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L'Yonne après la Libération : une situation tendue (août 1944-1945)
Comme partout ailleurs, le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF)
de De Gaulle installe rapidement un préfet dans l'Yonne : Paul Gibaud, arrivé
clandestinement dans l'Yonne depuis quelques semaines. Il fait son entrée à Auxerre le 24
août 1944
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. Le Comité Départemental de Libération (CDL), qui a coordonné l'action
insurrectionnelle, représente maintenant la population auprès du GPRF. Le CDL s'installe
à la préfecture. Or, le CDL et son préfet vont s'opposer, car les résistants, plutôt de
gauche, qui contrôlent le CDL, veulent mener une épuration complète, le préfet, lui,
est dans la ligne du GPRF qui consiste à privilégier la réconciliation. Le rôle du CDL, qui
n'a en outre aucun financement, décline dès le printemps 1945. En revanche, les
communistes mettent en place les Milices Patriotiques, pour maintenir l'ordre et faire la
chasse aux « traîtres » et aux « trafiquants ». En novembre 1944, celles-ci comptent 200
hommes à Auxerre et plusieurs dizaines dans les principales villes du département.
Impopulaires, car composées de communistes qui n'ont pas particià la Résistance, les
Milices Patriotiques, dont le nom est aussi problématique (le terme de Milices renvoie à la
Milice de Vichy, de sinistre mémoire), deviennent ensuite les Gardes Patriotiques, puis les
Gardes Civiques Républiques. De Gaulle a exigé leur dissolution dès le 28 octobre 1944 :
le PCF cède finalement en janvier 1945.
L'épuration, dans l'Yonne, sous sa forme sauvage, se déroule dès la Libération. Elle se
poursuit pendant trois mois, et au moins 60 personnes ont été abattues entre septembre
et décembre 1944, les 3 dernières en janvier et juin 1945. Des femmes sont tondues un
peu partout pour avoir fréquenté les Allemands, dans les grandes villes bien sûr, mais
aussi à Villeneuve-sur-Yonne, à Appoigny, à Migennes (29 arrêtées, 16 tondues dans cette
dernière localité). Les violences concernent aussi les biens : certains chefs résistants
mènent leur propre épuration, avec une grande violence. A l'automne 1944, les incendies
volontaires de bâtiments agricoles et de meules de paille se multiplient, de même que les
attentats à l'explosif contre des entreprises, des commerces, des cafés, notamment à
Joigny et Migennes, jusqu'au premier semestre 1945 (14 fin 1944, 20 en 1945). Ces
attentats visent des personnes accusées de marché noir ou de collaboration, parfois les
deux : ils sont le fait, souvent, d'anciens résistants qui se font justice eux-mêmes, estimant
que l'épuration n'a pas été assez complète. Des croix gammées sont également peintes
sur les murs de commerces ou de maisons, à Joigny comme ailleurs dans l'Yonne, au
printemps 1945.
Dans l'Yonne, la Résistance a été forte, les maquis nombreux, la répression des
Allemands et de Vichy assez féroce, et l'épuration extrajudiciaire, par rapport à d'autres
départements, a été par conséquence assez élevée
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. Les groupes collaborationnistes
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Claude DELASELLE, Joël DROGLAND, Frédéric GAND, Thierry ROBLIN et Jean ROLLEY, Un
département dans la guerre 1939-1945. Occupation, collaboration et résistance dans l'Yonne, Ces
Oubliés de l'Histoire, Paris, éditions Tirésias, 2006, p.505-539.
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Claude DELASELLE, Joël DROGLAND, Frédéric GAND, Thierry ROBLIN et Jean ROLLEY, Un
département dans la guerre 1939-1945. Occupation, collaboration et résistance dans l'Yonne, Ces
Oubliés de l'Histoire, Paris, éditions Tirésias, 2006, p.559-593.
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n'ont jamais été très puissants dans le département, mais leurs responsables sont visés
de même ceux qui ont exercé des fonctions pour Vichy. Roger Tholon, le secrétaire de la
LVF
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à Joigny, est abattu le 27 juillet 1944. D'autres cumulent à la fois le statut de
collaborateur militant et de dénonciateur, comme Maurice Pandolfi, de la ferme
Beauregard, près de Joigny, tué dès le 15 janvier 1944. Surnommé « gueule en or » en
raison de ses dents couronnées, Pandolfi est à la fois chef de section du PPF
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et milicien :
la Résistance l'accuse d'avoir dénoncé plusieurs Joviniens. Dans la soirée du 10 mai
1943, un groupe de FTP du maquis Vauban est chargé de l'abattre, mais pour une raison
inconnue, n'exécute pas l'ordre. En revanche, il croise par hasard un sous-officier
allemand qui revient d'une tournée des fermes environnantes et Emile Philippot, l'un des
maquisards, l'abat : c'est le premier soldat allemand tué dans l'Yonne. Deux heures plus
tard, Pierre Piart, un jeune marginal qui vit dans les bois et qui avait des comptes à régler
avec Pandolfi, tire 4 coups de feu sur la maison, sans l'atteindre. Les policiers français qui
enquêtent dès le lendemain découvre Piart, qui fait un coupable idéal, d'autant qu'il avoue
aussi le meurtre du soldat allemand : il est fusillé le 1er juin. Mais les résistants n'ont pas
renoncé : un groupe FTP commandé par Maurice Sellier s'embusque sur la route entre
Joigny et Dixmont, à un kilomètre de la ferme, le 15 janvier 1944. Pandolfi, qui arrive au
volant de sa camionnette, est blessé d'une rafale de mitraillette, puis achevé de plusieurs
balles dans la tête. Pour perturber l'enterrement à Gerchy, le 18 janvier, les résistants
enlèvent les roues du corbillard, déplacent les battants des cloches et placardent sur la
porte de l'église un écriteau : « Dieu n'accepte pas les traîtres ».
Au minimum, ce sont 349 personnes qui ont été abattues entre l'été 1943 et 1945. Les
exécutions ont été nombreuses au moment de la Libération et jusqu'à l'automne 1944. Les
femmes représentent 34% des victimes (118). Le 27 octobre 1944, Eugène V., garde de
navigation à Joigny et considéré par les résistants comme un collaborateur dangereux (il
avait déjà échappé à une tentative d'assassinat le 8 août précédent) est abattu. En ce qui
concerne l'épuration judiciaire, plus de 2 000 personnes ont été arrêtées dès la Libération.
A partir d'octobre 1944, elles sont détenues dans la caserne Gourré à Auxerre, et ce
jusqu'en octobre 1945. Les conditions matérielles dans la prison sont primaires, les
conditions de vie spartiates. La cour de justice de l'Yonne juge au total, entre novembre
1944 et novembre 1945, 275 personnes, prononce 19 condamnations à mort dont 2
seulement sont exécutées, les autres prévenus subissant des peines de prisons et autres
condamnations, avec 36 acquittements.
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La Légion des Volontaires Français, créée en juillet 1941, rassemble des volontaires français qui portent
l'uniforme allemand et partent combattre sur le front de l'est contre les Soviétiques. Les rescapés de la
LVF finissent pour la plupart, à l'été 1944, dans la seule division française de la Waffen-SS, la 33. Waffen-
Grenadier Division der SS « Charlemagne ».
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Le Parti Populaire Français (PPF) est fondé par Jacques Doriot, un ancien communiste, en 1936.
Jusqu'au début de la Seconde Guerre mondiale en 1939, c'est le seul parti de masse qui se rapproche
vraiment du fascisme en France. Doriot prône, sous l'Occupation, une collaboration étroite avec
l'Allemagne nazie.
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La majorité des condamnés l'ont été pour dénonciation : ainsi Charles C., à Joigny,
professeur, condamné à mort pour avoir fourni aux Allemands une liste de suspects qui a
entraîné l'arrestation et la déportation de Pierre Vauthier, le chef civil de Libération-Nord
dans le département. Des résistants sont également passés devant le tribunal pour avoir
commis divers méfaits. La Chambre civique de l'Yonne, quant à elle, a jugé 568
personnes, dont 378 (66%) ont été condamnées à la dégradation nationale. Au total, 843
personnes jugées, donc, avec 205 acquittements. Mais les personnes condamnées ont
souvent été amnistiées entre 1947 et 1953 : ainsi Charles C., condamné à mort, voit sa
peine commuée en travaux forcés à perpétuité, puis à 20 ans, puis 10 ans de prison, puis
il est libéré le 8 septembre 1950 et assigné à résidence en Algérie. L'épuration légale,
administrative et économique, a plutôt été faible dans l'Yonne, sans doute car l'épuration
sauvage, au contraire, a été importante.
Le retour des prisonniers de guerre français, des travailleurs partis en Allemagne,
commence à la mi-mars 1945 et s'étale jusqu'à l'été. Un rapport du préfet, daté du 31
août, cite 7 348 prisonniers de guerre, 3 266 « requis » du travail et 295 déportés qui sont
revenus dans le département. Les déportés témoignent, très rapidement, du martyr dans
les camps nazis, en 1945-1946, et la presse locale s'en fait l'écho. Mais l'intérêt de la
population va vite se détourner de l'horreur des camps pour des réalités plus immédiates.
Les déportés en conçoivent une certaine amertume, d'autant qu'à l'automne 1945, on
trouve 2 500 prisonniers allemands utilisés dans l'agriculture et 250 sur des chantiers
forestiers dans l'Yonne. Or, les déportés trouvent que les prisonniers allemands sont
parfois un peu trop bien accueillis par les paysans icaunais. L'affaire fait tellement de bruit
-L'Yonne Républicaine, le nouveau journal formé à la libération, y consacre un gros article
le 24 août 1945- que le préfet doit envoyer des circulaires pour rappeler les consignes sur
le traitement des prisonniers. Mais la situation ne semble guère avoir changé jusqu'au
départ des derniers Allemands, en 1948-1949.
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