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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Les animaux domestiques, nouvel Eldorado des généticiens
03/06/08
La diversité génétique des animaux d'élevage se réduit de manière inquiétante. A force d'utiliser par
insémination artificielle les semences de quelques taureaux aux propriétés avantageuses et à force de
disséminer leur sperme, les éleveurs ont sélectionné des tares génétiques qui commencent à faire des dégâts
dans les étables. Pour lutter contre cette consanguinité rampante, l'identification des gènes impliqués dans
ces maladies est devenue une urgence scientifique et économique. Une équipe de chercheurs de la Faculté
de Médecine Vétérinaire et du GIGA Research de l'Université de Liège s'y atèle depuis quelques années
et vient de dévoiler, dans Nature Genetics, les gènes de trois maladies importantes, bien connues des
éleveurs. Des tests permettant de diagnostiquer la présence de ces mutations chez un animal ont été mis
au point. D'autres gènes provoquant d'autres maladies bovines sont à l'étude. Mais au-delà de la prouesse
zootechnique, les chercheurs liégeois défendent une nouvelle approche de la génétique, basée sur l'étude
des animaux domestiques. La vache, le mouton et le chien, parce qu'ils sont «nos amis» depuis 10.000 ans,
ont peut-être beaucoup plus à nous apprendre que les anonymes rongeurs de laboratoire.
L'étude des animaux domestiques se profile comme un nouveau paradigme de la recherche en génétique.
C'est en tout cas le pari du laboratoire de génomique animale de l'Université de Liège, dirigé par le professeur
Michel Georges. «Nous avons énormément à apprendre de toutes ces espèces qui vivent à nos côtés
depuis des milliers d'années parce que la sélection artificielle, c'est-à-dire la reproduction guidée par l'homme,
a débouché sur une galerie très diversifiée de phénotypes étranges (le phénotype, c'est l'ensemble des
caractères individuels dérivant du génome). Le cas de l'espèce canine est spectaculaire. Voyez l'incroyable
variété phénotypique (la couleur, la taille, les comportements, etc.) au sein d'une seule et même espèce
dérivée du loup, explique Michel Georges ! Quoi de commun entre un caniche et un berger allemand ? Nous
pouvons partir de ces phénotypes facilement identifiables pour remonter jusqu'à leurs origines génétiques.»
Actuellement, la recherche en génétique procède largement en sens inverse. Les chercheurs commencent
par muter un ou plusieurs gènes sur des rongeurs de laboratoire et tentent d'identifier les modifications
phénotypiques entraînées par cette mutation : changement de morphologie, de comportement, apparition de
telle ou telle maladie, etc. La technique de la souris «knock out» est emblématique de cette démarche. « Mais
il est parfois très difficile de retirer des informations dans ces conditions, estime Michel Georges. Très souvent,
les lésions provoquées sont tellement importantes que l'animal ne survit pas. Ou alors, les transformations
phénotypiques sont au contraire très difficiles à déceler. Alors que la variété phénotypique de nos animaux
domestiques, générée sur des milliers d'années par des éleveurs vivant dans un contact étroit avec leurs
bêtes, est aujourd'hui tout à fait explicite.»
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En accordant 12 millions d'euros de
financement au projet LUPA, coordonné par l'université de Liège, l'Union européenne vient d'ailleurs de
cautionner cette nouvelle approche de la recherche génomique. Vingt-deux laboratoires européens vont
récolter des échantillons sanguins d'environ 10.000 chiens souffrant de certaines maladies d'origine génétique
(les maladies cardio-vasculaires, les cancers, certains troubles neurologiques, les maladies inflammatoires
et quelques maladies monogéniques). Les échantillons seront étudiés sur un plan génétique et comparés à
des échantillons de chiens qui ne sont pas malades. Le but est de découvrir le ou les gènes à l'origine des
maladies en question. La recherche pourrait évidemment avoir des retombées en médecine vétérinaire, mais
aussi en médecine humaine, car le génome des deux espèces présente de très nombreuses similitudes.
Des taureaux tarés…
C'est en suivant cette même approche de la génomique que le laboratoire
de génétique animale de l'ULg s'est intéressé ces dernières années au génome de certaines races bovines
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très prisées des éleveurs. La sélection génétique des animaux d'élevage est sans doute aussi vieille que
l'agriculture. L'homme a rapidement compris que son intérêt immédiat, pour reproduire son bétail, était de
choisir les animaux présentant de prime abord les propriétés les plus intéressantes : docilité, force, résistance,
quantité de viande, production laitière, etc. L'équation déjà connue de nos ancêtres pourrait se résumer ainsi :
un bon mâle + une bonne femelle = promesse d'une belle descendance. Durant des milliers d'années, cette
sélection génétique empirique a fixé aux quatre coins de la planète des races spécialisées et divergentes.
Les éleveurs de montagne, par exemple, ont privilégié des animaux plus rustiques, de petite taille, adaptés
au relief, tandis que les éleveurs de plaine sélectionnaient des animaux de plus grande taille.
Puis il y eut la révolution de l'insémination artificielle. Pour se reproduire, et donc disséminer ses gènes, un
taureau ne doit désormais plus être physiquement présent lors de l'accouplement. Son sperme et une seringue
suffisent... Et grâce aux techniques de congélation des semences, un même mâle reproducteur peut être
papa non pas 10 fois, non pas 100 fois, non pas 1000 fois mais des millions de fois ! Il y a, par exemple,
des dizaines de millions de bovins de la race Holstein dans le monde, mais ils descendent presque tous
des mêmes «pères fondateurs», une poignée de taureaux vedettes dont le sperme a fait la fortune de leur
propriétaire. Le problème c'est que l'un de ces pères fondateurs, un certain Invanhoe, avait au moins deux
faiblesses génétiques qui se sont très largement répandues dans toute sa descendance. La première cause
une déficience immunitaire mortelle dès la naissance, qui touche 1 veau sur 500. Les éleveurs américains ont
évalué la perte économique annuelle à 5 millions de dollars ! Et la seconde tare, qui affecte 25 % de la race,
peut causer des malformations vertébrales.
«Il est donc urgent, explique Carole Charlier, chercheuse
qualifiée du FNRS, de surveiller l'émergence de ces maladies congénitales dans la population bovine,
d'identifier le plus rapidement possible le gène responsable, de mettre au point un outil de diagnostic et d'offrir
ces moyens aux éleveurs pour qu'ils évitent d'utiliser les bêtes atteintes à des fins de reproduction.» C'est
précisément ce travail qu'a entamé voici quelques années Carole Charlier au sein du laboratoire de génomique
animale dirigé par Michel Georges. Cinq maladies émergentes ont été sélectionnées, notamment en raison
de leur impact économique : les deux formes de la dystonie musculaire congénitale (DMC1 et DMC2), le
syndrome «de la queue déviée» (CTS), la lipofuscinose rénale (RL) et l'ichthyose fœtale.
La dystonie musculaire congénitale, mieux connue sous le nom de «maladie du veau électrique» affecterait
environ une bête sur 500 dans le cheptel blanc bleu belge. La première forme de la maladie se traduit
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notamment par des raidissements brusques du veau, qui est ensuite incapable de plier les jambes pour
se coucher. La seconde forme se traduit par des épisodes de contractures musculaires généralisées. Le
syndrome «de la queue déviée» affecte aussi le cheptel blanc bleu belge et se caractérise notamment par
un retard de croissance, une tête courte et trapue et une déformation de la colonne vertébrale. Cette maladie
est moins directement mortelle que les deux formes de dystonie musculaire congénitale. Mais les animaux
atteints doivent souvent être euthanasiés suite aux nombreuses complications. La lipofuscinose rénale est
une maladie typique de la race Holstein et de la Rouge danoise. Et l'ichtyose fœtale fait des ravage dans une
race italienne : la Chianina.
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Découvrir un gène en quelques mois
Les maladies en question sont toutes provoquées par la mutation d'une seule paire de base dans un patrimoine
génétique qui en contient plusieurs milliards. Elles sont dites récessives, ce qui signifie que l'altération doit
affecter les deux copies du même gène pour que la maladie se développe. Avec une seule copie, l'animal
est qualifié de « porteur sain ». Sur ce mode récessif, le risque est de 1 sur 4 si à la fois le père et la mère
sont porteurs d'une mauvaise copie du gène (Lire le mode de transmission de la dystonie musculaire
congénitale). Le scénario de forte consanguinité qui s'est imposé au XXe siècle dans l'élevage bovin a permis
à des maladies au départ extrêmement rares de se répandre très rapidement dans les cheptels.
Mais grâce aux formidables progrès de la génétique au cours des dix dernières années, chercher le gène
d'une maladie congénitale récessive ne consiste plus à chercher une aiguille dans une botte de foin. Les
meilleurs laboratoires sont aujourd'hui capables de mettre le doigt sur LA lettre problématique en quelques
années, voire quelques mois. La méthode consiste d'abord à trouver ce que les chercheurs appellent une
«séquence identique par descendance», à savoir un morceau de chromosome commun à toutes les vaches
malades de l'échantillon, et que l'on ne retrouve pas dans le patrimoine génétique de vaches saines servant de
groupe contrôle. Le segment, que tous les bovins atteints ont hérité d'un seul et même ancêtre, peut contenir
plusieurs millions de lettres, et supporter plusieurs gènes différents. La seconde étape consiste donc à zoomer
sur cette séquence pour tenter de trouver la paire de base dont la mutation cause la maladie. Le séquençage
du génome bovin achevé en 2004 est très utile pour ce genre de recherche. Mais aussi celui, plus ancien, du
génome humain. Car aujourd'hui, on connaît la séquence de gènes humains associés à des maladies proches
des maladies qui affectent le cheptel bovin. La maladie de Brody, par exemple, est une maladie congénitale
humaine qui présente beaucoup de similitudes avec la dystonie musculaire bovine. C'est une maladie rare,
qui affecte les populations à fort taux de consanguinité. Bref, les chercheurs peuvent braquer leur regard vers
des zones du génome de plus en plus précises, par exemple celles qui supportent le gène de cette maladie,
jusqu'à découvrir la paire de base problématique.
La technologie du SNP
Une nouvelle technologie a permis une accélération fulgurante de ce criblage génétique : le SNP. Les
mutations responsables des tares héréditaires ne sont pas les seules « différences » observées au niveau
du patrimoine génétique. En moyenne deux génomes normaux diffèrent à peu près toutes les mille paires
de bases au niveau de «SNP» (Single Nucleotide Polymorphism). Il existe donc des millions de différences
ou SNP de ce type, la grande majorité d'entre eux étant heureusement inoffensifs. Mais ces SNP peuvent
servir de «marqueurs» pour tracer la transmission des chromosomes de génération en génération, chaque
chromosome étant en effet caractérisé par sa propre signature de SNP. Tous les individus atteints de la
même tare héréditaire partagent ainsi au niveau du gène défectueux une signature de SNP commune. Il existe
depuis peu des tests qui permettent de déterminer les signatures individuelles pour des dizaines et même des
centaines de SNP, et ce à l'aide des fameuses biopuces. Wouter Coppieters, du laboratoire de génomique
animale, a développé une telle puce comportant 50,000 SNP bovins. C'est la disponibilité de cet outil unique
qui a permis à l'équipe de localiser les gènes de tare avec une vitesse inégalée.
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Et pour le monde agricole, la bonne nouvelle a été publiée récemment dans Nature Genetics (1): l'équipe
liégeoise a identifié les mutations responsables des deux formes de dystonie musculaire. Le gène incriminé
dans la DMC1 est impliqué dans le mécanisme de la relaxation musculaire après contraction. Quand le gène
est défectueux, le muscle ne peut se décontracter normalement. Une étude de la généalogie des animaux
porteurs a même permis de remonter jusqu'au taureau reproducteur qui est à l'origine de cette tare génétique,
un certain Riant. Quant au gène de la DMC2, il est impliqué dans la transmission d'un influx nerveux inhibiteur
de la contraction musculaire. Lorsque ce gène ne fonctionne pas, l'ordre d'arrêter la contraction ne parvient
pas jusqu'au muscle. L'équipe liégeoise a réalisé le même travail d'identification génétique pour la maladie
de la queue déviée et l'ichtyose fœtale.
(1) CHARLIER, C.; COPPIETERS, W.; AGERHOLM, J.S.; CAMBISANO, N.; CARTA, E.;DESMECHT, D.;
DIVE,M.; FASQUELLE, C.; FRENNET, J.C.; HANSET, R.; HUBIN, X.; JORGENSEN, C.; KARIM, L.; KENT,
M.; HARVEY, K.; PEARCE, B.R.; ROLLIN, F.; SIMON, P.; TAMA, N.; NIE, H.; VANDEPUTTE, S. ; LIEN,
S. ; LONGERI, M. ; FREDHOLM, M. ; HARVEY, R.J.; GEORGES, M. (2007) Highly effective SNP-based
association mapping and management of recessive defects in livestock. Nature Genetics 40: 449-454
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La dernière étape du travail consiste à mettre au point d'un test
de diagnostic, ce qui a été fait à Liège pour les maladies affectant le cheptel blanc bleu. A ce jour, un
peu plus de 2000 tests de dystonie musculaire congénitale ont été réalisés par les éleveurs belges sur des
taureaux d'insémination et des taureaux reproducteurs. Ils doivent permettre d'écarter rapidement du circuit
de la reproduction les animaux porteurs du gène muté. «D'après les informations qui nous parviennent des
éleveurs, se réjouit Carole Charlier, la maladie est déjà en train de disparaître.» Et puis pour rassurer les
éleveurs, les généticiens de l'ULg ajoutent que le fait de posséder un taureau porteur de l'anomalie génétique
n'est pas la fin du monde. Car les mutations sont spécifiques à la race blanc bleu et les bêtes qui portent une
copie du mauvais gène sont donc encore utilisables dans des croisements avec d'autres races.
Après avoir identifié le gène provoquant le syndrome « de la queue déviée » chez le blanc bleu belge,
l'université de Liège a mis au point le kit de diagnostic correspondant et a commencé à le diffuser auprès
des éleveurs. «Mais là, relève Carole Charlier, les centres d'insémination vont être plus ennuyés, parce qu'un
quart des taureaux sont porteurs (15 % pour le CMD1 et 5 % pour le CMD2). Que fait-on de tous ces taureaux
qui s'avéreront positifs ? Et que fait-on de leur sperme congelé ? L'enjeu économique est de taille…».
Un partenaire italien de la recherche est en train de mettre
au point un test de diagnostic pour l'ichtyose fœtale. D'autres tares à composantes génétiques probables sont
en cours d'analyse au laboratoire de génomique animale de l'ULg : parésies spastiques, gestation prolongée,
nanisme proportionné, maladie des génisses blanches, etc. Une liste non exhaustive, insistent les chercheurs
de l'ULg, qui savent que la consanguinité grandissante dans les différents cheptels fait avancer à pas de
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loup une kyrielle de nouvelles maladies congénitales. En collaboration avec des vétérinaires, le laboratoire
de génétique animale de l'université de Liège a mis en place un observatoire des tares héréditaires, dont
le but est d'identifier rapidement des tares émergentes et d'appliquer les méthodes les plus avancées de la
génomique pour développer des tests diagnostics qui permettront aux éleveurs de contrôler la diffusion des
tares en question.
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