état de nature où tout est subjectif, il n’y a pas d’injustices vu qu’il n’y a pas de pacte ; ce qui est injuste est ce qui est contre un consentement que l’on a donné préalablement. Selon Hobbes, nul ne supporte d’obligation d’un pacte qu’il a lui-même conclu. Tout ce qui est injuste relève la non-exécution d’un contrat et tout ce qui est, au contraire, contractuel est juste. Le TF n’est pas d’accord avec cette conception ; il a plutôt une position opposée à celle de Hobbes en disant que ce qui est juste est sans disproportion entre la prestation et la contreprestation et devient ensuite un contrat. Hobbes : contractuel, donc juste ; TF : juste, donc contractuel. Dès qu’il y a contrat, on s’est lié d’une certaine manière à faire ou ne pas faire telle ou telle chose, peu importe le contenu de la prestation. Si, par après, on viole ce que l’on a dit, ce que l’on a promis, on est en pleine contradiction avec nous-mêmes et on commet ainsi une injustice, une absurdité, un tort. Le problème est que c’est une loi de nature et qu’elle n’est pas obligatoire, donc pourquoi ne pas violer le pacte de renonciation ? Hobbes affirme même que c’est logique de le violer, qu’à ce niveau de la théorie rien n’empêche les hommes d’agir comme bon leur semble ; la guerre se maintient donc. IUR III 2012-2013 10 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Le pacte de soumission : deuxième contrat social Il faut un pouvoir absolu qui condamne ceux qui violent les contrats, ceux qui tombent dans l’injustice. C’est un pouvoir commun auquel on se soumet en abandonnant ses propres forces et ses moyens. Cette forme d’organisation sociétale est, selon Hobbes, une République avec un souverain considéré comme un véritable dieu mortel (un Léviathan). Ce souverain a alors le devoir d’établir un pouvoir suffisant pour qu’une sécurité suffisante soit garantie aux sujets, sinon chacun conserve le droit de se défendre. Le point central de la théorie de Hobbes est l’absolutisme du souverain. Il n’est pas soumis au droit et ne peut, par conséquent, pas faire l’objet d’un procès (Charles 1er a été condamné à mort car les juges ont considéré qu’il était soumis aux lois du pays, même s’il en était roi. Lui disait qu’il ne devait pas y être soumis). Si ce système, l’absolutisme du souverain, est remis en cause par quiconque, la seule solution qui reste pour l’humanité est le retour à l’état de nature. Il n’y a pas de Constitution qui pourrait permettre de traduire le souverain en justice ; ainsi, la seule limite à ses actes et à ses décisions est Dieu et la relation qu’il pourrait avoir avec lui. Si un souverain agit contrairement aux lois de nature, il n’y a plus qu’à prier pour qu’une lueur divine lui fasse changer de comportement. Pour Hobbes, il faut radicalement modifier les programmes d’université en supprimant notamment les cours de Grec et les textes sur la démocratie grecque. Il faut aussi changer la religion qui considère qu’il y a une vie immédiatement après la mort ; il faut que les sujets aient peur de la mort, qu’ils croient que l’être humain disparaît tout de suite après sa mort pour éviter les têtes brulées qui tenteraient des actes terroristes contre le pouvoir absolu en croyant qu’ils finiront au paradis. Les lois civiles issues du pacte de soumission sont assimilées à des commandements d’un supérieur à un inférieur ; c’est la structure même de la loi (modèle hiérarchique de l’armée). Les juges n’ont donc aucun pouvoir d’interprétation des lois et sont obligés d’obéir aux lois ou aux ordres particuliers du souverain ; ils deviennent serviles. Il faut donc dépouiller la loi IUR III 2012-2013 11 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit de tout ce qui ne ressort pas de la volonté même du pouvoir absolu. Une fois que la cité bâtie et que les pactes conclus, il faut distinguer loi et droit : le droit (subjectif, droit de faire) n’est plus que la liberté que nous laisse la loi. À l’état naturel, le droit est la liberté absolue. La loi est la restriction sur laquelle nous nous entendons tous pour restreindre nos libertés réciproques. Le souverain n’est ni soumis au pacte de soumission concrétisé par les lois civiles qui a lui-même édicté, ni au pacte de renonciation concrétisé par les lois de nature (il peut toutefois décider de lui-même de se soumettre à ce premier pacte). Encore une fois, il reste à l’état de nature. Dans le Léviathan de Hobbes, nous sommes sujets d’un pouvoir absolu, terrifiant et qui, paradoxalement, n’est pas injuste. Y a-t-il des situations dans lesquelles nous pouvons ou devons résister ? Jusqu’où le pacte de soumission va-t-il ? Peut-on utiliser sa liberté pour se sauver dans un sens contraire au pacte ? Comme le montre ce qui suit, la réponse est oui. Ce qui a motivé la soumission au pacte était la survie. Or, si on doit être exécuté par telle ou telle clause du pacte de soumission, la motivation première est bafouée et le pacte ne vaut plus rien ; c’est comme si on ne l’avait pas ratifié. Il y a donc un droit fondamental auquel on ne peut jamais renoncer selon Hobbes : le droit de se sauver. Vu qu’il n’y a (provisoirement) plus de pacte de soumission, le sujet revient à l’état de nature et retrouve son liberté afin d’assurer sa propre survie : la réponse aux questions précédentes est donc oui. L’idée de Hobbes est que les lois de nature nous poussent à coopérer, à rechercher la paix au sein de la société. Dans les théories contemporaines, cette conception est transformée en coopération sociale, qui comporte tout de même toutes les hypothèses de Hobbes. Cette théorie montre qu’il faut aussi, actuellement, un pouvoir de contrainte exercé par l’État afin d’assurer la paix. On en arrive au dilemme des prisonniers (théorie des jeux), qui permet de mieux expliquer cette problématique de coopération au sein de la société. IUR III 2012-2013 12 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Deux prisonniers sont soupçonnés d’avoir commis un crime grave (assassinat par exemple). Ils sont enfermés et torturés, mais ils ne parlent toujours pas et n’avouent rien. Le procureur (de l’époque) propose de conclure un marché avec chacun d’entre eux individuellement. Il propose au premier que s’il avoue et que l’autre n’avoue pas, c’est zéro année d’emprisonnement pour lui (l’autre a 10 ans). Il propose le même marché au deuxième. Si les deux n’avouent pas, c’est une année d’emprisonnement chacun. Si les deux avouent, c’est cinq ans d’emprisonnement chacun. P1 \ P2 N’avoue pas avoue N’avoue pas 1 ; 1 an 10 ; 0 ans avoue 0 ; 10 ans 5 ; 5 ans Quel choix allons-nous faire si on se trouve dans cette situation ? On cherche à maximiser notre intérêt et à minimiser l’aspect négatif. On en conclut donc, selon la théorie des jeux, qu’il faut que les prisonniers soient soumis à un pouvoir de contrainte les liant tous les deux. Pourquoi ? Parce qu’il faut qu’ils aient assez confiance en ce pouvoir (ou qu’ils soient terrifiés par lui) pour qu’ils choisissent la meilleure option, c’est-à-dire de ne pas avouer (un an de chaque côté). S’il n’y avait pas ce pouvoir, ils auraient trop peur de ne pas avouer car ils risqueraient de prendre pour dix ans de prison (aucune confiance en l’autre prisonnier). On rejoint, encore une fois, la philosophie de Hobbes et son pouvoir absolu. C’est une confirmation mathématique de sa théorie sur le pacte de soumission à ce pouvoir. Même si ce raisonnement est objectif (mathématique), il découle du comportement humain, donc du subjectivisme total. Chacun veut bien coopérer avec les autres si cette coopération sert ses propres intérêts : il n’y a rien d’altruiste dans cette théorie. Par là, on accepte de se soumettre à un pouvoir absolu, selon la théorie de Hobbes, si cela nous est bénéfique (d’où l’illogisme de continuer à respecter le pacte de soumission si on est condamné à mort). IUR III 2012-2013 13 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit 5. Cours du 18 octobre 2012 Philosophie de Hobbes Certains pans de la théorie de Hobbes ont été repris dans la société actuelle, particulièrement en matière d’économie. En effet, des concepts tels que l’existence d’un souverain absolu ou la théorie de l’État de nature sont parfois utilisés en économie pour décrire des phénomènes naturels. Ainsi, premièrement, on se souvient du dilemme des prisonniers, en lien avec le livre « La Théorie des Jeux et du Comportement économique ». Cette théorie (actuelle) du dilemme confirme la théorie de Hobbes par rapport au pacte de soumission à un pouvoir absolu et puissant (pouvoir nécessaire au respect du pacte). Elle montre également l’intérêt de la coopération (collaboration), au sens purement personnel : chacun veut bien coopérer avec l’autre si cela satisfait ses propres intérêts. Il n’y a donc aucun aspect moral, éthique ou altruiste : tout est question de préférences subjectives. Deuxièmement, pour décrire le marché, les sciences économiques et les acteurs économiques reprennent sur plusieurs points le concept d’État de nature décrit par Hobbes : on peut parler d’adaptation contemporaine : - L’individu est en principe isolé et seul dans la société. - Les consommateurs et les entreprises sur le marché n’agissent qu’en fonction de leur seul intérêt (théorie contemporaine de Hobbes). - La rationalité, la raison, est de maximiser l’intérêt, l’avantage personnel (autorégulation du marché, liée à l’État de nature). - Les relations des individus entre eux sont soit des relations de concurrence, soit des relations contractuelles (des pactes). - On ne parle plus d’économie de marché mais de société de marché. Cela signifie que la compétition et la maximalisation de son propre intérêt sont les moteurs de toute la vie sociale. La morale dépend donc des pactes ou des contrats (selon la théorie de la Moral by Agreement, le marché est l’idéal d’interactions humaines). IUR III 2012-2013 14 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Sur ces 5 points, on voit donc que les concepts clés de l’économie (société) de marché sont directement repris de la théorie de Hobbes. Amartya Sen, économiste ayant reçu le prix Nobel, critique cette théorie. Pour lui, toute cette approche liée à l’égoïsme et à la poursuite de ses propres intérêts est fausse (Éthique et économie : des idiots rationnels). Pour lui, rien n’est possible au niveau économique et plus encore au niveau de la société sur la base des notions de Hobbes. La question concerne le but de l’Homme, ce qu’il recherche : ses propres intérêts ou l’harmonie dans ses relations. L’image de la société est très différente selon que l’on adopte l’un ou l’autre but. Pour résumer, la philosophie de Hobbes (nommée positivisme exclusif ou radical, également philosophie de Nietzsche dans une certaine mesure) vise à bâtir une société en admettant que chacun (citoyens et souverains) veut poursuivre son intérêt selon des facteurs purement égoïstes et individuels. Le positivisme exclusif (attitude philosophie, voire métaphysique) s’oppose au positivisme juridique (méthodologique) de Herbert Lionel Adolphus Hart (approche prudente). Philosophie de Rousseau Il s’agit maintenant d’analyser la philosophie de Rousseau en relation avec celle de Hobbes. Rousseau est en désaccord sur deux points avec Hobbes : - Il prétend que Hobbes n’a pas compris la notion d’État de nature. A son avis, l’État de nature de Hobbes est un État social perverti. - Concernant l’État social (le Léviathan), Rousseau estime que le pacte de soumission est inacceptable. Le pacte de renonciation (horizontal) est une bonne idée mais celui de soumission (vertical) est antidémocratique. Ainsi, Rousseau voit le Hobbisme comme quelque chose de négatif (suppôts de souverains absolus). Reprenons les deux points. Pour Rousseau, à l’État de nature, l’Homme est seul et isolé et non pas en concurrence avec les autres. A son avis, à ce stade, il n’y a pas « d’autres ». Rousseau estime ensuite que le pacte de soumission renforce l’État social perverti et dégénéré IUR III 2012-2013 15 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit (que Hobbes décrit comme étant l’État de nature). Rousseau pense que la société décrite par Hobbes est une société de guerre, d’immoralité et de malheurs. La solution, à son avis, réside en un seul pacte : le contrat social : une formule permettant à chaque être en société de conserver sa liberté d’être isolé en État de nature. Il imagine donc « l’aliénation totale (vente) de chaque associé avec tous ses droits et à toute la communauté ». Cette idée de se donner à tous ne se donne à personne : par réciprocité, la quantité de chacun reste la même. On obtient donc un État qui n’a plus qu’une seule et même volonté, manifestée lors de votations et d’élections. Selon Rousseau, il est donc possible de se passer d’un pacte de soumission, les autorités étant instituées par un accord émanant de la volonté générale et populaire (démocratie toute-puissante et sans limite, sur le même modèle que le souverain de Hobbes). Chacun est donc membre du souverain absolu : en lui obéissant, on est libre et on affirme sa liberté. Il estime ensuite qu’aucun tribunal n’est nécessaire : le peuple ne se trompe jamais et la volonté populaire est toujours éclairée. Rousseau adapte donc la théorie de Hobbes à la démocratie toute-puissante. Si l’on revient à la question de la naturalisation par les urnes, Rousseau estimerait qu’il n’y a aucune raison de faire dépendre la volonté populaire d’un jugement quelconque. La volonté populaire est absolue et ne peut en aucun cas être soumise à autrui. Il y a donc un parallèle entre Rousseau et Hobbes vis-à-vis de l’objectivité : pour Hobbes, les décisions du souverain absolu sont au-delà de toute objectivité et pour Rousseau ce sont les décisions du peuple qui sont au-delà de toute objectivité. Positivisme exclusif et jusnaturalisme Pour mieux comprendre et présenter ces deux philosophes (Hottois, disciple de Hobbes et Jonas, disciple d’Aristote), il convient de présenter deux éléments : le thème des biotechnologies et l’arrêt Perruches, en relation avec deux philosophes, Hottois et Jonas, représentant respectivement chacun une des deux écoles (positivisme exclusif et jusnaturalisme). IUR III 2012-2013 16 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Les Biotechnologies Le sujet des biotechnologies concerne un problème très précis : peut-on modifier le soubassement biologique de l’être humain de façon transmissible à la descendance ? L’art. 119 Cst. pose l’interdiction de toute intervention dans le patrimoine génétique de gamètes humains. Il ne s’agit donc pas d’interventions qui modifient directement physiquement le sujet de l’opération mais qui aura des conséquences sur sa descendance. D’après Gilbert Hottois, cette interdiction est contraire aux Droits de l’Homme. Quand il s’agit d’êtres encore inexistants, Hottois prétend que le pacte social (pacte de renonciation) n’est pas applicable. En effet, ce pacte ne s’applique qu’entre ceux qui l’ont conclu. De ce fait, il n’est pas possible de conclure un contrat avec des êtres qui n’existent pas (lien personnel du contrat). Hottois estime donc être à l’État de nature (liberté sans limite) par rapport aux générations futures. Dans la même ligne, les interdictions sont dès lors contraires aux droits fondamentaux, à savoir la liberté absolue sous réserve du pacte lorsque l’on se trouve dans un contexte social. Hottois reconnaît ses obligations uniquement vis-à-vis de sujets de droits (réciprocité des droits et des devoirs). L’existence d’un droit entraîne l’existence d’un devoir (et inversement). Hottois a donc une certaine conception des Droits de l’Homme. Au contraire, la philosophie jusnaturaliste dépend d’une toute autre conception. La conception que l’on se fait du droit exerce donc une grande influence sur les philosophies développées par chacun. Il faut insister sur la Recherche et le Développement TechnoScientifique et le transhumanisme. Alors que jadis l’évolution de l’espèce humaine dépendait de la nature, il paraît aujourd’hui possible de la contrôler. Un transhumaniste estime donc que l’Homme peut s’améliorer et passer du statut H au statut H+. Toute la question des biotechnologies tourne autour de la nécessité ou non de protéger le patrimoine génétique actuel. Il s’agit donc de déterminer si ce patrimoine peut être objectivement jugé bon. Selon l’UNESCO (déclaration universelle sur la personne humaine), le génome humain est dans un sens symbolique le patrimoine de l’humanité et est donc un bien à protéger au même sens que toute autre réalité intégrée à ce patrimoine de l’humanité. IUR III 2012-2013 17 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Pour résumer, si l’on estime que la protection de génome n’est qu’une préférence subjective dépendant de chacun, il sera alors possible de justifier la position de Hottois et le positivisme exclusif. Si au contraire on estime qu’il y a une certaine objectivité justifiant la protection du génome (comme le fait la Constitution), la position jusnaturaliste sera plus convenable (idée de biens à protéger). Naturellement, on ne pratique pas le droit de la même manière selon que l’on adopte une position positiviste ou jusnaturaliste. 6. Cours du 25 octobre 2012 L’interdiction d’intervention dans le patrimoine génétique humain est fixée à l’art. 119 Cst. et découle du jus cogens. Jonas (jusnaturalisme : valeurs à protéger) soutient cette interdiction alors qu’Hottois (très lié aux contrats et à la volonté individuelle, forcément subjective), au contraire, y est opposé. Concernant Hottois, nous avions déjà parlé de RDTS, en relation avec le texte (renvois aux pages 84 ss et 235 ss) à la page 39 du polycopié (point 1, p. 39 : « ce monde est indissociable […] », lié au concept de technoscience). Le deuxième point (p. 292-294, article de H. Torrione, et p. 246 polycopié, position de Hobbes et réponse d’Aristote) concerne le subjectivisme : selon Hottois, on n’ignore ce qui est bien ou mal pour les générations futures (et pour qui que ce soit d’ailleurs) car tout est question de préférences individuelles. On parle également de scepticisme radical : les seuls vérités absolues sont des vérités scientifiques. Des domaines tels que la morale ou l’éthique sont purement subjectifs. Précisons que dans le cadre de ces philosophes, on ne parle pas de morale ou d’éthique. Le troisième point traite d’éthique procédurale de la négociation (p. 41 : « l’espace […] ») en lien avec l’interdiction de l’art. 119 Cst. Pour Hottois, l’interdiction des interventions dans le patrimoine génétique est une mesure procédurale. C’est une éthique procédurale basée sur des négociations qui aboutit à des accords de fait : il s’agit d’un raisonnement sophistique. L’éthique procédurale de la négociation revient à considérer l’art. 119 Cst. comme l’aboutissement (succès démocratique ou accord finalement trouvé) IUR III 2012-2013 18 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit d’une lutte entre deux fronts ayant chacun des préférences opposées. L’art. 119 Cst. n’est donc qu’un fait, fortuit et factuel, susceptible de changer à n’importe quel moment. Cette interdiction n’est donc absolument pas nécessaire ou raisonnable : il s’agit d’un fait résultant de l’opposition des mentalités à propos d’un sujet déterminé (affirmation du subjectivisme). Une question est posée quant à l’apparente contradiction dans le discours de Hobbes, qui paraît reconnaître la liberté comme bien absolu, quand bien même il affirme que tout est subjectif. Or, Hobbes ne conçoit pas la liberté comme un droit absolu (bien absolu) mais comme un état de fait, une situation de départ (ce qui est spontanément exercé par chacun). Le quatrième point s’attache justement à parler de liberté (p. 39 : « les signes de ce monde […] » et « en termes d’économie […] »). Suivant Hobbes, le droit de nature prévoit d’utiliser sa liberté au niveau individuelle, selon ses préférences (tout ce qu’on a le pouvoir de faire). Le point numéro 5 (p. 39 : « son expression […] » et « la valeur fondamentale […] ») permet de comprendre la position de Hottois par rapport aux droits de l’homme. Il convient de préciser les éléments suivants en matière de droits de l’homme : - L’état de nature et les droits de l’homme : même si le Léviathan est créé, Hobbes estime que l’état de nature continue d’exister dans certains domaines (le pacte de renonciation n’exclut pas l’état de nature). Dans le cadre de ce pacte donc, la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Hottois estime que le pacte de renonciation s’applique en société et garantit dans ce cadre-là une liberté mesurée en fonction de celle des autres. De ce fait, la liberté est absolue en dehors de la société. Par rapport au contexte de la recherche (RDTS et manipulation des gamètes), la liberté est totale puisque le pacte de renonciation n’a aucune influence en la matière. Prétendre le contraire reviendrait à limiter la liberté (créer des bornes) dans un domaine qui n’est pas prévu par l’art. 4. - Le droit d’exister ou de ne pas exister (p. 247 notamment) : selon Hobbes, hors contexte social, la liberté est sans limite. De ce fait, le suicide assisté est une question purement personnelle, liée à ce que chacun veut (position et conception subjective). IUR III 2012-2013 19 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit A la page 40 (« y veiller […] ») figure un texte de Jonas (opposé à Hottois) concernant les sources des obligations (cinquième point). Jonas se demande si les droits sont les seuls éléments susceptibles de fonder une obligation. Tel n’est pas son avis : il peut exister des obligations quand bien même il n’existe pas en face un droit corrélatif. Cela est, à son avis, notamment le cas en matière de biotechnologies par rapport aux générations futures (bien en jeu). Naturellement, Hottois a une conception totalement opposée : les seules obligations qui existent découlent d’un rapport de réciprocité (pacte, contrat). Tout le droit n’est issu que des pactes et des conventions passées. Chaque obligation doit être fondée sur un droit : en l’absence d’obligation, c’est la liberté qui règle (droit naturel, droit subjectif fondamental). En matière de RDTS, on traite du futur de l’espèce humaine. Or, ces êtres n’existent pas encore. Ainsi, il est impossible de conclure des pactes avec eux. De ce fait, la liberté est absolue et ne peut être limitée par des conventions qui fonderaient, par accord, par renonciation, des droits et donc forcément des obligations. Le sixième point s’attache à montrer que c’est la liberté humaine qui est centrale en matière de droit et non pas la dignité humaine (p. 39 : « si l’on postule […] »). La valeur essentielle de l’être humain est donc la liberté, la notion de dignité devant être utilisée prudemment (obsolète et peu opératoire). La dignité de l’homme tient au fait qu’il est toujours à faire (dans le sens de création scientifique, y compris au travers des biotechnologies). L’homme se dépasse lui-même, notamment grâce à ses pouvoirs opératoires et techniques. Au final, on se demande donc quel est le fondement de la déclaration des droits de l’homme : la dignité ou la liberté. Hottois donne une priorité absolue à la liberté, qui fonde en fait la dignité (la dignité ultime de l’homme réside dans sa liberté absolue). On voit donc qu’il existe différentes approches des droits fondamentaux. Il conviendra donc plus tard d’analyser la conception jusnaturaliste, fondée sur la dignité humaine et sur l’égalité. Dans le septième point (p. 40 : « les normes indispensables [,,,] »), Hottois prétend que toute autre position (que celle instaurant la liberté comme principe premier) repose sur une erreur de raisonnement (sophisme naturaliste). Toute autre position que la sienne reviendrait à affirmer qu’il y a IUR III 2012-2013 20 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit une essence, une nature humaine, qui existe en fait et qui rend inacceptable toute modification génétique. Selon lui, aucun autre raisonnement n’est propre à justifier et à défendre la RDTS. Il est vrai que l’école de droit naturel (Grotius) fonde sa philosophie sur la nature humaine (déduire des droits et des obligations de cette essence existante). Selon Hottois, on ne peut pas partir d’un monde d’essence (monde de l’être) pour en déduire des droits et des obligations (monde du droit). C’est le philosophe anglais David Hume (empiriste) qui prétend le premier que ce raisonnement est sophistique. Or, il existe d’autres philosophies, comme celle de Jonas (jusnaturalisme), qui ne sont pas fondées sur l’essence de l’être humain. Ainsi, Jonas part de l’idée que ce sont les êtres humains (présents ou futurs) qui sont à placer au centre de la philosophie. Il s’agit ainsi autant des êtres existants que des êtres qui existeront (générations futures). Ce fondement montre donc qu’il est nécessaire de protéger le soubassement humain pour la préservation des générations futures (prudence). La qualité de vie de gens qui vivront dans le futur doit être anticipée (point de vue jusnaturaliste). Le huitième et dernier point (p. 41 : « chaque animal est ce qu’il est […] ») concerne le futur de l’homme : pour Hottois (Rousseau et, dans une certaine mesure, Hobbes), l’homme est à faire. La capacité de devenir ce qu’il choisit d’être est fondamentale. L’idée semble juste mais est absolutisée. 7. Cours du 8 novembre 2012 Critiques de la philosophie de Hottois Différents auteurs ont critiqué la position positiviste (en plus de l’ATF de la page 39 du polycopié). Ainsi, l’américain Francis Fukuyama admet que des développements sont possibles en matière de RDTS. Selon lui cependant, la modification du soubassement humain est contraire aux droits de l’homme qui protègent, à son sens, avant tout la dignité humaine. Jürgen Habermas, lui aussi, traite du futur de l’homme dans un de ses livres. Pourtant partisan du pacte social fondant les obligations, Habermas reconnaît pourtant des IUR III 2012-2013 21 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit obligations qui découlent de biens à protéger. La capacité de se comporter moralement en concluant le pacte de renonciation réciproque est un bien à protéger. Si cette capacité est mise en danger par des modifications du soubassement humain, il est alors nécessaire d’éviter les interventions génétiques. Ce raisonnement, pourtant basé sur les mêmes faits (nécessité du pacte de renonciation) aboutit à une conclusion inverse (conception jusnaturaliste, dont nous allons parler à présent avec la philosophie de Jonas, fondée sur les biens à protéger). On voit donc que le débat sur les modifications du génome humain est encore extrêmement actuel. Philosophie de Jonas Le droit repose sur la reconnaissance de certains biens, dont la liberté fait partie, dans le cadre d’un débat et d’une procédure de justification au niveau politique. On discute ensuite des biens à protéger. Il s’agit donc d’une philosophie qui considère qu’il est erroné de penser que les bornes à la liberté ne peuvent résulter que d’un pacte : il existe des obligations qui résultent de la reconnaissance de bien (et ces biens peuvent parfaitement concerner des êtres qui n’existent pas encore). Ainsi, l’interdiction de l’art. 119 Cst. ne résulte pas d’un pacte mais d’une volonté de protéger un certain bien (en l’espèce pour les générations futures). Jonas voit dans les positions du type de celles de Hottois une renaissance de l’approche gnostique (approche spirituelle). Chez Hottois pourtant, c’est la capacité de se transformer grâce à la technique qui fonde l’approche gnostique. Jonas rejette également d’autres « philosophies » comme le nazisme et le marxisme. Le point suivant concerne l’euristique de la peur : la peur permet de découvrir quelque chose. Jonas développe l’idée que lorsqu’un bien est en jeu, on approche les choses avec un sentiment d’inquiétude. Ce qui est déraisonnable, c’est de courir un risque, que l’on n’arrive pas vraiment à apprécier, quand cela n’est pas nécessaire (utiliser nos moyens technologiques sans but précis : principe de précaution). IUR III 2012-2013 22 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit S’il existe une incertitude sur les conséquences d’une intervention et que celle-ci n’est pas nécessaire pour éviter un danger certain, la précaution exige qu’on n’agisse pas. Jonas met donc en avant le principe de responsabilité : face à un bien qui risque d’être menacé, il existe une obligation (de s’abstenir d’agir notamment, telle que formulée à l’art. 119 Cst.). Ce raisonnement complexe est pourtant passablement juridique : l’interprétation téléologique est assez proche de l’euristique de la peur. En effet, les deux principes se fondent sur la finalité pour fonder les moyens nécessaires pour l’atteindre (on part du but de la loi pour l’interpréter dans son application). 8. Cours du 15 novembre 2012 Le point de vue de Jonas s’oppose donc clairement aux points de vue des positivistes radicaux (Hottois et Hobbes en prime). Ainsi, le préambule de la Constitution (p. 39 polycopié) qui introduit une « responsabilité envers les générations futures » va dans le sens de la philosophie de Jonas : il existe des obligations (responsabilité) qui ne proviennent pas d’un contrat ou de la loi et qui ne sont pas l’image inversé du droit de quelqu’un d’autre. Le préambule de la Constitution montre donc que le droit suisse tient compte d’obligation fondée par une responsabilité autre. Pour Hottois, il s’agirait uniquement d’un fait dû au hasard (éthique procédurale de la négociation), d’un accord pris dans un contexte déterminé et totalement susceptible de changement. Toujours à la page 39, il est précisé que l’État protège les bases naturelles de la vie : il y a donc des interdictions, notamment de porter atteinte à ces bases (art. 119 Cst. par exemple, p. 35). Toute cette conception de nécessité de protéger certains biens et d’ainsi limiter la liberté en imposant des obligations qui ne sont ni contractuelles ni légales est totalement opposée à la philosophie positiviste radicale. La liberté sans limite ne saurait être freinée par une responsabilité qui ne soit acceptée. IUR III 2012-2013 23 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Hottois a toujours justifié sa position en se fondant sur le droit (déclaration de 1789). Dès lors, il convient d’examiner les déclarations de droit en cause, sous l’angle de la philosophie de Jonas (jusnaturalisme politique : des biens fondamentaux existent et doivent être protégés, peu importe les choix et les préférences de la population). La liberté est un bien parmi les autres, mais elle n’occupe pas le rang central que lui donnent les positivistes radicaux. Naturellement, les positivistes radicaux rejettent qu’une obligation puisse provenir d’ailleurs que du pacte de renonciation (il s’agit alors d’une obligation morale). Tout ce qui dépasse le pacte est une pure préférence personnelle (liberté personnelle centrale). Il est naturellement possible de s’imposer d’autres obligations, mais cela dépend de la volonté de chacun par rapport à ce qui lui semble juste et bon (pour lui-même). L’arrêt Perruche Hobbes développe sa philosophie sur la base du concept du souverain tout puissant (versant politique : philosophie constitutionnelle des positivistes radicaux). Rousseau, à partir de là, développera la conception démocratique (le souverain absolu est le peuple). Le débat précédent sur les biotechnologies est le volet privé de cette philosophie (aspect privé du principe de la liberté sans limite et du positivisme radical en général). Dans le même contexte (aspect privé du positivisme radical), il convient d’analyser l’arrêt Perruche (Nicolas Perruche, handicapé, représenté par ses parents qui demandent des dommages-intérêts au médecin n’ayant vu ce handicap). Dans ce cas, la liberté est placée au-dessus de l’existence : celui ou celle qui est responsable de notre existence peut être condamné. On voit donc que, s’agissant de sa propre existence, on est à l’état de nature, la liberté est sans limite, tous les choix sont possibles et doivent être reconnues (les seules bornes à la liberté résultent du pacte de renonciation : accord réciprocité parfaite). Il est donc logique que lorsqu’une personne est seule en cause (affaire Perruche) ou lorsqu’on traite d’êtres inexistants (voir pages précédentes), on est hors du champ d’application du pacte. IUR III 2012-2013 24 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Dans l’arrêt Perruche, on ne traite pas du dommage causé aux parents (il est évident que les parents ont été indemnisés, cela ne pose pas de problème) mais du préjudice d’être né (syndrome de Gregg). Mme Perruche est enceinte et craint d'avoir attrapé la rubéole. Elle consulte un médecin car elle connaît les conséquences graves sur le fœtus que cette maladie provoque (syndrome de Gregg). Elle dit au médecin qu'elle veut avorter si elle a contracté la rubéole. Le médecin se trompe et conclut à tort à l'absence d'une rubéole. Nicolas Perruche naît lourdement handicapé à cause de la rubéole contractée par sa mère durant la grossesse. Il faut préciser que Nicolas Perruche ne pouvait pas naître autrement qu'handicapé : son handicap est lié à sa vie. Il n'y avait pas de traitement possible pour empêcher une atteinte alors qu'il était un fœtus et on ne peut rien faire pour lui à la naissance. La seule solution pour éviter son handicap aurait été de ne pas naître, soit de procéder à un avortement. Le problème est que la mère n'a pas pu procéder à cet avortement, du fait de la faute du médecin. En 1992 (dix ans après les faits présentés ci-dessus), les parents ouvrent une action pour eux-mêmes mais aussi (et surtout, car c’est ce qui nous intéresse, philosophiquement parlant) au nom de leur enfant. De même, l’assurance maladie / invalidité se joint à la plainte : si le médecin avait diagnostiqué la maladie, l’assurance n’aurait pas eu à fournir des prestations très coûteuses. Toute la question tourne autour de la possibilité pour Nicolas Perruche d’obtenir un dédommagement pour le préjudice d’être né. La manière dont on calcule le dommage est centrale : on doit se mettre dans la situation où l’évènement dommageable ne s’était pas produit. Dans ce cas, le dommage est le coût de l’existence de Nicolas. Il faut dès lors reconstruire la chronologie des différentes décisions : - Tribunal de grande instance d'Evry (13.02.1992) : Nicolas Perruche et ses parents font une action en responsabilité contre le médecin et le laboratoire. Ils demandent la réparation du dommage pour Nicolas Perruche et pour eux mêmes. Le Tribunal reconnaît un dommage corporel pour Nicolas Perruche et du tort moral pour les parents. IUR III 2012-2013 25 Jérémy Stauffacher - Philosophie du Droit Cour d'appel de Paris (17.12.1993) : le médecin et son assurance civile font appel. La Cour d'appel casse le jugement de première instance. Nicolas Perruche doit rembourser ce qu'il a touché. Son handicap est lié à sa vie, il ne pouvait naître qu'handicapé. Les coûts de a vie de Nicolas Perruche ne sont pas des dommages réparables. - Cour de Cassation (26.03.1996) : la Cour de cassation admet que Nicolas Perruche peut être indemnisé pour être né handicapé. - Cour d'appel d'Orléans (05.02.1999) : la Cour d'appel devait suivre la décision de la Cour de cassation, mais elle se rebelle (arrêt rébellion). - Cour de Cassation (17.11.2000) : la Cour de Cassation casse la décision de la Cour d'appel. Elle justifie son choix en disant que le médecin et le laboratoire ont privé la mère de choisir librement d'avortement et que la privation de ce choix est un dommage. Nicolas Perruche peut demander la réparation de ce dommage. - Nouvelle Cour d’appel : une dernière Cour d’appel rend un jugement qui, cette fois, va dans le sens de la Cour de Cassation : Nicolas Perruche doit être indemnisé du fait de sa vie. - Proposition de Mattei (13.02.2000) : un député au parlement, Mattei, propose une loi qui interdit toute indemnisation du fait de la naissance car la vie est le bien essentiel de tout être humain. Il ne peut y avoir d'indemnisation pour un handicap que lorsqu'il résulte d'une faute et non pas de la nature. Ce projet a été accepté au parlement et l’article a été créé en 2002 en la teneur suivante : « Article L114-5 : Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap.) ». IUR III 2012-2013 26 Jérémy Stauffacher - Philosophie du Droit Conseil national d'éthique (29.05.2001) : le Conseil national d'éthique explique la position de la Cour. Reconnaître un préjudice revient à reconnaître le droit à ne pas naître. Ce droit n'a pas été respecté dans le cas de Nicolas Perruche et il doit être indemnisé pour la violation de ce droit. L'indemnité est le coût total de son existence. Il peut faire valoir le droit virtuel qui lui appartenait alors qu'il était dans le ventre de sa mère. Naturellement, ce débat est extrêmement tendu : indemniser quelqu’un pour le seul fait de sa vie revient à la considérer comme un déchet, une vie-dommage (terme USA). Cet arrêt oppose donc le législateur (conception jusnaturaliste : bien fondamental, à savoir la vie, à protéger), qui considère que la vie est tellement importante que les tribunaux ne peuvent accepter que cette vie soit dommageable, à la Cour de Cassation, qui estime qu’il faut partir de la liberté qu’avait la mère de recourir à un avortement (sur la base d’un avis éclairé) pour admettre que le médecin n’a pas permis la mise en œuvre du choix de la mère. Selon le raisonnement de la Cour, il ne s’agit pas d’une situation conforme au choix de la mère. La meilleure explication figure à la page 18 (avant le 13.02.2000) : dans un document joint à l’avis du Conseil d’éthique, un des membres, favorable à la décision de la Cour de Cassation, estime qu’il y a un droit virtuel appartenant au handicapé : la mère délègue à son enfant handicapé le choix d’exister (délégation antérieure à la naissance). On considère donc que, dans cette situation, Nicolas a un droit de ne pas exister. Ce droit étant violé, il peut se plaindre et demander une indemnisation. A partir de cet état de fait, on oppose les deux positions étudiées jusqu’alors : la position positiviste radicale, dite perruchiste (liberté centrale de la mère et de l’enfant) et la position jusnaturaliste, dite anti-perruchiste (la vie est un bien essentiel à protéger : nul n’est redevable à demander une indemnisation du fait de sa naissance). Le polycopié reprend quelques extraits d’un livre traitant du droit de ne pas être aux pages 247 ss. IUR III 2012-2013 27 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit 9. Cours du 22 novembre 2012 La loi anti-perruche a été appliquée directement à toutes les affaires en cours (sorte d’effet rétroactif). De ce fait, seule l’affaire Perruche était épargnée par la nouvelle loi. Comme on l’a déjà dit, l’indemnité versée aux parents pour le tort moral ne pose aucun problème (ce que confirme la loi anti-perruche : les parents peuvent demander une indemnité du fait de leur seul préjudice : dommage matériel et tort moral). Par contre, le problème concerne la demande de Nicolas, représenté par ses parents. En son nom, ses parents demandaient la réparation découlant du handicap. Le handicap est congénital et incurable : la seule solution pour ne pas être handicapé est donc de ne pas exister (l’existence suppose le handicap, au contraire de situations de handicap qui sont dues à une faute ou à une intervention fautive du médecin : cas pour lesquels le handicap n’est pas inévitable). Pour calculer le dommage, on se met dans une situation sans l’évènement dommageable. Dans notre cas, cela revient à considérer la situation sans l’existence de Nicolas Perruche : on prend donc en compte l’ensemble des coûts de la vie de Nicolas (ce qui est plutôt massif). Par contre, s’il s’agit d’une lésion provoquée par le médecin ou d’une absence de traitement, on prend en compte une situation sans le handicap pour chiffrer le dommage. On en arrive donc à toucher des questions de biotechnologies. Est-il possible d’indemniser Nicolas Perruche sans pourtant considérer sa vie comme dommageable ? Autrement dit, peut-on dissocier vie et handicap ? La Cour de cassation a jugé que oui et qu’il fallait indemniser le handicap. La loi anti-Perruche prévoit que nul ne puisse se prévaloir du seul préjudice de sa naissance et est donc totalement opposée à la dissociation (on considère qu’il n’y a aucun préjudice indemnisable dans le cas d’un handicap incurable : la vie est l’élément central). Bien qu’il y ait un lien de fait entre vie et handicap, la Cour estime qu’il est nécessaire de considérer que la mère a choisi l’avortement pour éviter le handicap, pour le bien de l’enfant. C’est ainsi le choix souverain de la mère qui crée l’ordre de ce qui aurait dû être. IUR III 2012-2013 28 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit A cause de l’erreur du médecin, la volonté de la mère n’a pas été respectée. Dès lors, le choix de la mère est le seul principe à prendre en compte parce qu’il est l’expression de la liberté fondamentale qui constitue le noyau des droits fondamentaux. On peut mettre de côté l’existence de Nicolas et rattaché le handicap au non-respect de la volonté de la mère (c’est la liberté de choix qui est placée au centre). Il s’agit à présent d’analyser les critiques des deux camps, l’un envers l’autre : - Avis des Perruchistes : les positions anti Perruche refusent de mettre la liberté au centre et relèvent d’une orientation foncièrement hostile à toute idée de droits subjectifs de l’individu. La mère délègue à son enfant anormal son propre droit de décision. Il existe donc une liberté de l’enfant de pouvoir bénéficier du choix de l’avortement fait par sa mère, choix qui n’a pas pu être exécuté par la faute du médecin. La page 286 du polycopié reprend ces différentes critiques des notions des anti-Perruchistes. Ceux qui soutiennent la Cour de Cassation estiment qu’il est possible de dissocier vie et handicap. Les Perruchistes estiment que la décision de l’avortement a été biaisée : la liberté de choix de la femme a été touchée et justifie donc une réparation. A leur sens, on peut dissocier le handicap de l’existence parce que la liberté est plus importante que l’existence. Nicolas peut donc se plaindre de l’entrave à la liberté de sa mère. Il n’y pas de raison que Nicolas ne puisse bénéficier du choix de sa mère, celle-ci ayant très certainement pensé à son bien-être. - Avis des anti-Perruchistes : la vie est un bien essentielle et il n’est donc pas possible de déclarer une vie inutile ou dommageable. On ne peut donc pas admettre qu’une vie soit dommageable. Les Perruchistes qui se réfèrent à la loi sur l’avortement sont considérés comme des fondamentalistes (fondamentalisme de la liberté, absolutisation de la liberté : interprétation fondamentaliste des droits de l’homme). Le handicap n’est pour eux pas dissociables de la vie. Ils donnent donc une priorité à l’existence face à la conception libertaire. IUR III 2012-2013 29 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Le jusnaturalisme dans l’arrêt Perruche est clairement présent. On se demande tout d’abord si le recours à la protection d’un bien (autrement dit la position des anti-Perruchistes ayant créé la loi) est une position religieuse ? On ne peut pas soupçonner le parlement français d’être en majorité pour une position religieuse (laïcité). Il est donc évident qu’il ne s’agit pas d’un raisonnement religieux (même si cela est possible : en considérant que la vie est un don, on arrive à la même conclusion). L’idée que la vie est un bien fondamental à protéger repose sur la fonction modeste du droit : on ne peut pas admettre que les tribunaux peuvent décider quelles sont les vies dommageables et quelles sont celles qui ne le sont pas. La justice ne doit pas être amenée à faire ce calcul des coûts d’une vie : les tribunaux, et personne d’ailleurs, ne peut trancher pareille question, même lorsque la demande émane de la personne elle-même. Jean-François Mattéi parvient à cette idée en prétendant qu’il est commun de considérer que la vie est un bien existentiel (opinion commune). Nul n’est fondé en droit de juger de la légitimité de vies humaines. Cette interprétation permet donc de faire taire les critiques. Dans cette philosophie du droit, la vie des êtres humains existants joue un rôle fondamental en matière de protection mais également au niveau conceptuel lorsque l’on raisonne en matière de dommage. Lorsqu’on établit un dommage, on ne peut faire abstraction de la vie, prioritaire. Toutes les autorités, y compris les juges, ont donc un pouvoir limité. Il faut revenir sur l’accusation des Perruchistes disant que les antiPerruchistes violaient l’essence même des droits fondamentaux, à savoir la liberté. Selon Hottois, toute position contraire (dans le cas d’espèce à la Cour de Cassation) est contraire aux droits de l’homme. Lorsqu’on se pose la question des droits de l’homme, on cherche à définir les droits de l’homme. Est-ce vrai de prétendre (comme Hottois le dit) que la philosophie derrière les droits fondamentaux est la philosophie de Hobbes par rapport à l’état de nature (p. 45 polycopié). IUR III 2012-2013 30 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit 10. Cours du 29 novembre 2012 Justification du pouvoir et droits de l’homme On part d’expériences concrètes en matière d’organisation de la communauté politique : despotisme à Syracuse, dictature de Kadhafi et autres épisodes. Le pouvoir ne se justifie que s’il agit en faveur de la population (acquis décisif). Cela n’est pas simple, car il faut comprendre ce que « en faveur » signifie. De même, il faut alors agir pour concrétiser le principe. L’idée est donc simple mais la mise en œuvre ne l’est pas. Si le pouvoir est justifié dans la mesure où il vise l’utilité des gens, tout ce qui n’est pas fait dans ce but est abusif et injustifié : il empiète sur les biens, la liberté ou la vie des citoyens. Dès que les limites constitutives sont dépassées, une bonne garantie pour assurer une sanction est de mettre en place un mécanisme de plainte : cela suppose la mise en place de tribunaux indépendants, qui peuvent recevoir des plaintes contre le pouvoir (rois, souverains, empereurs) ainsi que des dispositions de base fondant les plaintes des gens. Ces dispositions, appelés droits fondamentaux ou droits de l’homme, permettent aux citoyens de se plaindre du pouvoir lorsque celui-ci outrepasse ses droits. A la page 46g du polycopié figure un article sur ces droits fondamentaux. Les droits de l’homme ne sont donc pas au début (comme le prétend Hobbes) mais à la fin (concrétisation de ce qui est matériellement juste). La première étape était de faire figurer ces droits au début de la Constitution (des différents États américains, avant la fondation des USA). La Constitution du Massachussetts notamment (qui avait autrefois une importance énorme, l’État fédéral n’étant pas encore créé) liste les droits fondamentaux en tant que droit positif au début du texte légal. Les français, quant à eux, n’ont jamais voulu considérer que les déclarations de droit faisaient partie du droit positif : ils les ont toujours considérées comme des idéaux qui devaient inspirer le législateur. Ce n’est qu’au 20ème siècle que la déclaration de 1789 a été intégrée au bloc de constitutionnalité. La révolution française a joué un grand rôle au niveau de la libération des rapports humains de toute influence. L’idée que les droits fondamentaux sont formulés comme du droit positif qui IUR III 2012-2013 31 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit s’impose à tous a été découverte par les américains. Il s’agit d’un progrès énorme, dont la réalisation fut longue et imparfaite (esclavage, massacre et autres). Naturellement, cela implique l’indépendance absolue du pouvoir judiciaire par rapport aux autres pouvoirs. Aux USA, cela passe par une nomination à vie des juges des plus hautes Cours. En Suisse, il existe une petite défaillance au niveau de l’indépendance des juges, par rapport aux liens avec le pouvoir politique (réélection ou non). Tout le système a été importé après 1945 des USA : l’Europe (sauf la Suisse) a récupéré l’ensemble du système américain à la suite de la guerre. Les premiers à le faire furent les États vaincus : Allemagne et Italie (il existe d’ailleurs dans ces deux pays un tribunal constitutionnel ; puis les autres pays fascistes : Espagne, Portugal et enfin les autres : France, Angleterre et suivants). En Europe, on peut considérer la CEDH comme étant la Cour suprême. Il est difficile d’estimer que la liberté de chacun est limitée par la CEDH. Les Anglais notamment n’acceptent pas totalement cette limite des droits fondamentaux pour le législateur et le constituant. Derrière tous ces concepts se trouve la philosophie jusnaturaliste : tous les pouvoirs dans un État sont mis en place par l’utilité apportée aux gens et donc pour leur rôle, notamment par rapport à des biens fondamentaux. Dès lors, quand le pouvoir va au-delà de ce rôle pour lequel il a été constitué, il n’existe plus et les actes doivent être annulés. Ainsi, une Cour doit pouvoir annuler ces actes sur la base de droit positif efficace (les droits fondamentaux). La dimension téléologique de protection de bien fondamentaux veut que cette fin de protection des biens fondamentaux gouvernement l’ensemble de l’activité de l’État. On atteint donc une finalité jusnaturaliste sans partir d’une idée liée à la nature de l’homme. Bien entendu, Hobbes, Hottois et Caïla sont au contraire convaincus qu’il faut partir de la nature humaine. Ils estiment que deux options s’affrontent : - La liberté sans limite et absolue caractérise la nature humaine, solution retenue et prônée par les positivistes, au contraire de la seconde. Il s’agit du point de vue de Hobbes, Hottois et Caïla notamment. IUR III 2012-2013 32 Jérémy Stauffacher - Philosophie du Droit La nature humaine est identifiée, non pas par la liberté, mais par la dignité et l’on fonde tout sur ce concept : pour eux (positivistes radicaux) cette logique est impossible car elle reviendrait à considérer que l’être humain appartient à sa nature et non pas à lui-même. Dès lors, le concept de nature humaine transcenderait l’humain lui-même. Platon imagine que nous disposons d’une connaissance absolue de la nature humaine, sur laquelle la philosophie pouvait être fondée. La doctrine de l’Eglise en matière de droits fondamentaux repose sur cette théorie : Dieu nous aurait révélé précisément ce qu’est la nature humaine. Dans cette optique, on pourrait mettre en place la société sur la base de cette révélation. Malgré tout, on est bien forcé d’admettre qu’il existe des gens non-croyants. Dès lors, il est impossible de fonder la cité sur une conception religieuse, subjective et partiale. L’historique des USA présenté ci-dessus a été précédé par ce qui s’est passé en Angleterre (philosophie de Locke notamment). Le procès de Charles 1er, en Angleterre, est un bel exemple du problème du dépassement de ses droits par un souverain. Il a ainsi été très difficile de trouver un avocat chargé de soutenir l’accusation (celui qui a finalement accepté cette tâche a été décapité par le successeur de Charles 1er). On peut mettre en parallèle ce procès avec le procès de Nuremberg. En effet, il fallait revenir à la conception téléologique de base : c’est la population qui est à l’origine du pouvoir mis en place dans un État. Confrontés à des actes du parlement anglais, les américains (p. 46g dernier tiret) remettent en cause le concept de souveraineté. La théorie des anglais était la théorie de Hobbes, même s’il n’existait plus de souverain unique. Malgré tout, ils estimaient qu’un pouvoir unique et absolu devait exister. Les américains réagirent à cette argumentation en prétendant qu’il s’agissait d’une forme d’esclavagisme. De même, ils n’acceptaient pas les lois anglaises car ils n’étaient pas représentés au parlement. Cela n’était toutefois pas l’élément central. Les droits fondamentaux doivent en fait s’imposer même s’ils ne figurent pas dans un acte législatif. Pour justifier cela, les américains utilisèrent la pensée politique radicale de la guerre civile anglaise. Suivant Locke, philosophe des USA, les droits fondamentaux sont justifiés par l’utilité qu’ils apportent aux gens. IUR III 2012-2013 33 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit 11. Cours du 6 décembre 2012 L’arrêt en matière de RC des pages 49 ss du polycopié traite de la notion de dommage corporel. On se demande ce qui est implicitement contenu dans un tel arrêt. En l’occurrence, la lésion corporelle subie (coup du lapin et conséquences) est une atteinte à une chose considérée comme un bien (sens même du mot lésion). On part de l’idée que l’intégrité corporelle est un bien et que tout type d’atteinte est un mal (p. 283 du polycopié : toute atteinte est négative et doit donner lieu à réparation). En tant que philosophe, ce discours de bon sens nous intéresse tout particulièrement en lien avec la philosophie de Hobbes, qui prétend que tout est subjectif. Tout l’arrêt perruche repose sur la subjectivité des droits : l’arrêt perruche définit le dommage comme ce qui va contre la volonté d’une personne et non pas ce qui atteint un bien protégé. Cette thèse est très présente : l’intégrité corporelle doit objectivement être protégée, peu importe les personnes et leurs volonté. Comme on l’a dit 252 fois, il y a conflit entre positivisme radical (conception subjective) et jusnaturalisme (conception objective). Certains estiment qu’en matière de RC, le critère déterminant est la volonté de la personne : ne doit être indemnisé que ce qui va contre la volonté d’une personne (positivisme). Au contraire, d’autres partent d’une conception plus objective du dommage, en fonction des biens absolus à protéger et qui sont touchés (jusnaturalisme). La qualité de la vie de quelqu’un dont l’intégrité corporelle est intacte est meilleure que la qualité de vie d’une personne atteinte. Dans ce cas donc, l’intégrité corporelle est un bien, une capacité permettant le fonctionnement optimal : le fonctionnement complet permet la qualité de vie maximum. Il y a donc deux biens touchés : l’intégrité corporelle mais aussi la qualité de vie. En effet, la victime n’a pas voulu engager une personne pour s’occuper du ménage. Dès lors, il n’y a pas de diminution du patrimoine mais un simple préjudice ménager (dommage normatif), à savoir une atteinte à la qualité de vie due au handicap. Dans cet arrêt, la qualité de vie a été considérée comme un bien du fait que son fonctionnement n’est plus optimal à cause de la IUR III 2012-2013 34 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit lésion. Naturellement, le TF ne peut utiliser une théorie Hobbesienne de subjectivité. Ainsi, la pratique du droit n’est pas concrètement liée à une approche positiviste radicale mais à une conception jusnaturaliste. La qualité de vie est donc considérée comme un bien à protéger. L’exercice des capacités en question (fonctionnement) influe sur la qualité de vie. Or, le fonctionnement est dans ce cas réduit : la qualité de vie est donc touchée et cela est un dommage, sans aucune atteinte patrimoniale. On peut même aller plus loin : les systèmes politiques et économiques peuvent être jugés en fonction du développement des capacités diverses (intellectuelles, sociales) au sein de la population. Le développement des capacités par les institutions doit être la fin ultime (visée téléologique). Pour Hobbes, il est exclu de faire d’un thème une fin ultime : tout peut être choisi comme objectif final, en toute subjectivité. Le rapport de l’ONU (p. 54 polycopié) présente les différentes conclusions en matière de développement humain. Le développement humain doit profiter aux individus. L’idée selon laquelle les institutions doivent être jugées selon l’épanouissement qu’elles apportent aux individus remontent au moins à Aristote (notion de démocratie actuelle : centrée sur le bien commun). Le courant qui depuis les Romains applique ces principes est le courant républicain (res publica). Ce courant met au centre l’intérêt de chacun. Le rapport précise ensuite qu’il est erroné de baser les critères uniquement sur la richesse produite par l’activité du pays. Le rapport estime qu’il ne faut pas assimiler la croissance du PNB avec le développement humain d’un pays. Certains pays vivant une forte croissance du PNB ont pourtant une mortalité infantile très élevée. De même, certains pays à croissance plutôt faible ont réussi à atteindre des niveaux élevés de développement humain. Le rapport de l’ONU part du principe qu’il faut donc prendre en compte d’autres critères pour juger du développement humain d’une nation. Dès lors, le bien-être des humains doit être la fin ultime et la richesse ne doit être qu’un moyen pour l’atteindre (fondement de la conception téléologique). Dans le système suisse par exemple, l’école primaire obligatoire est un moyen pour atteindre le développement humain. La fréquentation d’une école à cet âge-là IUR III 2012-2013 35 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit a été jugée si importante que cela légitime de la rendre obligatoire (conception objective). Pour Hobbes, il s’agirait simplement d’un hasard, d’un choix subjectif effectué à un moment donné et non pas d’une décision objective et incontestable. Le rapport prévoit trois axes du développement : - Le savoir : accès au savoir (alphabétisation). - La santé : vivre longtemps et en bonne santé (espérance de vie). - La satisfaction des besoins : pour acquérir les produits nécessaires. Ces trois mesures de développement présentent un défaut : il s’agit de moyenne qui masquent par nature les disparités au sein de la population. A l’origine, la croissance du PNB était déterminante. Or, il s’agit d’un critère insuffisant pour juger du développement humain. Il faut avant tout garantir la santé et le savoir, la fourniture de biens et de services doit compléter ces deux aspects. Il y a donc relativisation de la théorie qui veut que chaque bien accroisse la puissance d’un pays (théorie de la formation du capital). 12. Cours du 13 décembre 2012 Philosophie de Hart Hart est un philosophe du mouvement du positivisme juridique ou positivisme méthodologique (p. 83 ss). Hart va publier « The concept of law » en 1961, ouvrage qui sera considéré comme la meilleure contribution en droit du 20 ème siècle par les anglo-saxons. Il travaillait beaucoup avec Finnis qui était un jusnaturaliste. Son successeur (à la chaire universitaire), Dworkin, était souvent en désaccord avec sa philosophie. Son ouvrage peut tout à fait être considéré comme de la sociologie descriptive. Il affirme que la conduite humaine en société n’est pas facultative mais plutôt obligatoire, en tout cas ce qui concerne certaines conduites bien précises. L’obligation d’adopter une conduite humaine dépasse le simple cadre de la contrainte ; en tant qu’être humain, on a l’habitude de se référer à un certain standard, de se conformer à certaines règles dans certaines circonstances. On n’y est pas obligé, mais on le fait tout de même (les bonnes manières par exemple). IUR III 2012-2013 36 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Le positivisme juridique ou méthodologique présuppose que, pour avoir une vision objective des choses, il faut se positionner en tant qu’observateur extérieur, en tant que tiers spectateur. Hart affirme que l’on ne peut entrer en matière dans les finalités comme les droits fondamentaux d’une société lorsque l’on philosophe sur celle-ci d’un point de vue extérieur, car on finit par prendre position et émettre un avis subjectif. Pour lui, il faut se cantonner à constater les conduites humaines dans les sociétés en leur reconnaissant une certaine valeur objective. Cette philosophie du droit permet d’analyser de manière neutre tous les systèmes qui existent et qui ont existés : on ne fait qu’observer la situation factuelle sans émettre de jugement de valeur. Après avoir observé tel ou tel système, on peut définir que signifie dans ledit système des notions comme le droit, l’obligation ou la contrainte. Pour essayer de clarifier les choses, Hart va poser trois questions : - Si le droit a pour effet de rendre la conduite humaine obligatoire, est-ce que le droit est une question d’ordres, de commandements donnés par un supérieur à un inférieur ? Pour Hobbes et d’autres théoriciens, le droit positif est effectivement un commandement du souverain imposé à ses sujets vu que ces derniers ont accepté de s’y plier en concluant le pacte de soumission. C’est la théorie impérativiste du droit, à laquelle Hart est farouchement opposée. - Est-ce que le droit est une question de morale (tu ne tueras pas, tu ne voleras pas) ? Hart écarte cet aspect en refusant d’entrer en matière sur le contenu moral ou amoral du droit. - Si on ne peut pas qualifier le droit de commandement de commandement ou de morale, peut-on dire que le droit est une question de règles ? La notion de règle est aussi compliquée que la notion de droit ; il ne sert donc à rien d’entrer en matière. Hart va développer une nouvelle conception du droit qui n’entre pas dans le cadre de ces trois questions. Nous analyserons cette innovation plus tard, il convient d’abord de traiter des trois questions. IUR III 2012-2013 37 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit 13. Cours du 20 décembre 2012 Nous avons abordé la philosophie de Hart (positiviste juridique) par le biais de trois éléments articulés autour de points centraux (questions) : Le droit est-il un ensemble de commandement ? Le droit est obligatoire et non facultatif, mais cela n’est pas dû au fait que le droit est constitué de commandements. La théorie impératiste du droit selon Hobbes est fausse : il faut attribué le caractère obligatoire du droit à autre chose qu’à une relation entre un supérieur et son sujet. La dimension des règles de droit générales et abstraites et très importante. En effet, un commandement n’est jamais un acte général et abstrait mais bien une décision spéciale et concrète. Un ordre lie toujours le commandé mais pas le commandeur : ce-dernier n’a pas d’obligations du fait du commandement donné. On arrive donc à la conclusion que le droit n’est pas un ensemble de commandements unilatéraux. Le fait que le droit entraîne une conduite humaine obligatoire peut-il être attribué au fait que le droit est imprégné de moralité ? Ce serait alors la moralité du contenu qui entraîne la conduite obligatoire et non facultative. Hart répond catégoriquement non et distingue les obligations juridiques des obligations morales. Hart rejette la conception scolastique qui voudrait que l’ordre juridique soit essentiellement imprégné de moralité (point de vue de Maritain). L’explication qu’il veut donner du droit est indépendante de tout phénomène de moralité : il souhaite que l’on distingue le droit tel qu’il est (droit existant) du droit tel qu’il devrait être si toutes les règles morales étaient respectées (droit désirable). A son avis, expliquer le droit est aussi nécessaire et possible dans des systèmes extrêmes (fascistes, nazis, bolchéviques, concentrationnaires et autres). Dans ces systèmes, la conduite humaine était rendue obligatoire malgré l’immoralité d’un très grand nombre de règles. La catégorie de l’obligatoire constitue quelque chose de différent de la morale. En droit, c’est la validité formelle (procédure d’adoption) est déterminante : Hart estime que la règle en vigueur peut exprimer n’importe quelle logique présente au sein d’un ordre juridique. IUR III 2012-2013 38 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit L’autre grand positiviste méthodologique est Hans Kelsen (autrichien d’origine qui a enseigné en Suisse et aux USA), a beaucoup insisté sur la différence entre juridiquement obligatoire et moralement obligatoire. Cette insistance l’a amené à définir le droit autrement que Hart : à son sens, ce qui explique le caractère obligatoire du droit n’est pas la morale des règles mais l’obligation résulte du fait que dans le système il existe des normes qui imposent une sanction si la règle en question est violée. Kelsen rattache le caractère obligatoire de la norme à l’existence d’une sanction, dès lors, le droit est une question de menace, de sanction. Ainsi « l’obligation de conduire d’une manière déterminée (juridique) existe seulement dans le cas où la conduite opposée est la condition d’une sanction statuée par une norme juridique ». L’ensemble du droit repose donc sur le droit pénal. Hart est d’accord avec le raisonnement mais estime que la sanction n’est essentielle que pour ceux qui fraudent (dissidents et révoltés). Pour Hart, le caractère obligatoire du droit est lié à l’aspect normatif : il attribue la conduite humaine obligatoire, non pas au fait qu’il s’agit d’ordre, non pas parce qu’il s’agit d’un comportement moral, non pas parce qu’une conduite opposée est sanctionnée, mais parce que l’être humain est lié aux normes. Le jusnaturalisme de Aristote n’est pas le jusnaturalisme de Maritain (lié à la sanction). Au final, le droit n’est donc pas une question de morale au sens de Hart (le droit est une question de règles de comportement). Le droit est-il une question de règle de comportement ? Hart répond par l’affirmative, tout en précisant que le mot règle est tout aussi obscur que le mot droit. Dès lors, même s’il est possible de répondre facilement à cette question, l’évolution est mineure. Certes, ce sont les règles qui fondent le droit mais sans définir la règle, il n’y a pas de progrès. Ainsi, il faut partir d’un autre point, à savoir l’observation de la société, pour définir le droit (attitude de sociologue). Selon Hart, les relations humaines en société sont assez régulières. Ainsi, en menant des enquêtes d’opinion, on peut définir la conduite humaine obligatoire. Hart a intégré un nouveau facteur pour préciser la régularité des comportements humains : la pression sociale (fait que l’ordre juridique ne peut définir, fait inhérent à toute société organisée). Pour distinguer les règles de droit des règles comportementales, 3 critères : IUR III 2012-2013 39 Jérémy Stauffacher - Philosophie du Droit L’intensité de la pression sociale est plus grande pour les règles de droit que pour les règles de comportement. - Les règles de droit sont d’une importance particulière pour le maintien de la vie sociale, de la vie en société. - Les deux types de règles entrent fréquemment en conflit et exigent dès lors des sacrifices personnels. 14. Cours du 21 février 2012 Hart est positiviste juridique (ou méthodologique). Les positivistes méthodologiques (Hart) considèrent, comme les positivistes radicaux (Hobbes), qu’il ne faut pas faire intervenir de jugements de valeur. Hobbes (PR) soutient cette théorie parce qu’il estime que tout jugement de valeur est subjectif. Hart (PM) ne va pas aussi loin : il se contente de dire que si on veut comprendre correctement le droit, il faut partir de la volonté du législateur. Selon le PR, les seules obligations (ou limites à la liberté) proviennent des pactes. Dès lors, aucune obligation envers les générations futures n’existe. Le jusnaturalisme (étudié en lien avec quelques éléments en particulier) considère notamment que la vie est un bien essentiel (arrêt Perruche). On a également vu l’opposition entre Jonas (jusnaturalisme) et Hottois (PR). Enfin, nous verrons le courant utilitariste, qui met le bien-être du plus grand nombre (somme maximale) au centre de la pensée. Nous avons vu la dernière fois les trois questions que se pose Hart (p. 85-86 du polycopié) : - Le droit est-il constitué d’ordre, de menaces ou de commandements donnés ? Hart refuse la théorie impérativiste du droit et l’importance primordiale de la sanction et de le menace en droit. - Le droit est-il une question de morale ou de justice ? Selon Hart, droit et morale doivent être distingués (phénomènes différents). - Le droit est-il une règle de comportement ? La notion de règle étant obscure, nous ne progressons absolument pas. IUR III 2012-2013 40 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Un nouveau départ est donc nécessaire pour comprendre le droit, basé sur l’observation des comportements dans la société : des régularités existent dans les comportements des gens en société. De simples habitudes totalement extérieures au droit ou des situations liées à des modèles de comportement peuvent donc éclairer le droit. Ainsi, le fait de respecter les règles de grammaire ou de prononciation se base sur un modèle. Hart distingue ainsi les règles de droit des autres règles. Après le problème des trois questions et du nouveau départ, il est nécessaire de parler du point de vue externe et du point de vue interne (p. 87). Hart explique que lorsqu’une règle existe, on peut trouver deux types de comportement. Prenons l’exemple d’un carrefour avec feu rouge : deux comportements existent : celui qui voit que le feu est rouge s’arrête, parce que cela lui paraît adéquat et celui qui s’arrête, parce que la sanction l’empêche de passer (ou qui passe tout de même en espérant ne pas être pris). Dès lors, la règle peut avoir deux fondements : l’adhésion et la sanction. Soit on estime que la règle est importante (et on la respecte en principe), soit on considère qu’elle n’est pas importante (et seule la sanction peut alors entraîner son respect). Le point de vue interne est le point de vue de celui qui respecte la règle alors que le point de vue externe est le point de vue de celui qui respecte (ou non) la règle à cause de la sanction. Dès lors, une personne ignorant tout du feu rouge tentera de comprendre la règle en observant la situation. Il dépassera ses propres jugements de valeur et procèdera par statistiques pour comprendre la règle. Tout de même, cela n’est pas suffisant, l’observateur doit s’intéresser aux raisons du comportement du conducteur. Pour établir une philosophie du droit, on peut ainsi procéder par enquêtes d’opinion (observateur externe). Cette méthodologie satisfait donc aux exigences du positivisme méthodologique en mettant ses propres jugements à l’écart. Hart pense qu’il faut se comporter comme un observateur externe (recherchant les raisons qui poussent les gens à respecter ou non une règle) pour comprendre le droit. A l’inverse, Dworkin ou Finnis privilégient le point de vue interne : le droit doit être étudié conformément à l’expérience. Naturellement, il est très difficile d’être parfaitement neutre et externe dans l’étude du droit. IUR III 2012-2013 41 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Certains estiment que la volonté de procéder d’un point de vue externe n’a pas véritablement pu être appliquée. Comme on l’a dit, Hart distingue les régularités dues à de simples habitudes (saluer) des régularités fondées sur des règles (de droit et autres). L’établissement de cette distinction nécessite des enquêtes d’opinion pour connaître les raisons qui motivent la population à agir d’une manière ou d’une autre. Jusque là, la manière de procéder définie par Hart est valable et cohérente : il est donc, à ce stade, possible d’agir uniquement d’un point de vue externe, comme un observateur externe procédant par enquêtes d’opinion. Ensuite, il est également nécessaire de distinguer les règles de droit de toutes les autres règles (politesse, jeu, sport). Dans le polycopié, cette seconde étape est expliquée à la page 86. Les règles de droit se distinguent des autres règles sociales par la pression sociale exercée sur ceux qui s’en écartent. En plus, les règles de droit sont importantes pour le maintien de la vie sociale. Enfin, les règles de droit exigent souvent un sacrifice personnel, au contraire des règles sociales. Cette façon de procéder en distinguant les règles selon ces trois critères est centrale dans la philosophie de Hart. Or, le fait de procéder par critère, et plus précisément le deuxième critère fondé sur l’importance pour le maintien de la vie sociale, impliquent forcément l’engagement personnel : il est impossible de procéder par enquêtes d’opinion en tant qu’observateur externe. Le 2ème critère paraît être déjà choisi ou acquis par Hart avant même de procéder à des enquêtes d’un point de vue externe. Hart a réagi en affirmant que le critère visait à déterminer ce qui prétendait être nécessaire au maintien de la vie en société. Notre quatrième et dernier point (3 questions, nouveau départ, point de vue externe / interne) concerne la distinction entre règles primaires et règles secondaires. Comme on l’a dit, les règles de droit ne sont pas des commandements (selon la théorie impérativiste du droit) : en effet elles s’appliquent à tous, même à ceux qui les adoptent. La clé réside pour Hart dans l’articulation entre règles primaires et règles secondaires. Les règles primaires impliquent la détermination de droits et de devoirs (règles étudiées en cours : seules ces normes sont présentes dans les systèmes primaires) alors que les normes secondaires sont divisées en trois catégories : IUR III 2012-2013 42 Jérémy Stauffacher - Philosophie du Droit Les normes secondaires de changement : ce sont les normes secondaires principales : elles concernent l’adoption de nouvelles règles et l’abrogation de règles existantes. Il s’agit ainsi des règles de la Cst. relatives à l’adoption ou à la modification d’une loi. Il peut également s’agir des normes concernant les statuts des sociétés. Si les règles de changement sont transgressées, les règles adoptées seront formellement invalides (vices de procédure). - Les normes secondaires de décision : dans un système de droit, il faut définir qui peut décider dans les cas concrets. Des tribunaux et des procédures doivent donc être définies pour améliorer le fonctionnement du système. Toute la procédure judiciaire et la mise en place de tribunaux dépendent de normes secondaires de décision. Les types de règles interagissent entre eux : les règles de changement servent à adopter les règles de décision (et les autres types de règles). - Les normes secondaires de reconnaissance : ces règles intègrent au droit un élément déjà existant. L’art. 1 al. 2 CC prévoit ainsi que le juge peut se prononcer selon le droit coutumier. Cette règle intègre donc le droit coutumier dans le droit positif, sans le fabriquer. Une règle de changement permet de construire une règle alors qu’une règle de reconnaissance ne fait que reprendre un élément préexistant. De manière générale, les règles secondaires fixent la structure, la compétence et la procédure et les règles secondaires les appliquent. Dworkin, successeur de Hart à la chaire de Oxford, s’oppose radicalement à Hart. Il estime que la philosophie de Hart est une philosophie de bas étage, inintéressante. Pour lui, le droit est une question de principes juridiques et non de règles juridiques (liberté, proportionnalité, dignité humaine et autres). Les règles de comportement n’ont donc qu’un rôle secondaire. A la page 93 du polycopié figure un texte de Dworkin rappelant l’approche de Hart par rapport à Austin (version du positiviste adoptant la théorie impérativiste : le droit est un ensemble de commandements). Précisons que la distinction entre règles primaires et règles secondaires n’est pas une distinction de philosophe : en effet, le droit suisse reprend cette séparation. Dworkin reconnaît l’importance de cette distinction. IUR III 2012-2013 43 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Dworkin estime qu’il n’y a aucun moyen de distinguer les règles de droit des règles de comportement. Cela se rapproche de la philosophie de Hart mais n’est pas exact. En effet, aucun moyen formel ne permet de distinguer entre les types de règles. Dans sa théorie du nouveau départ, Hart parvient à distinguer les règles de droit (même dans un système primitif) en se fondant sur les trois critères vus précédemment (intensité de la pression sociale, importance pour la société et sacrifice de ceux qui la respectent). Pour Hart, le fondement de l’ensemble du système est constitué d’une règle de reconnaissance : ce type de règle secondaire est donc ultime (principe de la règle de reconnaissance ultime). On peut imaginer une telle règle de reconnaissance en la teneur suivante : ce que prévoit le roi fait partie du droit. On pourrait aussi imaginer qu’une telle règle « reconnaisse » en tant que droit tout ce qui est constitutionnel (procédure démocratique, compétence établie par le texte suprême et autres exigences). Cette règle s’impose d’elle même, comme du droit coutumier, comme une règle primaire (alors qu’il s’agit d’une règle secondaire). Concrètement, la règle de reconnaissance ultime est l’accord entre le Parlement et la Reine. En Suisse, cette règle de reconnaissance ultime est la majorité du peuple et des cantons. Dès lors, on se pose la question de l’adoption de cette règle. Comment a-t-on adopté cette règle ? La procédure a-t-elle déjà été respectée ? Une règle de reconnaissance ultime ne peut pas être elle-même valide. Dans un système juridique, son caractère obligatoire découle d’un fait que l’on peut constater en observant la société (et donc non pas d’une procédure qui entrainerait sa validité formelle). La règle de reconnaissance est identifiable par le fait qu’elle concerne le fonctionnement de l’appareil gouvernemental. Pour Kelsen, la contrainte est essentielle pour définir le droit. Hart, au contraire, estime que la contrainte est importante pour les récalcitrants mais non essentiel (l’essentiel réside dans le caractère normatif). Kelsen pose une hypothèse à la base de tout le système : la première Constitution a été adoptée valablement (fiction ou hypothèse). Pour le jusnaturalisme (Aristote et Hart notamment), le système repose sur l’objectif, le résultat que vise implicitement tous les gens d’un pays. IUR III 2012-2013 44 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Il s’agit à présent de faire une conclusion générale sur Hart avec le texte de la page 89 du polycopié. La littérature anglo-américaine utilise le concept du positivisme pour désigner les différentes thèses suivantes : - Les règles de droit sont des commandements d’êtres humains (1). Il s’agit de la position de Austin, avec laquelle Hart n’est pas d’accord. - Il n’y a pas de connexion entre la morale et le droit (2). Cela correspond à la position de Hart, en lien avec la deuxième question. - Le système juridique constitue un système fermé dans lequel des solutions peuvent être déduites par des méthodes exclusivement logiques (4). Là encore, Hart n’est pas d’accord car il estime qu’il faut faire des renvois à l’équité et à cause de l’existence de lacunes. - Les jugements moraux ne peuvent être émis sur la base d’une argumentation rationnelle (5 et 2). Hart est plutôt d’accord avec cette thèse qui veut qu’il n’y a aucune argumentation rationnelle en matière de morale mais propose quelques limites (au contraire de Kelsen, qui est complètement d’accord avec cette thèse). Selon Kelsen, parce qu’il n’y a aucun lien entre droit et morale et parce que l’argumentation morale n’est jamais rationnelle, le contenu du droit est illimité. Hart insiste beaucoup sur les systèmes politiques, qu’il divise en deux groupes : les systèmes dans lesquels la contrainte (sous toute ses formes : violence, cruauté, répression et autres) est exercée de manière injuste (tout en étant conforme au système) et les systèmes dans lesquels la contrainte n’est exercée que contre les criminels. Dans les premiers, il y a beaucoup de règles primaires, reposant sur la volonté du dictateur en place. Il s’agit de systèmes juridiques. Tous ont conscience du caractère injuste des règles, il n’y a aucune adhésion. Pour Hart, alors même que personne ne considère les règles comme des modèles de comportement, il peut s’agir d’un système politique et juridique uniquement parce que la seule règle de reconnaissance des actes du dictateur est acceptée. Hart a voulu créer une philosophie applicable à tous les systèmes, justes ou non. Dans les seconds, les règles sont justes et s’appliquentt à tous de manière égale. Les considérations de justice sont pour lui des questions morales sans lien avec le droit. Au contraire, Finnis et Dworkin pensent qu’il faut partir du point de vue interne. IUR III 2012-2013 45 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit 15. Cours du 7 mars 2013 Philosophie de Dworkin Pour Dworkin, il est erroné de considérer le droit comme un ensemble de règles de comportent. Dans des cas difficiles, le droit n’est pas une question de règles de conduite mais une question de principes, indépendants de la volonté du législateur (liberté contractuelle, interdiction de l’abus de droit, bonne foi par exemple). Tous les droits fondamentaux sont des principes. Dans le polycopié (Dworkin p. 93 ss), aux pages 94-95 figurent des textes de Dworkin. Le jusnaturalisme considère qu’il y a certains principes dans un système de droit qui s’imposent non pas comme des règles mais à cause de leur contenu, indépendamment de la validité formelle. On se demande alors ce qui pousse à Dworkin à adopter une telle position. Pour Dworkin, le positivisme de Hart n’explique pas l’expérience d’un juge ou d’un avocat s’agissant du droit. Il reconnaît que Hart n’est pas parti d’une conception étroite du système juridique. Dans le polycopié, à la page 89 figurent les définitions du positivisme. Au point 4, certains positivistes soutiennent que le système juridique constitue une organisation fermée mais cette théorie des juristes analytiques n’est pas la thèse de Hart. Pour Hart, le droit est un système lacunaire, qui doit être complété par les juges selon leur pouvoir discrétionnaire, non soumis à la question de l’arbitraire. Pour Dworkin, dans la pratique, même en cas de lacune ou d’absence de règles, les juges décident en fonction de principes. Dès lors, la théorie positiviste n’est pas applicable en pratique. Si les juges pouvaient décider de manière discrétionnaire, il serait idiot de présenter son litige devant eux. Dès lors, il faut s’assurer que les juges décident sur la base de principes. En effet, la théorie de Hart ne permet pas d’expliquer que les gens aient recours au droit. Dworkin reconnaît donc un pouvoir d’appréciation aux juges, et non pas un pouvoir discrétionnaire (art. 4 CC). Partir de l’expérience du juriste, et donc être juriste et s’appuyer là-dessus, est une philosophie du point de vue interne, ce qui revient à refuser l’dée de Hart qui consiste à dire qu’une bonne philosophie du droit doit être fondée sur le regard d’un observateur extérieur. IUR III 2012-2013 46 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Bien sûr, Hart reconnaissait qu’il fallait sonder les gens pour connaître leur point de vue interne. Dworkin, au contraire, soutient une philosophie interne mais pas pour autant subjective (opposition ferme à la philosophie de Hart). Il faut donc beaucoup de nuances, de délibérations, de controverses des arguments mais cela ne s’oppose pas à l’existence de vérités. Le droit, dans son aspect fondamental, correspond à ce qui est correct (sachgerecht). Selon Dworkin, c’est l’art. 4 CC qui oriente le droit vers une solution juste : il s’agit donc du principe à la base des principes (standard). On peut assez facilement rapprocher la philosophie de Dworkin de la philosophie de droit naturel d’Aristote (on parle ainsi de droit naturel moderne). Ce premier point a montré comment Dworkin écartait le positivisme en se basant sur l’expérience. Nous allons maintenant parler du troisième paragraphe de la page 94 du polycopié (« je viens de parler […] »). On peut citer comme exemple de règles politiques la promotion des femmes dans les conseils d’administration ou la diminution des accidents de la route (application de principe, policy). Au contraire, un principe est un standard qu’il faut appliquer, non pas parce qu’il assure un résultat politique ou social jugé désirable mais parce qu’il est une exigence dictée par la justice, ultimement : les principes juridiques reviennent à imposer ce qui est correct (sachgerecht). Pour Dworkin, le principe est une indétermination orientée alors que la règle a une structure logique. Le principe est donc logiquement plus large et moins précis que la règle : il a une nature générale et abstraite. Les principes ont une importance qui tient à leur contenu, y compris le principe de la sécurité du droit. Les principes s’appliquent par nature, sans qu’une référence puisse être faite. La validité, concept formel dépendant de la procédure d’adoption, ne s’applique donc pas aux principes. Selon Dworkin, le droit positif applicable rassemble les règles valides mais également les principes, alors que ces derniers n’ont pas été décidés par un législateur. Lorsqu’il n’existe aucune règle, on découvre la solution en fonction de ce qui est adapté au cas, de ce qui est équitable. Il y a donc une objectivité parce qu’il existe une classification entre les solutions correctes et incorrectes. On peut concrétiser cette théorie avec l’arrêt Obwald concernant les taux dégressifs : le TF a cassé la décision prise par la population du canton d’Obwald en précisant que personne ne lui avait opposé IUR III 2012-2013 47 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit un argument valable pour défendre une telle position. Dès lors, le TF s’est fondé sur un raisonnement sachgerecht interprété a contrario. La seule motivation est d’attirer les riches Zurichois. Dans ce cas, même sans règle de droit, il y a une certaine objectivité. Le TF n’exclut pas que les principes fondent des obligations (légales ou contractuelles), mais cela reste plutôt exceptionnel (exemple de la responsabilité de Swissair). 16. Cours du 14 mars 2013 Pour Dworkin, il est totalement faux de considérer le droit comme des règles de comportement ou de conduite édictées par le législateur. Il estime qu’il ne s’agit que d’une partie du droit qui n’est utile que pour les cas les plus faciles (ce qu’on apprend dans les premières années de collège). Pour les cas difficiles, le droit n’est pas une question de règles de conduite, mais une question de principes, indépendantes de la volonté du législateur : principe de la liberté contractuelle ; principe de l’interdiction de l’abus de droit ; principe de la bonne foi ; principe de la l’interdiction de l’arbitraire ; etc. Le fait que ces principes se retrouvent dans la Constitution n’est pas forcément utile dans le sens où ils pourraient tout de même trouver application sans cela. Ce qui amène Dworkin à ce raisonnement est le fait que le positivisme de Hart n’explique pas l’expérience (juge ; avocat ; juriste) en matière de droit. Il reconnaît que ce dernier ne s’est cependant pas limité à une vision étroite du droit. Selon Hart, le droit est comme un tricot composé de mailles de plusieurs dimensions (droit primaire ; droit secondaire ; etc.). En cas de lacune, il estime qu’il appartient au juge de la combler, mais selon quel pouvoir, quelle légitimation ? Selon un pouvoir discrétionnaire, pouvoir allant bien plus loin que le pouvoir d’appréciation que l’on connaît aujourd’hui, car sa décision ne peut être qualifiée d’arbitraire. Or, si le principe de l’interdiction de l’arbitraire d’applique, tout le raisonnement de Hart tombe à l’eau. Pour Dworkin, un tel pouvoir n’existe pas en pratique : les juges décident et comblent les lacunes en respectant un certains nombre de principes : rejet de la théorie positiviste dans la pratique. IUR III 2012-2013 48 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Ainsi, Dworkin fut l’initiateur de l’élaboration par le point de vue interne, bien qu’il estimât qu’il ne faille pas tomber dans la subjectivité. Le critère objectif découle d’une part des principes et, d’autre part, de ce qui doit être matériellement tranché selon l’équité pour tel ou tel cas, ce qui est adéquat en l’espèce. De ce point de vue, la philosophie de Dworkin se rapproche substantiellement de la théorie d’Aristote sur le droit naturel. 17. Cours du 21 mars 2013 Philosophie de Finnis Finnis est un jusnaturaliste : ses idées sont opposées à celles de Hart et vont plus loin que celles de Dworkin. D’une manière générale, Finnis reprend tout de même les idées de Hart et les développe : d’ailleurs, le 70% de ce que nous lirons de Finnis dépend d’un texte de Hart. Dans le polycopié, le plan détaillé est presque complet concernant Finnis. Aux pages 97 ss du polycopié figure un texte de Hart présentant trois thèses, importantes pour Finnis : - Hart n’accepte qu’un contenu minimum de droit naturel. Il se distingue donc clairement de Kelsen et des autres positivistes méthodologiques qui prétendent que tout dépend de la volonté du législateur. - Il faut rechercher le contenu minimum de droit naturel dans l’objectif que se fixent les êtres humains, les plantes, les animaux : la dimension téléologique est présente partout : tout en est imprégné. - La raison pratique a un rôle central dans la conception du minimum de droit naturel présent dans le droit positif. Sans exercer (travail) la raison humaine, on ne peut admettre l’existence de droit naturel. - Le contenu du droit naturel dépend du résultat qui doit être atteint : le système juridique se justifie par le résultat qu’il prétend atteindre. A présent, il est important de préciser le point de vue de Finnis sur chacune des 4 thèses : en effet, Hart a estimé que la théorie de Finnis était complémentaire à la sienne, et non opposée. Concernant les différentes thèses, il faut consulter les pages 89 (bas de page), 91 (bas) et 92 (bas). IUR III 2012-2013 49 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit 18. Cours du 28 mars 2013 La dimension téléologique est centrale (premier point) : la finalité poursuivie par chacun est la conservation de l’existence. Hart estime, à l’encontre de Kelsen, que les règles de droit ont un contenu de droit naturel (Hobbes estime que de telles règles n’existent pas : seul le législateur est habilité à introduire des règles de droit) : le but ne suffit pas pour que le contenu puisse être atteint : il faut en plus que l’homme se trouve dans des circonstances (règles des 3 truismes principaux, page 92 du polycopié) de ressources limitées, d’altruisme limité et d’intelligence limitée. Ceci permet d’illustrer le schéma du raisonnement téléologique (raison). Selon Hart toujours, ce qui s’impose comme nécessaire pour que le but soit atteint, ce sont des règles avec un certain contenu (théorie téléologique, premier point). On passe à présent au deuxième point : les limitations du contenu de droit naturel posées par Hart : premièrement, il n’est pas nécessaire qu’une égalité de traitement soit assurée (les règles présentées ci-dessus pourrait ne s’appliquer qu’à une certaine catégorie de personne, alors que pour Finnis, l’égalité de traitement fait partie du droit naturel) et deuxièmement, Hart considère que la seule fin possible dans une société (le seul objectif) est la survie (maintien de l’existence : p. 104 ss polycopié). Finnis, au contraire, pense qu’il existe de nombreuses autres finalités. L’ATF sur le minimum vital des pages 167 ss polycopié met en évidence ce point : même si ce droit n’était pas expressément contenu dans la Constitution fédérale, le TF a estimé qu’il était tout de même invocable : il se base en effet sur la dimension téléologique d’un tel droit : si le droit au minimum vital n’est pas respecté, la survie et la conservation de l’être humain sont sérieusement mises en danger. Ce point de vue rejoint celui de Finnis qui estime que le droit s’applique à toutes les personnes vivant en Suisse (ce qui va à l’encontre de la première limite posée par Hart en matière d’égalité de traitement). Il faut retenir de l’arrêt des p. 167 ss du polycopié la dimension téléologique, la dualité des buts poursuivis (ce qui va dans le sens de Finnis) et la raison à la base de l’arrêt : cet arrêt illustre donc trois aspects centraux : l’existence d’un raisonnement téléologique, les finalités nombreuses (conservation de IUR III 2012-2013 50 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit l’être humain mais également épanouissement, bien être), l’existence de règles qui s’imposent compte tenu de la finalité visée et enfin le caractère raisonné de l’arrêt (il ne s’agit pas d’un arrêt de référence au droit naturel). On se demande donc si Hart ne limite pas trop la notion de but visé. Pour Finnis, la communauté politique a pour but l’existence mais également, en plus, l’épanouissement humain (pluralité de biens fondamentaux, p. 105). Selon Finnis, l’épanouissement humain passe par la survie (conception de Hart) mais également par le travail, l’amitié, les liens sociaux ou l’harmonie. Il est en outre impossible, selon Finnis, de prévoir un ordre de priorité entre les différents buts visés (comparaison avec un concours de littérature qui aurait pour but de récompenser le texte le plus court et le meilleur : les deux critères sont impossibles à concilier). Pour Hart, comme pour Hobbes, les biens visés dépendant d’appréciation subjective, mais pas de la raison et de l’intelligence humaine (au contraire de Finnis). Hart a simplement précisé que la raison humaine intervient dans l’établissement du raisonnement téléologique mais pas ensuite dans le cadre des biens visés. Aux pages 91 ss polycopié figure un texte reprenant ces points. De même, un texte de Finnis explique sa position aux pages 103 ss du polycopié. Comme on l’a déjà dit de nombreuses fois, la détermination des finalités poursuivies est, pour Hart comme pour Hobbes, une question d’instinct, au contraire de Finnis qui estime qu’il s’agit d’un raisonnement. 19. Cours du 28 mars 2013 Introduction à la philosophie d’Aristote Il s’agit de commencer par une introduction sur la méthode de Socrate. Dans les pays soumis à la Common Law et surtout aux USA, on considère qu’il faut primordialement enseigner la méthode socratique. Elle est utilisée pour résoudre de cas, mais sert également à l’élaboration de la philosophie du droit dans une plus large mesure (p. 69 du polycopié : la méthode socratique par opposition à une approche cartésienne). IUR III 2012-2013 51 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Une des démarches est de partir de quelque chose de général et de l’appliquer à quelque chose de particulier (la subsomption est une forme d’approche cartésienne) mais, pour cela, il faut maîtriser complètement les règles du code et même cela n’est pas suffisant. Il faudrait que les règles sur lesquelles nous nous basons (règles du code) soient universelles et correctes dans toutes les situations. Ce n’est pas le cas comme on a pu l’apercevoir. Il est donc nécessaire d’adopter simultanément un autre mécanisme : la démarche socratique. Le texte de la page 73 est une approche dialectique car elle procède de prémisses qui sont particulières à la position qui a été adoptée par chacun des adversaires dans la controverse. Tout dépend de la confrontation et de ce qui en ressort. Notre monde se caractérise par le fait qu’on ne peut baser nos réflexions et nos concepts sur un point de base unique et absolu. La réalité s’apprécie dans la diversité : par la multitude des paradigmes et des opinions subjectives différentes, la dialectique se voit renforcée. Il est intéressant, voire même primordial, de faire l’inventaire de toutes les positions ; il s’agit du point de départ de tout raisonnement. Par la suite, on établit les arguments qui sont en faveur et contre la position que l’on veut défendre, tout en gardant à l’esprit que d’autres conceptions que la notre coexistent. Le concept de jugement bien pesé en équilibre réfléchi selon Rawls est décrit aux pages 69 ss du polycopié. Le jugement bien pesé : par exemple, dans l’affaire Emonet, il s’agit du jugement que l’on porte une fois que l’on connaît tous les faits : on retient dès lors qu’il n’est pas admissible que la relation de filiation avec la mère soit supprimée. C’est un jugement bien pesé, un jugement que l’on rend sans prendre partie personnellement. Un jugement est bien pesé lorsque nous pensons avoir examiné avec soin tous les aspects de l’affaire et que nous l’estimons impartial, c’est-à-dire sans qu’un excès d’attention pour nos propres intérêts ne l’ait déformé. En effet, pour qu’il soit convainquant, il ne faut pas que nos intérêts personnels ait été impliqués. Un jugement bien pesé est la formulation d’une position : dans l’affaire Emonet, c’est le fait de dire que la protection de la famille passe avant tout ou alors le fait de dire qu’ils n’ont qu’à se marier. IUR III 2012-2013 52 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Le concept d’équilibre réfléchi : pour nous juristes, cela consiste à mettre en rapport le jugement bien pesé dans une situation de fait avec la loi, la jurisprudence et la doctrine. Une fois que l’on a rendu un jugement bien pesé, on va voir le code, la jurisprudence, la doctrine, etc. Rawls va expliquer qu’on est satisfait si on arrive à voir un équilibre entre les deux. On met en relation le jugement particulier avec quelque chose de plus général : il s’agit du point central de son approche. Parfois on corrige le système légal parce qu’on tient à ce jugement bien pesé et puis, dans d’autres cas, parce que la théorie, la doctrine, la vision générale des choses nous paraissent convaincantes, on est mené à changer notre jugement, pas si bien pesé finalement. Le but est de respecter un équilibre réfléchi entre les deux pôles : l’un et l’autre ne se dominent d’aucune façon. Ruggero Aldisert (p. 77 polycopié) explique que cette méthode est utilisée tous les jours par les juristes et les avocats et, plus particulièrement, par les juges au tribunal pour tester la solidité des positions que les avocats défendent. Ces arguments dépendent toujours de ces deux pôles : le pôle du jugement, de l’appréciation et sa comparaison avec le 2ème pôle, celui de la loi, des théories générales acceptées et des principes fondamentaux. 20. Cours du 11 avril 2013 Philosophie d’Aristote Sa philosophie a beaucoup influencé la politique et la notion de constitution dans le monde moderne, notamment aux États-Unis qui ont d’ailleurs servi de modèle à la Suisse. Locke, par exemple, a abondamment puisé dans sa philosophie pour élaborer sa propre théorie. Pour bien comprendre sa philosophie, il faut savoir qu’il a tenté de définir la justice matérielle minimum. Beaucoup d’historiens et de philosophes n’arrivent pas à saisir le sens de cette théorie, car ils n’ont pas assez pratiqué le droit. Selon lui, on peut objectivement apprécier une notion de justice et d’injustice, sans forcément avoir une idée concrète de ce qu’est la justice parfaite. IUR III 2012-2013 53 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit À la page 65 du polycopié, le TF parle clairement, dans son arrêt, de cette notion de justice matérielle minimale qui a été concrétisée, au niveau contractuel, par l’intégration de notions telles que la lésion ou le droit privé social. Il faut s’attacher au résultat concret de la décision : est-ce que cela tient ? Est-ce que cela est correct ? Cela choque-t-il ? On dit que le résultat doit être « Sachgerecht », c’est-à-dire « matériellement justifié ». Aristote, dans son raisonnement, comment par distinguer entre la vertu de la justice générale et la vertu de la justice particulière. Ensuite, il concrétise le passage de la justice particulière vers le droit et il en tire un concept du droit (au sens de ce qui est matériellement juste). Il sépare ensuite le droit ou le juste entre deux secteurs : le droit dans les interactions et le droit dans les distributions (p. 138). On commence par analyser la phase du raisonnement. A la page 138 du polycopié figure un explicatif sur les secteurs du droit correspondant à la vertu de justice particulière. Tous les problèmes juridiques que l’on traite, selon la philosophie d’Aristote, peuvent être uniquement rangés dans des situations concrètes de distribution ou d’interaction : - Le droit dans les distributions (voir également p. 155) : il s’agit de tous les biens qui sont distribués entre les membres de la polis, de la communauté politique. Suivant sous quelle forme elle s’opère, la distribution peut être matériellement juste ou injuste. En cas de distribution, on a toujours une masse de biens ou/et de droits qu’il s’agit de distribuer entre deux ou plusieurs personnes. Ce peut être le cas d’une masse successoral à partager de manière égale entre les divers héritiers légaux. C’est également le cas en matière de faillite pour les créanciers ou en cas de fiscalité selon la capacité de contribution des administrés. Nous ne sommes pas dans une égalité arithmétique comme dans le cadre du droit dans les interactions, mais dans une égalité géométrique ou de proportion. On traitera de manière semblable les situations semblables et de manière différente les situations différentes (principe de l’égalité de traitement) : égalité de rapport ; voir ATF sur le taux dégressif des impôts à Obwald. IUR III 2012-2013 54 Jérémy Stauffacher - Philosophie du Droit Le droit dans les interactions (voir également p. 156) : Il s’agit du droit correctif dans les interactions entre les acteurs juridiques, que ces interactions soient faites de plein gré (essentiellement droit des contrats) ou malgré soi (droit pénal ; droit de la RC). Pour les interactions, on en reste à un niveau horizontal entre deux ou plusieurs parties (relation bilatérale ou multilatérale). Schématiquement, aujourd’hui on définirait le droit dans les interactions comme du droit privé. Ce qui est déterminant, c’est l’égalité arithmétique entre deux quantités, deux rapports (une prestation et une contre-prestation). L’idée d’Aristote (p. 157), dans le but de concrétiser la justice matérielle, est de placer le juge au centre du système, lui donner un rôle prépondérant dans la délimitation de ce qui est juste et injuste au niveau particulier. Cette réflexion a été reprise par les États-Unis après la victoire sur les nations fascistes. Ils l’ont appliquée chez eux, mais l’ont également imposée chez les pays vaincus et d’une manière générale en Europe. Les pays les plus réticents à cette délégation de pouvoir du Parlement vers le juge ont été l’Angleterre et la France. Aristote n’est pas opposé aux règles générales, mais il leur reconnaît une limite, surtout en ce qui concerne la concrétisation de la justice matérielle qui ne peut être effectuée, selon lui, qu’au cas par cas. En matière de justice (p. 148), il faut avoir des critères de répartition, sinon on ne peut pas exercer ladite répartition (Kant). Selon Aristote, le droit n’est simplement des règles, voire même des principes (Dworkin) ; c’est ce qui est Sachgerecht. À la page 135, Aristote souligne le fait que le droit n’est pas nécessairement une question de règles, bien qu’il puisse l’être dans certaines circonstances. Il affirme que la notion de juste et d’injuste peuvent chacune avoir deux sens différents : est juste celui qui respecte les règles et celui qui fair (qui agit équitablement, de manière égale) ; est injuste celui qui ne respecte pas les règles et qui est inéquitable, inégale (unfair). Le tableau de la page 143 délimite en deux colonnes ce qui est juste d’une part par le respect de règles et, d’autre part, par ce qui est Sachgerecht. Pour Aristote, lorsque l’on parle de juste dans le cadre du respect de normes, on se trouve dans la vertu de justice générale, alors que lorsque l’on parle de la IUR III 2012-2013 55 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit justice matérielle minimale, on se trouve dans la vertu de justice particulière. Par conséquent, ce qui est contraire au droit est tout ce qui est contraire aux règles d’une part et ce qui est matériellement « unfair » d’autre part. Parmi les normes de comportement, certaines ne font que retranscrire ce qui est légal (art. 35 al. 2 LCR ou art. 19 al. 2 OCR). Certaines normes de comportement relèvent plus du droit naturel (nomimon) que du droit purement positif (nomicon) : art. 302 al. 1 CC : les père et mère sont tenus d’élever leurs enfants selon leurs facultés ; art. 119 al. 2 Cst. : l’intervention dans le patrimoine génétique de gamètes est interdit. À noter que l’on trouve également du droit naturel dans le cadre du droit de justice matérielle : si on arrive à définir ce qui est vraiment juste pour un cas d’espèce, on a concrétisé du droit nature. Le droit naturel est évolutif puisqu’il dépend de la pratique. Le texte de la page 160 du polycopié distingue le droit naturel et le droit légal : - Droit naturel : droit qui a la même puissance partout et qui ne dépend pas du fait qu’on l’accepte ou non. Certains pensent que le droit naturel n’existe tout simplement pas, car la nature est constante et égale partout sur la terre au contraire du droit que l’on voit changer. Au contraire, Aristote affirme que tout ce qui n’a pas trait aux Dieux est susceptible de subir des changements, notamment le droit naturel. - Droit légal : ce qui, au départ, pouvait être indifféremment ceci ou cela, mais qui a été déterminé définitivement d’une certaine manière. Le point de vue de Dworkin rejoint cette distinction d’une certaine manière en délimitant les principes juridiques des normes de comportement. L’ATF sur la naturalisation par la voie des urnes (p. 244) est un cas d’application du droit au sens d’une justice matérielle. Les citoyens doivent, dans le cadre de la procédure de naturalisation des étrangers, respecter le principe de l’interdiction de la discrimination (discrimination : traiter de manière différente des situations semblables). Ils agissent, dans cette optique, en tant qu’organes de la commune et accomplissent donc une tâche publique. Cela signifie qu’ils doivent respecter l’art. 35 al. 2 Cst. (respect des droits fondamentaux). Dans cet arrêt, la question principale a été celle de savoir s’il fallait faire primer la justice matérielle ou la volonté du souverain populaire. Le TF a tranché en faveur de la justice matérielle : en tant que cas de droit de la IUR III 2012-2013 56 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit distribution, il faut traiter de manière égale les cas semblables. La position de l’UDC, la primauté de la souveraineté populaire, a été rejetée en la matière. Les membres du parti ont alors tenté de faire passer une initiative populaire qui prévoyait que les décisions de rejet de naturalisation seraient définitives et ne pourraient donc faire l’objet d’un recours judiciaire (on évite ainsi de faire passer ces cas devant le TF qui n’avait pas le même point de vue qu’eux). 21. Cours du 18 avril 2013 Dans la troisième étape (tableau p. 145 du polycopié), on trouve une liste des caractéristiques générales du droit au sens de ce qui est « égal ». Le mot droit est un adjectif utilisé de manière nominal qui exprime ce que l’on aspire à atteindre grâce à lui (par opposition à ce qui est courbe). Il s’agit d’un juste milieu entre trop ou pas assez dans une situation donnée. Quatre points : - L’état de chose juste est une situation dans laquelle les choses doivent objectivement se tenir après l’application de la décision, du jugement. - Le milieu entre le trop et le trop peu, c’est-à-dire qu’il faut exclure les extrêmes afin de se retrouver dans un certain milieu qui est déterminé en fonction de la situation d’espèce. La justice ne se calque pas sur les personnes mais sur la chose elle-même « Sachgerechtigkeit ». - L’égalité : ce qui se trouve au milieu doit être à égale distance du trop et du trop peu : il ne faut pas avantager l’un ou l’autre des extrêmes. - Le droit recherché doit être saisi par la dialectique des opinions dans une induction. Il faut faire des débats, présenter différentes thèses qui s’opposent fréquemment et recourir à un examen final nécessitant beaucoup de développements. Dans la pratique, les juges posent énormément de questions suivant les cas et élaborent plusieurs solutions pour le même cas. Après délibérations, ils choisissent la solution qui leur paraît la meilleure (répond le mieux aux questions). IUR III 2012-2013 57 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Dans la deuxième étape (p. 145), on tente de délimiter la part de l’un et de l’autre acteur juridique en déterminant ce qui est juste (le droit au sens de la troisième étape). Les juristes romains décrivaient cette opération comme attribuer à chacun le sien : suum quique tribuere. Une fois que les droits de chacun ont été attribués, les intéressés peuvent ensuite les exercer. Cette délimitation fait partie de la justice particulière (art de la justice qui n’est pas forcément à la portée de tout le monde) ; elle consiste en la recherche de ce qui est Sachgerecht dans un cas particulier. La distinction entre la justice générale et la justice particulière est un point central de la philosophie d’Aristote. Aristote fait l’éloge de la vertu de justice générale (p. 136 ch. 3) en tant que définition ce qui est juste/droit par le biais de normes de comportement. Elle est parfaite selon lui, car elle apporte le bonheur non pas qu’à soi-même, mais aussi aux autres. Celui qui est lâche, intempérant ou méchant sera sanctionné selon des normes de comportement bien précises qui peuvent être correctement établies ou non si elles ont été adoptées sans examen préalable et sans précaution. Il décrit également ce qu’est la vertu de justice particulière (p. 137). Il part du principe que certaines personnes souffrent de ce qu’il appelle la pléonaxie, c’est-à-dire qu’elles désirent toujours plus que ce qu’elles ont, qu’elles veulent toujours prendre plus de place, sans pour autant souffrir des maux que combat la justice générale. On ne se trouve pas dans une situation d’intempérance, On retombe par contre dans la délimitation entre ce qui nous revient et ce qui revient à autrui (recherche du juste milieu entre deux parties). Le manque de vertu de justice particulière correspond à l’irrespect de ce qui revient à autrui. Ces personnes ne violent pas des normes de comportement, par contre elles agissent de manière injustice et viole ce qui est égal, matériellement justifié (qui peut également être déterminé par des normes, mais pas par des normes de comportement). IUR III 2012-2013 58 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit 22. Cours du 25 avril 2013 Il s’agit à présent de conclure l’étude de la philosophie d’Aristote en parlant de quelques arrêts du TF. Le premier est un cas d’égalité matérielle dans une distribution (p. 165 ; minimum vital). À l’époque où l’arrêt a été rendu, l’art. 12 Cst. sur le minimum vital n’existait pas encore ; il a été introduit à la suite de cet arrêt dans la Constitution de 1999. Il s’agit du cas des réfugiés qui, après avoir été expulsés du territoire suisse et renvoyés dans leur pays d’origine, sont revenus illégalement en Suisse (la République tchèque les avait privés de leur nationalité). Ils quémandèrent l’aide social auprès d’une commune, mais celle-ci refusa d’entrer en matière, de même que le Conseil d’état du canton de Berne qui estima que leur refus de se plier à la décision de renvoi constituait un abus de droit qui justifiait le refus de l’aide sociale. Le TF débouta la décision de CE en basant son jugement sur ce qui est « Sachgerecht » : il faut sauvegarder une égalité matérielle, même en cas de situation d’illégalité (dans ce cas, pour défendre la dignité humaine en évitant que les réfugiés tombent dans l’indigence). Toute distribution se fait selon un critère, critère qui doit néanmoins être déterminé à l’avance (théorie de Kant). Dans le cas d’espèce, vu qu’il s’agit d’un cas de distribution, il faut respecter le principe de l’égalité de traitement. C’est le cas : le critère déterminant est la situation dans laquelle doivent se trouver les personnes pour prétendre à l’aide sociale pour le minimum vital : situation d’indigence contraire à la dignité humaine : tout être humain se trouvant dans une telle situation sur le territoire suisse a droit au minimum vital (égalité parfaite). Le TF a dû remonter jusqu’aux buts poursuivis par la Constitution, c’est-à-dire notamment la défense des êtres humains dans le besoin. Les personnes qui arrivent à pourvoir à leurs besoins ne se trouvent pas dans ladite situation ; selon le principe de l’égalité, elles n’ont pas le droit de recevoir les fonds garantissant le minimum vital de la part de la commune. À noter que vu que le critère déterminant de la distribution est le besoin relatif au minimum vital, le juge ne peut dépasser la prestation y relative en octroyant plus d’argent aux réfugiés : cela sortirait du cadre constitutionnel en contrevenant au principe de l’égalité (ressources limitées). IUR III 2012-2013 59 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Le deuxième cas est un cas d’égalité matérielle dans une interaction (p. 191 ; corrections judiciaires d’interactions défectueuses : lésion : art. 21 CO). Les trois conditions de l’art. 21 CO (concernant la lésion) sont les suivantes : une première condition objective : la disproportion évidente entre les prestations contractuelles ; et une double condition subjective : la gêne de la partie lésée et son exploitation par le cocontractant. Le TF a retenu que les trois conditions, en l’espèce, étaient respectées. Au niveau des conséquences juridiques, l’art. 21 CO prévoit que la partie lésée peut résilier le contrat qu’elle a préalablement signé. Le problème pratique est que le club de football se retrouverait sans terrain alors qu’il en a vraiment besoin. Le TF s’est donc écarté de l’art. 21 CO au niveau de la conséquence juridique de l’énoncé de fait : il n’impose pas la résiliation du contrat, mais la réduction du loyer (p. 195). Au final, le TF accepte de réduire le loyer prévu par le contrat de bail, même si le club avait les moyens de payer les 3'000.- par année (était-il vraiment en situation de gêne ?). Il se base sur un raisonnement d’égalité arithmétique dans l’interaction entre le bailleur et le locataire : la contre-prestation pécuniaire du club pour la location du terrain était trop élevée par rapport à la valeur vénale de celui-ci. Il s’agit d’une question de justice contractuelle matérielle minimum. Ce n’est pas toujours le contrat ou loi qui sont déterminants, il y a également la justice matérielle en accord avec l’évolution historique d’un droit privé purement mercantile à un droit privé plus souple et plus social. L’élément décisif n’est donc plus la loi concrète à appliquer telle qu’elle est décrite noir sur blanc, mais l’adéquation de la solution à un cas donné, à ce qui est « Sachgerecht » pour tel ou tel cas. À noter qu’il faut considérer la justice matérielle minimum dans les distributions et les interactions d’un point de vue bien plus étendu que ces deux seuls arrêts : il y a une pluralité de situations dans lesquelles une telle théorie peut s’appliquer et doit s’appliquer, notamment dans le cadre de successions (égalité de proportion), d’enrichissements illégitimes, de faillites, etc. Aristote en fait même une application dans la philosophie de la politique et du droit constitutionnel, car, pour lui, l’adéquation n’existe que si le IUR III 2012-2013 60 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit gouvernement est au service des gens. En revanche, si le gouvernement est au service de ceux qui gouvernent et non au service des gens, l’adéquation n’est plus (p. 212). Pour terminer, la philosophie d’Aristote a pour unique but l’existence et l’épanouissement humain, but ne pouvant être atteint que par la recherche et le respect d’un certain équilibre dans toutes les circonstances imaginables. Cela signifie que certains besoins primaires tels que la nourriture et l’habillement, (instruction élémentaire gratuite) doivent être couverts. Il existe une autre version que la théorie de Finnis relative aux droits fondamentaux défendant l’existence et l’épanouissement humain, même si elles se ressemblent beaucoup finalement : la conception des capacités d’Amartya Sen. La communauté met à disposition des capacités aux citoyens qui peuvent en faire ce qu’ils en veulent dans leurs loisirs ou dans leur travail. Toutes les capacités ne dépendent pas uniquement d’une approche subjective par rapport aux particuliers ; s’agissant des capacités (lire, écrire, apprendre), on juge les diverses communautés d’un point de vue objectif et non subjectif en prenant le taux d’alphabétisation global (exemple ; p. 53 ss). 23. Cours du 2 mail 2013 Philosophie de Grotius Si on avait procédé dans l’ordre, on aurait Aristote, puis Grotius et enfin Hobbes. Grotius a inventé la notion de droits subjectifs. Cette notion n’existait ni chez Aristote, ni dans le droit romain. A la page 231 figure un texte qui fixe la notion de droits subjectifs : « une faculté accordée à une personne par le droit au sens objectif permettant d’imposer quelque chose à des tiers ». Le mot faculté constitue l’invention de Grotius. Grotius estime qu’il existe des droits subjectifs qui découlent de la nature humaine, et non pas uniquement du droit objectif. Pour cette raison, Grotius est considéré comme le fondateur de l’école moderne de droit naturel. Cette école n’a presque rien à voir avec celle d’Aristote : pour Grotius, le droit naturel découle de la nature humaine. Pour Aristote, au contraire, le droit naturel est ce qui émane du raisonnement IUR III 2012-2013 61 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit juste dans des situations particulières. Pour Grotius, nous sommes dans une situation manichéenne, il n’y a pas de juste milieu : une nature humaine très précise fait naître des droits subjectifs pour tout le monde. Hobbes estimait qu’il s’agissait de droits illimités qui aboutissaient à la guerre. Au contraire, Grotius pense qu’il existe un parallèle entre les droits subjectifs et les obligations de droit naturel des autres : tout est en équilibre : pour chaque droit, il existe une obligation correspondante. Cette obligation peut être fixée dans une loi : la loi naturelle. Hobbes va totalement remodeler cette théorie en donnant un autre sens aux mots : la loi naturelle devient la recherche de l’intérêt maximal, à savoir le maintien de l’existence : les droits de nature sont illimités. Grotius imagine une nature humaine sociable fondant des droits et des obligations réciproques et harmonieuses. L’influence de Grotius est très importante en droit international : il existe une morale qui relève du droit naturel. Grotius a été précurseur pour de nombreux points (traités divers). Le texte de la page 222 (point 3 du résumé détaillé) doit être examiné. On verra uniquement les 4 premières lignes du premier et second paragraphe. Ce n’est pas sans raison que certains se sont éloignés d’Aristote : les platoniciens et les chrétiens ont eu raison d’écarter la philosophie d’Aristote. Le texte sur la vertu de justice général ne convainc pas du tout Grotius : pour lui, seules les règles de comportement importent (ce qui est juste ne dépend pas des choses : la justice n’est pas un juste milieu entre trop et pas assez). L’idée profonde de Grotius est qu’il faut d’abord partir des règles (et non pas partir des circonstances pour fonder des règles justes et équilibrées). Ce premier point concerne donc le rejet d’Aristote. Le deuxième point (point 6 du résumé détaillé et, p. 223-224 du polycopié) concerne la nature humaine fondant les droits et les obligations. Le point central de ce texte se situe à la page 224 (point 8) et traite du soin de la vie sociale. Les sources du droit (la loi, la coutume) sont pour Grotius inopérante. Seule la nature humaine sociale et raisonnable est considérée comme source du droit par Grotius. Dès lors, le droit est constitué de plusieurs principes : s’abstenir du bien d’autrui, rendre ce qui ne nous appartient pas, pacta sunt servanda, réparer le dommage et finalement les peines et sanctions. Ces 5 principes de base (règles de comportement) sont la base de la loi naturelle. IUR III 2012-2013 62 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Il faut encore parler du texte suivant, faisant le lien entre la loi naturelle et les droits naturels (dernier texte, texte 3 p. 225-227 polycopié). Grotius distingue plusieurs sens du mot droit (droit subjectif notamment), concernant le droit naturel (sens de l’expression « droit naturel »). Le paragraphe 9 à la p. 227 parle de la troisième signification du droit : le droit correspond à la loi (droit au sens subjectif). Pour Grotius, il s’agit d’une loi naturelle à la base constituée par les 5 principes énoncés ci-dessus (les principes sont liés à des relations entre individus : influence contractuelle). Le deuxième sens est le droit au sens subjectif : il s’agit d’une qualité morale attachée à l’individu pour posséder (droit de propriété) ou faire justement quelque chose : ce droit est attaché à la personne (ou parfois aux choses : servitudes notamment). Ce texte montre donc comment Grotius articule la distinction entre droit objectif et droit subjectif (distinction entre loi naturelle et faculté selon Grotius). Lorsque la qualité morale est parfaite, Grotius la nomme faculté (ce passage est relié directement au point 8 qui définit la faculté) : la faculté est l’objet de la justice contractuelle (droits proprement dits ou droits subjectifs parfaits : droits de la personnalité ou liberté, droit de propriété et droits réels limités). Lorsque la qualité morale n’est pas parfaite, il s’agit selon Grotius d’une aptitude (point 8 : aptitude). L’aptitude (droits subjectifs imparfaits) est l’objet de la justice attributrice : ce qui pour Aristote était un équilibre est pour Grotius de la liberté personnelle et générosité : il y a retournement complet. Tout le droit de la distribution est réduit à la libéralité et à la clémence, non plus à du juridique (libéralisme mis en évidence par Grotius). Grotius distingue donc fortement contrat et responsabilité (interactions : contenu strict, droit proprement dit) et droit des distributions (générosité des riches et du gouvernement). IUR III 2012-2013 63 Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit Table des matières ATF 129 I 217 ....................................................................................................................... 1 Philosophie de Hobbes ..................................................................................................... 4 Le pacte de renonciation : premier contrat social ........................................................... 5 Les droits naturels antérieurs aux pactes .......................................................................... 8 Le pacte de soumission : deuxième contrat social.........................................................11 Philosophie de Rousseau .............................................................................................. 15 Positivisme exclusif et jusnaturalisme .................................................................... 16 Les Biotechnologies ..................................................................................................................17 Critiques de la philosophie de Hottois ....................................................................................... 21 Philosophie de Jonas .......................................................................................................................... 22 L’arrêt Perruche .........................................................................................................................24 Justification du pouvoir et droits de l’homme ................................................................31 Philosophie de Hart ........................................................................................................ 36 Philosophie de Dworkin ................................................................................................ 46 Philosophie de Finnis ..................................................................................................... 49 Introduction à la philosophie d’Aristote ................................................................. 51 Philosophie d’Aristote ................................................................................................... 53 Philosophie de Grotius .................................................................................................. 61 IUR III 2012-2013 64