Le mouvement des droits civiques : un nouvel avatar de l’opposition ?
Par Jean-Philippe Béja
Près de vingt ans se sont écoulés depuis que l’Armée populaire de libération a écrasé dans le
sang les manifestations des habitants de Pékin qui réclamaient la démocratie, la liberté et la
fin de la corruption des dirigeants. Pendant les deux mois qu’a duré le mouvement pour la
démocratie qui a secoué toutes les grandes villes de Chine, les étudiants qui l’ont dirigé et les
citadins (ouvriers, intellectuels) qui l’ont soutenu n’ont cessé de demander l’organisation d’un
dialogue sur un pied d’égalité avec les autorités
1
. Cette revendication était en quelque sorte
une conséquence naturelle des réformes mises en œuvre par Deng Xiaoping à la fin 1978. En
effet, au cours des années 1980, un nombre croissant de citoyens a pris conscience que seule
l’existence d’une société civile autonome et institutionnalisée capable de contrôler les abus
des cadres du Parti permettrait d’empêcher que ne se reproduise la tragédie de la Révolution
culturelle. Cette société civile apparaissait d’autant plus nécessaire que les réformes
économiques conduisaient à un développement effréné de la corruption des fonctionnaires.
Nombre de dirigeants réformateurs au sein du Parti étaient également convaincus que
l’existence d’une société civile permettrait de moderniser la manière dont le Parti exerçait son
pouvoir. Ils pensaient en outre qu’elle les aiderait à se débarrasser des conservateurs qui
cherchaient à ralentir la progression des réformes
2
.
C’est sans doute l’un des facteurs qui explique l’attitude du secrétaire général Zhao Ziyang au
printemps 1989 : pendant les manifestations, il prôna l’organisation d’un dialogue avec les
organisations créées par les étudiants, affirmant qu’il fallait répondre à leurs revendications
par les voies de la « démocratie et de la légalité »
3
. Toutefois, l’homme fort du régime, Deng
Xiaoping, estima que cette attitude conciliatrice représentait un grave danger pour la survie du
régime, et il mobilisa l’Armée pour écraser le mouvement populaire. En même temps,
soucieux de punir ceux qui avaient failli faire « éclater » le Parti, il procéda à une purge des
« réformateurs radicaux ».
Vingt ans après, on peut dire que cette purge a été efficace puisque depuis 1989 on n’a plus
jamais retrouvé, dans le discours officiel, de référence à la « réforme du système politique »,
concept qui s’était pourtant trouvé au cœur des débats durant les années 1980.
1
Sur le déroulement du mouvement pour la démocratie de 1989, voir Jean-Philippe Béja, Michel Bonnin, Alain
Peyraube, Le Tremblement de terre de Pékin, Paris, Gallimard, « Au vif du sujet », 2001.
2
Voir « Le cercle vertueux de la démocratisation » in Jean-Philippe Béja, A la recherche d’une ombre chinoise,
Paris, Ed. du Seuil, 2004.
3
Zhang Liang, Les Archives de Tiananmen, Paris, Le Félin, 2004, p.192.