Politique
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Di a s p o r a s
Ne w s
GENÈSE D’UNE RÉPUBLIQUE DE
23.000 KM²
Pendant des millénaires les côtes d’Afrique
australe servaient de comptoirs commerciaux
aux marchands de la péninsule arabique.
Elles étaient relativement épargnées par les
conquêtes maritimes que se livraient les euro-
péens jusqu’au 15ème siècle ; les portugais
ont installé leurs escales tout au long du canal
de Mozambique mais se sont limités au port
de Mombasa avant de mettre le cap vers
l’Inde. Au 19 ème siècle, les anglais étaient les
seuls européens à occuper les deux rives du
Golfe d’Aden plus précisément dans le port
de Zeila, géographiquement situé en Soma-
lie aujourd’hui. C’est une zone de transit de
marchandises que transportaient des carava-
niers en provenance d’Abyssinie. C’est à cette
époque que la France cherchait à établir une
base commerciale dans cette région. En 1862,
elle signa un traité de cession du mouillage
d’Obock avec les sultans Afars de Raheita.
L’ouverture en 1869 du canal de Suez chan-
gea à jamais le destin de la corne d’Afrique.
La mer Rouge et la Méditerranée sont désor-
mais reliées , ce qui signie un gain de temps
substantiel pour les échanges commerciaux
entre l’Europe et l’Asie.
La recherche de débouchés et un lieu d’escale
de ravitaillement pour les navires français pour
le Tonkin et l’Océan Indien incitèrent la France
à s’installer durablement dans cette région.
Elle s’effectua en plusieurs phases : d’abord
la signature d’un protectorat en 1885 avec les
sultans Afars et Issas ; ensuite l’ouverture cinq
ans plus tard d’un port plus au sud, au Cap
Djibouti dans le golfe de Tadjourah et enn
l’installation du siège du gouverneur en 1892
dans la ville de Djibouti peuplée à peine de
1.200 âmes. Ce territoire sera baptisé Côte
française de Somalie (CFS). Son histoire colo-
niale ressemble aux autres colonies françaises
du continent noir : membre de l’Assemblée
constituante en 1946, promulgation de la Loi-
cadre en 1956, référendum constitutionnel en
1958. En 1960, tous les pays ont obtenu leur
« bon de sortie » sauf l’Algérie et Djibouti. En
1966, la foule scande « Indépendance, indé-
pendance !!! » face à un Général de Gaulle
médusé et fâché. L’organisation d’un référen-
dum l’année suivante ne changea pas grand-
chose à part le nom de CFS transformé en
Territoire Français des Afars et des Issas (TFAI).
Ce n’est qu’en 1977 que Djibouti obtint enn
son indépendance et Hassan Gouled Aptidon
devint Président de la République.
LES PREMIÈRES ANNÉES D’INDÉ-
PENDANCE
Ce pays de 850.000 habitants pour une su-
percie de 23.000 km² est gouverné comme
un sultanat. Le pouvoir est concentré entre les
mains des Issas au détriment des Afars. La dé-
limitation des frontières, tracées au moment du
protectorat, ne coïncidait nullement avec les
régions. Les Afars sont à cheval sur trois pays
différents ; l’Ethiopie et l’Erythrée et Djibouti.
Une guerre civile nit par éclater en 1991 me-
née par des rebelles Afars qui occupèrent la
moitié du territoire, obligeant ainsi le pouvoir
en place à s’engager vers une ouverture politi-
que que l’ancienne puissance coloniale appela
de ses vœux. Après trois années de conit, un
fragile cessez-le-feu clôt cet épisode tragique
et qui a valu l’expulsion hors des frontières de
18.000 Afars. Le Président Hassan Gouled
Aptidon n’ira pas au bout de son quatrième
mandat ; il transmet par décret son pouvoir à
son neveu : l’actuel Président en exercice, Is-
maël Omar Guelleh.
Malgré l’instauration du multipartisme, l’oppo-
sition est complètement atomisée par un mode
de scrutin proportionnel uninominal à un tour.
Ce sont des députés godillots qui siègent au
parlement. L’opposition a carrément boycotté
les élections législatives de 2008 pour dé-
noncer cet oukase. Aujourd’hui, Ismaël Omar
Guelleh « s’en remet à la volonté du Tout Puis-
sant, à la volonté du Peuple djiboutien » pour
briguer un troisième mandat en vue des élec-
tions présidentielles de l’année prochaine. Qui
pourrait l’en empêcher ? Les 59 députés de la
majorité présidentielle pour une assemblée de
63 élus, viennent de ratier à l’unanimité les
dizaines d’amendements susceptibles de fai-
re obstacle à cette candidature. Son dernier
discours sur le sujet est sans équivoque : « Ce
serait, pour moi, une source de erté et un im-
mense honneur de continuer à servir cette belle
Nation Djiboutienne sous quelle que forme que
ce soit ».
LES RELATIONS AVEC L’ANCIENNE
PUISSANCE COLONIALE
Pour octroyer l’indépendance en 1977, la
France a exigé et obtenu avec la République
de Djibouti des accords économiques et surtout
militaires, conformément à la tradition gaulliste
de la continuité. Dans le cadre d’un redéploie-
ment de ses forces, la France a fermé plusieurs
de ses bases militaires sur le continent. Pour
Dj i b o u t i :
Jamais État africain n’a fait l’objet de tant de prévenances par la planète entiè-
-
contre le terrorisme, lutte contre les pirates somaliens ne font que renchérir les
quasi minéral, la république djiboutienne ne
pouvait se prévaloir que d’une seule ressour-
ce. Elle vivait de la rente versée par l’ex-mé-
tropole. Les effets induits par la présence mili-
taire française représentaient la moitié du PIB
et au moins 30% des recettes budgétaires.
Surfant sur la mondialisation et la proximité
des pays du golfe arabo-persique, le TFAI
afche aujourd’hui une croissance économi-
que moyenne de 5% annuel, depuis 2003,
mais qu’il faut tout de même relativiser en
tenant compte d’une croissance démographi-
que galopante. De nouveaux acteurs écono-
miques n’hésitent plus à investir dans ce pays
où rien ne pousse mais qui possède plus de
350 km de côtes. Le gouvernement djiboutien
est plus que jamais décidé à faire de son port
une plaque tournante régionale d’échanges
de marchandises. Pour cela il en a coné la
gestion à l’Autorité des Ports de Dubaï (DPA).
Il a également lancé la construction d’un nou-
veau port en eau profonde avec un terminal à
containers de 400 ha à Doraleh.
La République de Djibouti est située géo-
graphiquement à un carrefour maritime. Son
principal atout est qu’il est le seul pays où la
présence occidentale, du fait de sa relation
séculaire avec la France, est tolérée dans une
région musulmane. Depuis les attentats des
ambassades américaines
de Nairobi et de Dar-El-
Salam en 1998 et 11 sep-
tembre 2001, les USA ont
décidé de reprendre pied
sur la corne de l’Afrique.
Echaudés par le cuisant
échec de l’opération Res-
tore Hope de 1993 en So-
malie où les cadavres de
GI’s ont été traînés dans
les rues de Mogadiscio, les
américains ont adopté une nouvelle stratégie
d’implantation. Dès 2002, George W Bush
décide de créer à Djibouti le Combined Joint
Task Force-Horn of Africa. Ils ont ainsi loué à
la France le camp Lemonier pour 30 millions
d’€uros annuels. Il servira de tête de pont pour
leur lutte contre le terrorisme en Somalie, au
Yémen en poussant jusqu’au Kenya.
Aujourd’hui la France semble devoir parta-
ger et cohabiter avec d’autres pays dans
ce qui était considéré autrefois comme son «
bac à sable ». Elle ne bénécie plus, de la
part des autorités Djiboutiennes, de relations
privilégiées. Devant tant de sollicitations, les
djiboutiens renchérissent. Ofciellement, lors
des raisons de géostratégie et les actualités
en témoignent, elle n’est pas prête à concéder
sa plus grande base à l’étranger qui compte
3.000 hommes. C’est un micro État cerné de
voisins (éthiopiens et somaliens) qui sont prêts
à tout moment à fondre sur cette proie tant
convoitée et qu’ils considèrent d’ailleurs com-
me une partie de leur terre. Chacun s’y retrou-
ve car la France dispose non seulement d’un
poste de contrôle stratégique sur une voie ma-
ritime importante où transite plus de 25% du
pétrole mondial mais également d’un centre
d’entraînement de ses troupes et aujourd’hui
un centre opérationnel pour lutter contre la pi-
raterie maritime.
Ces dix dernières années, les relations diplo-
matiques entre Djibouti et Paris se sont crispées
par l’affaire Bernard Borrel. Le magistrat
français, coopérant et rattaché au ministère
de la Justice Djiboutienne a été retrouvé sans
vie à 80 km de la Capitale, en octobre 1995.
Longtemps la thèse ofcielle a été celle du
suicide ; en tout cas c’est la version des deux
premiers juges français chargés de l’enquête.
Mais en 2000, le rapport de la brigade cri-
minelle de Paris, sous commission rogatoire du
juge remplaçant Jean-Baptiste Parlos conclut
à un assassinat. Un ancien ofcier de la garde
présidentielle, témoin-clé de l’affaire, met di-
rectement en cause le Prési-
dent Ismaël Omar Guelleh.
Il serait le commanditaire
du meurtre car ledit témoin
aurait vu cinq hommes venir
lui rendre compte de l’éli-
mination du magistrat fran-
çais. La mise en cause de
personnalités Djiboutien-
nes a irrité le pouvoir de
Djibouti qui a expulsé des
coopérants français et
fermé l’émetteur de Radio France Internatio-
nale en 2005. Aujourd’hui, la situation semble
se normaliser malgré la promesse de Nicolas
Sarkozy, fraîchement élu en 2007, de faire la
lumière sur cette affaire.
ET SI C’ÉTAIT ENFIN LE DÉCOLLAGE
ÉCONOMIQUE…
Djibouti a été longtemps victime d’un stéréo-
type : un désert en friche où des tribus noma-
des Afar et Issa élèvent des chèvres. Outre les
caravanes de sel et d’épices, de tout temps,
Djibouti fut le port de désenclavement des
produits d’exportation éthiopiens. Avec un sol
d'une visite à Djibouti le 20 janvier, le Prési-
dent Nicolas Sarkozy avait discuté avec son
homologue djiboutien d'un projet de nouvel
accord de partenariat de défense. Tout un
symbole : il y a deux semaines, dans le ca-
dre d’une manœuvre « Amitié Djibouti 2010
», le Chef d’Etat djiboutien a atterri d’un
hélicoptère sur le Tonnerre, un bâtiment de
guerre français croisant au large de Djibouti.
Malgré cette offensive de charme, l’ancienne
puissance coloniale sera quand même obligée
de renégocier ses redevances annuelles de 30
millions d’€uros pour la location de sa base
militaire.
Les ibustiers somaliens sont entrain de dé-
trôner leurs homologues du détroit de Ma-
lacca. En effet, la faillite de l’Etat de droit et
la guerre civile en Somalie ont développé un
phénomène de piraterie. Tous les navires mar-
chands naviguant dans cette zone sont mena-
cés d’être pris en otages et les pirates n’hési-
tent plus à aller de plus en plus loin ; jusqu’au
large des Seychelles. L’opération Atlante ini-
tiée par l’Union Européenne a pour objectif
de chasser les pirates de mer. Mais chaque
pays souhaite assurer la sécurité de ses pro-
pres bâtiments marchands. L’Espagne et l’Alle-
magne comptent respectivement actuellement
200 militaires sur zone. La lutte contre la pi-
raterie prend une proportion internationale
dont Djibouti devient le centre opérationnel.
Une grande première, Guido Westerwelle,
ministre allemand des Affaires étrangères a
fait le déplacement pour rencontrer le Prési-
dent Ismaël Omar Guelleh. Une dépêche de
l’AFP du 22 avril 2010 mentionne : « l'armée
japonaise a commencé à s'installer à Djibouti,
qui abrite déjà plusieurs bases étrangères, où
elle va construire un établissement permanent
pour participer à la lutte contre les pirates so-
maliens… » . Même la Chine et l’Inde sont en
pourparlers pour une implantation de part et
d’autre du Golfe d’Aden.
Alex ZAKA
DJIBOUTI, LA PLUS GRANDE BASE AÉRONA-
VALE MULTINATIONALE DU MONDE.