Jérémy Stauffacher Philosophie du Droit
IUR III 2012-2013
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Philosophie du Droit
1. Cours du 20 septembre 2012
ATF 129 I 217
Ce cas concerne l’autonomie décisionnelle d’une commune en matière de
naturalisation (cas de naturalisation par les urnes). Les citoyens de la
commune d’Emmen votaient pour décider si oui ou non les requérants étaient
naturalisés. On se demande donc si ces décisions peuvent être prises
démocratiquement, garantissant une certaine liberté de vote. La démocratie
s’oppose au droit (État de droit, principe d’interdiction de l’arbitraire). La
question est donc de savoir si le peuple communal est lié par le droit ou s’il
est complètement libre de ses choix. L’art. 35 Cst. précise ainsi que
« quiconque assume une tâche de l’État est tenu de respecter les droits
fondamentaux et de contribuer à leur réalisation ». Les habitants de la
commune assument-ils une che de l’État ? Même s’il n’existe aucun droit
subjectif à la naturalisation, cette inexistence ne justifie pas un traitement
arbitraire ou discriminatoire.
Il s’agit à présent de présenter les deux positions concernant ce cas.
Le premier point de vue fendait l’autonomie communale et la décision prise
par les habitants. Il s’agissait ainsi d’une décision démocratique. Ce point de
vue se basait sur la souveraineté du peuple opposée aux interventions
étatiques. Le Conseil d’État a suivi cet avis, fendant l’autonomie
décisionnelle de la commune d’Emmen. En effet, il estimait qu’il n’y avait pas
véritablement de discrimination, les citoyens étant libres de décider
intelligemment et cela malgdes tracts invitant à refuser les demandes de
naturalisation émanant des citoyens de l’ex-Yougoslavie. En argumentant
ainsi, le Conseil d’État mettait le TF en difficulté : certes le droit est supérieur,
encore faut-il en constater l’application. Or, pour quelles raisons le TF
(ou n’importe quel autre tribunal) serait-il mieux en mesure de décider que le
peuple communal ? Ce genre de débat migre ainsi vers une opposition entre
le peuple et les tribunaux. Le Conseil d’État affirme donc qu’il faut faire
confiance au peuple, jugé apte à décider de manière objective et raisonnable.
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Au contraire, le deuxième point de vue (celui du TF au final) affirme que
même le souverain populaire est lié par le droit. Il n’existe donc aucun
souverain absolu (sans lien) qui ne serait pas lié et pourrait décider selon son
arbitraire propre. Les décisions doivent être objectives (non arbitraires),
motivées et non discriminatoires, me lorsqu’un vote populaire est mis en
place, notamment pour la naturalisation. En somme, la Suisse est un État de
droit, duquel nul ne peut se dérober et s’affranchir. Les principes généraux du
droit l’emportent en encadrent toutes les décisions (souveraineté du droit,
principe formulé par Aristote : selon lui, si on veut un régime constitutionnel, il
faut admettre que c’est le droit qui dirige tout, et non pas un Homme ou des
Hommes). Cela rappelle le principe de la légalité, fixant la prépondérance des
lois dans un État de droit. Le TF affirme ainsi que le droit de vote et d’élection
ne peut servir à fonder un droit à la reconnaissance du résultat d’un scrutin
contraire au droit (ce droit sert à assurer qu’aucun résultat d’une votation ou
d’une élection ne soit reconnu dans le cas il n’exprime pas de manière
fiable et inaltérée la libre volonté des citoyens). Ainsi, il est possible d’annuler
un acte communal ou cantonal si celui-ci viole le droit supérieur, même s’il a
abouti avec le concours de la majorité des citoyens (vote démocratique).
Cette décision du TF a rendu furieux le canton et la commune, qui ont décidé
de retenir et d’identifier les juges impliqués afin de ne pas les réélire. Se pose
alors la question de l’indépendance des juges et de la constitution de l’ordre
hiérarchique dans lequel on vit. Le rapport entre liberté de vote et droit se
transforme donc en un rapport entre peuple, pouvoir et tribunal. Dans ce
contexte, une initiative a été lancée afin de proposer que les décisions du
corps électoral sur l’octroi du droit de cité deviennent définitives (inscription
dans la Constitution, en créant un art. 38 al. 4, du caractère définitif de ce
type de décisions). Le peuple a rejeté l’initiative et a donc donné raison au TF.
La naturalisation est un domaine particulier du droit, affectant directement des
personnes précises. De ce fait, les réactions sont souvent plus vives que
lorsqu’on traite d’une législation abstraite. Or, se pose alors la question du
contrôle de constitutionnalité de ce type de législations (en référence à
l’immunité du droit fédéral). Autrement dit, serait-il bon d’introduire un contrôle
abstrait ou concret de la constitutionnalité des lois fédérales ? Dans la logique
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de la décision prise en matière de naturalisation, il faudrait aboutir à l’idée
qu’à l’occasion d’un cas concret (au moins), le TF ne soit pas obligé
d’appliquer une loi fédérale. Actuellement, le contrôle s’effectue sur la base
de la CEDH (et de certains autres traités), vis-à-vis des droits fondamentaux.
De ce fait, il ne semblait pas essentiel de modifier l’article de la Constitution
instituant l’immunité du droit fédéral. En outre, un second instrument permet
de garantir le bien-fondé des lois fédérales, avec une acuité certaine. En effet,
le TF a précisé qu’il avait certes l’obligation d’appliquer les LF, sans toutefois
se priver, si cela est nécessaire, de les commenter et de les critiquer. En
outre, les procédures d’adoption des LF sont passablement longues en
Suisse. De même, la population dispose de droits pour contester ce genre de
décisions. En outre, ce sont des personnes directement élues par le peuple
qui sont chargées de créer et de développer ces lois. Ainsi, elles sont
l’expression, certes indirecte, de la volonté populaire. Le principe de la
séparation des pouvoirs (démocratie) s’oppose ainsi à un contrôle constant
des lois fédérales par le tribunal fédéral.
Cela fait écho à la philosophie de Thomas Hobbes. A son avis, rien ne peut
être au-dessus du souverain. De ce fait, il ne faut pas qu’il soit lié par les
droits fondamentaux ou par d’autres principes. En effet, s’il est lié par le droit,
il lui est soumis, ce qui est dans sa logique incompatible. La philosophie de
Hobbes s’est installée lorsque le pouvoir a été pris par le parlement (et non
pas au temps de la royauté). Dans le cadre de ce raisonnement, on se
demande si le tribunal doit être au-dessus ou au service du pouvoir (comme
le pense Hobbes). Le tribunal peut en effet se tromper, de la même manière
que le peuple. Hobbes dit qu’il « nexiste pas chez les hommes de raison
universelle sur laquelle aucune nation se soit mise d’accord, sinon la raison
de celui qui possède le pouvoir souverain ». De ce fait, le souverain a raison
parce qu’il est souverain (réadaptation du principe « la raison du plus fort est
toujours la meilleure »). Hobbes ajoute que « la loi est le commandement de
celui ou de ceux qui ont le pouvoir souverain, commandement adressé à ceux
qui sont ses ou leurs sujets, et déclarant publiquement et clairement ce que
chacun d’eux peut faire, et ce qu’il doit s’abstenir de faire ».
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2. Cours du 27 septembre 2012
Philosophie de Hobbes
C’est à la suite de ses travaux que l’Angleterre est devenue une monarchie
parlementaire. Il est précepteur du roi, même s’il ne fait pas partie directement
de la noblesse anglaise. Son principal souci est de défendre l’absolutisme du
roi. Ses pensées seront ensuite reprises pour défendre d’autres souverains.
Il est également scientifique et a des contacts avec Descartes et Galilée. Il est
passionné par la physique et la chimie. Il veut reconstituer tout le savoir
humain en partant d’une base solide, c’est-à-dire en partant de la physique et
la chimie. Il écrira d’ailleurs un traité, « De Corpore », sur la physique, la
chimie et la biologie, ainsi qu’un autre traité, « De Homine », sur
l’anthropologie. Il a aussi écrit divers autres traités : De Cive (du citoyen) ;
Léviathan ; De Corpore politico. Il a ensuite établi un ordre entre ses traités
suivant la matière qu’ils traitent : De Corpore, De Homine et les trois autres
De par la situation urgente de l’époque, il a écrit en premier les traités sur
l’organisation politique en société. Il a d’abord écrit « De corpore politico »
(1640), puis « De Cive » (1647), et enfin « Léviathan » (1651). Rousseau
reprendra toutes les idées de Hobbes dans ses propres travaux. Tout est
basé sur le fait que, en dehors du domaine scientifique qui est objectif, tout
est subjectif. Cette conception a abouti à un souverain absolu (cela rejoint
notamment l’opinion de Freysinger).
A l’état naturel, la liberté est individuelle et absolue ; il n’y a pas de limite et
pas de morale objective. Par exemple, le fait de tuer fait également partie de
cette liberté. Selon Hobbes (au contraire de la réflexion de Grotius), l’homme
est un individu asocial qui n’est pas fait pour vivre parmi les autres. Il estime
que l’on est en constante fuite de la mort ainsi qu’en constante recherche de
ce qui peut garantir ou améliorer notre survie. L’homme est horrifié par la mort
et ne peut pas prendre de distance par rapport à cette inconnu. C’est
également pourquoi il recherche à tout prix le pouvoir. Ce pouvoir se divise en
quatre points : la force corporelle, l’expérience, la raison et la passion.
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Le but est de dépasser l’autre par rapport à ces pouvoirs ; la survie est donc
assurée par rapport à cet autre individu. Ce qui compte véritablement est
l’excès de pouvoir sur l’autre. Il y a donc une compétition entre les hommes,
et ce bien avant la création d’une société. Pour Hobbes, cette lutte pour
dépasser le pouvoir des autres est scientifique et donc objective ; l’homme ne
peut rien y faire, il se battra de toute façon. Selon lui, ça a toujours été comme
ça et ce sera toujours comme ça ; actuellement l’exemple le plus flagrant et le
plus transparent est la guerre de pouvoir entre états.
A ce stade, nous sommes tous égaux, car même l’homme le plus puissant du
monde qui a réussi à asservir une armée entière de laquais est aussi fragile
qu’un bébé lorsqu’il va dormir (il peut se faire assassiner par son valet). Dans
cette optique, il faut toujours frapper le premier et le plus fort possible.
Pour résumé, le droit de nature est unique et sans entraves : le droit à la
liberté absolue. Il n’y a pas d’injustice possible. La liberté des autres n’est dès
lors pas une limite ; elle le deviendra avec le premier pacte : le pacte de
renonciation. Ce pacte de renonciation sera justifié ensuite par le pacte de
soumission au pouvoir absolu qui définira en quoi la liberté absolue sera
restreinte. Ces deux pactes forment le pacte social.
Le pacte de renonciation : premier contrat social
La première étape, le premier contrat social, est le pacte de renonciation : la
liberté des individus est limitée à leur propre sphère absolue ; elle ne peut
ainsi pas s’étendre aux sphères personnelles des autres. La liberté consiste à
pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi, l’exercice des droits
naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres
membres de la société la jouissance des mêmes droits. Ces bornes ne
peuvent être déterminées que par la loi. L’idée de Hobbes de partir de
l’infinité de la liberté de l’homme à l’état de nature est de montrer la nécessité
d’un pouvoir absolu. Il le fait intelligemment en deux étapes :
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