informations biologiques N°40 - DECEMBRE 2001 Quoi de neuf, Docteur ? Interprétation des résultats de la spermoculture INTRODUCTION L’interprétation des résultats de la spermoculture ne pose pas de problèmes particuliers en ce qui concerne les bactéries pathogènes obligatoires (Chlamydia trachomatis, Neisseria gonorrhoeae). Par contre, il n’existe pas de consensus pour interpréter la présence de bactéries banales dans le sperme dans la mesure où l’éjaculât peut être contaminé lors du prélèvement par masturbation. OBJECTIFS DE LA SPERMOCULTURE L’examen bactériologique du sperme a pour but : -Le diagnostic d’une infection génitale haute (orchiépididymite, prostatite). -Le contrôle de qualité du sperme dans le cadre de la fécondation in vitro et du don de sperme en vue d’une insémination artificielle (IAC). La spermoculture vise alors à rechercher des germes qui pourraient contaminer les milieux de cultures embryonnaires ou bien qui pourraient entraîner des infections chez la femme à l’occasion d’une insémination avec sperme de donneur. -La recherche d’une étiologie bactérienne suite à l’altération des paramètres spermatiques ou à une leucospermie. Plusieurs auteurs ont aussi montré qu’il existe une relation entre les infections du tractus génital et la formation d’Ac antispermatozoïdes. Une oligospermie avec leucospermie, une chute de la mobilité des spermatozoïdes (asthénozoospermie), une vitalité diminuée (nécrozoospermie), la présence de nombreux spermatozoïdes avec un flagelle enroulé ou encore une viscosité anormale du sperme doivent faire rechercher une infection à bas bruit des voies génito-urinaires par les germes banaux. Aucune de ces anomalies n’est cependant spécifique d’une infection bactérienne. CONDITIONS DE REALISATION DE LA SPERMOCULTURE Le sperme peut être contaminé lors du prélèvement par masturbation. Les germes mis en évidence dans l’échantillon de sperme peuvent provenir : -soit du liquide séminal, révélant une infection latente ou patente de l’appareil génital (ce sont ces germes qui nous intéressent et qui justifient la mise en œuvre d’un traitement) -soit d’une contamination par la flore présente au niveau du tiers distal de la muqueuse urétrale -soit d’une souillure par la flore cutanéo-muqueuse du gland, de la zone périgénitale ou des mains. BACTERIOSPERMIE ET PARAMETRES DU SPERMOGRAMME La présence de germes dans le sperme (bactériospermie) a une incidence sur les caractéristiques du spermogramme qui reste imprécise. In vitro, l’introduction expérimentale de bactéries (E. coli, mycoplasmes, streptocoques) dans le sperme perturbe la mobilité des spermatozoïdes par un possible phénomène d’adhérence bactérienne dont le mécanisme intime reste à définir. L’hétérogénéité des résultats obtenus in vivo, démontre la nécessité de confirmer ces données expérimentales. D’autre part, la présence de bactéries dans les voies génitales peut entraîner un phénomène d’activation des leucocytes qui, en relarguant des médiateurs chimiques, vont entraîner une réaction inflammatoire et une altération de la qualité du sperme. Le processus peut évoluer vers la sclérose des voies excrétrices responsable d’obstructions post-infectieuses. La nécessité d’un nettoyage soigneux du gland et des mains, pour le recueil du sperme, paraît donc indispensable. Même si le réceptacle est stérile et la désinfection correcte, il n’est pas possible d’avoir la certitude qu’aucune faute d’asepsie ne sera commise lors du recueil. Il est bien évident que le recueil de sperme lors d’un rapport interrompu n’est pas du tout satisfaisant. Un protocole de prélèvement est proposé en annexe. Un prélèvement bien fait et bien expliqué améliore significativement la spécificité de la spermoculture avec une diminution du nombre de cultures ininterprétables et une augmentation du nombre de cultures stériles. Pour pouvoir discriminer les germes provenant de l’urètre de ceux du sperme, la plupart des auteurs préconisent l’étude bactériologique conjointe systématique d’une miction réalisée au laboratoire avant le recueil de l’éjaculât. Un délai d’abstinence doit être conseillé (2 à 5 jours) mais l’analyse est possible sans ce délai; le recueil doit se faire à distance d’un traitement antibiotique. NOMENCLATURE DES ACTES DE BIOLOGIE MEDICALE Spermoculture Cotation : B120 soit 23.40€ « Outre les recherches incluses dans la cotation forfaitaire, l’examen comprend la numération par ml de chaque espèce bactérienne isolée dont les mycoplasmes. » La recherche de Chlamydia trachomatis est effectuée uniquement sur prescription explicite. REALISATION DE L’ANALYSE Analyse cytobactériologique du premier jet urinaire Certains auteurs conseillent de traiter en parallèle sperme et urine afin de pouvoir comparer la quantité de germes entre les 2 prélèvements. On peut ainsi évaluer la flore initiale urétrale et optimiser l’exploitation des résultats. Analyse cytobactériologique du sperme Numération des leucocytes Le seuil retenu pour parler de leucospermie est de 106 polynucléaires/ml de sperme. La leucospermie a surtout une valeur indicative ; elle peut être révélatrice soit d’une infection soit d’un processus inflammatoire (lithiase prostatique, séquelles d’infection, abstinence trop longue). Une leucospermie ne peut être prise en compte que si la coloration à la peroxydase a été effectuée ; elle permet de différencier les polynucléaires neutrophiles des cellules rondes germinales. Examen entre lame et lamelle et coloration de Gram L’examen cytologique a l’état frais sera orienté sur la recherche de levures ou de parasites (Trichomonas vaginalis). La coloration de Gram permettra d’observer Neisseria gonorrhoeae, les levures (Candida albicans), les coccis à Gram positif ou les bacilles à Gram négatif. Sur le plan technique, il faut noter que la coloration de Gram, faite directement sur le sperme, est difficile à lire. Mise en culture et numération des germes La mise en culture doit s’accompagner d’une estimation quantitative des germes comme le précise la nomenclature des actes de Biologie Médicale. La numération des germes permet de définir le seuil de pathogénicité. Le sperme est ensemencé après dilution dans une solution de Ringer ou de sérum physiologique afin de réduire son pouvoir bactéricide. L’ensemencement doit être réalisé impérativement à l’oese calibrée. La mise en culture se fait au moins sur gélose au sang cuit additionné de vitamines, incubée sous CO2 pour la recherche des germes banaux à 48 heures. Des milieux pour mycobactéries peuvent être utilisés pour diagnostiquer une épididymite ou une prostatite à Mycobacterium tuberculosis. Pour les mycoplasmes (Ureaplasma urealyticum (UU), Mycoplasma hominis), la culture est réalisée en milieu liquide et l’évaluation de leur croissance se fait de manière semiquantitative par quantification des Unités Changeant de Couleur (UCC) : absence et taux faible < 103 UCC/ml – taux fort > 104 UCC/ml. Identification et antibiogramme Une identification et un antibiogramme sont réalisés en fonction du résultat de la numération des germes et/ou des espèces bactériennes isolées. Le caractère monomorphe des cultures est en faveur d’une infection, de même la présence de certaines espèces, nouvellement reconnues, comme Corynebacterium seminale. Une flore banale peut être responsable d’un état infectieux chronique chez le patient hypofertile. Recherche de Chlamydia trachomatis Elle doit être réalisée de manière systématique étant donné la paucisymptomatologie liée à cette infection. Elle doit être demandée explicitement sur l’ordonnance. La technique par PCR (réaction de polymérisation en chaîne) qui permet de révéler l’ADN de Chlamydia trachomatis est la plus adaptée pour ce type d’échantillon, bien que l’on note la présence d’inhibiteurs d’amplification dans 5 à 10% des prélèvements. Il est donc indispensable de disposer d’un témoin d’amplification dans le test. La culture cellulaire est souvent difficile du fait de la toxicité du liquide séminal. INTERPRETATION DES RESULTATS Le sperme est un liquide biologique normalement stérile. En dehors de toute symptomatologie clinique, localiser l’origine des bactéries trouvées dans l’éjaculât pose un problème difficile qui n’est pas totalement résolu. Rappel sur la flore urétrale On retrouve au niveau de l’urètre (tiers distal) une flore comparable à celle de la peau et des muqueuses de l’homme, avec des staphylocoques constituant l’essentiel de la flore résidente, mais également des espèces comme : Propionibacterium acnes, Corynebacterium, Streptococcus sp, Acinetobacter sp, Micrococcus, Candida albicans, Brevibacterium et les entérobactéries. Cette flore s’associe à des germes habituellement retrouvés au niveau de la flore vaginale comme Lactobacillus. La présence d’Ureaplasma urealyticum et Gardnerella vaginalis en faible quantité est en faveur d’un portage sain de ces bactéries. Seuils de pathogénicité Dans le cas d’isolement de bactéries pathogènes obligatoires type Chlamydia trachomatis ou Neisseria gonorrhoeae, ou encore dans le cadre d’une prostatite, l’interprétation des résultats ne pose pas de problèmes particuliers. Par contre, chez le sujet asymptomatique, dans le cadre, par exemple, du contrôle de la stérilité d’un sperme avant une IAC, l’interprétation est beaucoup plus délicate. Le seuil de 103 bactéries/ml d’éjaculât retenu par l’OMS en 1992 apparaît trop faible pour un prélèvement colonisé. . De nombreux auteurs proposent des seuils plus élevés (cf article de VIRECOULON et al. « spermoculture chez l’homme asymptomatique : à propos de 250 cas », Andrologie (2001), 11, n°2, 49-55). L’auteur cité plus haut, propose les seuils suivants : *pour les entérobactéries, les entérocoques et les streptocoques béta-hémolytiques (espèces potentiellement pathogènes) qu’il soit ou non associé à UU, un seuil de 104 UFC/ml est retenu. Dans ce cas, il est nécessaire de traiter le germe si l’on est sûr de la qualité du prélèvement. L’antibiogramme est alors réalisé systématiquement. seuil de 105 UFC/ml est proposé pour les autres germes banaux appartenant aux flores cutanée, buccale et fécale : Gardnerella vaginalis, Corynebacteruim sp., streptocoques non groupables, staphylocoque à coagulase négative, Candida sp. (espèces à faible pouvoir pathogène) sans association avec UU. Si la culture est pure, il faut traiter selon le contexte, par exemple au vu des anomalies du spermogramme, telles les asthénozoospermies pures. *un urealyticum > 104 UCC/ml, en association ou non avec un germe banal en quantité > 103 UFC/ml : traiter UU s’il existe une asthénozoospermie isolée et éventuellement le germe banal en quantité > 105 UFC/ml. *Ureaplasma Dans les autres cas, en particulier pour les forts taux d’UU sans germes banaux ni anomalies du spermogramme : traiter le couple en fonction des résultats du bilan féminin (par exemple existence d’une endométrite chronique histologique), dans le but d’améliorer l’implantation embryonnaire. *Association Gardnerella vaginalis / Ureaplasma urealyticum Ces 2 espèces sont très souvent associées. Il peut s’agir : -d’une prolifération d’UU par modification des conditions locales à la suite d’un processus infectieux, principalement causé par Gardnerella vaginalis. Malgré sa pénétration dans les cellules épithéliales de l’urètre, Gardnerella vaginalis est exceptionnellement pathogène pour l’homme ; elle est surtout soupçonné d’être la source de réinfections féminines. -d’une colonisation à degré élevé, représentant une situation intermédiaire avec un déséquilibre de la flore normale saprophyte, mais sans réel pouvoir pathogène. Elle pourrait être en fait transitionnelle, séquellaire d’une autre infection, avec un retour progressif à une flore normale, ou au contraire symptomatique d’une altération des mécanismes de défense du tractus génital masculin, voire de ceux du couple, avec un mécanisme de contamination basse réciproque itérative de l’homme et de la femme. *Flores polymicrobiennes Elles ne représentent pas toujours des contaminations, mais peuvent correspondre à des colonisations urétrales (flore saprophyte), ce qui conforte l’intérêt de les considérer comme « négatives ». En présence d’une flore mixte, la contamination du prélèvement peut être envisagée et il peut être judicieux de recommencer celui-ci en s’assurant que le prélèvement est effectué dans des conditions optimales. *Culture stérile Une culture stérile, associée à des signes d’appel (cliniques ou biologiques) doit amener à répéter le prélèvement. En effet, il peut exister des micro-abcès (prostate) associés à une spermoculture négative. La possibilité d’une infection à bactérie anaérobie doit être envisagée. La recherche de ces germes peut être difficile. CONCLUSION La spermoculture est un examen important dont la mise en œuvre doit être raisonnée et la technique rigoureuse pour que les résultats soient interprétables. Cependant, ceux-ci seront toujours discutés en fonction des résultats de l’examen clinique et des résultats du spermogramme. L’information du patient sur les consignes générales d’asepsie à respecter est primordiale pour ce type d’analyse et il est souhaitable de lui remettre un document explicatif (voir protocole de prélèvement en annexe). Jean-Pierre BOUILLOUX & Françoise HAMIDA Prochain sujet : Herpès cutanéo-muqueux et biologie. PROTOCOLE DE PRELEVEMENT POUR LA REALISATION D’UNE SPERMOCULTURE La réalisation du prélèvement au Laboratoire est préférable. Un délai d’abstinence doit être conseillé (2 à 5 jours) mais l’analyse est possible sans ce délai; le recueil doit se faire à distance d’un traitement antibiotique. 1-Boire abondamment la veille au soir et le matin du prélèvement afin d’assurer une miction abondante pour « rincer » l’urètre. 2-Matériel nécessaire : -un poudrier pour recueil du premier jet d’urine (poudrier à ECBU de petit diamètre à bouchon rouge) -un poudrier pour recueil de sperme (poudrier de grand diamètre à bouchon rouge) -un texte expliquant la technique de prélèvement. Recueil du premier jet urinaire -Après la toilette locale avec la lingette antiseptique fournie par le laboratoire, recueillir le premier jet urinaire dans le petit poudrier avec un capuchon rouge puis vider la vessie dans les toilettes. Recueil du sperme -Effectuer un lavage soigneux des mains en brossant les ongles si possible. Laver la verge, le gland et le méat urinaire en décalottant bien, avec le savon liquide antiseptique disponible près du lavabo, pendant 3 minutes, et rincer abondamment puis sécher avec une compresse stérile par tamponnement. A partir de cet instant, vous éviterez de vous recalotter et vous conserverez l’asepsie des mains et des muqueuses pendant toute la durée du prélèvement Si vous effectuez le prélèvement chez vous, passer les mains et le gland au DAKIN à l’aide d’une compresse stérile. Le laisser en contact quelques minutes . NE PAS RINCER. -Respecter l’asepsie du poudrier à grand diamètre : ouvrir le flacon de recueil en posant le couvercle, partie interne vers le haut. -Recueillir le sperme directement dans le flacon par masturbation en essayant de ne pas toucher l’intérieur du flacon. -Reboucher le poudrier, soigneusement et rapidement, sans toucher à la partie interne du couvercle. -Laissez les 2 poudriers sur le bord de l’évier et signaler à la secrétaire que le prélèvement est terminé. Il est possible que ce texte ne vous semble pas très clair. Lisez le donc calmement plusieurs fois chez vous. Si vous respectez ces conseils ; il est probable que nous aurons un prélèvement de qualité, que nous pourrons en tirer des conclusions valables, et prescrire éventuellement le traitement le plus efficace. Si le prélèvement est effectué chez vous, le poudrier contenant le sperme et le poudrier contenant le premier jet d’urine s’il a été obtenu, sont à faire parvenir le plus rapidement possible au laboratoire (dans un délai d’une demi-heure à une heure). Les flacons doivent être correctement identifiés (nom et prénom, heure du recueil).